Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureuse et très honorée de participer à la Rencontre internationale du Luxe et de la Création. C'est la première fois, semble t-il, qu'un ministre du Commerce extérieur intervient devant vous.
Je tiens à remercier très chaleureusement le Président Poncelet de m'avoir offert cette tribune.
C'est l'occasion, pour le ministre que je suis, de souligner le rôle des entreprises du luxe dans la vie de notre pays.
Car si la mode, dans notre pays, a toujours été l'affaire d'entreprises renommées, la richesse et la diversité de notre haute couture est en fait le fruit de la société toute entière.
« De quoi s'agit-il donc précisément dans cette question du luxe ? De savoir lequel importe le plus aux empires d'être brillants et momentanés, ou vertueux et durables.
Je dis brillant, mais de quel éclat ? Le goût du faste ne s'associe guère dans les mêmes âmes avec celui de l'honnête. »
Dans son Discours sur les sciences et les arts de 1750, Jean-Jacques Rousseau, par une provocation qui lui est familière, lance une charge contre l'esprit des Lumières et contre le symbole le plus brillant de cet esprit, le luxe.
Il réduit ainsi à néant l'apport du progrès et de la civilisation au nom de la vertu et de l'honnêteté. Car le luxe serait à l'origine de la décadence et de la corruption des m?urs. A Athènes comme à Rome, l'omniprésence du luxe signerait ainsi la mort d'une civilisation.
Si l'on en juge par l'importance que le luxe a prise dans nos sociétés, alors nous ne sommes pas loin de connaître le sort de l'empire romain.
A ces attaques contre les Lumières, la réponse de Voltaire fut cinglante : « tout ennemi du luxe doit croire avec Rousseau que l'état de bonheur et de vertu pour l'homme est celui, non de sauvage, mais d'orang-outang ».
En fait, Rousseau classe le luxe dans le même camp que les arts et les sciences. Car c'est le progrès et la civilisation sous toutes ses formes qu'il redoute.
Le luxe apparaît alors pour ce qu'il est aux yeux de Rousseau, comme le produit le plus abouti et le plus significatif d'une civilisation, comme la réussite la plus éclatante d'une société donnée, comme le point de convergence de ses capacités à la fois technologiques et artistiques.
Par un renversement étonnant, le luxe est alors le révélateur par excellence d'une réussite dans l'ordre du raffinement des m?urs et dans celui des techniques.
Quand, par surcroît, une industrie nationale du luxe est couronnée de succès à l'échelle mondiale, quel signe plus éclatant de la bonne santé de la France, à la fois de son économie, de sa technologie et de son image ? puisque le luxe est à l'interface de tous ses domaines d'exception et de distinction.
La France est ainsi le premier exportateur mondial de parfumerie - cosmétique avec 30 % du marché mondial.
Le luxe est ainsi le fils légitime de l'union entre la technologie textile la plus innovante, un appareil industriel puissant et enfin la création française, qui ne désigne plus le bon goût à l'ancienne, mais le reflet d'une avant-garde artistique.
J'aborderai donc ici avec vous ces trois aspects essentiels à la bonne santé du luxe.
1. La dimension économique du luxe
Au début du XXIe siècle, la Haute Couture parisienne compte moins de dix «Maisons » contre cent six en 1946. Certains, parmi ses membres les plus éminents, annoncent même sa mort, que semble symboliser le départ du couturier Yves Saint Laurent.
Aujourd'hui, le processus de production est dominé par la finance internationale et ces Maisons sont convoitées ou détenues par des grands groupes qui investissent dans le luxe comme PPR ou LVMH.
De fait, dans l'industrie du luxe, la Haute Couture, avec sa productivité stagnante, pourrait sembler vouée à la disparition en raison de la hausse inéluctable de ses coûts qui contraste avec la productivité croissante du prêt-à-porter. Même non directement rentable, elle, qui ne pèse aujourd'hui que 50 millions d'euros de chiffre d'affaires, crée cependant de la valeur par le rayonnement de sa griffe et par sa capacité à développer un environnement créatif.
Son véritable succès économique tient aux marchés des accessoires et produits dérivés ? parfums, maroquinerie, chaussures ? qui lui donnent accès au marché du luxe.
Les Maisons de Haute Couture restent des lieux de création et d'innovation indispensables pour donner au monde du luxe sa respiration. Sans elle, le luxe deviendrait un secteur sans inspiration, comme les autres, voué à la standardisation.
2. La stratégie de développement du luxe
Tout le monde aujourd'hui peut aspirer au luxe et y avoir accès au moins ponctuellement ou occasionnellement, par l'achat d'un vêtement, d'un stylo, d'une montre?
L'avenir est donc à la production de biens de luxe, capable de concilier qualité du luxe et économies d'échelle, à côté de la perpétuation de la série limitée produite artisanalement.
Cette production, qui sort de grandes unités industrielles mais intègre un travail préalable de type artisanal, se situe dans le haut de la gamme de prix et s'appuie sur une distribution sélective et spécialisée. Pour rester compétitive, elle doit constamment monter en gamme et occuper le segment le plus innovant.
Ainsi, comme la mode, le système français du luxe doit combiner plus encore ses deux atouts, le patrimoine et la créativité.
Si le recours au luxe pour rentabiliser la Haute Couture n'est pas nouveau, le temps n'est plus où un couturier pouvait par exemple imposer un parfum.
Recourir au luxe suppose d'avoir une stratégie globale et cohérente jouant des synergies entre produits et d'organiser une mise en cohérence des activités de couture, de luxe et d'accessoires. Néanmoins, le luxe a plus que jamais besoin de légitimité et de créativité, ce que peut lui apporter la Haute Couture qui devient davantage encore la « racine de la marque ».
En tout état de cause, le principal point fort du luxe français reste le patrimoine du luxe. Le désir de distinction, fondé sur le savoir-faire et la créativité, permet de toucher un large public dans le monde. Encore faut-il que le luxe soit capable de consentir des investissements élevés dans la communication comme dans la distribution au travers d'un réseau de boutiques spécialisées et de s'adapter aux évolutions rapides de la demande en intégrant qualité et créativité dans une stratégie globale.
C'est ce que permettent les ressources du capital financier entré dans le luxe par le rachat d'un patrimoine souvent sous-utilisé : celui des Maisons, des marques et de la réputation. Mais il ne suffit pas de capter la rente, il faut s'avérer capable de reproduire la créativité et d'en tirer parti sur un champ sans cesse élargi de produits de luxe considérés comme des accessoires de la mode.
À l'ère de l'industrie du luxe, le défi de l'économie de la mode consiste à renouer avec une dynamique optimisée et adaptée à la mondialisation des marchés de créativité.
3. La créativité
La mode, bien sûr, est un enjeu culturel, économique et social qui déborde largement le cadre de l'esthétique.
A l'heure où le dynamisme de nouveaux acteurs du marché mondial, certes représente une menace pour nos emplois, mais aussi donne à nos talents de nouvelles chances de s'exprimer et de se faire connaître, c'est en défendant sa création et son savoir-faire que l'industrie française, dans ce secteur particulièrement, pourra continuer à rayonner dans le monde entier.
Plus que jamais, nous avons besoin de nous battre sur deux fronts : d'une part, pour préserver le savoir-faire des maisons de couture, et de tous ceux qui travaillent pour la couture, un patrimoine vivant et unique que le monde entier nous envie.
Et d'autre part, pour encourager et soutenir la créativité, l'audace, l'imagination des nouvelles générations, celles qui nous ouvrent les voies de la mode d'aujourd'hui et de demain. C'est en soutenant leurs recherches que nous pourrons continuer d'attiser l'excitation, la curiosité, l'admiration qui attirent à Paris, chaque saison, les acheteurs et les journalistes du monde entier. Pour que l'Europe continue de rayonner face aux nouveaux mondes économiques que sont la Chine, le Brésil ou l'Inde, nous avons besoin de vos talents à tous. C'est par le regard que vous posez sur la vie contemporaine que vous nourrissez notre culture sous son aspect le plus vivant, le plus enthousiasmant.
Comme disait Mademoiselle Chanel : « La mode n'existe pas seulement dans les robes ; la mode est dans l'air, c'est le vent qui l'apporte, on la pressent, on la respire, elle est au ciel et sur le macadam, elle est partout, elle tient aux idées, aux murs, aux événements ! ». Plus encore que le révélateur de l'air du temps, la mode est le reflet d'une époque. Elle est un art à part entière.
Créateurs et entrepreneurs, vous avez la double charge de nous habiller et de nous faire rêver. D'inventer des formes et des matières, d'élaborer les nouvelles syntaxes du style, mais aussi d'imposer de nouvelles images en phase avec votre époque. En créant les tendances, vous influencez d'autres domaines de la culture qui sauront vous donner la réplique, tels que la musique, le design, le cinéma, le graphisme ou l'art contemporain. La mode n'est pas une discipline à côté des autres. Elle est en symbiose avec toutes les expressions artistiques.
Je vous remercie.
Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 30 décembre 2005
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureuse et très honorée de participer à la Rencontre internationale du Luxe et de la Création. C'est la première fois, semble t-il, qu'un ministre du Commerce extérieur intervient devant vous.
Je tiens à remercier très chaleureusement le Président Poncelet de m'avoir offert cette tribune.
C'est l'occasion, pour le ministre que je suis, de souligner le rôle des entreprises du luxe dans la vie de notre pays.
Car si la mode, dans notre pays, a toujours été l'affaire d'entreprises renommées, la richesse et la diversité de notre haute couture est en fait le fruit de la société toute entière.
« De quoi s'agit-il donc précisément dans cette question du luxe ? De savoir lequel importe le plus aux empires d'être brillants et momentanés, ou vertueux et durables.
Je dis brillant, mais de quel éclat ? Le goût du faste ne s'associe guère dans les mêmes âmes avec celui de l'honnête. »
Dans son Discours sur les sciences et les arts de 1750, Jean-Jacques Rousseau, par une provocation qui lui est familière, lance une charge contre l'esprit des Lumières et contre le symbole le plus brillant de cet esprit, le luxe.
Il réduit ainsi à néant l'apport du progrès et de la civilisation au nom de la vertu et de l'honnêteté. Car le luxe serait à l'origine de la décadence et de la corruption des m?urs. A Athènes comme à Rome, l'omniprésence du luxe signerait ainsi la mort d'une civilisation.
Si l'on en juge par l'importance que le luxe a prise dans nos sociétés, alors nous ne sommes pas loin de connaître le sort de l'empire romain.
A ces attaques contre les Lumières, la réponse de Voltaire fut cinglante : « tout ennemi du luxe doit croire avec Rousseau que l'état de bonheur et de vertu pour l'homme est celui, non de sauvage, mais d'orang-outang ».
En fait, Rousseau classe le luxe dans le même camp que les arts et les sciences. Car c'est le progrès et la civilisation sous toutes ses formes qu'il redoute.
Le luxe apparaît alors pour ce qu'il est aux yeux de Rousseau, comme le produit le plus abouti et le plus significatif d'une civilisation, comme la réussite la plus éclatante d'une société donnée, comme le point de convergence de ses capacités à la fois technologiques et artistiques.
Par un renversement étonnant, le luxe est alors le révélateur par excellence d'une réussite dans l'ordre du raffinement des m?urs et dans celui des techniques.
Quand, par surcroît, une industrie nationale du luxe est couronnée de succès à l'échelle mondiale, quel signe plus éclatant de la bonne santé de la France, à la fois de son économie, de sa technologie et de son image ? puisque le luxe est à l'interface de tous ses domaines d'exception et de distinction.
La France est ainsi le premier exportateur mondial de parfumerie - cosmétique avec 30 % du marché mondial.
Le luxe est ainsi le fils légitime de l'union entre la technologie textile la plus innovante, un appareil industriel puissant et enfin la création française, qui ne désigne plus le bon goût à l'ancienne, mais le reflet d'une avant-garde artistique.
J'aborderai donc ici avec vous ces trois aspects essentiels à la bonne santé du luxe.
1. La dimension économique du luxe
Au début du XXIe siècle, la Haute Couture parisienne compte moins de dix «Maisons » contre cent six en 1946. Certains, parmi ses membres les plus éminents, annoncent même sa mort, que semble symboliser le départ du couturier Yves Saint Laurent.
Aujourd'hui, le processus de production est dominé par la finance internationale et ces Maisons sont convoitées ou détenues par des grands groupes qui investissent dans le luxe comme PPR ou LVMH.
De fait, dans l'industrie du luxe, la Haute Couture, avec sa productivité stagnante, pourrait sembler vouée à la disparition en raison de la hausse inéluctable de ses coûts qui contraste avec la productivité croissante du prêt-à-porter. Même non directement rentable, elle, qui ne pèse aujourd'hui que 50 millions d'euros de chiffre d'affaires, crée cependant de la valeur par le rayonnement de sa griffe et par sa capacité à développer un environnement créatif.
Son véritable succès économique tient aux marchés des accessoires et produits dérivés ? parfums, maroquinerie, chaussures ? qui lui donnent accès au marché du luxe.
Les Maisons de Haute Couture restent des lieux de création et d'innovation indispensables pour donner au monde du luxe sa respiration. Sans elle, le luxe deviendrait un secteur sans inspiration, comme les autres, voué à la standardisation.
2. La stratégie de développement du luxe
Tout le monde aujourd'hui peut aspirer au luxe et y avoir accès au moins ponctuellement ou occasionnellement, par l'achat d'un vêtement, d'un stylo, d'une montre?
L'avenir est donc à la production de biens de luxe, capable de concilier qualité du luxe et économies d'échelle, à côté de la perpétuation de la série limitée produite artisanalement.
Cette production, qui sort de grandes unités industrielles mais intègre un travail préalable de type artisanal, se situe dans le haut de la gamme de prix et s'appuie sur une distribution sélective et spécialisée. Pour rester compétitive, elle doit constamment monter en gamme et occuper le segment le plus innovant.
Ainsi, comme la mode, le système français du luxe doit combiner plus encore ses deux atouts, le patrimoine et la créativité.
Si le recours au luxe pour rentabiliser la Haute Couture n'est pas nouveau, le temps n'est plus où un couturier pouvait par exemple imposer un parfum.
Recourir au luxe suppose d'avoir une stratégie globale et cohérente jouant des synergies entre produits et d'organiser une mise en cohérence des activités de couture, de luxe et d'accessoires. Néanmoins, le luxe a plus que jamais besoin de légitimité et de créativité, ce que peut lui apporter la Haute Couture qui devient davantage encore la « racine de la marque ».
En tout état de cause, le principal point fort du luxe français reste le patrimoine du luxe. Le désir de distinction, fondé sur le savoir-faire et la créativité, permet de toucher un large public dans le monde. Encore faut-il que le luxe soit capable de consentir des investissements élevés dans la communication comme dans la distribution au travers d'un réseau de boutiques spécialisées et de s'adapter aux évolutions rapides de la demande en intégrant qualité et créativité dans une stratégie globale.
C'est ce que permettent les ressources du capital financier entré dans le luxe par le rachat d'un patrimoine souvent sous-utilisé : celui des Maisons, des marques et de la réputation. Mais il ne suffit pas de capter la rente, il faut s'avérer capable de reproduire la créativité et d'en tirer parti sur un champ sans cesse élargi de produits de luxe considérés comme des accessoires de la mode.
À l'ère de l'industrie du luxe, le défi de l'économie de la mode consiste à renouer avec une dynamique optimisée et adaptée à la mondialisation des marchés de créativité.
3. La créativité
La mode, bien sûr, est un enjeu culturel, économique et social qui déborde largement le cadre de l'esthétique.
A l'heure où le dynamisme de nouveaux acteurs du marché mondial, certes représente une menace pour nos emplois, mais aussi donne à nos talents de nouvelles chances de s'exprimer et de se faire connaître, c'est en défendant sa création et son savoir-faire que l'industrie française, dans ce secteur particulièrement, pourra continuer à rayonner dans le monde entier.
Plus que jamais, nous avons besoin de nous battre sur deux fronts : d'une part, pour préserver le savoir-faire des maisons de couture, et de tous ceux qui travaillent pour la couture, un patrimoine vivant et unique que le monde entier nous envie.
Et d'autre part, pour encourager et soutenir la créativité, l'audace, l'imagination des nouvelles générations, celles qui nous ouvrent les voies de la mode d'aujourd'hui et de demain. C'est en soutenant leurs recherches que nous pourrons continuer d'attiser l'excitation, la curiosité, l'admiration qui attirent à Paris, chaque saison, les acheteurs et les journalistes du monde entier. Pour que l'Europe continue de rayonner face aux nouveaux mondes économiques que sont la Chine, le Brésil ou l'Inde, nous avons besoin de vos talents à tous. C'est par le regard que vous posez sur la vie contemporaine que vous nourrissez notre culture sous son aspect le plus vivant, le plus enthousiasmant.
Comme disait Mademoiselle Chanel : « La mode n'existe pas seulement dans les robes ; la mode est dans l'air, c'est le vent qui l'apporte, on la pressent, on la respire, elle est au ciel et sur le macadam, elle est partout, elle tient aux idées, aux murs, aux événements ! ». Plus encore que le révélateur de l'air du temps, la mode est le reflet d'une époque. Elle est un art à part entière.
Créateurs et entrepreneurs, vous avez la double charge de nous habiller et de nous faire rêver. D'inventer des formes et des matières, d'élaborer les nouvelles syntaxes du style, mais aussi d'imposer de nouvelles images en phase avec votre époque. En créant les tendances, vous influencez d'autres domaines de la culture qui sauront vous donner la réplique, tels que la musique, le design, le cinéma, le graphisme ou l'art contemporain. La mode n'est pas une discipline à côté des autres. Elle est en symbiose avec toutes les expressions artistiques.
Je vous remercie.
Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 30 décembre 2005