Texte intégral
Q - Vous partez pour Hong Kong demain. J'imagine que tous les vols sont complets, vous partez avec des alter mondialistes, avec des députés, avec vos collaborateurs, avec qui partez-vous ?
R - Je pars avec Air France d'abord, sur une ligne régulière, et je pars avec une équipe de 29 personnes, plus 12 parlementaires, puisque dans une discussion de cette importance, le Parlement est totalement associé aux discussions.
Q - Vous ne prendrez pas le même vol que José Bové ?
R - Je ne sais pas s'il fait partie du voyage !
Q - Plus sérieusement, toute la planète va se retrouver pour l'assemblée générale de l'OMC et vous n'allez pas arriver dans une configuration très confortable puisque, pendant ce temps, les Européens se déchirent. Comment l'Europe va-t-elle parler d'une seule voix, face aux Américains, à la zone Asie, à la zone Amérique latine ?
R - La France, avec les 24 autres pays membres de l'Union européenne, va parler d'une seule voix, puisque c'est la Commission qui nous représente. Donc le commissaire Mandelson et le commissaire Fischer Boel vont nous représenter respectivement pour les matières de commerce et les matières d'agriculture.
Q - Mais les autres savent très bien qu'il y a eu pas mal de tirages entre nous, donc ils n'arrivent pas non plus en position de force...
R - On a discuté et c'est toujours comme ça dans l'Union européenne. Il faut, à 25, se mettre d'accord sur les périmètres du mandat, sur les positions que nous prenons. Et les offres que nous avons faites le 28 octobre sont celles auxquelles on se tient, elles ont été déclarées par la Commission comme étant notre offre globale, finale et conditionnelle. On est en ligne et on a un front uni. Je retrouverai d'ailleurs mais 24 collègues de manière très régulière pour continuer à échanger.
Q - La France arrive toujours avec le même message : nous sommes les champions de l'aide contre la pauvreté et, parallèlement, la même France s'arc-boute sur les subventions à la PAC, donc à nos agriculteurs, qui empêchent ces mêmes pays pauvres de nous exporter leurs produits. Est-ce que finalement, on ne leur retire pas le pain de la bouche, plutôt que de les aider ?
N'est-on pas un peu schizophrène ?
R - Mais non, mais non, pas du tout. Aujourd'hui, l'Union européenne est la seule région du monde qui offre aux pays les moins avancés, c'est-à-dire les pays essentiellement d'Afrique subsaharienne, un accès totalement libre à nos marchés. C'est-à-dire que des pays comme le Bénin ou comme le Ghana par exemple ou le Bengladesh, peuvent nous envoyer, à zéro droit de douane et sans aucun contingentement, sans aucune limitation, tous leurs produits et en particulier les fruits de leur agriculture, puisque c'est l'essentiel de leur économie pour un certain nombre d'entre eux. Ce que nous disons aujourd'hui, c'est que ce régime de total libre accès, sans aucun droit de douane, on demande aux Etats-Unis, on demande au Japon, on demande à la Suisse, à tous les pays développés et à ceux des pays émergents qui le peuvent, de leur réserver le même accueil, précisément pour permettre leur développement. Donc il n'y a pas de schizophrénie.
Q ? Donc, c'est la faute des Américains ?
R - Non, ce n'est pas la faute des Américains. Ils ont un système un peu équivalent, qui s'appelle l'AGOA (African Growth and Opportunity Act) et qui est beaucoup moins développé, qui est beaucoup plus sectaire dans l'acceptation des produits. Et ils ont un système de subvention au coton en particulier, qui pénalise considérablement les pays d'Afrique de l'Ouest. Là aussi, nous demandons à nos amis américains de faire quelque chose sur le coton, parce qu'il faut, comme nous les Européens avons fait un premier effort sur le sucre, aussi permettre aux pays d'Afrique de l'Ouest de développer leur production et de monter dans l'échelle du développement.
Q - Et nous, les Français, on n'a rien à se reprocher, on arrive sans rien à proposer !
R - Mais imaginez une partie de poker, où nous avons déjà joué deux tours, c'est-à-dire que l'on a mis deux fois de suite des offres sur la table, le 11 octobre, le 28 octobre. Les Américains ont fait un tour, ils ont mis une offre le 10 octobre et, pour l'instant, on attend que les Brésiliens et les Indiens se décident eux aussi à montrer leur jeu. Et c'est pour cela que la France notamment, et les autres pays de l'Union européenne, sont très intéressés par ce que les Indiens et les Brésiliens vont avoir à nous montrer.
Q ? Avez-vous l'espoir d'arriver à quelque chose avec le reste du monde, aujourd'hui ?
R - Vous savez, l'Organisation mondiale du commerce est destinée à trois choses. Premièrement, essayer de libéraliser les échanges entre les différents pays du monde ; deuxièmement, aider le développement des pays les moins avancés, et ça c'est important pour eux, c'est aussi important pour nous...
Q - Oui, parce que cela va faire des consommateurs à terme et puis cela va enrichir tout le monde...
R - Et surtout, cela va donner un espoir économique aux populations qui, aujourd'hui, n'ont pas cet espoir économique et qui se disent : allons chercher l'Eldorado ailleurs, parce que ce ne sera jamais chez nous". Il faut qu'ils aient un jour, au moins, l'espoir et la volonté de développer leur économie. Tout ce que l'on pourra faire pour les aider à le faire, les aidera eux, mais nous aidera nous également. Est-ce que j'ai espoir de revenir avec quelque chose ? Oui, j'espère que, sur le volet développement, c'est-à-dire l'aide aux pays les moins avancés, l'accès aux médicaments, le règlement de la question coton et un régime de libre échange et de libre accès aux pays développés, pour les pays les moins développés, j'espère que l'on va y arriver.
Q - Va-t-il y avoir aussi le textile chinois, par exemple, qui va entrer dans la danse ? On sait que les Français sont un peu réticents vis-à-vis de l'OMC, parce que pour eux, c'est avant tout ce type de problème...
R - Ça, c'était différent. Le textile chinois a été réglé depuis le 1er janvier, puisque c'était le démantèlement de l'accord multifibres, qui a permis l'accès d'un certain nombre de textiles, notamment de la Chine.
Q - Mais dans le cadre de l'OMC, on a vu que cela avait provoqué certains émois, en France notamment...
R - L'OMC, précisément, nous a permis de retourner vers les Chinois et de dire que nous allions renégocier puisque, précisément, nous sommes en situation, éventuellement, d'appliquer une clause de sauvegarde, parce que nous sommes menacés par trop d'exportations de produits textiles.
Donc soit vous acceptez de négocier, dans le cadre de l'OMC, soit on met la clause de sauvegarde. Et grâce à l'OMC, grâce aux règles du commerce international, nous avons pu négocier un certain nombre de quotas sur des lignes de produits qui étaient particulièrement menacées.
Donc c'est utile.
Q - Pourquoi cette institution, l'OMC, est-elle si loin des Français, de leurs préoccupations, de leurs doutes ? Qu'est-ce qui se passe dans cette institution ?
R - Parce que je crois que l'on n'en comprend pas très bien les aspects pratiques. Je vais vous donner un ou deux exemples. L'Inde, aujourd'hui, fait partie de l'Organisation mondiale du commerce, mais pour l'instant n'a pas accepté d'ouvrir un certain nombre de secteurs.
C'est la raison pour laquelle, Carrefour, par exemple, mais aussi Louis Vuitton, ne peuvent pas ouvrir de grandes surfaces ou de magasins en Inde et ne peuvent pas se développer, parce qu'il y a des barrières qui les en empêchent. Dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, on discute, on négocie et on explique qu'il est peut-être utile et opportun pour ces pays d'abaisser leurs barrières ou d'ouvrir leurs secteurs de services, même chose pour les assurances et les banques.
Q - La tentation est forte de vous demander comment et est-ce que l'on a déjà un premier bilan du commerce extérieur 2005 pour la France ?
R - Oh non, attendez que l'année se termine !
Q - Mais on a déjà eu des tendances...
R - Ce dont je suis à peu près certaine, c'est que l'on nous dira dès la fin de l'année que l'on a un déficit abyssal, ce qui est fort probable. Je pense aussi que nous aurons un record historique, toutes catégories confondues, toutes années confondues, de nos exportations, donc on sera les champions de l'exportation.
Q - C'est-à-dire ?
R - Je ne sais pas, on sera largement au-delà de 350 milliards d'euros. Je n'ai pas de prévisions sur le déficit, mais il sera important, il sera probablement légèrement supérieur à 30. Ce qu'il faut savoir aujourd'hui, c'est que la France exporte massivement. Le récent voyage du Premier ministre chinois en était une manifestation supplémentaire.
Et ce qui est intéressant de constater, c'est que depuis le deuxième trimestre 2005, nos exportations ont recommencé à augmenter plus vite que nos importations. C'est donc une évolution tendancielle qui est importante, et j'en suis absolument ravie. Ceci étant, aussi, nos importations sont importantes, pour deux raisons essentiellement : d'abord à cause de la facture pétrolière. On a entendu tout à l'heure le chiffre de 61 dollars le baril de pétrole : on se replacerait un an en arrière, il se situait, je vous le parie, à peu près la moitié. Donc quand la facture pétrolière double, il est évident que le volume de nos importations augmente considérablement. C'est mécanique, ça explique à peu près la moitié du déficit. Aujourd'hui, l'autre moitié s'explique par un autre chiffre qui vient d'être cité, c'est le chiffre de la croissance de l'Allemagne. Il faut savoir qu'aujourd'hui nos exportations dépendent à peu près à 66 % des pays limitrophes européens, le plus gros marché étant pour nous l'Allemagne. L'Allemagne est notre premier client, notre premier fournisseur. Quand vous avez un client dont la croissance est de 1%, 1,2%, 1,3%, les exportations n'augmentent pas considérablement à destination de ce pays, parce que leur demande est faible. Ajoutez à cela une offre-demande, qui n'est pas particulièrement à notre avantage, lorsque cette demande vient de pays comme la Chine, par exemple, qui a besoin massivement de machines outils, de biens d'équipements lourds, sur lesquels on n'est pas des exportateurs très puissants, compte tenu de notre tissu industriel, contrairement à l'Allemagne, vous avez là à peu près tous les ingrédients pour avoir un déficit commercial important, en dépit, je le répète, d'un record historique d'exportations.
Q - Mais lorsque vous êtes arrivée dans ce ministère, vous avez quand même fait la remarque que les plus gros exportateurs étaient les PME, ce qui expliquait en particulier que l'Allemagne soit très exportatrice. Et les PME sont quand même aujourd'hui paralysées par beaucoup de choses, en particulier les 35 heures, le manque d'innovation etc. Vous avez fait la liste du verre à moitié vide ou plein, mais est-ce qu'il n'y a pas quand même des défauts majeurs de la France pour pouvoir exporter ?
R - Je me réjouis d'abord que les PME soient de plus en plus exportatrices. Et le plan que j'ai lancé, Cap Export, est destiné à les aider, avec des crédits d'impôts importants, avec des mesures fiscales pour les salariés qui passent plus de 120 jours à l'étranger, avec une assurance prospection augmentée, en particulier pour les PME et à destination des cinq pays pilotes que sont les Etats-Unis, le Japon, la Russie, l'Inde et la Chine. Les PME, pour un certain nombre d'entre elles, sont très actives à l'exportation et sont admirables. Il est évident que pour des raisons structurelles, il y a parfois des freins à l'exportation et je crois que le gouvernement de D. de Villepin, attaque ces problèmes, les uns après les autres.
Q - Pas les 35 heures...
R - Pour les TPE, il y a des facultés d'embauches, il y a des systèmes de contrats de travail qui sont mis en place, qui sont beaucoup plus flexibles qu'ils ne l'étaient. Il y a des modalités de recours aux heures supplémentaires qui sont plus flexibles que ça ne l'était dans le passé. Il y a des modalités de successions d'entreprises qui sont maintenant largement facilitées et c'est très important, parce que sur le plan démographique on a aujourd'hui beaucoup de PME qui sont détenues par des entrepreneurs qui ont 60 ou 65 ans - c'est la courbe démographique toute simple - et qui aujourd'hui se disent : "Est-ce que j'investis ? Pas sûr, ça va dépendre du régime fiscal de la cession de mon entreprise. Est-ce que j'exporte ? Bon, j'ai 60 ou 65 ans, est-ce que ça vaut vraiment le coup d'investir maintenant pour développer un outil dont je ne suis pas sûr que mes enfants vont le reprendre à des conditions qui fiscalement soient avantageuses". Donc, je crois que ce qui a été fait sur les successions d'entreprises est très important de ce point de vue là.
Q - En guise de conclusion et très rapidement, la culture exportatrice de la France est-elle en augmentation, selon vous ?
R - Oui, je pense. Et tous les jours, avec les Directions régionales du Commerce extérieur, avec les missions économiques à l'étranger, avec Ubifrance, nous nous efforçons d'aider les entreprises, en créant un environnement qui facilite leurs exportations.
Q - Mais on a souvent reproché aux entrepreneurs français, notamment des PME, d'être un peu plus frileux que leurs collègues italiens ou allemands, voire britanniques...
R - Vous savez, j'étais à Shanghai il y a une quinzaine de jours, avec 300 PME françaises qui rencontraient 700 PME chinoises. C'était fascinant de voir l'énergie, l'enthousiasme et les rencontres entre les Français et les Chinois, tous entrepreneurs de même catégorie. Il ne faut pas avoir peur, il faut y aller et on est aussi bon que les Italiens, aussi bon que les Allemands.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2005)
R - Je pars avec Air France d'abord, sur une ligne régulière, et je pars avec une équipe de 29 personnes, plus 12 parlementaires, puisque dans une discussion de cette importance, le Parlement est totalement associé aux discussions.
Q - Vous ne prendrez pas le même vol que José Bové ?
R - Je ne sais pas s'il fait partie du voyage !
Q - Plus sérieusement, toute la planète va se retrouver pour l'assemblée générale de l'OMC et vous n'allez pas arriver dans une configuration très confortable puisque, pendant ce temps, les Européens se déchirent. Comment l'Europe va-t-elle parler d'une seule voix, face aux Américains, à la zone Asie, à la zone Amérique latine ?
R - La France, avec les 24 autres pays membres de l'Union européenne, va parler d'une seule voix, puisque c'est la Commission qui nous représente. Donc le commissaire Mandelson et le commissaire Fischer Boel vont nous représenter respectivement pour les matières de commerce et les matières d'agriculture.
Q - Mais les autres savent très bien qu'il y a eu pas mal de tirages entre nous, donc ils n'arrivent pas non plus en position de force...
R - On a discuté et c'est toujours comme ça dans l'Union européenne. Il faut, à 25, se mettre d'accord sur les périmètres du mandat, sur les positions que nous prenons. Et les offres que nous avons faites le 28 octobre sont celles auxquelles on se tient, elles ont été déclarées par la Commission comme étant notre offre globale, finale et conditionnelle. On est en ligne et on a un front uni. Je retrouverai d'ailleurs mais 24 collègues de manière très régulière pour continuer à échanger.
Q - La France arrive toujours avec le même message : nous sommes les champions de l'aide contre la pauvreté et, parallèlement, la même France s'arc-boute sur les subventions à la PAC, donc à nos agriculteurs, qui empêchent ces mêmes pays pauvres de nous exporter leurs produits. Est-ce que finalement, on ne leur retire pas le pain de la bouche, plutôt que de les aider ?
N'est-on pas un peu schizophrène ?
R - Mais non, mais non, pas du tout. Aujourd'hui, l'Union européenne est la seule région du monde qui offre aux pays les moins avancés, c'est-à-dire les pays essentiellement d'Afrique subsaharienne, un accès totalement libre à nos marchés. C'est-à-dire que des pays comme le Bénin ou comme le Ghana par exemple ou le Bengladesh, peuvent nous envoyer, à zéro droit de douane et sans aucun contingentement, sans aucune limitation, tous leurs produits et en particulier les fruits de leur agriculture, puisque c'est l'essentiel de leur économie pour un certain nombre d'entre eux. Ce que nous disons aujourd'hui, c'est que ce régime de total libre accès, sans aucun droit de douane, on demande aux Etats-Unis, on demande au Japon, on demande à la Suisse, à tous les pays développés et à ceux des pays émergents qui le peuvent, de leur réserver le même accueil, précisément pour permettre leur développement. Donc il n'y a pas de schizophrénie.
Q ? Donc, c'est la faute des Américains ?
R - Non, ce n'est pas la faute des Américains. Ils ont un système un peu équivalent, qui s'appelle l'AGOA (African Growth and Opportunity Act) et qui est beaucoup moins développé, qui est beaucoup plus sectaire dans l'acceptation des produits. Et ils ont un système de subvention au coton en particulier, qui pénalise considérablement les pays d'Afrique de l'Ouest. Là aussi, nous demandons à nos amis américains de faire quelque chose sur le coton, parce qu'il faut, comme nous les Européens avons fait un premier effort sur le sucre, aussi permettre aux pays d'Afrique de l'Ouest de développer leur production et de monter dans l'échelle du développement.
Q - Et nous, les Français, on n'a rien à se reprocher, on arrive sans rien à proposer !
R - Mais imaginez une partie de poker, où nous avons déjà joué deux tours, c'est-à-dire que l'on a mis deux fois de suite des offres sur la table, le 11 octobre, le 28 octobre. Les Américains ont fait un tour, ils ont mis une offre le 10 octobre et, pour l'instant, on attend que les Brésiliens et les Indiens se décident eux aussi à montrer leur jeu. Et c'est pour cela que la France notamment, et les autres pays de l'Union européenne, sont très intéressés par ce que les Indiens et les Brésiliens vont avoir à nous montrer.
Q ? Avez-vous l'espoir d'arriver à quelque chose avec le reste du monde, aujourd'hui ?
R - Vous savez, l'Organisation mondiale du commerce est destinée à trois choses. Premièrement, essayer de libéraliser les échanges entre les différents pays du monde ; deuxièmement, aider le développement des pays les moins avancés, et ça c'est important pour eux, c'est aussi important pour nous...
Q - Oui, parce que cela va faire des consommateurs à terme et puis cela va enrichir tout le monde...
R - Et surtout, cela va donner un espoir économique aux populations qui, aujourd'hui, n'ont pas cet espoir économique et qui se disent : allons chercher l'Eldorado ailleurs, parce que ce ne sera jamais chez nous". Il faut qu'ils aient un jour, au moins, l'espoir et la volonté de développer leur économie. Tout ce que l'on pourra faire pour les aider à le faire, les aidera eux, mais nous aidera nous également. Est-ce que j'ai espoir de revenir avec quelque chose ? Oui, j'espère que, sur le volet développement, c'est-à-dire l'aide aux pays les moins avancés, l'accès aux médicaments, le règlement de la question coton et un régime de libre échange et de libre accès aux pays développés, pour les pays les moins développés, j'espère que l'on va y arriver.
Q - Va-t-il y avoir aussi le textile chinois, par exemple, qui va entrer dans la danse ? On sait que les Français sont un peu réticents vis-à-vis de l'OMC, parce que pour eux, c'est avant tout ce type de problème...
R - Ça, c'était différent. Le textile chinois a été réglé depuis le 1er janvier, puisque c'était le démantèlement de l'accord multifibres, qui a permis l'accès d'un certain nombre de textiles, notamment de la Chine.
Q - Mais dans le cadre de l'OMC, on a vu que cela avait provoqué certains émois, en France notamment...
R - L'OMC, précisément, nous a permis de retourner vers les Chinois et de dire que nous allions renégocier puisque, précisément, nous sommes en situation, éventuellement, d'appliquer une clause de sauvegarde, parce que nous sommes menacés par trop d'exportations de produits textiles.
Donc soit vous acceptez de négocier, dans le cadre de l'OMC, soit on met la clause de sauvegarde. Et grâce à l'OMC, grâce aux règles du commerce international, nous avons pu négocier un certain nombre de quotas sur des lignes de produits qui étaient particulièrement menacées.
Donc c'est utile.
Q - Pourquoi cette institution, l'OMC, est-elle si loin des Français, de leurs préoccupations, de leurs doutes ? Qu'est-ce qui se passe dans cette institution ?
R - Parce que je crois que l'on n'en comprend pas très bien les aspects pratiques. Je vais vous donner un ou deux exemples. L'Inde, aujourd'hui, fait partie de l'Organisation mondiale du commerce, mais pour l'instant n'a pas accepté d'ouvrir un certain nombre de secteurs.
C'est la raison pour laquelle, Carrefour, par exemple, mais aussi Louis Vuitton, ne peuvent pas ouvrir de grandes surfaces ou de magasins en Inde et ne peuvent pas se développer, parce qu'il y a des barrières qui les en empêchent. Dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, on discute, on négocie et on explique qu'il est peut-être utile et opportun pour ces pays d'abaisser leurs barrières ou d'ouvrir leurs secteurs de services, même chose pour les assurances et les banques.
Q - La tentation est forte de vous demander comment et est-ce que l'on a déjà un premier bilan du commerce extérieur 2005 pour la France ?
R - Oh non, attendez que l'année se termine !
Q - Mais on a déjà eu des tendances...
R - Ce dont je suis à peu près certaine, c'est que l'on nous dira dès la fin de l'année que l'on a un déficit abyssal, ce qui est fort probable. Je pense aussi que nous aurons un record historique, toutes catégories confondues, toutes années confondues, de nos exportations, donc on sera les champions de l'exportation.
Q - C'est-à-dire ?
R - Je ne sais pas, on sera largement au-delà de 350 milliards d'euros. Je n'ai pas de prévisions sur le déficit, mais il sera important, il sera probablement légèrement supérieur à 30. Ce qu'il faut savoir aujourd'hui, c'est que la France exporte massivement. Le récent voyage du Premier ministre chinois en était une manifestation supplémentaire.
Et ce qui est intéressant de constater, c'est que depuis le deuxième trimestre 2005, nos exportations ont recommencé à augmenter plus vite que nos importations. C'est donc une évolution tendancielle qui est importante, et j'en suis absolument ravie. Ceci étant, aussi, nos importations sont importantes, pour deux raisons essentiellement : d'abord à cause de la facture pétrolière. On a entendu tout à l'heure le chiffre de 61 dollars le baril de pétrole : on se replacerait un an en arrière, il se situait, je vous le parie, à peu près la moitié. Donc quand la facture pétrolière double, il est évident que le volume de nos importations augmente considérablement. C'est mécanique, ça explique à peu près la moitié du déficit. Aujourd'hui, l'autre moitié s'explique par un autre chiffre qui vient d'être cité, c'est le chiffre de la croissance de l'Allemagne. Il faut savoir qu'aujourd'hui nos exportations dépendent à peu près à 66 % des pays limitrophes européens, le plus gros marché étant pour nous l'Allemagne. L'Allemagne est notre premier client, notre premier fournisseur. Quand vous avez un client dont la croissance est de 1%, 1,2%, 1,3%, les exportations n'augmentent pas considérablement à destination de ce pays, parce que leur demande est faible. Ajoutez à cela une offre-demande, qui n'est pas particulièrement à notre avantage, lorsque cette demande vient de pays comme la Chine, par exemple, qui a besoin massivement de machines outils, de biens d'équipements lourds, sur lesquels on n'est pas des exportateurs très puissants, compte tenu de notre tissu industriel, contrairement à l'Allemagne, vous avez là à peu près tous les ingrédients pour avoir un déficit commercial important, en dépit, je le répète, d'un record historique d'exportations.
Q - Mais lorsque vous êtes arrivée dans ce ministère, vous avez quand même fait la remarque que les plus gros exportateurs étaient les PME, ce qui expliquait en particulier que l'Allemagne soit très exportatrice. Et les PME sont quand même aujourd'hui paralysées par beaucoup de choses, en particulier les 35 heures, le manque d'innovation etc. Vous avez fait la liste du verre à moitié vide ou plein, mais est-ce qu'il n'y a pas quand même des défauts majeurs de la France pour pouvoir exporter ?
R - Je me réjouis d'abord que les PME soient de plus en plus exportatrices. Et le plan que j'ai lancé, Cap Export, est destiné à les aider, avec des crédits d'impôts importants, avec des mesures fiscales pour les salariés qui passent plus de 120 jours à l'étranger, avec une assurance prospection augmentée, en particulier pour les PME et à destination des cinq pays pilotes que sont les Etats-Unis, le Japon, la Russie, l'Inde et la Chine. Les PME, pour un certain nombre d'entre elles, sont très actives à l'exportation et sont admirables. Il est évident que pour des raisons structurelles, il y a parfois des freins à l'exportation et je crois que le gouvernement de D. de Villepin, attaque ces problèmes, les uns après les autres.
Q - Pas les 35 heures...
R - Pour les TPE, il y a des facultés d'embauches, il y a des systèmes de contrats de travail qui sont mis en place, qui sont beaucoup plus flexibles qu'ils ne l'étaient. Il y a des modalités de recours aux heures supplémentaires qui sont plus flexibles que ça ne l'était dans le passé. Il y a des modalités de successions d'entreprises qui sont maintenant largement facilitées et c'est très important, parce que sur le plan démographique on a aujourd'hui beaucoup de PME qui sont détenues par des entrepreneurs qui ont 60 ou 65 ans - c'est la courbe démographique toute simple - et qui aujourd'hui se disent : "Est-ce que j'investis ? Pas sûr, ça va dépendre du régime fiscal de la cession de mon entreprise. Est-ce que j'exporte ? Bon, j'ai 60 ou 65 ans, est-ce que ça vaut vraiment le coup d'investir maintenant pour développer un outil dont je ne suis pas sûr que mes enfants vont le reprendre à des conditions qui fiscalement soient avantageuses". Donc, je crois que ce qui a été fait sur les successions d'entreprises est très important de ce point de vue là.
Q - En guise de conclusion et très rapidement, la culture exportatrice de la France est-elle en augmentation, selon vous ?
R - Oui, je pense. Et tous les jours, avec les Directions régionales du Commerce extérieur, avec les missions économiques à l'étranger, avec Ubifrance, nous nous efforçons d'aider les entreprises, en créant un environnement qui facilite leurs exportations.
Q - Mais on a souvent reproché aux entrepreneurs français, notamment des PME, d'être un peu plus frileux que leurs collègues italiens ou allemands, voire britanniques...
R - Vous savez, j'étais à Shanghai il y a une quinzaine de jours, avec 300 PME françaises qui rencontraient 700 PME chinoises. C'était fascinant de voir l'énergie, l'enthousiasme et les rencontres entre les Français et les Chinois, tous entrepreneurs de même catégorie. Il ne faut pas avoir peur, il faut y aller et on est aussi bon que les Italiens, aussi bon que les Allemands.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2005)