Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le magazine de l'Optimum" de février 2006, sur le climat politique et la position de l'UDF dans la préparation de l'élection présidentielle de 2007.

Prononcé le 1er février 2006

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Texte intégral

Le magazine de l'Optimum. Face au combat entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin et à la percée de Ségolène Royal, comment exister quand on incarne le centre ?
François Bayrou. Tout cela, ce sont de jeux médiatiques. En 2007, une vraie question va être posée aux Français : continuer comme depuis vingt-cinq ans avec l'UMP ou le PS, ou tourner la page sur cette Ve République épuisée avec de nouvelles institutions et un nouveau projet de société.
Au plan médiatique, vous êtes dans un étau?
Le médiatique n'a pas d'importance. Le microcosme s'excite sur des sujets sans intérêt et oublie l'essentiel. A mon avis, il va se réveiller avec un coup de poing dans la figure plus fort que le 21 avril 2002 ou qu'au moment du « non » au référendum sur l'Europe.
Les temps sont plus à la radicalisation qu'à la modération. A droite, on se droitise et à gauche, on se gauchise. Et vous ?
Raison de plus de voir le centre s'assumer comme tel et non plus comme une variante de la droite ou de la gauche. Vous ne sentez pas la montée des tensions ? Il est d'urgence nationale de proposer une voie nouvelle.
Celle de la raison ?
De la raison et de la passion. Il n'y a pas d'avenir si l'on continue à surfer sur les colères des uns et les peurs des autres. L'UMP est dans la surenchère perpétuelle. Quant au PS, il est inimaginable qu'il ait voté à son congrès qu'il abrogerait la loi sur les retraites ! D'un côté comme de l'autre, on voit bien où conduisent ces dérives.
Pouvez-vous clarifier votre position une fois pour toutes : l'UDF est-elle encore de droite ?
L'UDF est le centre qui s'assume. Mon projet est de rassembler le centre-droit et le centre-gauche, pour l'instant prisonniers de l'UMP et du PS pour donner à la France le parti de réforme dont elle a besoin. La Ve République est épuisée. Nous sommes le seul pays en Europe où le parlement compte pour du beurre, où les extrêmes sont bientôt plus forts que les partis modérés. Pendant ce temps, aucun problème ne se règle. Un changement global est nécessaire.
Oui, mais en 1995, vous avez gouverné avec le RPR de Chirac et Juppé !
C'était il y a dix ans. Je croyais encore à l'époque qu'on pouvait changer le système de l'intérieur. Maintenant, j'ai compris qu'il est entièrement verrouillé. Je sais quelle est l'imbrication des intérêts politiques, financiers et médiatiques. En France, le pouvoir est absolu et impuissant. Comme dans tous les régimes finissants. Moi, je veux exactement le contraire : un pouvoir contrôlé et capable d'agir.
Vous pourriez donc aussi bien gouverner avec les uns ou les autres ?
Pour gouverner dans des temps aussi durs il faudra savoir rassembler des compétences venant d'horizons différents. Il y a des gens de qualité à droite et à gauche. Mais le système les épuise. Les Allemands ont réussi à réunir des personnalités d'horizons différents autour d'un projet commun. Pourquoi pas nous ?
Vous pensez que les Français auront envie de changer de génération en 2007, d'élire un président plus jeune ?
Je crois surtout qu'ils voudront en finir avec un système. Les questions d'âge sont secondaires.
Croyez-vous que Dominique de Villepin puisse incarner un certain renouveau ?
Villepin est le continuateur de Chirac. Sarkozy aussi d'ailleurs. Je ne sais pas lequel des deux lui ressemble le plus.
Et Jean-Louis Borloo, récemment élu président du Parti radical ? Ne cherche-t-il pas à vous voler votre fonds de commerce électoral ?
Toutes ces opérations internes à l'UMP sont une preuve de plus de la décomposition de notre univers politique : préparer des manoeuvres sous la table, savoir qui est avec Villepin, qui est avec Sarkozy, préparer des opérations avec Tapie, contrôler les radicaux dits de droite, de gauche, tout cela est un univers dont vous n'imaginez pas à quel point je suis éloigné. Ils en reviennent à la Quatrième, et moi c'est la Sixième qui m'intéresse.
Pourquoi êtes-vous le seul candidat à l'investiture de votre parti ?
Parce qu'il arrive qu'une famille politique se reconnaisse dans le combat d'un homme. Nous avons vécu une rude traversée du désert avec des embuscades derrière chaque dune. Les épreuves soudent.
Est-il vrai que vous avez refusé un poste de ministre des Affaires étrangères lors du dernier gouvernement ?
La discussion n'est même pas allée aussi loin. Les offres étaient flatteuses. Mais j'ai refusé d'entrer dans ce gouvernement auquel je ne crois pas et demandé à mes amis d'en faire autant.
Vous êtes à ce point détaché de fonctions honorifiques et de leurs avantages ?
Ah, oui ! Je n'éprouve aucune fascination pour le train de vie du pouvoir. Je suis d'ailleurs certain qu'il faudra le changer. Si j'étais en situation, j'obligerais les ministres à louer leur appartement, à considérer que les fonctionnaires du ministère ne sont pas les serviteurs du ministre et de sa famille. Je leur demanderais de faire la queue comme tout le monde pour prendre un avion. Même jeune ministre, j'étais assez peu sensible à tout cela. Mais depuis lors, je m'en suis absolument détourné.
Et Gilles de Robien, seul ministre UDF du gouvernement, vous n'avez pas réussi à lui faire entendre raison ?
Non. Le pouvoir ou ses apparences ont de tels attraits qu'il n'est pas facile d'y renoncer.
Quel sera votre thème de campagne en 2007 ?
Il est trop tôt pour le dire.
Vous avez peur qu'on vous le pique ?
Pas seulement? En vérité, les thèmes cruciaux sortent en général dans les trois derniers mois. Ce que je vois, c'est que la France explose. Il y a un degré d'agressivité sur l'origine, la couleur de peau, la race, la religion que l'on n'avait jamais connu dans l'histoire de la France. Il faut donc recomposer ce pays.
Eh bien le voilà, le thème de campagne !
Oui, mais nul ne sait encore de quelle manière cet orage en formation se traduira dans la réalité de la vie des Français.
On vous dit habité par la certitude d'avoir un destin.
Qu'est-ce qu'une vie humaine sans destin ? Un gâchis. Mais on peut aussi être un grand homme en réalisant de petites choses. J'en ai connu de près, des paysans, des profs, des artisans, des gens humbles qui étaient grands.
Qu'avez-vous retenu comme leçon de votre campagne présidentielle de 2002 ?
J'ai beaucoup appris. Cette élection n'est pas seulement méchante, elle est sauvage. On monte au Zénith, puis on s'effondre. Chevènement est passé par là. C'est une élection à part. Vous apprenez à votre détriment, que tous les coups sont permis. Quand vous avez traversé tout cela, vous n'avez plus peur de grand-chose en politique.
Vous, vous avez fendu l'armure en 2002.
Oui parce qu'on ne vote pas pour une étiquette, mais pour une personne. Les Français ont besoin de savoir qui est le mec ou la femme derrière l'apparence, la photo. Cela oblige à aller jusqu'au bout. C'est la magie et la cruauté de la présidentielle.
Qu'est-ce qui vous sépare de Nicolas Sarkozy ?
Le projet pour la France. Ce qui domine dans sa façon d'appréhender les choses, ce sont les rapports de forces, la violence des propos, la mise en scène des affrontements, et aussi l'importance de l'argent, de l'univers financier. Une société très proche de ce qu'il y a de plus dur dans le modèle américain. Ce n'est pas mon projet de société. Je veux une société qui réconcilie et non pas qui excite les affrontements. Je veux une société où l'argent n'a pas le premier rôle, mais l'esprit. Je veux une société qui choisit l'éducation comme valeur première. Alors seulement, on sera armés, comme nation, alors on pourra relever tous les défis économiques.
Pour la première fois sous la Ve République une femme, Ségolène Royal, est entré dans le club des présidentiables. Cela vous inspire quoi ?
Avis de tempête au PS.
Un sommet franco-allemand incarné par le duo Royal-Merkel, c'est une Europe qui change ?
La vraie révolution, c'est de mettre femmes et hommes sur le même plan. Président ou présidente, ce qui compte c'est où on conduira le pays. Il arrive que les femmes se trompent autant que les hommes : c'est une femme forte, Martine Aubry, qui a fait les 35 heures, et c'était une vraie erreur. Mais on ne peut pas continuer à être le dernier pays du monde pour la représentation féminine au parlement. C'est obscène. Alors qu'il suffit, pour obtenir la parité, de changer la loi électorale et d'adopter la proportionnelle, comme tous les pays européens.
Vous avez critiqué la « peoplisation » de la vie politique. Vous ne craignez pas les sarcasmes après la publication de cet entretien ?
Je croyais que vous refusiez l'étiquette de journal people. La peoplisation n'est jamais dans les questions, elle est dans les réponses. Quel que soit le journal, il suffit de ne pas s'y prêter.Source http://www.udf.org, le 7 février 2006