Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'éducation nationale, sur les relations entre l'Etat et les collectivités locales et le transfert des compétences en ce qui concerne les établissements scolaires, Strasbourg le 18 septembre 1984.

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Circonstance : Congrès des présidents de conseils généraux sur le thème "système éducatif et décentralisation"

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame et Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Vous le savez, le Gouvernement a accordé à l'investissement éducatif et à la modernisation du service public de l'enseignement une priorité très claire.
Je pense comme votre rapporteur que je tiens à féliciter au passage pour la qualité de son exposé, que l'entreprise de décentralisation du système éducatif est capitale car elle doit favoriser la rénovation en profondeur de celui-ci. Une plus grande ouverture des établissements scolaires sur le monde extérieur et une extension de la responsabilité des partenaires du système éducatif, chacun dans son domaine de compétence clairement défini, peuvent contribuer à:une meilleure qualité de l'enseignement.

C'est pourquoi, parmi les dossiers importants qui ont retenu mon attention dès mon arrivée à la tête du Ministère de l'Education nationale, celui de la décentralisation figure en bonne place. J'ai pris connaissance de ces données complexes et des résultats de la démarche entreprise par mon prédécesseur avec le Ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation, pour préparer le transfert de compétences prévu par la loi du 22 juillet 1983.

J'ai pu constater qu'une large consultation s'est engagée depuis plusieurs mois. Nous sommes décidés à en tirer les leçons. Je me réjouis de pouvoir faire le point avec vous de cet important "chantier" et je ne doute pas que, ensemble, élus et représentants de l'Etat, nous unissions nos efforts pour mener à bien une tâche aussi complexe.
Un certain nombre de questions d'ordre technique mais dont l'enjeu me parait essentiel ont été abordées par votre rapporteur. La plupart de ces questions trouvent des réponses dans l'avant-projet de loi qui vous a été communiqué et sur lesquelles mon collègue Pierre JOXE reviendra très certainement demain.

Pour ma part, aujourd'hui, je m'attacherai à répondre à vos interrogations en organisant mon propos autour de deux aspects qui, je le sais, retiennent toute votre attention :

- les rapports entre l'Etat, les collectivités locales et les établissements scolaires, et la cohérence du système éducatif ;
- le calendrier des transferts.
I - LE CADRE NOUVEAU DE LA DECENTRALISATION REND POSSIBLE UNE ACTION PLUS RESPONSABLE DES DIFFERENTS PARTENAIRES - ETAT, COLLECTIVITES LOCALES ET USAGERS - CHACUN DANS LEUR DOMAINE.
On a pu dire que la loi instituait, au sein du système éducatif, un régime de compétence partagée. Qu'est-ce à dire ? Il faut là-dessus être clair sans sous-estimer les responsabilités des uns et des autres.

Le service public de l'enseignement est de la responsabilité de l'Etat conformément non seulement aux souhaits de nos concitoyens, mais aussi à l'intérêt du pays tout entier.
C'est l'exigence de la qualité de l'enseignement sur tout le territoire national qui implique que l'Etat demeure compétent aussi bien dans la détermination des programmes d'enseignement que dans la définition de la politique des personnels.
C'est de cette manière-là seulement que pourra être assurée la mobilité géographique de nos concitoyens, sans préjudice pour la qualité des études de leurs enfants.

Décentralisation et politique nationale de l'Education doivent aller de pair. La décentralisation sera d'autant plus efficace que des objectifs clairs seront fixés au niveau de l'Etat.
L'Education doit rester nationale conformément à la tradition républicaine, sans cependant être uniforme. Il faut une bonne adaptation à la diversité des publics scolaires, à l'environnement économique, social et culturel de chaque région c'est le sens de la décentralisation. C'est pourquoi il est prévu de renforcer les responsabilités des établissements scolaires tant sur le plan pédagogique que matériel. Mais parallèlement, aussi, le rôle des collectivités locales sera accru.

La représentation des élus locaux sera notablement renforcée au sein des nouveaux conseils d'administration, même si le nombre des établissements par département limite dans les faits le nombre des élus locaux qui peuvent siéger au conseil de chaque établissement. A cet égard je souscris pleinement à l'idée de votre rapporteur selon laquelle il serait vain d'opposer deux autonomies : celle de la collectivité locale et celle de l'établissement.
La décentralisation territoriale ne sera réelle que si le collège ou le lycée - établissement public local - dispose d'une responsabilité accrue dans un cadre cohérent.

Par ailleurs, pour répondre aux craintes de votre rapporteur, je peux vous assurer que l'Etat n'entend pas décider pour les collectivités du bon usage de leurs deniers, de même d'ailleurs que les collectivités n'ont pas à décider pour l'Etat.

Ces deux principes complémentaires inspirent notamment les dispositions concernant _le rôle de la liste des opérations arrêtée _par-le-représentant de-1'Etat.
Je tiens à préciser que les régions ou les départements pourront librement décider d'affecter les sommes qu'ils recevront au titre de ces dotations aussi bien à la maintenance, à l'équipement, à la reconstruction qu'à la construction ou à l'extension des bâtiments. Qu'il s'agisse d'établissements neufs ou d'établissements existants, les départements ou les régions seront totalement maîtres de l'emploi de leurs crédits.
Toutefois pour les opérations impliquant la création de postes budgétaires par l'Etat, c'est-à-dire en cas de construction ou d'extension, les départements ou les régions ne pourront réaliser avec les crédits tirés de la dotation régionale d'équipement scolaire et de la dotation départementale d'équipement des collèges que les opérations figurant sur la liste annuelle arrêtée par le Commissaire de la République et pour laquelle l'Etat s'engagera à pourvoir les postes qu'il juge indispensables au fonctionnement de ces établissements. Il y a là une nécessité de bon sens et je suis convaincu que la règle sera l'accord entre les responsables de l'Etat et les collectivités concernées.

II - LE SECOND POINT DE MON INTERVENTION PORTERA SUR UN DOMAINE SENSIBLE ET ESSENTIEL, CELUI DU CALENDRIER DES TRANSFERTS.
Comme vous le savez la loi du 7 janvier 1983 dispose que le transfert de compétences en matière d'enseignement doit intervenir su plus tard le 9 janvier 1986. Je pense qu'avant de songer à repousser a priori les échéances d'une réforme, il faut se poser la question : sommes-nous prêts ?

"Sommes-nous prêts ?", cela signifie : sommes-nous en mesure de changer de dispositif, en ayant présent à l'esprit que l'année du transfert sera nécessairement une année d'apprentissage tant pour les élus que pour l'Etat ?
Je distinguerai trois domaines :
- Les institutions,
- les investissements,
- le fonctionnement.

A - LES INSTITUTIONS
La loi du 22 juillet 1983 crée des conseils départementaux et académiques de l'Education. Ces conseils doivent permettre aux différentes parties prenantes de travailler ensemble et de traiter en commun des questions d'intérêt général.
Les projets de textes qui vous ont été soumis me paraissent clairs et se situent dans un contexte de compétence partagée, même si, je le rappelle, la volonté gouvernementale de donner un rôle essentiel aux assemblées locales ne peut mettre en cause le principe selon lequel l'Etat, dans un contexte de déconcentration, reste le responsable du service public de l'enseignement

Ainsi dans le domaine de la planification (schéma prévisionnel des formations, liste d'affectations...) les responsabilités des élus sont fondamentales et s'inscrivent dans le cadre des pouvoirs nouveaux qui leur sont reconnus par ailleurs en matière de développement économique. A cet égard qu'il me soit permis de vous faire part de ma conviction que le pari de la formation est un investissement sûr pour les collectivités locales. Par exemple, les initiatives que vous pourriez prendre en matière d'équipement informatique des établissements ne pourraient que rencontrer mon approbation.

S'agissant des programmes prévisionnels départementaux résultant des schémas de formation, il serait contraire à l'intérêt national que l'Etat se désintéresse dorénavant de ce secteur clé.
Je vous indique que j'ai demandé aux recteurs de faire preuve d'un esprit de coopération sans réserve mais aussi d'étudier et d'afficher les objectifs qui doivent être ceux de la politique nationale de l'Education nationale. Ainsi un effort important sera mené en faveur des enseignements techniques et technologiques.

Collaboration étroite, ouverture, doivent aussi caractériser le fonctionnement des nouveaux établissements publics locaux. Il me parait normal, je l'ai déjà indiqué, que les élus jouent un rôle important tant par leur participation au conseil d'administration que par la définition des règles du contrôle budgétaire qu'ils pourront exercer. Même s'il suscite ici et là des appréhensions, un équilibre a été trouvé. Ainsi, d'une part, des mécanismes de contrôle par les élus sont prévus dans les domaines de compétence incombant à la collectivité locale, et d'autre part, est réaffirmé le rôle du chef d'établissement.

De plus, comme vous le savez, le statut de l'Etablissement public local sera précisé par la loi elle-même.

Je pense donc comme votre rapporteur que la mise en place des différents conseils doit être fixée à la rentrée scolaire 1985. Cette mise en place coïncidera avec la mise en ?uvre du dispositif d'ouverture du système (activités facultatives et complémentaires, utilisation des locaux...)
En revanche, la réflexion nécessaire à la mise au point des schémas prévisionnels peut commencer dès le début de 1985.

B - LES INVESTISSEMENTS

La situation dans ce secteur est plus délicate car tous les problèmes techniques et juridiques ne sont pas réglés. Il convient de préciser un certain nombre de points par la voie législative et notamment de créer une dotation départementale pour les collèges. Les critères de la dotation régionale d'équipements scolaires doivent être affinés.

Je vous indique que le transfert de compétence dans le domaine des investissements se fera au ler janvier 1986. L'année 1985 sera une année de transition que l'Etat consacrera principalement à l'achèvement des établissements en cours de construction et à un effort plus important en faveur de la maintenance et de la sécurité à la veille de la mise à disposition des bâtiments scolaires.
Je crois répondre ainsi au v?u des élus de cette Assemblée.
C - LE FONCTIONNEMENT
J'ai écouté avec beaucoup d'attention votre rapporteur et je voudrais apporter les précisions suivantes :

Le transfert des crédits de fonctionnement suppose la première année, en particulier, une étroite coordination des travaux menés par les élus et les services de l'état.

C'est pourquoi, dès le mois de mai dernier, par une circulaire en date du 2 mai 1984, des instructions ont été données aux Recteurs et aux Inspecteurs d'Académie : il leur était demandé de vous communiquer les éléments techniques nécessaires à la mise en place des dotations aux établissements ainsi que les critères utilisés par l'administration.

Ceci a été fait. De plus, je sais que vos collaborateurs ont travaillé avec les services rectoraux, souvent longuement. A cet égard, je suis en mesure de vous préciser que les dotations de crédits qui vous seront transférés pourront être connues par vos services dans le courant du mois d'octobre. Et si l'état des lieux ne sera achevé qu'au cours de l'année 1985 ceci ne me parait pas être un préalable tant du point de vue juridique que fonctionnel, au transfert des crédits de fonctionnement.

Dans ces conditions, je souhaite que nous ayons une discussion ouverte sur le choix de la date d'entrée en vigueur du transfert des crédits de fonctionnement et je serais heureux, qu'à l'issue de cette discussion, nous puissions retenir, pour ce transfert, la date du ler janvier 1985. J'ajoute que ces crédits n'ont pas subi la réfaction de 2 % qui a été appliquée aux autres dépenses de l'état, pour la seule raison qu'ils devraient être décentralisés.

Je souhaite par ailleurs vous préciser que l'avant projet de loi qui vous a été transmis prévoit d'ores et déjà des dispositions transitoires pour tenir compte du décalage entre la date du transfert des crédits de fonctionnement, si le ler janvier 1985 était retenu, et la date de la mise en place des nouveaux conseils d'administration des établissements scolaires, prévue pour le ler septembre 1985.
Certes d'autres problèmes peuvent être soulevés mais ils trouveront une solution progressivement sans qu'il soit à mon avis utile de différer une opération qui, le bon sens jouant de part et d'autre, doit aboutir la première année à une transposition en douceur.

Il serait sans aucun doute périlleux pour le bon fonctionnement du service public, et pour celui des collectivités locales, de procéder à des bouleversements notamment dans la répartition des dotations aux établissements.
J'ajoute bien évidemment que le respect de ce calendrier suppose la parution avant la fin de l'année des textes dont vous connaissez les avant-projets. Il s'agit des deux décrets fixant la liste des établissements restant à la charge de l'Etat ainsi que la liste des dépenses pédagogiques.
Pour conclure je dirai que nous devons faire preuve de notre volonté politique pour que le processus de décentralisation soit résolument et sereinement engagé.

Je me contenterai de rappeler que nous pouvons être fiers du travail en commun réalisé depuis près de cent ans dans le domaine de l'enseignement élémentaire. En effet, nul n'ose nier l'existence d'un service public national de l'Education ; de même que personne n'ose nier le rôle déterminant joué par les collectivités locales dans la vie des écoles.

Forts de ce précédent, nous saurons ensemble, j'en suis sûr, poursuivre l'oeuvre de décentralisation pour les collèges et les lycées.