Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, sur le bilan de la conférence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) de Hong Kong, Bruxelles le 30 janvier 2006.

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Circonstance : Colloque du European Policy Centre sur : "Hong Kong : promesse de succès ou enterrement des espérances suscitées par le Programme de Doha pour le développement", Bruxelles le 30 janvier 2006

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Tout d'abord, je prie mes compatriotes et les participants francophones de m'excuser. J'aurais bien préféré prendre la parole dans la langue qui m'est la plus chère mais je comprends que l'usage est de s'exprimer en anglais et je m'y plie volontiers. Le plus important est que tout le monde se comprenne.
Permettez-moi tout d'abord de vous remercier de votre hospitalité. Je vous remercie tous de votre présence et je remercie le European Policy Centre d?avoir accepté d?organiser cet événement en collaboration avec la représentation permanente française à Bruxelles.
C?est un privilège d?être ici et ce, pour au moins deux raisons : d?abord parce que je commence à croire mon collègue et ami, Peter Mandelson, qui me dit toujours que Bruxelles est le lieu par excellence où traiter des questions de politique commerciale ; ensuite parce que le « Breakfast Policy Briefing », dont la renommée est parvenue jusqu'à Paris, correspond tout à fait à mon objectif : mener avec les dirigeants européens, les représentants des institutions européennes et la société civile européenne une réflexion neuve et efficace sur le cycle de négociations commerciales en cours.
Plusieurs semaines après la Conférence ministérielle de Hong Kong et juste après la conférence de Davos, au cours de laquelle il a beaucoup été question du Programme de Doha pour le développement, je souhaiterais aujourd?hui livrer ma vision de l?état des négociations relatives à ce Programme.
En introduction, je souhaiterais aborder quatre grandes questions :
Quels sont les principaux résultats de la Conférence de Hong Kong ?
Quelles leçons tirer de la Conférence de Hong Kong ?
La Conférence de Hong Kong offre-t-elle une plate-forme commune susceptible d'assurer la réussite du cycle de négociations ?
Quelles sont les priorités pour l?UE ?
1.Les résultats de la Conférence de Hong Kong sont limités, mais l?échec du Programme de Doha pour le développement a été évité
Les résultats de la Conférence de Doha doivent-ils être qualifiés de succès ou d?échec ? Je n?entrerai pas dans ce débat. Je suis optimiste de nature : selon moi, nous devons nous féliciter de tout résultat, quel qu?il soit, lorsque celui-ci nous permet d?avancer.
En tout état de cause ? comme nous nous y attendions tous juste avant la Conférence de Hong Kong, la déclaration ministérielle ne comporte aucun accord sur les modalités ou les chiffres. Le texte fait le point sur les engagements pris depuis la signature de l?accord-cadre de 2004 et fournit aux négociateurs des indications sur la marche à suivre pour avancer sur les modalités complètes, y compris sur les délais.
Je citerai quelques-uns des éléments les plus marquants de cette déclaration.
L?engagement en faveur de l?objectif prioritaire que constitue le « paquet pour le développement » a été pris.
L?extension à compter de 2008 de l?initiative « Tout sauf les armes », qui prévoit la suppression des contingents et des droits de douane pour les produits exportés par les PMA, représente un réel progrès, même si la restriction imposée par les Etats-Unis et le Japon quant aux produits concernés (330 références tarifaires peuvent être exclues) limitera les nouveaux débouchés pour certains PMA.
En ce qui concerne le coton, les résultats sont moins positifs, même s?ils sont acceptables pour les pays producteurs. Les Etats-Unis ont pris à Hong Kong des engagements minimum qui concernent principalement des dispositions de moindre importance et des mesures déjà considérées comme illégales par le panel sur le coton (concurrence tarifaire et concurrence à l?exportation).
Ces résultats ne résoudront pas la question du coton à court terme. Les Etats-Unis continueront d?accorder à leurs producteurs des subventions massives (3,8 milliards de dollars par an), dont les effets sont particulièrement néfastes sur les prix des marchés internationaux et les producteurs africains.
En matière agricole, le résultat le plus concret a été le consensus sur une date acceptable pour la fin de toutes les formes de subventions à l?exportation, qui a finalement été fixée à 2013. Cette question de date a constitué le noeud gordien de toute la Conférence ministérielle et ce consensus a préparé le terrain pour un accord de dernière minute. L?UE a réussi à s?opposer à la date de 2010 et à améliorer le parallélisme entre toutes les formes de subventions, y compris les disciplines relatives aux crédits à l?exportation, à l?aide alimentaire et aux sociétés commerciales d?Etat. Le résultat final inclut également certaines modalités de réduction des soutiens internes en matière agricole (nombre de bandes, réduction du niveau de soutien, contraintes imposées pour les transferts d?une boîte à l?autre), ainsi que des modalités applicables à la structure de la réduction tarifaire (quatre bandes, auto-désignation de produits spéciaux en fonction de critères tels que ceux relevant de la sécurité alimentaire).
En matière d?accès aux marchés non agricoles (négociations NAMA), les progrès accomplis sont très limités. Certains affirment que nous reculons : la déclaration se réfère à une formule suisse sans préciser le nombre de coefficients utilisés, ce qui n?exclut pas automatiquement la formule ABI, qui ne permettrait pas l'ouverture des marchés des grands pays émergents. Le texte fournit des précisions sur la question de la flexibilité à accorder aux pays en développement et précise les modalités de traitement des lignes tarifaires non consolidées.
De manière plus inquiétante, la déclaration préconise un niveau d'ambition comparable en ce qui concerne l?accès aux marchés agricoles et l?accès aux marchés non agricoles (NAMA). L?interprétation étroite proposée par certains risquerait de remettre en cause l?équilibre général des négociations.
En matière de services, nous avons évité la catastrophe de justesse. L?UE a combattu avec acharnement pour éviter un retrait complet de ce domaine clé des négociations. Je regrette que le texte final n?inclue pas de formulation contraignante concernant le processus de négociation complémentaire, afin de faire avancer les négociations sur les services.
Enfin, la déclaration contient un calendrier serré pour les prochaines étapes en vue de la définition des modalités complètes et de la conclusion finale avant la fin de l?année. Les modalités complètes doivent être définies d'ici le 30 avril et les listes d'engagements en matière d?accès aux marchés agricoles et non agricoles, d?une part, et en matière de services, d?autre part, doivent être présentées respectivement d?ici le 31 juillet et le 31 octobre.
Hong Kong a également confirmé l?entrée dans une nouvelle ère, dont Cancún avait révélé les premiers signes avec l?émergence de fortes coalitions menées par les pays en développement : à l?instar des espèces animales, les groupes de coalition apparaissent, évoluent et disparaissent au gré des négociations. Les vieux dinosaures, comme le Quad, le groupe de Cairns et le G10, qui régnaient aux temps du GATT et du cycle de l?Uruguay ont à Hong Kong soit disparu soit gardé le silence. Les groupes qui ont vraiment marqué la conférence de Hong Kong de leur empreinte sont le G20, l?Union européenne, les États-Unis et le G90.
Le G20, conduit par le Brésil et l?Inde, s?est trouvé au centre de la scène, mais jamais isolé et toujours sur la défensive. Il a protégé ses intérêts en matière d?exportations agricoles en faisant preuve d?une remarquable efficacité et a exercé des pressions considérables sur l?Union européenne afin qu?elle fixe une date pour la suppression des subventions à l'exportation.
Le Brésil a également exploité les désaccords en s?associant de manière tactique aux États-Unis pour mener d?âpres négociations agricoles qui leur procurent des avantages mutuels : confrontés à une montée en force exceptionnelle de la question du développement les États-Unis souhaitaient limiter les concessions sur le coton et les aides alimentaires, sujets tabous au sein du Congrès. Le Brésil, quant à lui, souhaitait éviter l?obligation de présenter une offre en matière de biens industriels ou de services.
Le G20 est parvenu à former une coalition efficace, mais ambiguë, avec le G90, les PMA et le groupe africain pour réclamer la suppression des aides à l?exportation et l?adoption d?un paquet en faveur du développement (accès en franchise de droit et sans contingent pour les PMA).
L?Union européenne, privée du soutien des États-Unis ou des partisans de la multi-fonctionnalité qui, à l?exception de la Suisse, se sont montrés très discrets, s?est trouvée fortement isolée. Elle a néanmoins défendu son programme pour le développement avec constance et vaillance.
2. Quelles leçons tirer de Hong Kong ?
1) L?Union européenne continue de jouer un rôle moteur dans les négociations sur le développement
Aucun paquet de mesures significatives pour le développement n?aurait pu être mis à l?ordre du jour de Hong Kong sans le rôle moteur de l?Union européenne sur les questions de développement. Hong Kong a démontré que l?engagement constant de l?Union européenne en faveur du développement depuis 2001 porte ses fruits et que l?initiative « Tout sauf les armes » est propre à favoriser le développement des PMA.
2) Le champ de la négociation reste à définir
Tout le monde s?accorde à reconnaître que les négociations n?ont que modestement progressé à Hong Kong. Rares cependant sont ceux qui ont relevé un fait plus important, à savoir que le champ des négociations avait évolué. La question n?est plus tant de savoir si nous avons aujourd'hui réalisé 55 % ou 60 % des objectifs du cycle, mais de se demander si, même avec 100% de réalisation, la situation ne sera pas la même au terme de ce cycle qu?avant Hong Kong.
Deux ans après Cancún, et quatre ans après Doha, Hong Kong a confirmé que le champ des négociations n?était toujours pas arrêté.
Permettez-moi de considérer la question du développement comme un exemple représentatif de négociations au cours desquelles les membres de l?OMC ont progressé sur des bases mouvantes. Cette question souffre d?un préjugé structurel puisqu?au moment du lancement du programme de Doha, les membres de l?OMC n?étaient pas parvenus à un accord clair sur le contenu du « paquet pour le développement ». À l?origine, il s?agissait d'intégrer davantage les pays les plus pauvres au commerce international en associant accès au marché, règles et traitement spécial et différencié. Or, à Hong Kong, la plupart des pays en développement ont exprimé leur souhait d?être dégagés des disciplines et des obligations.
Il est encore plus inquiétant de constater que l?esprit de Doha se dissipe et que l?engagement unique s?essouffle. Les négociations sur les services sont maintenant clairement remisées au second plan. D?autres, comme celles sur les indications géographiques (IG) et sur l?environnement, sont en veille.
Toutes ces négociations risquent d?être un jour « singapourisées », à l?instar de celles sur la concurrence et sur l?investissement.
3) Le rôle des pays en développement évolue doublement : certains pays en développement voient croître leur influence au sein des négociations, tandis que d?autres ne se sentent plus concernés.
Le rôle grandissant de certains pays en développement dans le processus de négociation, qui s'était fait jour à Cancún, s?est confirmé à Hong Kong. La grande efficacité du G20, et en particulier du Brésil, a été révélatrice à cet égard et a aidé ce groupe à asseoir une position dominante par rapport à d?autres groupes de pays en développement. Hong Kong a prouvé que le G20 n?était pas qu?une simple coalition commerciale, mais qu?il était profondément inscrit dans un projet géopolitique allant au-delà des échanges commerciaux et pouvant dépasser les dissensions sur les questions agricoles.
Paradoxalement, Hong Kong a également montré que le nombre de pays en développement participant activement aux négociations était en baisse, soit parce que ceux-ci ne sont pas tenus de faire des concessions (PMA), soit parce qu?ils ne sont pas prêts à en faire.
Conjuguée à la position adoptée par les Etats-Unis, cette situation a nettement contribué à accorder trop d'importance à l?agriculture, au détriment d?autres questions importantes pour le développement érosion des préférences, traitement spécial et différencié, libéralisation des biens industriels et des services et aux pays développés, en perdant de vue les bénéfices qu?assurerait aux pays les plus pauvres la libéralisation des marchés des grands pays émergents.
4) L?UE a pu maintenir sa position parce qu?elle est restée unie
Compte tenu du caractère critique de la situation à laquelle nous étions confrontés, les résultats obtenus par l?UE et la Commission sont remarquables et cela grâce à l?attitude des Etats membres, qui ont su faire preuve d?une unité sans faille tout au long de la conférence et épauler la Commission dans sa lourde tâche.
Il est clair que la crédibilité de la position européenne en est sortie renforcée, de même que notre capacité à résister aux pressions du Brésil et des pays du groupe de Cairns, partisans d?une suppression totale des subventions à l?exportation d?ici 2010.
Cela montre que, contrairement à une opinion largement répandue, les Etats membres sont capables, lorsqu?ils sont unis, d?adopter une stratégie audacieuse qui porte ses fruits.
5) L?activisme diplomatique est payant lorsqu?on cherche des soutiens
L?activité diplomatique et la stratégie d?influence déployées par certains Etats membres de l?OMC tels que le Brésil et les Etats-Unis à la veille de Hong Kong ont permis de rallier ou de séduire des pays africains et asiatiques, parfois à l?encontre de leurs propres intérêts (question du coton). Manifestement, cela n?a fait qu?aggraver l?isolement de l?UE, qui n'a pas usé de suffisamment d?énergie pour promouvoir son programme de développement.
6) Sous la direction de Pascal Lamy, le cadre des négociations de l?OMC a évolué : nous sommes passés d?une organisation médiévale à une oligarchie athénienne
La conférence ministérielle de Hong Kong a confirmé que la présence de Pascal Lamy à la tête de l?OMC a changé bien des choses et ce, sans baguette magique. Ce changement a été perçu dans tous les pays et par toute la presse. La méthode Lamy, séduisante de prime abord, a fait couler beaucoup d?encre. Elle poursuit trois objectifs : (i) la légitimité et la participation grâce à une approche de type ascendant (bottom-up), (ii) des négociations efficaces grâce à des discussions en petit comité (green rooms) (III) la gestion des risques de dérapages potentiels sur des sujets délicats grâce à la maîtrise des discussions plénières.
Sur le papier, la méthode est parfaite. Mais comme toujours, le diable se cache souvent dans les détails, le plus important étant le déséquilibre manifeste dans la composition des comités, au profit des intérêts des pays exportateurs de produits agricoles, qui dominent les débats par le nombre de leurs représentants et le poids de leurs voix.
A Hong Kong, la méthode Lamy a certes évité l?échec de la conférence, mais elle n?a pas su garantir un fonctionnement réellement démocratique ni résister à un petit groupe de pays exportateurs de produits agricoles qui ont pris les commandes des négociations.
3. LA CONFERENCE DE HONG KONG OFFRE-T-ELLE UNE PLATE FORME COMMUNE SUSCEPTIBLE D'ASSURER LA REUSSITE DES NEGOCIATIONS ?
De nombreux analystes relèvent que la déclaration de Hong Kong préserve la possibilité de parvenir à un accord global, ambitieux et équilibré. Mais rien n?est gagné.
Les avancées et le résultat final dépendront de la volonté politique dont voudront bien faire preuve tous les Etats membres de l?OMC pour respecter les engagements de Doha. En pratique, ils dépendront de la réponse apportée à quatre questions fondamentales :
1) Sommes-nous tous d?accord pour considérer que le Programme de Doha pour le développement ne se réduit pas un cycle de négociations sur l?agriculture ?
L?enjeu est de déterminer si les grands pays émergents sont prêts à ouvrir leurs marchés aux services et biens industriels et à aller au-delà des réductions sur le papier et de la consolidation dans le cadre du présent cycle de négociations.
Rien n?est moins sûr et certaines interventions de ministres brésiliens (MM. Amorim et Furlan) ne vont pas dans ce sens.Affirmer que le Programme de Doha pour le développement ne se résume pas à l?agriculture ne signifie pas pour autant que nous ne devrions pas améliorer l?accès au marché des produits agricoles. La France et l?UE l?ont compris et l?acceptent pleinement. D?ailleurs, l?année dernière, la Commission a présenté une offre audacieuse à la table des négociations. Les concessions proposées ouvriraient considérablement notre marché aux produits étrangers, en triplant notamment nos importations de boeuf et en divisant par cinq nos exportations de beurre.
Nul besoin d?être alchimiste pour comprendre que les quelques « morceaux de poulet en plus » annoncés par Rob Portman dans son analyse de l?offre de la Commission pourraient facilement se transformer en or !
2) Sommes-nous tous prêts à faire du développement notre priorité ?
Il est évident que les résultats obtenus jusqu?à présent en termes de développement sont loin d?être suffisants. Pour les pays concernés, la question cruciale est désormais de savoir s?ils pourront bénéficier des avantages de l?ouverture de leurs marchés. Ces avantages dépendent à 60 % de la libéralisation Sud-Sud, essentiellement de la part des grands pays émergents.
La capacité de l?OMC à réaliser de nouvelles avancées en matière de développement sera déterminée par l?attitude des grands pays émergents, qui refusent toujours de se démarquer des pays en développement. Or, le programme de Doha ne pourra pas tenir ses promesses s?il n?est pas possible d?offrir davantage et de demander moins au Ghana (dont le PIB est de 320 $ par habitant) qu?au Brésil (dont le PIB est de 3 100 $ par habitant)
L?OMC devrait aborder avec la même énergie la question clé de l?érosion des préférences, notamment pour les pays africains.
3) Sommes-nous tous prêts à renoncer aux jeux tactiques et à adopter des positions susceptibles d?engendrer des bénéfices mutuels à long terme ?
Depuis le début du cycle de Doha en 2001, l?Europe a montré son véritable désir de progresser dans tous les domaines de négociation. Sur le plan intérieur, nous avons pris des décisions difficiles en matière de politique agricole dans le cadre de la réforme de la PAC : comme Peter le disait à Berlin la semaine dernière, les importations de l?UE en provenance de pays comme le Brésil ont doublé au cours des dix dernières années et le déficit commercial de l?UE dans le secteur agricole a dépassé les 8 milliards d?euros avec ce seul pays. Nous avons également présenté des offres globales et sérieuses à nos partenaires de l?OMC. Il est temps à présent que les autres pays prouvent qu?ils partagent notre vision ambitieuse du Programme de Doha pour le développement et qu?ils jouent leur rôle : dans une négociation entre partenaires commerciaux de premier plan, un pays obtient ce pour quoi il est prêt à payer. De nouvelles offres audacieuses concernant l?accès aux marchés non agricoles (NAMA), les services et les indications géographiques permettront très certainement de mesurer l?engagement de nos partenaires en faveur d?une conclusion du cycle, et je pense ici plus particulièrement aux États-Unis, à l?Inde et au Brésil.
Il est clair qu?ils vont devoir effectuer un travail préparatoire chez eux et convaincre leurs électeurs qu?ils ne doivent pas s?attendre à des miracles en matière d?agriculture, ni espérer obtenir l?accès aux marchés agricoles sans aucune contrepartie.
4) Les négociations multilatérales demeurent-elles la priorité ?
Dans notre économie de marché, les consommateurs essaient toujours de faire la meilleure affaire en termes d?achats et d?investissements, et ils n?hésitent pas à changer d?avis à la dernière minute en fonction des évolutions du marché et de leurs propres intérêts. Dans une certaine mesure, les membres de l?OMC agissent de la même façon : ils choisissent la meilleure option ? bilatérale ou multilatérale ? en fonction de leurs intérêts. A Hong Kong, j?ai eu l?impression que la balance ne penchait pas toujours en faveur du multilatéralisme. Cela explique peut-être à la fois la position radicale adoptée par certains membres et la relative absence d?implication des autres. Ce qui est clair, toutefois, c?est que tous les membres de l?OMC doivent conserver un réel attachement au multilatéralisme pour déployer les efforts nécessaires à l?obtention d?un accord final.
Quatre scénarios sont envisageables pour l?avenir :
1) un scénario « a minima » dans lequel l?accès aux marchés ne serait amélioré dans aucun des domaines de négociation.
2) une consolidation des propositions actuelles, qui déboucherait sur un accord très déséquilibré, centré principalement sur l?accomplissement de progrès et l?accès aux marchés dans le domaine agricole : bien que ce scénario ait été évoqué par certains membres de l?OMC, je ne crois pas à cette option.
3) un accord ambitieux, global et équilibré, comme nous l?avions décidé à Doha.
4) pas de conclusion du cycle en 2006 et un report de la conclusion jusqu?à 2010 au moins.
Hong Kong aura tout au moins eu l?avantage de montrer à tous les membres de l?OMC que le jeu reste ouvert.
5. QUELLES SONT LES PRIORITÉS POUR L?UE ?
Je souhaiterais conclure ces remarques en vous faisant part d?une proposition concernant les priorités que l?UE devrait adopter pour les prochaines étapes en vue de contribuer à la réalisation d?un cycle ambitieux. Je les appellerai mes cinq « C ».
1) Rendre nos attentes « claires comme de l?eau de roche » : nous espérons toujours aboutir à un accord global en totale conformité avec le principe de « l?engagement unique ». Aucune nouvelle réduction du champ des négociations ne peut être acceptée et le Programme de Doha ne sera pas le Yalta des marchés agricoles, dominés par les États-Unis et le Brésil au détriment de l?Europe et de l?Afrique. Nous devons également être clairs quant à ce que nous attendons de nos homologues. Les pays développés et les grands pays émergents doivent savoir que s?ils veulent tirer parti de ce que nous sommes en mesure de proposer en matière d?agriculture, ils seront obligés de faire d?importantes concessions dans le domaine des services, de l?accès aux marchés non agricoles et des règles. Parallèlement, nous devrons également faire comprendre que ce que nous sommes prêts à donner aux pays les plus pauvres, y compris à certains pays en développement, est largement supérieur à ce que nous espérons obtenir. Dans certains cas, nous ne demandons même rien du tout !
Nous devons clarifier ces points de manière constructive mais déterminée, sans laisser planer d?ambiguïté quant au fait que nous ne sacrifierons pas nos besoins et nos objectifs fondamentaux pour parvenir à un accord ou accélérer les négociations, tant il est vrai, pour citer Adam Smith que : « la défense est bien plus importante que l?opulence ».
2) Adopter une stratégie de coalition
La principale menace pour l?UE, c?est l?isolement. Si l?UE veut renforcer son influence sur les négociations, trois grandes voies lui sont ouvertes :
I- Multiplier les actions bilatérales avec les pays en développement, en particulier en Afrique, afin de susciter la confiance et d?éviter les malentendus, en précisant notamment nos attentes à leur égard (et, peut-être surtout, ce que nous n?attendons pas d?eux). Pour être efficaces, les États membres devraient coordonner leurs actions et unir leurs forces avec la Commission afin de renforcer l?influence globale de l?UE au sein des États membres de l?OMC et de promouvoir notre programme et notre position.
II-. Garantir que le processus de négociation est équitable et équilibré. Le rôle croissant des pays en développement, qui s?est confirmé à Hong Kong, devrait être correctement pris en compte, de manière à ce que l?ensemble des positions et intérêts des pays en développement soit représenté de manière équitable dans les groupes restreints de négociation. Cette crise de croissance de l?OMC devrait être gérée comme il se doit, afin d?éviter une répétition du scénario de Hong Kong où les intérêts des pays exportateurs de produits agricoles étaient sur-représentés dans les réunions en petit comité.
III Renforcer les capacités des pays en développement : les pays en développement ont besoin d?être davantage soutenus pour prendre une part active et effective aux négociations. Si des progrès importants ont été accomplis ces quatre dernières années, les pays en développement les plus pauvres souffrent toujours d?un manque de capacités et ont besoin d?aide pour identifier et défendre efficacement leurs besoins et leurs intérêts, sans tomber dans les pièges tactiques tendus par certains pays plus importants. A Hong Kong, les pays en développement ont été très peu nombreux à soulever la question du traitement spécial et différencié pour les pays en développement. Aucun d?eux n?a exhorté le Brésil à ouvrir ses marchés, ce qui est vraiment étonnant, car la plupart des bénéfices que peuvent attendre les pays en développement résulteraient précisément de l?ouverture des marchés des grands pays émergents.
3) Maintenir la cohésion au sein des membres de l?UE
La plupart des membres de l?OMC ont été surpris de constater que les Etats membres de l?UE soutenaient à l'unanimité la position de fermeté adoptée par la Commission. Nous devons continuer de les surprendre afin de conserver notre crédibilité et de poursuivre la stratégie du tout pour le tout dans le but de garantir les effets bénéfiques du Programme de Doha dans les pays en développement, l?emploi en Europe et un commerce équitable pour tous.
4) Communiquer de manière plus efficace
A l?heure actuelle, la communication est aussi importante que le fond. C?est un domaine dans lequel l?UE ne dispose pas d?un avantage comparatif majeur. L?aide alimentaire est l?exemple même d?une question sur laquelle l?UE a raison sur le fonds mais se montre peu convaincante en termes de communication. Deux moyens permettraient selon moi d?améliorer la situation :
- l?adaptation de notre stratégie de communication à nos interlocuteurs. Si le Brésil souhaite centrer le débat sur le caractère médiéval de notre politique agricole, nous devons nous battre sur le même terrain. Pourquoi ne pas poser les questions importantes pour nos concitoyens ? Celle des latifundia par exemple, ces vastes exploitations agricoles qui produisent 90% des exportations agricoles du Brésil, ou encore celle des effets de l?expansion des terres agricoles sur la forêt amazonienne qui disparaît à un rythme fulgurant : l?équivalent d?un terrain de football toutes les 4 secondes ! Nous ne sommes pas à court d?arguments ! Une étude récente de l?OCDE montre que dans le cas du Brésil, la majeure partie des gains attendus de la libéralisation ne profiteront pas aux fermes les plus pauvres ni aux exploitations familiales, mais essentiellement aux latifundia.
De telles réponses ne doivent pas être considérées comme des mesures de rétorsion mais plutôt comme l?application d?une règle fondamentale en matière de communication et de négociation : « définissez les termes, ou jamais nous ne nous entendrons », comme le disait Voltaire.
- la mise en valeur de nos propositions : depuis le début du cycle de négociations, l?UE a fait des choix politiques difficiles et des concessions importantes et elle a soumis des propositions très ambitieuses. Nous sommes malheureusement les seuls à savoir combien nos propositions sont ambitieuses. L?UE doit impérativement communiquer sur les débouchés que feront naître ses propositions pour nos partenaires, en particulier dans le domaine de l?agriculture.
5) Renforcer la crédibilité de l?UE dans le cadre des négociations du Programme de Doha en encourageant de nouvelles négociations commerciales bilatérales
Si nous privilégions le multilatéralisme, cela ne signifie pas que nous devions adopter une approche unique en termes de relations commerciales extérieures. L?UE gagnerait en crédibilité au sein de l?OMC si nous avions une approche beaucoup plus globale des négociations commerciales bilatérales. Au-delà des négociations existantes, j?ai le sentiment que le temps est venu de définir de nouveaux objectifs simples, crédibles et réalisables, susceptibles de renforcer les négociations bilatérales avec certains de nos principaux partenaires. Cela faciliterait le processus de négociation au sein de l?OMC, favoriserait le développement et serait conforme à nos intérêts économiques.
6. CONCLUSION
Pour en revenir au titre de mon intervention, il m?est encore difficile d?apporter une réponse définitive mais je ne me déroberai pas : pour moi, Hong Kong est à la fois une promesse de succès et l'enterrement des espérances. Une promesse, parce qu?il est encore possible de faire de Doha un programme ambitieux et global, en 2007 ou en 2010. Toutefois, quatre ans après le lancement de ce programme, Hong Kong a aussi conduit à enterrer définitivement l?idée naïve selon laquelle les accords passés à Doha recevraient encore la pleine adhésion des 150 membres de l?OMC.
Mesdames, Messieurs, je terminerai ici mes remarques préliminaires afin que nous puissions débattre des questions que vous souhaiteriez poser.
Je vous remercie de votre attention.

Source http://www.minefi.gouv.fr, le 16 février 2006