Entretien de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, avec la presse égyptienne, sur les échanges commerciaux entre la France et l'Egypte et sur le bilan des négociations de l'OMC à Hong Kong, Le Caire, le 22 janvier 2006.

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Circonstance : Voyage de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée du commerce extérieur, en Egypte les 22 et 23 janvier 2006

Texte intégral

Je suis le ministre français chargé du Commerce extérieur de la France et je suis en Egypte depuis maintenant et 48 heures, je reste encore toute la journée de demain. L'objectif principal de mon séjour en Egypte dans le cadre d'une visite bilatérale entre la France et l'Egypte était d'une part bien sûr de rencontrer, comme je le fais à chaque fois que j'effectue une visite bilatérale, les milieux d'affaires français et égyptien, d'autre part de pouvoir rencontrer mes homologues au sein du gouvernement égyptien pour examiner dans quelles conditions nous pouvions améliorer les échanges entre la France et l'Egypte tant en matière d'exportations et d'importations qu'en ce qui concerne les investissements directs entre la France et l'Egypte. L'autre objet de ces échanges avec les membres du gouvernement égyptien était aussi d'évoquer les discussions qui ont eu lieu au sein de l'OMC.
Le plus simple c'est peut être maintenant que ce soit votre tour de poser des questions si vous voulez.
Q - Quelles sont les nouvelles méthodes que vous allez utiliser pour contribuer à l'augmentation du commerce et des échanges entre les deux pays ? Quels sont les moyens aussi dont vous bénéficiez en expertise française dans la modernisation de l'industrie ?
R - C'est une excellente question, je vais vous donner un exemple, vous savez qu'un des éléments du commerce entre la France et l'Egypte concerne le blé, donc nous exportons à destination de l'Egypte du blé qui est utilisé pour la consommation intérieure, en particulier dans la fabrication du pain. Ce qui est clairement de nature à améliorer les relations entre la France et l'Egypte, c'est de transformer une relation qui est aujourd'hui une relation de vendeur/acheteur en une relation de partenaire, au sein de laquelle les fabricants et les vendeurs de blé non seulement s'intéressent à la vente mais également au processus, au transfert de technique, à l'expérience dont jouit la France et en particulier la fédération des boulangers pour la fabrication du pain. Donc, au lieu de simplement vendre un produit, c'est de transformer la relation en un véritable partenariat où la relation va de la vente au transfert de technologie, au partage de connaissances dans un secteur qui est fondamental - pour les deux pays d'ailleurs - parce que le pain français est de grande qualité, qu'il est extrêmement apprécié par les consommateurs, de même que le pain égyptien est de grande qualité et également apprécié. L'idée est qu'on puisse échanger nos connaissances et faire profiter l'industrie égyptienne de l'expérience que nous avons acquise. Cela est un exemple. Je vais vous donner un autre exemple pour parler de la modernisation : hier je suis allée avec le président d'Alcatel-Egypte pour inaugurer le centre d'information d'Alcatel au Smart village. C'est un moyen de participer à la modernisation du pays, de faire du transfert de connaissances, de participer aux actions de formation dans un secteur de haute technologie. Et pour Alcatel par exemple, l'Egypte (et le centre de formation du Caire au Smart village) est vraiment le centre, le "hub" régional de formation qu'ils utiliseront à l'avenir.
Q - Vous avez donné dernièrement une information selon laquelle l'un des objectifs de votre visite en Egypte c'est de promouvoir les sociétés françaises en ce qui concerne la réalisation de la 3ème ligne du métro du Caire. Quels sont les détails ? Y a-t-il un rapport entre la visite que vous avez effectué aujourd'hui auprès du Premier ministre égyptien et les déclarations qui viennent de sortir du cabinet du Premier ministre concernant le porte-avions Clemenceau ?
R - En ce qui concerne la réalisation de la troisième ligne du métro du Caire, il y a un intérêt de la part des sociétés françaises pour réaliser ce projet. Comme vous le savez, ces sociétés ont contribué, avec succès, à la réalisation des première et deuxième lignes et ont une énorme expérience dans le domaine de l'infrastructure au Caire. En ce qui concerne votre deuxième question, j'ai pris connaissance du communiqué qui vient de sortir du cabinet du Premier ministre, mais concernant le porte-avions "Clemenceau", s'il est vrai que j'ai effectué une visite auprès du Premier ministre ce matin, nous n'avons pas abordé la question de ce porte-avions.
Q ? Pourriez-vous nous donner plus de détails sur vos discussions avec le ministre Rachid concernant l'OMC. Est-ce que la France joue un rôle intermédiaire entre l'Egypte et l'OMC ?
R - Non, les discussions que nous avons eues était un échange de vue entre nos deux pays. L'Egypte, vous le savez, est le représentant des pays africains au sein de l'OMC, alors que la France est représentée par le commissaire européen dans le dialogue OMC. Donc on est peut être à deux niveaux de discussion. Nous avons des positions différentes sur l'agriculture. Nous avons échangé nos points de vues sur le calendrier des discussions à venir, sur la nature des débats, sur les enjeux mais nous n'avons pas joué le rôle d'intermédiaire. Je crois que l'Egypte est un grand pays, qui lui-même a la représentation d'autres pays, donc c'était un simple échange de vues avec M. Rachid qui est un représentant tout à fait éminent de ce pays.
Q - La position de la France lors des négociations de Hong Kong a failli aboutir à un échec lors de ces négociations concernant le volet agricole, est-ce que la France envisage de présenter des mesures en matière de subventions agricoles pour débloquer les négociations de l'OMC ?
R - Je ne suis pas d'accord avec votre vision des choses et je vais essayer de vous démontrer ma position. Le cycle de négociations de Doha a pour thème le développement et je pense que tout au long de ces négociations la France a certainement insisté sur deux choses. La première est que l'on doit se concentrer sur le développement, la seconde est que ces négociations doivent être équilibrées, ce qui signifie pour nous des progrès dans les négociations agricoles, les négociations concernant l'industrie et les services, et sur la question des règles, qui étaient moins au c?ur du sujet cependant.
Cela a commencé, si vous regardez les différentes étapes, les différents pays du G20, mais particulièrement le Brésil et l'Inde, ont toujours exclusivement focalisé sur l'agriculture. Je crois que l'Europe, pas seulement la France, car la France agissait de concert avec la Commission européenne et les Etats membres, a toujours fait le nécessaire pour débloquer le processus, premièrement en menant à bien la réforme de la Politique agricole commune, deuxièmement en se mettant d'accord sur le principe de la suspension des restitutions à l'exportation en juillet, et troisièmement à Hong Kong en s'accordant sur la date pour laquelle les subventions d'exportation seront supprimées. Dès lors, dire que la France est le pays qui a bloqué les négociations est plus qu'un raccourci, cela relève de la mauvaise interprétation de la réalité. Je serais ravie séparément de vous expliquer avec plus de détails la position de la France mais je crois que cela nous prendrait quelques bonnes heures?
Q - Jusqu'où les discussions ont-elle été concernant la conversion de la dette égyptienne envers la France ? Quels sont les projets liés à ce sujet ?
R - Vous avez raison, c'est un des points qui a été évoqué ce matin avec le ministre de la Coopération dans un excellent climat de confiance, qui nous a permis de discuter deux points de vue qui, aujourd'hui, ne sont pas encore rapprochés, et qui nous permettra certainement d'avancer plus loin vers une position qui, nous l'espérons, sera satisfaisante en termes de réduction de la dette.
Q - Quel est le montant de la conversion de dette ?
R - 47 millions d'euros.
Q - Est-ce que votre visite inclut la conclusion effective d'accords ? Si, oui, lesquels ? L'agence de presse locale a cité votre homologue égyptien faisant état de la création prochaine de l'association d'hommes d'affaires franco-égyptiens qui serait suivie de sa visite en France. Pouvez-vous nous donner des détails sur cette affaire ?
R - Nous n'avons pas de signature d'accords prévue pour cette visite, qui est une visite de travail, de préparation, et un des sujets évoqués avec le ministre Rachid concerne effectivement la finalisation du groupe d'affaire franco-égyptien, avec une visite prochaine de travail approfondie par les hommes d'affaires égyptiens en France, en compagnie du ministre Rachid, à laquelle je participerai également, avec nos hommes d'affaires français, pour explorer les voies de la coopération et de l'approfondissement des relations d'affaires entre nos deux pays.
Q - Quel est votre point de vue sur le processus des réformes en Egypte ?
R - Je ne veux pas m'immiscer dans les décisions internes. Tout ce que je peux dire, c'est que les sociétés françaises montrent un grand intérêt pour le marché égyptien ainsi que pour les privatisations égyptiennes. Elles ont témoigné une confiance renouvelée pour la façon dont les affaires économiques évoluent. Donc je vois cela comme un signe positif, un signe de confiance face à l'évolution sur les questions économiques et le climat des affaires. Vous aurez noté en particulier que les banques françaises sont présentes et manifestent un grand intérêt pour le marché, or les banques sont traditionnellement des évaluateurs très rigoureux et très sévères des risques.
Q - Sur le rôle de la France en Afrique et celui de l'Egypte aussi, comment évaluez-vous ces deux rôles en ce qui concerne les échanges commerciaux en Afrique ? Est-ce que la France et l'Egypte coopèrent ensemble sur ce volet ou bien c'est une relation de compétition ?
R - Il y a "plusieurs Afriques" en ce qui concerne nos échanges commerciaux. D'abord il y a des pays d'Afrique avec lesquels nous avons des relations anciennes et établies, c'est à l'évidence le cas avec les pays francophones d'Afrique. S'agissant de la coopération des pays africains du pourtour méditerranéen, je vous rappelle qu'il y a le dialogue Euromed, qui progresse. Nous serions naturellement très heureux d'explorer les moyens de rendre la relation franco-égyptienne plus active, plus efficace et plus productive pour que la France et l'Egypte jouent un rôle clé dans ce domaine. Ne me demandez pas comment, ni quand, mais nous serions certainement très heureux de le faire. L'Egypte est une amie, un partenaire traditionnel et a beaucoup de points communs avec la France. Ces particularités doivent être exploitées pour construire une relation plus ambitieuse avec les pays euro-méditerranéens.
Q - Est-ce que la crise syro-libanaise pourrait avoir des effets négatifs sur les relations commerciales franco-égyptiennes ? La politique de la France au Proche-Orient est très appréciée auprès des pays arabes, contrairement à la politique américaine qui suscite l'hostilité de ces pays. Mais actuellement la politique arabe de la France se rapproche progressivement de celle des Etats-Unis. Ne craignez-vous pas qu'elle soit à son tour mal vue par les pays arabes ?
R - Pour la première partie de la question, je ne vois pas pourquoi la crise syro-libanaise pourrait avoir des effets sur l'avenir des échanges commerciaux entre la France et l'Egypte. Pour la deuxième partie de la question, la France a toujours eu une tradition d'indépendance et je pense qu'elle tient bien à maintenir cette indépendance. Donc ne soyez pas trop inquiet des "évolutions progressives" que vous décrivez.
J'espère que dans le club d'affaires franco-égyptien, il y aura aussi beaucoup de femmes d'affaires égyptiennes et je voudrais vous remercier d'être aussi nombreuses dans ce groupe, je suis vraiment éblouie par la présence des femmes dans votre groupe.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 janvier 2006