Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France Info" le 16 février 2006, sur la décision du Président de la République de faire revenir en France "Le Clemenceau", sur le dépôt d'une motion de censure par le PS pour dénoncer le projet de création du contrat première embauche.

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Média : France Info

Texte intégral

Q- Le "Clemenceau "va revenir en France ; J. Chirac a tiré les leçons de plusieurs semaines de polémiques. Vous aussi ?
R- Non, J. Chirac n'a pas tiré les leçons de plusieurs semaines de polémiques. Il a été obligé par la décision du Conseil d'Etat de faire revenir le "Clemenceau". Et c'est là que l'échec est cinglant et à mon avis mérite effectivement que l'on y revienne. Parce que J. Chirac a fait voter avec la majorité actuelle et nous y avons prêté même notre concours, le principe de précaution dans la Constitution. Et nous avons envoyé - c'est le Conseil d'État que le dit - un déchet dangereux vers l'Inde depuis plusieurs semaines. Depuis également plusieurs semaines, associations écologistes, partis d'opposition et notamment le Parti socialiste, nous demandons le retour du "Clemenceau", de façon à ce que le désamiantage puisse être fait en France et puis ensuite, qu'éventuellement, la destruction du navire puisse se faire en Inde. On nous a dit "non" à chaque étape et puis là, il y a eu l'intervention du Conseil d'État et piteusement, le chef de l'État, parce qu'il n'a pas d'autre solution, fait revenir le "Clemenceau". Alors, quand j'entends la ministre de la Défense nous dire que tout a fonctionné correctement, que tout s'est passé comme il était prévu, alors que maintenant le "Clemenceau" revient, cela serait risible, si ce n'était pas triste pour notre pays.
Q- Mais M. Alliot-Marie a justement souligné hier soir que les socialistes, quand ils étaient au pouvoir, avaient choisi d'oublier le "Clemenceau". Pourquoi n'avoir rien fait à l'époque pour le désamianter ?
R- Le "Clemenceau" a été désarmé en 1997 et puis ensuite il a été...
Q- Donc au début du gouvernement Jospin !
R- Oui, oui, et puis ensuite il a été stocké, mais il n'était pas, à ce moment-là, privé de fonctionnement, il a été stocké. Et puis ensuite, il a été décidé, c'était normal, en 2002 de le mettre au rebut et à partir de là, il a été donc engagé un processus de "désamiantement". Sauf qu'il n'a jamais eu lieu ce processus, ou plus exactement, il a été commencé et puis aujourd'hui la ministre de la Défense ne sait toujours pas, combien de tonnes d'amiante contient encore le navire ou le porte-avions. Donc c'est vous dire quel a été le degré d'improvisation, le degré de légèreté avec lequel le gouvernement a traité ce dossier.
Q- La gauche a déposé une motion de censure hier à l'Assemblée ; elle sera débattue mardi prochain ; c'est vous qui allez la défendre à la tribune. Le PS dénonce le manque de résultats du Gouvernement n matière sociale. Mais une motion de censure sans majorité, c'est un exercice de pure forme. Alors, cela va servir à quoi ?
R- Que la motion de censure n'aboutisse pas à renverser le gouvernement, j'en conviens très facilement avec vous. Mais que l'on marque après le dépôt de ce qu'on appelle le 49-3, une volonté de dire que, et les résultats du gouvernement sont contestables, la croissance a été très largement inférieure à ce qui a été prévu et le déficit du commerce extérieur atteint un niveau historique - que l'on dise, par une motion de censure combien le texte sur le contrat "première embauche" est dangereux, dangereux pour les jeunes, dangereux pour l'ensemble des salariés, puisque c'est un démantèlement du Code du travail, c'est une motion de censure donc nécessaire. Et enfin elle permet de mettre en cause l'ensemble de la politique du gouvernement depuis quatre ans et de dire qu'il y aura un choix, un choix de société qui sera fait en 2007 - c'est vrai, pas avant - entre une société que l'on fragilise, que l'on précarise et une société - je pense que c'est le projet qui doit être le nôtre - qui sécurise les Français.
Q- Alors, vous dites que le CPE est dangereux, mais d'après les chiffres qu'on a déjà, c'est plutôt un succès quand même ?
R- Ah bon, je ne sais pas comment vous avez ces chiffres, puisque le CPE n'a toujours pas été créé heureusement, mais il y a le contrat "nouvelles embauches".
Q- Oui, le CNE, le CNE qui a déjà donné des résultats en matière de création d'emploi.
R- Qui n'a pas donné de résultats en matière de créations d'emplois, puisque ce sont des contrats qui se sont substitués à d'autres, notamment le contrat à durée indéterminée. Mais plus grave, vous avez raison d'évoquer le précédent du CNE, parce que nous avons déjà des recours de salariés devant les Prud'hommes qui ne peuvent pas se faire reconnaître leurs droits. Et hier encore, nous apprenions que certains salariés essayaient d'avoir, devant les tribunaux, justification du motif du licenciement. Parce que l'innovation avec le CNE ou le CPE, c'est que l'employeur n'a plus besoin de donner le motif du licenciement ; dès qu'il envoie une lettre, le licenciement est fait. Eh bien, c'est cette procédure, cette méthode là, ce démantèlement du Code du travail que nous voulons mettre en cause.
Q- Mais ce que vous ne pouvez pas nier c'est que le chômage continue de baisser, la gauche ne peut pas l'ignorer ?
R- Le chômage statistiquement baisse et on en connaît les raisons. Les raisons sont toutes simples et moi, je ne m'en plains pas, c'est qu'il y a aujourd'hui plus de personnes qui partent en retraite que de jeunes qui viennent sur le marché du travail - encore que, c'est une baisse de la population active, mais d'une manière générale, cela permet à des jeunes de trouver, je l'espère du travail grâce aux départs en retraite. Et puis la deuxième raison c'est qu'il y a une augmentation du nombre d'emplois subventionnés, ce qui avait été supprimé depuis 2002. Alors le gouvernement cherche à démontrer qu'il y a une baisse statistique du chômage et donc un succès, il y a une baisse statistique du chômage, j'en conviens, mais il n'y a aucune création supplémentaire d'emploi - c'est bien là, l'échec du gouvernement.
Q- Les grands groupes français annoncent dans ce contexte des bénéfices record. Total a annoncé hier 12 milliards d'euros de bénéfice net, cela vous a choqué ?
R- Oui !
Q- C'est pourtant bon signe pour l'économie !
R- J'avais demandé au Premier ministre, l'été dernier, qu'il puisse y avoir un prélèvement fiscal exceptionnel sur les profits de Total. Pourquoi ? Parce que ces profits pour une large part sont dus à l'augmentation du prix des carburants. Ce qui est quand même un comble, c'est qu'une entreprise puisse faire autant de bénéfices et les Français supporter autant de ponctions sur le pouvoir d'achat. Donc j'avais demandé au Premier ministre d'instaurer un prélèvement exceptionnel qui aurait pu permettre de développer des énergies renouvelables, de faire en sorte qu'il puisse y avoir pour les Français une compensation en terme de pouvoir d'achat. Il n'en a rien fait et aujourd'hui, Total annonce des supers profits. Et je crois que beaucoup de Français se demandent : pourquoi une entreprise fait autant de profits et les Français supportent autant de ponctions sur leur pouvoir d'achat ?
Source: Premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 février 2006