Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les difficultés rencontrées par la filière des fruits française, sur le plan de soutien engagé pour répondre à la crise, sur les grandes orientations à venir : défense des intérêts nationaux et communautaires, gestion des relations commerciales, renforcement de la compétitivité, promotion de la consommation de fruits, Ville-Sous-Anjou (Isère)le 27 janvier 2006.

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Circonstance : 60e congrès de la Fédération nationale des producteurs de fruits à Ville-sous-Anjou (Isère) le 27 janvier 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis de participer à votre 60ème congrès des producteurs des fruits, et me félicite de la mobilisation de votre profession.
L'année 2005 restera dans les mémoires comme une année très difficile pour les arboriculteurs, à l'origine de situations personnelles parfois dramatiques. Toutefois, vous avez choisi de vous tourner résolument vers l'avenir à l'occasion de ce Congrès. Je salue ce choix courageux et nécessaire. Vous vous interrogez, en effet, sur la place et la compétitivité de la filière des fruits française dans le marché communautaire et mondial, sur les relations avec la distribution?.
A mes yeux, votre secteur est stratégique pour trois raisons :
?- économique. Sa contribution à l'économie nationale est déterminante : il génère un chiffre d'affaires de plus de 11 milliards d'euros, dont une partie à l'exportation. Ce sont 105 000 emplois à temps plein.
?- territorial. Vos entreprises sont présentes partout en France et participent de façon décisive au développement équilibré de nos territoires. Pour le Ministre en charge de la ruralité, c'est un élément important.
?- de santé publique. Le rôle des fruits et légumes sur la santé et leur place dans une alimentation variée et équilibrée sont aujourd'hui largement connus.
Monsieur le Président, à de nombreuses reprises, vous m'avez demandé s'il existe un avenir pour l'arboriculture française. Cette question m'a également été posée par de nombreux arboriculteurs et élus de vos régions. La réponse est sans hésitation oui, trois fois oui.
Mais, celle-ci ne peut faire l'impasse sur les réalités du monde d'aujourd'hui, notamment de la mondialisation qui entraîne une concurrence accrue. La crise de 2005 souligne les difficultés auxquelles votre filière est confrontée : concurrence avec des pays à faible coût de main d'?uvre, augmentation des importations, stratégie collective à l'amont et relations avec l'aval de la filière insuffisantes, même si le dialogue au sein de l'interprofession a progressé.
Les réponses ne sont ni évidentes, ni simples, elles viendront notamment des producteurs ; je sais que vous avez des débats constructifs à ce sujet durant ces deux jours de congrès. L'Etat reste évidemment mobilisé à vos côtés pour accompagner la filière dans son projet pour, au-delà des mesures d'urgence permettant de « passer le cap » de 2006 (partie I), préparer l'avenir (partie II).
I - J'ai engagé un plan de soutien à l'automne 2005 pour répondre à la crise et le prolonge en 2006
I - 1 Le plan de soutien annoncé le 21 octobre se veut une réponse réactive
?- dès la réunion du 1er septembre, à laquelle vous avez participé M. le Président, j'ai annoncé le principe d'un plan de soutien. De plus j'ai débloqué une aide immédiate de 1,5 M? pour la promotion des exportations de pommes alors que les professionnels l'avaient sollicitée la veille ;
?- présenté le 21 octobre, le plan de soutien comporte un ensemble de mesures, conjoncturelles, structurelles et d'accompagnement des marchés. Le 9 décembre, il a été renforcé par une enveloppe complémentaire de 10 millions d'? pour les mesures d'arrachage. Globalement, j'ai donc débloqué 25 millions d'euros d'aide et 25 millions de prêts de consolidation, hors aides fiscales. Dans les départements concernés, les comités de suivi animés par les Préfets ont commencé leur analyse des dossiers individuels et m'ont fait part d'un premier bilan.
Les effets de ces premières mesures ont eu, à ce jour, une portée limitée car le plan, qui a fait l'objet d'une réaction rapide, est intervenu tardivement dans l'année. C'est en 2006 que ces mesures produiront leurs effets. C'est pourquoi, compte tenu des difficultés rencontrées, je prolonge la démarche entreprise.
I - 2 Et je suis même prêt à aller même plus loin
Nous mobilisons pour 2006 des mesures d'aide à la trésorerie par :
?- le prolongement des mesures de report et de remises gracieuses des dettes fiscales dues au Trésor public,
?- après analyse des besoins, je serai prêt à abonder éventuellement les dotations pour la prise en charge des cotisations sociales dans le cadre de la procédure agridiff social,
?- de même, une enveloppe complémentaire au titre du Fonds d'allègement des charges (FAC) et une enveloppe de prêts de consolidation supplémentaires seront mobilisés, si nécessaire.
500 000 ? ont été affectés à une opération actuellement en cours sur les radios pour promouvoir la pomme et une enveloppe complémentaire de 1M? sera dégagée pour de nouvelles actions.
Fléau important dans cette région, nous poursuivons également notre lutte contre la sharka, démarche qui s'inscrit pleinement dans le cadre de notre recherche de qualité sanitaire.
La loi sur le développement des territoires ruraux précise les conditions qui permettront de développer une veille et une lutte sanitaires plus efficaces pour l'ensemble des productions végétales.
Sur la base du rapport remis par Monsieur DAIRIEN en mars 2005, un plan d'action est bâti.
L'Etat s'investit d'abord sur la recherche et la garantie du statut sanitaire des pépinières. D'ores et déjà, des crédits sont dégagés : 600 000 ? pour le financement d'un programme de recherche et d'expérimentation de variétés résistantes à la maladie et 900 000? pour le déplacement des pépinières hors des zones à risques, afin d'éviter de planter des arbres atteints de la sharka.
S'agissant des actions de prospection, un financement partagé entre les professionnels et les Pouvoirs Publics, permettra d'accroître les moyens et d'agir dès l'apparition de la maladie sur une parcelle. Pour cette action , en soutien des professionnels, l'Etat consacrera 785 000? en 2006.
Certaines zones, situées principalement dans la Drôme et dans l'Isère, doivent faire l'objet de mesures spécifiques, entraînant l'arrachage et la destruction de l'ensemble des vergers de pêchers et d'abricotiers atteints. J'ai décidé de consacrer 1,5 millions d'euros, en complément des enveloppes ouvertes dans le cadre du plan de soutien, à l'arrachage des vergers très infectés. Les surfaces concernées pourront bénéficier de plus, selon les règles prévues au titre des programmes spécifiques, d'attribution de DPU par prélèvement sur la réserve nationale. Cette démarche nécessite, au-delà de la mobilisation de moyens financiers importants, la définition d'un projet territorial incluant l'accompagnement dans le temps pour les producteurs concernés. Un groupe de travail régional a été mis en place à l'automne 2005. Les collectivités territoriales concernées doivent s'impliquer à nos côtés dans ce projet territorial pour l'accompagnement à la reconversion des exploitations les plus touchées.
II - Par ailleurs, nous préparons l'avenir à travers trois orientations déterminantes :
?- défendre nos intérêts aux niveaux international et communautaire
?- renforcer le rôle de l'interprofession
?- bâtir ensemble une stratégie nationale d'avenir pour les producteurs de fruits
II - 1 Premier défi, nous devons consolider le cadre communautaire en assurant des règles qui soient les mêmes pour tous les producteurs européens.
Je continuerai à défendre résolument nos intérêts français et européens dans le cadre des négociations commerciales à l'OMC, qui se poursuivent en 2006.
Nous devons réaffirmer le principe d'une préférence européenne. Dans cette perspective, la question de l'accès au marché sera décisive cette année.
Je serai également mobilisé pour que l'agriculture ne soit pas une variable d'ajustement.
Concernant le fonctionnement des marchés, le sujet du contrôle des importations de fruits a fait l'objet depuis le mois de juillet de demandes auprès de la Commission européenne.
J'ai obtenu que la Commission instaure dès cette année des certificats déclaratifs d'importation sur la pomme. Nous veillerons à limiter strictement les importations au seuls volumes autorisés. De plus, Mariann FISCHER-BOEL, Commissaire à l'Agriculture, m'a assuré de la mise en place d'un système centralisé et fiable de suivi statistique des volumes en 2007 et s'est engagée à réexaminer les modalités de déclenchement de la clause de sauvegarde.
Sur le plan national, les produits importés feront l'objet d'une surveillance renforcée en matière de résidus de pesticides. Nos productions ne doivent pas être concurrencées sur notre marché par des produits importés dont les qualités phytosanitaires ne seraient pas strictement garanties. A ce sujet, les distorsions de concurrence liées à la réglementation sur les produits phytosanitaires chez nos partenaires intra et extra-communautaires feront prochainement l'objet d'une analyse approfondie.
2006 sera l'année de la réforme de l'Organisation Commune de Marché (OCM) des fruits et légumes.
A l'initiative de la France, et faisant suite au comité mixte franco-espagnol du 27 avril auquel vous avez participé, j'ai remis à la Commission, le 10 janvier 2006, un mémorandum sur la réforme de l'OCM des fruits et légumes, cosigné par 6 autres pays dont l'Espagne et l'Italie. Ce mémorandum, qui reprend vos propositions, contient :
?- des exigences de simplification et d'amélioration du fonctionnement de l'OCM, en particulier sur les organisations de producteurs et les actions éligibles aux programmes opérationnels ;
?- la mise en place d'outils de gestion de crise, à travers la possibilité de créer des caisses de péréquation par exemple, est étudiée ;
?- des propositions pour la distribution gratuite en faveur des plus démunis.
Les organisations professionnelles françaises, intervenant auprès de leurs homologues européennes, ont joué un grand rôle pour faire partager nos positions.
II - 2 Pour donner de nouvelles perspectives aux producteurs, l'interprofession doit être forte et permettre à toutes les catégories de professionnels de prendre la parole. C'est un élément important, notamment sur un marché où les producteurs sont isolés et la demande très regroupée à travers la grande distribution.
La gestion des relations commerciales a été améliorée grâce à la loi sur le développement des territoires ruraux de février 2005.
La notion de crise a été clarifiée. Les remises, rabais et ristournes ont été encadrés. L'Etat a la possibilité d'entreprendre des actions en justice en cas de prix abusivement bas.
Nous recourrons au coefficient multiplicateur en cas de crise.
Il doit être actionné, en situation de crise, lorsque l'écoulement sur le marché peut être gêné par une politique de marge excessive. En 2005, il a encouragé au dialogue entre l'amont et l'aval et a permis une certaine modération des marges sur les produits en crise. Si j'ai la conviction que, ponctuellement, le coefficient multiplicateur constitue une réponse efficace aux difficultés rencontrées, je n'aurai aucun état d'âme à le mettre en ?uvre.
J'ai entendu des critiques sur ce dispositif. C'est pourquoi avec les Parlementaires et les professionnels, j'ai lancé une réflexion pour adapter le seuil d'alerte et le délai de déclenchement aux spécificités de chaque produit. Ces évolutions entreront en vigueur d'ici quelques semaines.
L'animation des lieux de vente et la promotion des différents produits par l'ONIFLHOR, devenu VINIFLHOR, ont dynamisé en 2005 les marchés aux moments critiques.
Sans compter le budget de 1,5 millions d'euros affecté de manière exceptionnelle à la promotion de la pomme à l'export, plus de 3 millions d'? ont été consacrés à ces actions. Elles seront reconduites avec un budget équivalent en 2006, en partenariat étroit avec l'interprofession.
Les dispositions prévues par la loi d'orientation agricole doivent permettre de donner un nouvel élan au dialogue interprofessionnel.
De même, le renouvellement des structures qu'imposent la réforme des offices et la désignation des responsables professionnels ouvrent de nouvelles perspectives pour le développement des relations interprofessionnelles.
J'ai suivi avec attention et encouragé la re-fondation d'un dialogue interprofessionnel au sein d'INTERFEL. A ce sujet, la loi d'orientation agricole permet la mise en place de sections "produit". C'est une solution adaptée à la mise en ?uvre d'un dialogue renforcé entre les familles de la production et celles de la 1ère mise en marché » dans le cadre l'organisation de l'interprofession de première mise en marché. Mes services vous accompagneront dans cette voie.
II - 3 Au-delà des crises conjoncturelles, auxquelles l'Etat apporte des réponses, la profession doit bâtir, avec l'appui de l'Etat et à partir d'un dialogue interprofessionnel redynamisé, une stratégie nationale d'avenir. Je vous propose une mobilisation de tous pour que de telles perspectives se concrétisent dès le mois de mars.
Premier axe de cette stratégie, nous devons réfléchir à un plan d'accompagnement pour ceux qui réduisent ou cessent leur activité arboricole.
- l'arrachage volontaire total ou partiel, sur la base d'un bilan des demandes réalisé au 15 mars prochain, pourra être financé mais devra s'accompagner d'une véritable réflexion en termes de restructuration et de reconversion ;
- à cet égard, nous pourrons envisager diverses mesures du type préretraites pour les exploitants et pour les salariés permanents agés, congés de formation pour les exploitants plus jeunes. Il vous appartient de me faire des propositions dans ce domaine et j'ai chargé mon cabinet de travailler à cette analyse avec vous en allant dans les prochains jours dans les bassins de production concernés.
Deuxième orientation prioritaire : l'avenir de la filière passe par le renforcement de sa compétitivité
- A ce jour, les allégements de charges consentis dans le cadre de la loi d'orientation agricole, représentent déjà plusieurs dizaines de millions d'euros :
?- exonération de 20 % de la Taxe Foncière sur le foncier non Bâti, conformément à l'engagement du Président de la République ;
?- baisse des charges sociales : d'importants assouplissements et mesures d'exonération, s'inspirant du rapport remis par Jacques LE GUEN, Député du Finistère, ont été votés en faveur de l'emploi permanent et saisonnier. Au total, les allègements de charges sociales dans la loi d'orientation agricole s'élèvent à 48 millions d'?, dont 6 M? pour le secteur arboricole.
Concernant la libre circulation de la main d'?uvre des Nouveaux Etats membres, j'ai entendu vos demandes. Je soutiendrai le principe d'une ouverture permettant de répondre à vos besoins de main d'?uvre, en complément de vos recrutements locaux.
Par ailleurs, l'annonce du Président de la République d'une réflexion sur les modalités de financement des charges sociales a relancé le débat sur la TVA sociale. En accord avec le Premier Ministre, les professions agricoles seront consultées afin de prendre en compte leurs spécificités dans ce débat.
Un des enjeux pour l'avenir de votre filière réside dans l'innovation : innovation dans les variétés, dans les modes d'élaboration, de transformation et de présentation des produits au consommateur...
Les moyens affectés à la rénovation du verger le 21 octobre permettent une revalorisation substantielle des taux de subvention, qui passent de 14 % à 30, voire 35 % selon les cas, y compris pour les dossiers 2005 restant à payer. Le budget national, qui leur est consacré, est doublé par la mobilisation du Plan National de Développement Rural (PDRN) : au total, 10,8 millions d'euros seront mobilisés en 2006.
Le plan vég??tal pour l'environnement (PVE), annoncé par le Premier Ministre au SPACE le 13 septembre dernier, permettra, quant à lui, d'accompagner dès cette année les exploitations vers des investissements plus respectueux de l'environnement. Il est doté de 20 millions d'euros d'autorisations d'engagement.
L'enjeu de l'innovation est au c?ur de la problématique des pôles de compétitivité, et le Gouvernement y consacre des moyens importants. Je me réjouis que des entreprises de votre filière, regroupées au sein du pôle européen d'innovation Fruits et légumes d'Avignon ou du pôle végétal spécialisé d'Angers, aient saisi une telle opportunité.
Enfin, troisième orientation : après l'offre, il faut dynamiser la demande. Or la consommation de fruits répond à des enjeux importants pour la société.
Dans le cadre de la politique de l'alimentation, le Ministère de l'agriculture et l'interprofession travaillent conjointement à promouvoir les fruits et légumes. Je vais lancer prochainement, avec l'appui de l'Institut national de la recherche agronomique, une expertise scientifique pluridisciplinaire sur la thématique de l'accessibilité des fruits et légumes.
En collaboration avec le Ministère de la cohésion sociale, j'ai dégagé des moyens pour renforcer la place des fruits et légumes dans la distribution alimentaire aux associations caritatives.
En direction des jeunes consommateurs, VINIFLHOR participe au développement d'actions menées par l'interprofession des fruits et légumes pour la promotion des fruits et légumes dans les cantines scolaires. J'ai moi-même demandé aux 879 établissements d'enseignement agricole de favoriser les plats à base de fruits et légumes dans les cantines.
CONCLUSION
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
J'ai ouvert des pistes pour bâtir ensemble, comme l'a demandé le Premier Ministre, une stratégie nationale de développement d'ici le 31 mars. Je vous propose donc que nous nous mettions au travail sans tarder. A cet effet, mon cabinet coordonnera la réflexion de deux groupes de travail réunissant des professionnels des filières concernées, chargés, l'un du volet emploi, l'autre du volet production et marchés.
Ces actions et votre mobilisation pour une stratégie de filière, doivent nous permettre de construire l'avenir de votre filière. C'est un enjeu stratégique pour notre agriculture.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 30 janvier 2006