Déclaration de M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, sur l'impact de la politique des transports sur l'environnement, Ecully le 27 janvier 2006.

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Circonstance : Visite de l'Ecole centrale de Lyon le 27 janvier 2006

Texte intégral


Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
C'est un grand plaisir de me trouver parmi vous aujourd'hui, et d'avoir l'opportunité de vous rencontrer.
Être ingénieur, c'est une responsabilité lourde, car il ne s'agit pas simplement d'oeuvrer pour le progrès, pour une idée de progrès. C'est aussi lui donner un sens.
C'est mettre en perspective la réflexion et l'action, les projets et l'esprit des projets. Cela requiert des qualités scientifiques, et aussi des qualités humaines, osons le mot, un humanisme.
Tout d'abord parce que, pour résoudre les problèmes auxquels le monde est aujourd'hui confronté, il faut tout d'abord partir de l'homme. La seule querelle qui vaille est celle de l'homme. "Et science sans conscience n'est que ruine de l'âme", comme le disait Rabelais.
Vous m'avez demandé de répondre à la question : «le politique peut-il réconcilier transport et environnement ?».
Ma première réponse, c'est de vous retourner la question : l'ingénieur peut-il réconcilier transport et environnement ?
Cette question que je vous pose aussi, c'est une manière de vous dire que «le politique» n'est pas l'apanage des seuls hommes politiques : le politique concerne tout le monde.
Je suis ministre des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer. Dans mon quotidien, je suis entouré de collaborateurs qui sont le plus souvent ingénieurs de Polytechnique, de Centrale, des Ponts, des Mines. Vu de l'extérieur, beaucoup pensent que c'est un ministère technique. C'est un ministère technique, car c'est un ministère qui construit des ponts, des routes, qui aménage des infrastructures de transports.
C'est un ministère de progrès.
C'est le ministère de la vie quotidienne des Français.
Mais c'est surtout un ministère qui doit voir loin, concilier la modernité et le respect de l'environnement, les exigences de mobilité et le développement durable. Il y a aussi, chez ces ingénieurs, une responsabilité politique «nationale», mais aussi européenne, universelle.
Car ce que nous faisons dans ce ministère, c'est de mettre en oeuvre des projets qui concernent une vision du monde, et qui influent sur l'avenir de toute la population du monde. Le politique y est indispensable au scientifique pour adapter les objectifs à des choix de société. Car rien ne sert de fabriquer du progrès sans, auparavant, avoir fixé un cap, en fonction de valeurs auxquelles on croit.
C'est précisément ce principe qui m'a conduit en politique. Je crois que nous n'existons que dans la mesure où nous existons pour autrui. Ne songer qu'à soi et qu'au présent, c'est une source d'erreur en politique.
Lorsque j'étais étudiant à Lyon, ville où je suis né, mon goût pour la politique est né tout d'abord de mon intérêt personnel pour le monde. J'y ai d'abord puisé des éléments d'inspiration, de comparaison, de solidarité. Je crois, qu'aujourd'hui, cette ouverture est devenue très commune et très exigeante.
Il y a aussi l'action. La politique plaît aux hommes d'action : il ne faut pas attendre de découvrir de quoi demain sera fait pour inventer demain.
Je crois à la noblesse du «politique». Si la politique devait n'être qu'un art de servir les conjonctures, d'examiner ce qui peut donner ou ôter l'applaudissement du public, je n'en ferais pas.
Le rôle du politique, c'est aussi de relever le défi d'organiser la société autour du plus grand nombre de valeurs communes.
Nous vivons aujourd'hui dans un monde globalisé, où les problèmes de société, d'environnement se posent partout, à peu près de la même manière, mais à des échelles différentes.
Je crois que le champ du politique se déplace vers l'universel, mais je pense aussi que l'idée et la réalité de la Nation, comme horizon à échelle humaine.
Je crois que notre pays, l'Europe peuvent accomplir beaucoup pour un avenir meilleur, pour le développement durable, pour le respect de l'environnement. C'est, bien sûr, une question d'intelligence, de savoir scientifique et technologique qu'il faut faire partager au monde entier. Mais c'est aussi une question d'ambition, et de caractère. En politique, comme le dit justement le chancelier KOHL, le caractère est souvent plus important que le savoir ou l'intelligence.
C'est aussi une question d'éducation et de responsabilité civique. Le fait que les citoyens se sentent de plus en plus acteurs de leur propre environnement, et désireux de développement durable, c'est le signe qu'il y a un relais acquis, un témoin passé entre les politiques, les citoyens et les scientifiques.
Cette volonté de changement de vie a été portée pendant des générations, et notamment en Europe, par l'émergence d'idéologies qui ont façonné le monde, l'ont divisé, dans une logique d'affrontement entre le capitalisme et des idéologies hostiles au capitalisme.
Aujourd'hui, dans un monde globalisé, rétréci, ces repères idéologiques se sont effacés. Mais ils n'ont pas remis en cause le débat politique.
Aujourd'hui, la réalité de l'économie de marché, les problèmes d'énergie, de pollution, de pression démographique, les processus d'industrialisation gigantesque de la Chine ne remettent pas en cause le politique. Ils en refondent au contraire la nécessité, car de nouveaux types de société sont en gestation, de nouveaux modes de vie.
Un nouveau modèle, de nouveaux modèles de vivre ensemble sont en marche.
Ils appellent à une participation plus forte des citoyens, à un dialogue plus exigeant avec les scientifiques, le monde industriel, économique. Dans ce processus, le politique est un élément nécessaire, incontournable. Il a même la chance de refonder sa légitimité, son rôle. Je suis persuadé que notre pays, l'Europe, a une mission politique à accomplir en prenant des initiatives en matière d'environnement, de développement durable.
Il ne s'agit pas de regarder derrière nous, en refusant le progrès. Le repli sur soi, les nostalgies trompeuses sont un rêve révolu. Nous sommes passés d'un monde où chacun pensait que grâce au progrès scientifique et technique le monde de demain serait meilleur. Mais il y a aujourd'hui Une perte de confiance dans la notion de progrès. En tant que politique, J'aimerai tenir un discours plus positif. Le progrès scientifique et technique est source d'un monde meilleur.
I. Pourquoi opposerait-on transports et environnement ?
Cette opposition a une portée symbolique forte : les transports constituent une des expressions les plus visibles de la domestication de la nature par l'homme : voler, traverser les océans, mélanger les origines.
La terre porte les stigmates des moyens de transport. Les routes sont comme des cicatrices sur nos territoires.
Au-delà du symbole, les impacts négatifs du secteur des transports sont tangibles et incontestables :
Au niveau local :
- Le bruit arrive, dans toutes les enquêtes, en tête des pollutions les moins bien supportées par les Français.
- Les émissions gazeuses de polluants ont un impact direct sur la qualité de l'air que nous respirons. Elles sont un vrai sujet de santé publique.
- La consommation d'espace et l'impact paysager des routes, autoroutes, aéroports, gares, écluses, bref, la plupart des infrastructures de transports a une influence forte sur notre cadre de vie.
Au niveau global :
- Notre consommation d'énergie pour le secteur des transports dépend actuellement à 97 % du pétrole. Cela contribue à l'épuisement des ressources d'origine fossile.
- Les grandes infrastructures de transport entraînent la fragmentation progressive de l'espace. Ils peuvent porter atteinte à la biodiversité, en segmentant les grands corridors biologiques.
- 25 à 30 % des émissions de gaz à effet de serre, qui contribuent au réchauffement climatique, sont dus aux transports au niveau mondial.
J'insisterai sur ce dernier point dont les enjeux sont considérables. Il y a désormais un consensus des experts pour prévoir des désordres écologiques tout à fait considérables si les scénarios les plus pessimistes, en terme d'évolution des émissions, se réalisent. L'analyse des observations confirme qu'en moyenne annuelle, la température a augmenté de 0,8 à 1,1 degré en France au cours du 20ème siècle, soit plus que la moyenne mondiale, estimée à 0,6 degrés.
Grâce à la coopération entre Météo France, le CEA et le CNRS, dans le domaine de la simulation numérique du changement climatique, la France joue un rôle de premier plan dans le prochain rapport du GIEC, qui sera publié en 2007.
Les premières simulations montrent qu'à la fin du 21ème siècle, on constatera au niveau planétaire une augmentation de la température moyenne de 2 à 6°C, une élévation au niveau des mers de 30 cm à un mètre.
Les résultats confirment également que l'évolution du climat, jusqu'en 2030, est prédéterminée par nos rejets passés, mais que nos politiques de réduction des émissions peuvent avoir une influence positive significative après 2030. La contribution du secteur des transports dans ce processus sera tout à fait déterminante, compte tenu de son poids dans le bilan total et les évolutions observées ces dernières années.
Bien entendu, les transports ont aussi de nombreux avantages :
- Ils permettent la mobilité, qui est synonyme de liberté et d'épanouissement individuel, l'accès à d'autres cultures, d'autres civilisations.
- Ils permettent les échanges de marchandises et favorisent le commerce.
- Ils contribuent à l'aménagement du territoire, au désenclavement, au tissage du bien social. Ils brisent l'isolement.
- Les transports sont donc inscrits au coeur de l'économie et du social, deux des trois piliers du développement durable, le 3ème étant l'environnement.
Le développement des transports apporte beaucoup aux civilisations. D'ailleurs, il faut bien avoir en tête qu'avec la croissance des échanges internationaux, la mondialisation, le développement rapide de certaines régions du globe ou l'aspiration à des loisirs plus nombreux... la demande en transports augmente. On peut noter une augmentation considérable du transport maritime avec une croissance à deux chiffres. Il faut se poser la question comment notre Pays et notre économie profitent de cette croissance du commerce maritime.
En Europe occidentale, entre 1990 et 2003, le transport de voyageurs a par exemple cru de 20 % tous modes confondus. Pour l'aérien, en 10 ans, entre 1994 et 2004, on a observé une croissance de 50 %.
La réponse simpliste consistant à dire qu'il faut contraindre la mobilité pour préserver l'environnement me paraît un non-sens. C'est une réponse malthusienne qui condamnerait nos sociétés à la régression.
Non, ce qui est nécessaire, c'est une optimisation du couple coûts/bénéfices dans ce secteur. C'est une véritable recherche d'équilibre entre différentes valeurs, donc une authentique démarche de développement durable.
Il y a donc des choix à faire -et à faire accepter- : on est donc bien au coeur de l'action politique. D'autant plus qu'il n'y a pas de réponse toute faite, de réponse exacte, mais des trajectoires à cons truire, dans le respect des aspirations de la collectivité. Exercice d'autant plus difficile qu'en matière de transports, ces aspirations se révèlent souvent contradictoires.
- Il y a d'abord cette contradiction apparente entre besoin de mobilité et volonté de protéger l'environnement, que je viens d'évoquer.
- Et il y a aussi des tensions entre l'intérêt individuel immédiat, l'intérêt collectif et l'intérêt des générations futures.
II. Quels moyens pour agir ?
Il faut se méfier des réponses toutes faites.
On a vu précédemment que les impacts des transports sur l'environnement étaient bien réels et identifiables.
Les économistes appellent ces impacts «externalités négatives», par opposition aux «externalités positives», comme le désenclavement, ou d'autres facte urs favorables que j'ai déjà cités.
Dès lors, certains estiment qu'il suffit de prendre en compte les coûts de réparation de ces externalités dans les coûts des transports pour parvenir à un équilibre.
C'est très séduisant. Mais cette démarche se heurte à des difficultés pratiques :
- Comment valoriser le coût de l'impact de la pollution de nos villes sur la Santé ?
- Comment estimer le coût de la réparation d'une atteinte irréversible, comme la disparition d'une espèce animale ou végétale, ou l'émission de plusieurs tonnes de CO2 dans l'atmosphère ?
Il y a, bien sûr, des méthodologies et des tentatives de quantification proposées par des experts : elles sont très utiles, mais reposent sur des hypothèses, des conventions, car il n'y a pas de réponse univoque.
Ces éléments sont précieux car ils contribuent à éclairer la décision pour le politique mais ils ne peuvent fournir de solution miracle
III. Quels instruments pour le politique ?
On peut, tout d'abord, jouer sur l'offre de transport, qui doit être plus propre, plus respectueuse de l'environnement.
Quand on parle d'offre de transport et d'impacts sur l'environnement, on a souvent tendance à opposer les différents modes de transports entre eux.
- Ainsi, il serait plus vertueux de prendre son vélo que sa voiture, ou d'expédier des marchandises par bateau plutôt que par camion : cette approche qui tend à opposer les différents modes me semble un peu courte.
- Elle est profondément idéologique, et ne peut conduire qu'à des impasses.
- En effet, chaque mode a son domaine de pertinence, des situations où il représente la solution la plus judicieuse, le meilleur compromis entre les différents critères qui doivent entrer en considération.
Ainsi, le train est adapté pour le transport de marchandises sur de longues distances et pour des flux importants. Tandis que pour la desserte locale, la souplesse du camion restera inégalable.
Se rendre à l'aéroport en transport en commun a du sens pour une personne seule, tandis qu'une famille avec quatre enfants et des bagages pour deux semaines la question ne se pose probablement pas de la même manière.
Ainsi, il est nécessaire d'avoir une diversité des offres qui permettent un choix éclairé de chacun.
- Mais dès lors, pour réconcilier transport et environnement, il est crucial que les performances écologiques de chaque mode -et non pas seulement de ceux qui sont réputés les plus polluants- soient les meilleures possibles et toujours en progrès.
- Ainsi s'impose la première clef pour réconcilier transports et environnement, c'est le progrès technique et l'innovation.
Il faut le stimuler, le promouvoir.
Il est ainsi frappant de voir les progrès qui ont pu être accomplis en termes d'émissions polluantes des véhicules en quelques années.
Sur certains polluants, les normes réglementaires d'émissions ont été divisées par 10 ou 20. C'est tout à fait remarquable et cela prouve que la réglementation, bien utilisée, peut être un stimulant très puissant pour l'innovation.
Les grands enjeux de demain en termes d'innovation sont nombreux et très motivants pour de futurs ingénieurs comme vous.
Je considère comme prioritaire la production de carburants alternatifs à des coûts raisonnables, et selon des procédés propres, comme les carburants issus de la biomasse ou l'hydrogène.
Il faut aussi améliorer les motorisations pour que, par exemple, les moteurs des bus de demain puissent rouler à 100 % aux biocarburants.
D'autres travaux prometteurs doivent mobiliser les compétences : piles à combustibles, architectures hybrides...
La diversité des offres alternatives est un vrai enjeu. Je suis un peu triste que les toutes premières voItures hybrides ne soient pas françaises mais japonaises. Les voitures hybrides sont un vrai succès. C'est un exemple qui montre combien l'opinion publique est parfois en avance sur les décideurs.
Il faudra bien aussi, et j'ai eu l'occasion de l'évoquer avec la SNCF, qu'on s'attaque à la question des locomotives diesel.
Le monde des transports et les questions environnementales qui y sont liées sont un formidable moteur pour l'innovation et le progrès, un terrain d'expression de l'ingéniosité et de la créativité.
Et le politique dans tout cela, me direz-vous ?.
Il dispose de divers leviers
- La réglementation en est un, et il est tout à fait fondamental.
- Mais l'interve ntion publique peut aussi s'exprimer à travers des soutiens financiers dans des programmes de recherche bien choisis, généralement en partenariat avec le secteur privé, ou encore à travers une fiscalité adaptée.
- C'est ainsi que la France promeut, à travers sa fiscalité, depuis plusieurs années, l'achat de véhicules propres. Le caractère écologique d'un véhicule doit être un argument de vente. La France dissuade également les mouvements des avions les plus bruyants, sur les grands aéroports la nuit.
Favoriser, dans leurs domaines de pertinence, les modes les plus écologiques constitue une autre manière de réconcilier transports et environnement.
Mais dans ce cas aussi, il faut examiner la situation de près. Par exemple, le report modal vers le fer est très important. Je suis très attaché à la réalisation d'une autoroute ferroviaire entre Luxembourg et Perpignan. C'est une expérimentation d'un report modal par le fer très importante, notamment pour montrer les conditions de qualité de service dans lesquels ce dernier peut être pertinent.
Ensuite, au delà de l'offre de transports, il faut aussi jouer sur la demande de transports.
Les choix politiques en matière d'énergie sont déterminants. Quelle source énergétique avoir pour la France ? La réflexion sur la quatrième génération du nucléaire est un choix politique déterminant.
Mais plutôt que de «moins consommer», il faut plutôt «mieux consommer» le transport.
- C'est une autre clef pour réconcilier transports et environnement : l'évolution des comportements, qui je crois passe avant tout par la formation et l'information.
- Avec la prise de conscience, on peut faire évoluer les choses.
- Ainsi, en conduisant de manière souple et à vitesse modérée, on réduit sa consommation de carburant.
- C'est pourquoi, la mise en place des radars automatiques a eu pour conséquence, outre de sauver nombre de vies humaines, de diminuer les consommations de carburants, alors que le nombre de kilomètres parcourus augmentait.
- C'est un exemple flagrant, dans le champ du politique, de la possibilité de rendre compatible croissance de la mobilité et réduction des impacts environnementaux !
- Derrière les questions de comportements, il y a des questions de fond comme le rapport des Français à la voiture, considérée largement comme un objet bien plus qu'utilitaire.
- L'organisation de nos villes participe aussi à cette réflexion, et l'interface entre urbanisme et déplacement revêt une importance tout à fait particulière. Pour la ville de demain la première question qu'elle aura à régler c'est le déplacement, c'est le transport.
Conclusion
Ma conviction est que les transports et l'environnement ne sont pas incompatibles.
On peut concilier demande légitime de mobilité et préservation de l'environnement.
C'est une vraie démarche de développement durable, qui passe par la recherche scientifique et technique, par l'amélioration de nos modes de transport.
Nous devons réconcilier nos concitoyens avec l'idée de progrès scientifique et technique.Source http://www.equipement.gouv.fr, le 30 janvier 2006