Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France 2" le 20 mars 2006, sur l'urgence pour le gouvernement de retirer son contrat première embauche et de rechercher une issue au mouvement de mécontentement.

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Média : France 2

Texte intégral

F. Laborde - Nous allons revenir sur le contrat "première embauche", en ce lundi, qui annonce une semaine encore difficile, avec sans doute de nombreux mouvements. Vous aviez parlé de retrait, vous aviez dit qu'on pouvait même avoir une suspension jusqu'en 2007, des états généraux de la jeunesse, enfin vous avez proposé un certain nombre de pistes. Hier soir, le Premier ministre a réuni un certain nombre de ses collaborateurs, des membres du Gouvernement, et manifestement, le ton est à la fermeté absolue. Il n'est pas question ni de retirer, ni de suspendre quoi que ce soit.
R - Oui, je constate que c'est, pour l'instant, l'attitude du Premier ministre. Et je déplore ce choix. Parce que la sagesse et la responsabilité, aujourd'hui, commandent de faire quelque chose. Il y a 70 à 75 % de nos concitoyens, dans les sondages, qui disent qu'ils sont contre le contrat "première embauche" ; la quasi-totalité de la jeunesse y est hostile, les syndicats - tous les syndicats, des plus modérés jusqu'au plus radicaux - sont également contre cette mesure. Alors qu'est-ce qu'on fait ? On continue, on s'obstine ? C'est ce que nous dit le Premier ministre. On attend quoi ? D'autres mouvements, d'autres manifestations ? On parle peut-être d'une grève interprofessionnelle un jour, et puis après ce sera un deuxième jour... Il y a un moment, où quand on est en charge de l'essentiel, ce qui est le cas du président de la République et du Premier ministre, on doit essayer de trouver une issue. J'en ai proposé une qui était simple, qui était de dire : on retire le projet, pour l'instant, il n'est pas encore promulgué.
Q - Il faut le retirer ? Il ne peut pas y avoir de suspension, de moratoire, c'est le mot "retrait" qui est important ?
R - Je crois que c'est ce qui est demandé, qu'on le retire. On met le projet de côté, on fait des états généraux, c'est-à-dire une grande discussion. J'ai même dit que le PS était d'accord pour y déposer ses propres propositions. Ensuite, on regarde ce qui est le mieux, quelle est la formule qui passe le mieux. Le Premier ministre nous dit qu'il a été incompris, c'est ce qu'il révèle dans une interview ce matin ; s'il a été incompris, qu'il se fasse comprendre ! Qu'il voit aussi comment comprendre, aussi les jeunes et les organisations syndicales. A partir de là, on trouve une issue. Mais si on ne veut pas trouver d'issue, ce qui est, je pense, aujourd'hui l'état d'esprit du Premier ministre, cela veut dire que l'on va vers une épreuve, on va vers un conflit, on va vers une opposition entre les uns et les autres. Je ne la souhaite pas. Donc, il y a un moment où c'est quand même paradoxal, que ce soit nous, à gauche, qui sommes dans l'opposition, qui essayons de trouver les voies et les issues et le Premier ministre qui véritablement s'entête.
Q - Quand vous parlez d'épreuve de force, vous dites que vous craignez un dérapage. Cela peut être quoi ? Des affrontements entre jeunes, des épisodes dramatiques ? A quoi pensez-vous au juste ?
R - Déjà, est-il souhaitable que des lycéens, des étudiants, n'aillent plus aux cours, interrompent leur parcours universitaire...
Q - Certains veulent y aller, et trouvent que ce n'est pas bien de bloquer les universités.
R - Je connais généralement ces phénomènes, mais tous les étudiants veulent travailler. Les lycéens, leur mission c'est d'étudier. Les salariés français, cela les intéressent-ils de faire grève ou d'aller manifester un samedi ? Il y a quand même mieux à faire ! A partir de là, ne serait-ce que pour apaiser et pour mettre le pays au travail, parce que c'est quand même ce que nous souhaitons tous, qu'il y ait un climat de confiance, qu'il y ait aussi vis-à-vis de l'avenir une volonté de réussir. Le Premier ministre devrait comprendre qu'il n'est pas bon, pour la jeunesse, pour l'économie française, pour l'ordre public - vous avez raison d'évoquer cette question. Est-il souhaitable qu'il y ait des manifestations qui, à la fin, on le voit bien, sont captées par des casseurs, pour dégénérer ? Est-ce ce que l'on veut créer, attiser ? Je vous dans l'attitude du Premier ministre un souhait de pourrissement, de provocation, d'incidents pour dire que vous voyez, ces mouvements ne représentent pas la véritable jeunesse.
Q - A l'inverse - je me fais l'avocat du diable - est-ce qu'il n'y a pas un petit côté, aujourd'hui, qui vient de la rue, qui est "il faut au fond faire rendre gorge au Premier ministre, il faut que le pouvoir politique cède". Ce qui est un sport national, qui a touché, y compris la gauche quand L. Jospin était ministre de l'Education nationale, même chose, idem pour C. Allègre. Est-ce qu'à un moment donné, il n'y a pas le côté "il faut retirer", sans regarder s'il y a des choses intéressantes, "il faut que le Premier ministre cède"... Est-ce qu'on n'est pas dans ce rapport de force qui est un peu franco-français, acharné ?
R - Mais pourquoi en est-on arrivé là - ce n'est sans doute pas la première fois ? Parce qu'un pouvoir, en l'occurrence le Premier ministre, appuyé par le président de la République, inspiré par le président de l'UMP, décide de créer ce que l'on appelle le contrat "première embauche".
Q - Le président de l'UMP ne revendique pas du tout la création du contrat "première embauche"...
R - Alors qu'il retienne le Premier ministre, s'il n'en est pas content. Je crois qu'ils se sont vus hier soir. Donc, le Premier ministre, appuyé par le président de l'UMP, soutenu par le président de la République, décide de créer le contrat "première embauche", le licenciement sans motif et à tout moment, dans un délai de deux ans. Pas de concertation avec les syndicats, alors même qu'une loi oblige à cette consultation. On met les syndicats de côté. Il arrive au Parlement, le débat s'engage, on décide de l'interrompre avec le 49-3. Pas à un seul moment, il n'y a eu une discussion avec les représentants des jeunes...
Q - Ni députés, ni syndicats, ni représentants des jeunes...
R - Ni les jeunes. A partir de là, quelle est la solution, pour beaucoup de ceux qui ne sont pas d'accord, ils sont largement majoritaires ? C'est de manifester. Au départ, c'est de faire en sorte qu'il y ait un signe suffisamment clair pour que le Gouvernement retire ; il en faut un deuxième. Mais jusqu'à quand ? Il y a eu des mouvements, mais il y a toujours eu un moment, où une intelligence individuelle ou parfois collective, qui a fait que l'on a retiré et puis on a repris le dialogue, la concertation, et on a trouvé la solution.
Q - D'où peut venir aujourd'hui, cette volonté de discuter ? C'est l'Elysée, c'est J. Chirac, c'est N. Sarkozy en tant que président de l'UMP, qui peuvent dire "attention, on va dans le mur". Qui peut, en effet, dans le camp d'en face, prendre l'initiative ?
R - Je veux encore croire à la lucidité et à l'esprit de responsabilité. Des décisions sont préparées par les syndicats, pour engager d'autres mouvements ; les syndicats ne souhaitent pas cette dérive...
Q - Redoutez-vous une grève générale ?
R - Non, je ne pense pas que ce soit à l'ordre du jour, mais les syndicats ne souhaitent pas se lancer dans un mouvement. Ils se réunissent en disant "on a donné 48 heures au Gouvernement" ; c'était, je crois, une bonne démarche. On comprend qu'il faille réfléchir, qu'il faille trouver la bonne solution, trouver les mots... Les syndicats ont dit "nous ne décidons rien, nous attendons lundi soir". On leur répond "n'attendez rien, vous n'aurez rien !".
Q - On leur répond que c'est ultimatum insupportable et que ce n'est pas leur rôle.
R - Cela conduit sans doute - je ne suis pas à leur place - les syndicats à définir d'autres actions. Donc, je dis qu'il y a un moment où il faut que la lucidité vienne. Elle peut venir du président de la République, oui, il aurait été souhaitable que lui-même dise quelque chose aux Français. Je constate, au moment où nous parlons que le président de la République ne s'est jamais adressé aux Français sur cette question. La lucidité aurait pu venir du Premier ministre puisque lui-même est le plus concerné, il voit que cela ne passe pas. La lucidité aurait pu venir du président de l'UMP puisque c'est le principal parti, le seul qui soutient ce projet. Ensemble, pour l'instant, ils ont décidé du contraire, ils n'entendent rien, ils ne voient rien, et moi je pense que tout est à craindre. Là encore, je ne suis pas là pour obtenir un succès à un moment. Ce qui m'importe, c'est de savoir ce que les Français vont faire en 2007. Je ne suis pas là pour essayer de rendre plus difficile la situation du pays, je constate que ceux qui rendent plus dangereuse, plus instable, économiquement plus fragile la situation du pays, ce sont ceux qui gouvernent aujourd'hui.
Q - Que ce passera-t-il si le Conseil constitutionnel dit que c'est formidable et que le décret soit signé, et que les premiers contrats "première embauche" soient signés dans les dix jours qui viennent ?
R - D'abord, attendons que le Conseil constitutionnel prenne sa décision ; un recours a été porté devant lui. Peut-être peut-il trouver lui-même la solution, car s'il annulait le contrat "première embauche", finalement, le Gouvernement serait confronté à une situation nouvelle. S'il considère que ce texte est conforme à la Constitution, alors, juridiquement, il pourra s'appliquer. Pensez-vous que beaucoup d'employeurs vont prendre aujourd'hui la responsabilité ou le risque de proposer des contrats "première embauche" ? Vous pensez que ce sera facile pour un employeur ? Je vais quand même donner notre position : c'est que de toute manière, il y aura une élection en 2007, c'est-à-dire que de toute manière, ce contrat, si nous sommes en situation de l'emporter, si les Français nous font confiance, ce contrat sera supprimé, annulé, abrogé.
Q - Il n'y a pas de contrat "première embauche" sous la gauche ?
R - Non.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 21 mars 2006