Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les politiques de l'emploi et de l'énergie au niveau européen, le budget communautaire, la directive sur les services et sur l'élargissement de l'Union européenne, au Sénat le 22 mars 2006.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement, préalable au Conseil européen des 23 et 24 mars 2006, au Sénat le 22 mars 2006.

Texte intégral


Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires économiques,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Avant toute autre chose, permettez-moi de me réjouir à mon tour, Monsieur le Président, de la tenue désormais régulière de ces débats avant chaque Conseil européen. Les différentes interventions soulignent d'ailleurs l'intérêt croissant que tous portent aux enjeux européens, qui jouent un rôle de plus en plus grand dans la vie quotidienne des Françaises et des Français. Je vous en remercie.
Les questions économiques et sociales constituent l'essentiel de l'ordre du jour du Conseil européen de printemps, comme Philippe Douste-Blazy vous l'a indiqué, en soulignant l'importance de ces enjeux sur lesquels les attentes de nos concitoyens sont si fortes : la France souhaite en effet des projets et des pas concrets cette semaine à Bruxelles.
Elle entend saisir l'occasion de ce Conseil pour progresser dans la mise en oeuvre de la stratégie de croissance, d'emploi et de développement durable dont s'est dotée l'Europe - dite "stratégie de Lisbonne" que vous avez été nombreux à évoquer. C'est donc d'abord sur ce point que je souhaite vous répondre.
1. Les questions de croissance et d'emploi
On peut dire beaucoup de choses de la stratégie de Lisbonne : qu'elle est complexe, qu'elle est abstraite, qu'elle est difficile à populariser.
Sans doute.
Mais il faut surtout en dire l'essentiel : cette stratégie est la bonne et elle souffrait surtout d'être trop peu appliquée par les Etats membres, comme l'a souligné le président Haenel. Il a donc été décidé l'an dernier, au Conseil européen de mars 2005, de mieux l'appliquer, de façon plus volontariste et avec des objectifs et des calendriers précis chaque fois que cela est possible, grâce à l'élaboration par chaque Etat d'un "programme national de réformes" (PNR) détaillant les mesures qu'il prend, à titre national, dans chacun des domaines. Je considère que cette innovation est un progrès. De plus, nous sommes prêts à parler de ces programmes avec nos partenaires et à comparer nos réformes, car les enjeux sont les mêmes pour nous tous : la mondialisation, le vieillissement démographique, les progrès technologiques constants. Mais il faudra le faire de façon pragmatique, en regardant ce qui marche et ce dont chacun peut s'inspirer chez le voisin, et le faire aussi dans le meilleur esprit européen. Je souhaite en tout cas que l'élaboration des deuxièmes PNR soit l'occasion de nouveaux progrès dans la méthode et dans le contenu, comme vous l'avez à juste titre souhaité.
Sans attendre, je veux vous donner quelques informations complémentaires sur le projet de conclusions de la présidence : il évoque ainsi la thématique de l'emploi avec quelques objectifs généraux : créer 2 millions d'emplois chaque année au niveau européen d'ici 2010, permettre à tout jeune d'entrer rapidement sur le marché du travail, adopter un pacte européen pour l'égalité des sexes. Le projet prévoit également la mise en place du fonds d'ajustement à la mondialisation dont le principe avait été arrêté par le Conseil européen en décembre dernier, qui pourra mobiliser 500 millions d'euros, et qui doit permettre d'aider à faire face aux chocs tels que les délocalisations vers les pays tiers. Il évoque également la recherche et l'innovation conformément aux souhaits que vous avez exprimés comme nous. Il le fait avec la création d'une facilité financière de 10 milliards d'euros gérée par la Banque européenne d'investissement, création dont la France souhaite qu'elle ait lieu le plus rapidement possible. Il le fait aussi avec la mise en place du futur Institut européen de Technologie qui devrait être d'abord une mise en réseau. Si j'ai bien compris votre inquiétude, Monsieur le Sénateur Sutour, sachez que le président de la République et le gouvernement sont profondément attachés à Strasbourg, capitale européenne et ville siège du Parlement européen. Non seulement rien ne sera fait qui irait dans un autre sens mais tout est fait pour consolider cette situation. Cela a encore été le cas la semaine dernière à l'occasion du Conseil des ministres franco-allemand. Il n'y a donc aucun rapport entre le siège du Parlement européen et l'Institut européen de Technologie. L'accent est enfin mis sur les PME, dont on sait qu'elles sont très créatrices d'emplois, avec l'objectif de réduire à une semaine le temps nécessaire pour créer une PME.
Monsieur le Sénateur Emorine, vous m'avez interrogée sur les pôles de compétitivité. En mettant en place ces pôles de compétitivité, la France a lancé une initiative majeure en matière d'innovation, mise en valeur dans notre programme national de réforme. Ce dispositif, salué par la Commission européenne dans son rapport sur la stratégie de Lisbonne, est aujourd'hui une référence en Europe, qui intéresse de plus en plus nos partenaires européens, et en particulier nos partenaires allemands.
Il est évident que l'emploi ne se décrète pas et que le chiffrage ne suffit pas, bien sûr, mais l'expérience prouve que le fait de se fixer des objectifs chiffrés est utile pour guider l'action des Etats, pour les encourager, et parfois les inciter à agir.
Sur toutes ces questions, la France entend tirer le meilleur parti d'une politique européenne orientée vers la croissance et l'emploi, qui correspond à la première préoccupation des citoyens. Elle est active et bien insérée dans le marché européen, elle est un pays ouvert au commerce et à l'investissement : troisième terre d'accueil des investissements étrangers au monde, première en Europe, quatrième exportateur mondial de services, elle n'est ni protectionniste ni repliée sur elle-même. La réalité le prouve et je refuse qu'on fasse sur ce point de mauvais procès à notre pays.
2. Vous avez également été nombreux à évoquer le thème de l'énergie
Ce thème sera en effet au centre des débats lors de ce Conseil européen qui l'abordera pour la première fois d'une façon globale. Je vous rappelle que c'est à la demande de la France, en octobre 2005, que ce sujet avait été retenu dans les débats européens. L'énergie à l'ordre du jour du Conseil européen, voilà qui est à la fois nouveau, et bienvenu. Il était temps !
Depuis l'automne, le gouvernement français a entendu rester en initiative sur ce sujet en présentant à ses partenaires dès le mois de janvier un mémorandum sur l'énergie. La Commission s'en est sensiblement inspirée dans son "livre vert" paru début mars.
Qu'y aura-t-il de tout cela au Conseil européen ?
Le texte soumis au Conseil va dans le sens de ce que nous souhaitons. Il prévoit ainsi que la Commission présentera régulièrement un "examen stratégique énergétique annuel" à partir de 2007. Le texte identifie également des mesures à prendre dans un premier temps, telles que le plan d'action sur l'efficacité énergétique, un plan d'interconnexions, ou le renforcement du dialogue UE-Russie pour que cette dernière ratifie la Charte de l'Energie. Cela permettra de jeter les premières bases d'une politique européenne de l'énergie.
Toutefois, la France est prête à aller plus loin, et il faudra aller plus loin, par exemple en matière de programmation des investissements, de relations extérieures, de développement des différentes sources d'énergie sans exclure le nucléaire, en effet, Monsieur le Sénateur Emorine, ou en matière de maîtrise de la demande énergétique.
De telles propositions figurent dans notre mémorandum et le président de la République ne manquera pas d'en rappeler la teneur au cours de ce Conseil européen. D'ailleurs, les attentes sont considérables dans ce domaine : 76 % des personnes interrogées lors du dernier sondage Eurobaromètre se prononcent en faveur d'une action européenne en matière d'énergie.
Nous voulons aller de l'avant et considérons donc ce Conseil européen comme un point de départ plutôt qu'un point d'arrivée, de façon à ce que les efforts se poursuivent pour mettre progressivement en place une vraie politique européenne de l'énergie, qui est nécessaire et est possible si nous savons faire dans les années qui viennent ce que nous avons su faire dans le passé avec le charbon et l'acier : vous l'avez dit avec force, Monsieur le Président Haenel, et vous aussi dans un excellent rapport, Monsieur le Sénateur de Montesquiou.
3. J'en viens à la proposition de directive services que vous avez été plusieurs à évoquer après Philippe Douste-Blazy.
Le Parlement européen a pris en compte les préoccupations que nous avons exprimées : le principe du pays d'origine est supprimé, les services publics ainsi que les secteurs sensibles sont préservés, et surtout le dumping social est écarté : c'est le droit du travail français qui s'appliquera en France. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant la Représentation nationale, la proposition initiale de la Commission est derrière nous. Aujourd'hui, l'équilibre et la force du vote du 16 février - près de 400 voix pour et un peu plus de 200 contre - sont une réalité politique qui doit être respectée par la Commission, dont la nouvelle proposition devra tenir le plus grand compte de ce vote. Nous souhaitons que le Conseil européen le souligne. Monsieur le Sénateur Sutour, n'en doutez pas, le président de la République le dira clairement. De toute façon, le Parlement européen aura à se prononcer de nouveau sur ce texte, en co-décision, et il serait vain d'ignorer son message du 16 février dernier.
4. Enfin le budget de l'Union européenne :
Sur les perspectives financières et le futur accord inter institutionnel que vous avez notamment évoqué, Monsieur le Sénateur Bret et Monsieur le Sénateur Sutour, il est essentiel que l'équilibre de l'accord du 16 décembre 2005 soit respecté. Car avec plus de 862 milliards d'euros, cet accord permet de doter l'Europe d'un budget en augmentation de plus 50 milliards d'euros sur la période ? alors, un budget "statique" qui augmente de 50 milliards d'euros, Monsieur le Sénateur, ce n'est pas si mal ! Et ce budget est en augmentation notamment sur les programmes les plus importants : recherche-développement, réseaux transeuropéens, mais aussi Erasmus et Leonardo dont nous souhaitons voir doubler les bénéficiaires d'ici 2013 comme l'a demandé le Premier Ministre - ce qui est possible - ou encore en augmentation pour les relations extérieures et notamment l'instrument de voisinage pour les pays méditerranéens. Et je veux vous préciser, Monsieur le Sénateur, que la politique de cohésion passera de 263 milliards d'euros à 308 milliards d'euros, soit une augmentation et non une stagnation de 45 milliards d'euros sur la période 2007-2013.
Au total, pour le gouvernement, ce Conseil européen de mars représente une première étape pour engager plusieurs actions que nous jugeons essentielles pour avancer dans la voie de l'Europe des projets. Celle-ci est indispensable pour montrer concrètement à nos concitoyens ce que l'Europe leur apporte.
Il en faudra d'autres, et c'est la raison pour laquelle le président de la République et le Premier ministre ont fait des actions concrètes de l'Union la priorité de leur politique européenne. J'ai constaté que vous avez tous souligné, Messieurs les Sénateurs, l'importance de cette priorité.
Au-delà, restent bien sûr les questions qui intéressent l'avenir de l'Union européenne, à commencer par celle de l'élargissement et celle des institutions. Messieurs les Sénateurs, plusieurs d'entre vous s'en sont inquiétés. Ces questions seront abordées lors du Conseil européen de juin et ne sont pas à l'ordre du jour de celui de cette semaine. Nous aurons donc l'occasion de faire des propositions et de vous en reparler d'ici juin. Mais merci de vos propositions, Monsieur le Sénateur Fauchon et de celles qui pourraient venir d'ici juin. Je veux seulement rappeler aujourd'hui que c'est à la demande de la France que ce débat sur la stratégie de l'élargissement aura lieu en juin. Je sais que vous l'appelez de vos voeux autant que nous. Philippe Douste-Blazy vous a fait part de façon précise de nos réflexions en la matière.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
L'Europe se construit pas à pas, nous le savons ! La France est active et engagée dans l'action européenne, je veux vous le redire. Elle est déterminée à aller de l'avant, à recréer les conditions d'une action plus résolue de l'Union, car c'est notre avenir qui s'y joue. Gouvernance économique, innovation, recherche, énergie, sécurité, défense sont autant de domaines dans lesquels l'Europe doit retrouver sa capacité d'impulsion et d'action pour répondre aux attentes des citoyens. Seule la preuve par l'action lèvera les interrogations sur la construction européenne, que nous voyons se répandre dans notre pays et au-delà, et c'est ce que notre pays s'emploie à faire en assumant ses responsabilités, en prenant des initiatives et en faisant des propositions à ses partenaires.source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 mars 2006