Texte intégral
Q - Les manoeuvres de la Russie, à propos de la fourniture de gaz à l'Ukraine, ont été un signal d'alerte et ont actualisé la question de la nécessité d'une politique européenne commune en matière d'énergie. Est-ce que la France soutient la proposition de la Pologne de créer "une OTAN de l'énergie", qui assurerait les livraisons des ressources énergétiques aux pays qui en manquent pour différentes raisons ? Est-ce que l'Union européenne doit demander à la Russie de signer un pacte de l'énergie qui garantirait aux entreprises étrangères l'accès à ses réseaux de gazoducs ?
R - La question de la politique européenne de l'énergie a été un thème majeur du Conseil européen de la semaine dernière et le plus nouveau. C'est un sujet essentiel et urgent : c'est pourquoi la France avait présenté des propositions dès janvier qui ont largement été reprises depuis par la Commission européenne dans son Livre vert et par le Conseil européen de la semaine dernière. L'Europe doit s'unir davantage sur cette question capitale pour son indépendance et sa compétitivité, avec trois grands objectifs : la sécurité de ses approvisionnements, la compétitivité de ses entreprises et le respect de l'environnement. Pour assurer ses approvisionnements, l'Europe doit parler d'une seule voix et les Etats membres doivent développer une plus grande solidarité entre eux pour faire face aux menaces sur leur sécurité énergétique. La France est favorable à une stratégie européenne externe pour la sécurité énergétique, qui manque aujourd'hui, à la fois dans notre dialogue avec de grands producteurs comme la Russie et dans nos relations avec d'autres pays importants, comme ceux de l'Asie centrale, du Caucase ou de l'Afrique du Nord. Le dialogue énergétique Union européenne-Russie doit, selon moi, d'abord favoriser la signature et la ratification du Traité sur la Charte européenne de l'énergie et de son protocole sur le transit. C'est dans le sens de la coopération que nous devons développer nos relations énergétiques avec la Russie.
Q - La directive sur les services est l'une des questions d'actualité à l'ordre du jour de l'Union européenne. La restriction du marché des services ne discrimine-t-elle pas les nouveaux Etats membres de l'Union européenne ?
R - Pas du tout. Voilà bien un sujet qui a fait dans le passé des polémiques inutiles ! J'espère que c'est terminé. La France est favorable à une législation européenne en matière de libre circulation des services car ses services sont de grande qualité, elle en produit et en exporte beaucoup, elle est même le 3ème exportateur de services en Europe. Cependant, la proposition initiale de la Commission n'était pas bonne.
Depuis, un gros travail de fond a été fait, notamment par le Parlement européen qui a adopté, le 16 février dernier, un texte très différent avec l'accord de ses deux principales forces politiques. Ce texte est un texte d'équilibre que le Conseil européen a salué à l'unanimité. La Commission devra élaborer une nouvelle proposition sur la base de ce vote. Si c'est le cas, nous pourrions avoir un accord. Sinon, nous repartirions pour des mois, peut-être des années de discussions. Il est temps d'être réalistes et pragmatiques.
Q - Contrairement à l'Espagne, à la Finlande et au Portugal qui envisagent de lever complètement les restrictions à la libre circulation de la main-d'oeuvre des nouveaux Etats membres de l'Union européenne, la France n'a décidé de le faire que partiellement ? Pourquoi ? N'est-ce pas céder au mythe du "plombier polonais" ?
R - Nous connaissons l'importance que votre pays attache à la libre circulation des travailleurs qui est l'un des principes fondateurs du marché commun. Nous le comprenons pleinement et c'est pourquoi nous avons pris la décision d'ouvrir progressivement notre marché. Certains partenaires ont décidé d'ouvrir complètement leur marché du travail, d'autres de maintenir entièrement les restrictions en vigueur. D'ici au 1er mai 2006, le gouvernement français va donc consulter les partenaires sociaux et identifier les professions concernées par cette ouverture. C'est un geste important. J'ai toujours été favorable à une ouverture progressive et maîtrisée. Nous souhaitons que cela s'accompagne dans le même temps d'un renforcement de la lutte commune contre le travail illégal. Tout cela renforcera nos liens en permettant plus d'échanges entre nous. Et bien entendu l'objectif est à terme l'application pleine et entière de la libre circulation des personnes.
Q - La fusion des entreprises françaises "Suez" et "Gaz de France" ayant pour but d'éviter la reprise de l'entreprise énergétique importante française par la société italienne "Enel", a provoqué de vives critiques. De quelle façon ce protectionnisme peut-il être lié aux principes du marché commun de l'Union européenne ?
R - Mais personne ne pratique le protectionnisme ni ne le souhaite ! Le rapprochement entre les groupes Suez et Gaz de France est un projet proposé par les deux entreprises concernées, qui étaient en discussion depuis plusieurs mois pour examiner les conditions dans lesquelles elles pourraient tirer profit de leur grande complémentarité. Cette opération est dans une logique industrielle, économique et européenne totale. C'est une bonne nouvelle pour l'Europe de l'énergie, qui doit s'appuyer sur des groupes solides. Par ailleurs, je dois vous dire que la France n'est pas repliée sur elle-même : au contraire, elle est ouverte au monde et au commerce, sinon elle ne serait pas l'une des premières terres d'accueil pour les investissements directs étrangers au monde comme elle l'est aujourd'hui ! Ne nous faisons pas de faux procès entre Européens en tout cas.
Q - L'année dernière, le Festival "Etonnante Lettonie" a eu lieu en France. Comment évaluez-vous cet événement et quels sont vos espoirs en ce qui concerne le festival "Printemps français", prévu l'année prochaine ici en Lettonie?
R - Je suis très heureuse que le Festival "Etonnante Lettonie" ait rencontré un tel succès, non seulement à Paris, mais aussi dans de grandes villes de province comme Strasbourg et Lyon. La visite officielle de votre présidente, estimée de tous les Français, a permis de donner à cet événement un grand retentissement et le public français a été enchanté par la qualité remarquable des spectacles qui lui ont été proposés. Nous sommes très honorés d'être à notre tour invités à venir présenter notre culture à vos citoyens à l'occasion d'un "Printemps français" qui doit avoir lieu de mars à juin 2007 et je me réjouis de pouvoir signer aujourd'hui une déclaration d'intention à ce sujet avec votre ministre des Affaires étrangères, M. Artis Patriks et votre ministre de la Culture, Mme Helena Donnakova. Cette opération est confiée à l'Association française d'action artistique, qui la montera en étroite collaboration avec la Direction des concerts de Lettonie. Le Festival offrira un large éventail de programmes allant de la musique classique jusqu'à la danse contemporaine en passant par les arts visuels. Et sans oublier bien sûr l'art culinaire, grande tradition française ! Ces grands rendez-vous culturels constituent une façon privilégiée de découvrir le génie artistique propre à chacun de nos pays et de renforcer ainsi notre connaissance mutuelle.
Q - La France est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Actuellement, on parle beaucoup dans les couloirs d'éventuels candidats au poste de Secrétaire général de l'ONU. Est-ce que la France estime que, pour respecter le principe de rotation, le prochain secrétaire général de l'ONU doit être un représentant de l'Asie ? Quelle position aurait la France sur un candidat de l'Europe de l'Est et comment évalue-t-elle la candidature de la présidente de Lettonie dans ce contexte ?
R - Il faut savoir qu'il n'existe aucune règle formelle consacrant un principe de rotation géographique pour le poste de Secrétaire général des Nations unies même si, dans les faits, une certaine alternance géographique peut être observée. La France tient à ce que le choix du futur Secrétaire général se fasse, en premier lieu, sur des critères tenant aux qualités individuelles de chaque candidat. Nous avons encore un peu de temps devant nous et il faut que l'année 2006 soit une année utile, car l'ONU est appelée à faire face à des défis importants, à commencer par la mise en oeuvre de sa propre réforme. Le moment venu, je peux vous dire que la France abordera la question de la désignation du prochain Secrétaire général en gardant à l'esprit que le bon exercice d'une fonction aussi éminente requiert de grandes compétences mais aussi un réel sens de l'autorité.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 2006