Texte intégral
Comme l'a dit M. François Sénémaud, je suis ici pour évoquer, dans le cadre d'une politique de coopération que nous sommes en train de rénover profondément, d'évoquer un thème qui est d'actualité et qui concerne la question du lien entre migrations et développement.
J'ai pris l'habitude de réunir des séminaires de réflexions, je vous en dirai un mot dans un instant et j'irai tout à l'heure m'exprimer devant ce séminaire qui terminera ses travaux en fin d'après-midi sur ce thème des migrations et du développement.
Ce lien entre migrations et développement, vous le savez, est au coeur de l'actualité en ce moment d'une façon double. D'abord, au plan national, hier au Conseil des ministres, un projet de loi a été présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, sur l'immigration et l'intégration. Dans ce texte, le gouvernement français fait le choix de nouveaux instruments juridiques, destinés à mieux réguler l'immigration et à promouvoir une immigration choisie et une intégration réussie.
Le deuxième élément d'actualité, est un agenda international très chargé sur ce point qui culminera en septembre prochain à New York, lors d'un dialogue de haut niveau organisé par les Nations unies sur ces questions d'immigration. Nous aurons auparavant, une réunion très importante à Rabat les 10 et 11 juillet prochain, une conférence consacrée aux migrations entre l'Europe et l'Afrique dans une perspective de co-développement, c'est-à-dire, poursuivre un partenariat entre pays d'origines, pays de transits et pays de destinations. Nous y évoquerons aussi bien les conditions de sécurité et celles du co-développement.
Toute cette actualité suscite évidemment un débat dans notre pays et c'est tout à fait normal. L'immigration choisie, voulue par le gouvernement peut susciter des interrogations et parfois des commentaires de certains qui peuvent s'interroger sur le caractère moralement acceptable de cette immigration choisie et s'inquiéter de ce que l'on appelle la fuite des cerveaux. Tout le monde a évidemment en tête le continent africain à ce sujet.
J'ajouterai que ce thème - migrations et développement - est, bien évidemment, indissociable de la politique de développement en général. On peut, je crois s'en féliciter, de puis quelques années et surtout quelques mois, on se rend bien compte que lorsque l'on évoque les problèmes d'immigration notamment d'immigration clandestine, chacun commence enfin à prendre conscience que l'on ne peut réussir dans la maîtrise d'immigration et notamment d'immigration clandestine qu'en associant à une politique de contrôles des frontières, une politique de développement.
La France plaide depuis longtemps pour que le développement du Sud soit davantage pris en compte par la communauté internationale et je crois que nous pouvons avoir la satisfaction d'avoir constaté, notamment au cours de l'année dernière, combien ce thème avait été au coeur de l'agenda international, qu'il s'agisse du G8, qu'il s'agisse du Sommet sur les Objectifs du Millénaire à New York en septembre dernier.
Je voudrais donc essayer de répondre à toutes ces questions d'immigration choisie, de risque de fuite des cerveaux, dans les fonctions qui sont les miennes, car je crois que nous avons les moyens de faire en sorte que cette immigration choisie soit mutuellement profitable à tous. Il est clair que nous devons chercher, à la fois des complémentarités et des retombées équitables je dirai, de ces mouvements migratoires. Les migrations sont un phénomène de l'histoire, il n'est pas question de les supprimer, cela n'aurait aucun sens, mais je crois que nous pouvons répondre aux inquiétudes en essayant d'explorer une piste nouvelle : le co-développement.
Ce co-développement au départ, est une idée française qui, petit à petit intéresse de plus en plus de pays, notamment nos partenaires européens.
Nous considérons que toute politique d'immigration en France doit avoir cette composante du co-développement. C'est une préoccupation vraiment forte du gouvernement. Il n'y a pas eu de projet de loi sur le co-développement tout simplement parce que nous n'avions fort heureusement, pas besoin de dispositif législatif pour mettre en oeuvre ce co-développement que nous essayons de promouvoir depuis quelques temps et sur lequel nous avons commencé à mener des expériences particulièrement positives.
Que recouvre cette notion de co-développement ? Au départ, c'est l'idée très simple qui consiste à faire participer les immigrés qui sont installés en France au développement de leur pays d'origine. Il faut savoir que cette idée suscite assez d'engouement de la part des associations de migrants qui vivent dans notre pays et qui voient une façon de garder un lien étroit avec leur Terre natale.
En d'autres termes, ce que nous voulons faire avec le co-développement, c'est essayer de mobiliser la diaspora de ces pays au profit des pays dont ils sont issus et de faire en sorte qu'il n'y ait évidemment pas de perte définitive pour les pays d'origine, qu'il y ait une forme d'association et de retour.
Quelles sont les principales composantes de cette politique de co-développement ? :
Le premier intérêt, c'est bien sûr de prendre en compte l'ensemble du phénomène migratoire, c'est-à-dire dans toute sa diversité et dans sa dimension, qu'il s'agisse de l'immigration clandestine ou de l'immigration légale, qu'il s'agisse de l'immigration de populations qui fuient poussées par la misère et on a tous en tête les images de Chuta ou des Canaries mais c'est aussi l'immigration de personnes qualifiées, voire très qualifiées.
Le co-développement s'adresse à l'ensemble du phénomène migratoire. Il apporte, selon les personnes concernées, des réponses adaptées et différenciées. Je prends le cas de migrants qui arrivent ici, poussés par la misère et qui n'ont pas de formation et qui espèrent une perspective meilleure en arrivant dans notre pays.
Jusqu'à maintenant, nous pratiquions essentiellement, notamment lorsqu'il s'agit d'immigration clandestine, un dispositif d'aide au retour ; mais on se rend compte que, dans la plupart des cas, cette simple aide au retour ne remplit pas tout à fait l'objectif puisque très, souvent, cette aide au retour est réutilisée pour revenir. Le plus du co-développement consiste à compléter ce dispositif en apportant un véritable appui à la réinsertion dans les pays d'origine, c'est-à-dire, accompagner un migrant, en essayant de le former, à un métier et deuxièmement à l'aider dans un projet de retour dans son pays.
Vous savez, ce qui est frappant pour cette catégorie de migrants, c'est qu'ils viennent ici avec l'espoir de réussir. Et lorsqu'ils arrivent ici, c'est souvent la déception mais c'est surtout la volonté de ne pas rentrer en étant dans une situation d'échec, je dirais même d'humiliation.
Ce qui est important, c'est de voir comment les accompagner dans la dignité, en les aidant à concevoir un petit projet. Cela peut être, aider à l'achat d'un taxi, aider à la formation d'un petit atelier d'ébénisterie ou de menuiserie, après avoir eu le minimum de formation. Si bien que le migrant repart avec un pécule qui l'aide à monter son projet - il a reçu toute l'aide nécessaire pour être accompagné dans ce projet -, et pendant la phase de démarrage , durant un an, il continue d'être accompagné.
Nous avons mené des expériences de cette nature, dans plusieurs pays notamment au Mali, au Sénégal, un chiffre qui montre bien que ce système peut fonctionner de façon efficace, nous avons accompagné 350 migrants au Mali, dans des petits projets, comme un petit commerce, un petit projet d'agriculture maraîchère, un taxi que l'on aide à acheter et sur 350 personnes accompagnées, nous nous sommes rendu compte que, sur place avait été créés 700 nouveaux emplois. Ce qui veut dire qu'un micro-projet, une toute petite entreprise qui se crée autour des migrants, peut créer deux à trois emplois sur place par projet et au total, on parvient à recréer de l'emploi dans le pays d'origine.
Mais il y a aussi, évidemment, toute la population migratoire qui peut être une population très qualifiée, des cadres, des ingénieurs, des médecins, des migrants qui viennent se former en France et qui décident de s'y installer et qui y font carrière.
Là, c'est un autre aspect du co-développement : comment faire en sorte que cette diaspora qualifiée, souvent très qualifiée, puisse contribuer au développement de son pays d'origine.
Sur cet aspect des choses, on se rend compte qu'il y a souvent, là aussi un intérêt, mais j'insiste sur le fait que l'action de co-développement dans ce cas de figure ne peut être fondée que sur le volontariat et l'incitation. Il ne doit pas y avoir pour eux l'obligation de retourner dans leur pays d'origine pour y exercer la médecine, le métier d'ingénieur ou le métier de cadre dès lors qu'ils sont installés en France.
Qu'essaie-t-on de faire ? Nous tentons de les accompagner de plusieurs façons. Tout d'abord, il faut avoir en tête que nous tentons actuellement de faire évoluer notre coopération technique vers non plus une coopération de substitution, consistant à envoyer des assistants techniques dans un pays africain pendant 2, 3 ou 4 ans. L'idée que nous avons en matière de co-développement est de se dire que cette diaspora étrangère qualifiée doit en priorité venir contribuer à cette assistance technique lui proposant ce type de missions temporaires de quelques semaines ou de quelques mois, qui serait une contribution au développement du pays d'origine. Ce qui ne remet évidemment pas en cause son installation dans notre pays. C'est une première piste. Nous avons des projets avec certains pays d'Afrique francophone qui fonctionnent bien. Et puis, il y faut aussi associer cette diaspora qualifiée d'une autre façon en utilisant toutes les nouvelles technologies : enseignement à distance par exemple, et donc, à contribuer, en matières d'éducation, de formation du pays d'origine grâce au télé-enseignement, la télé-médecine, en utilisant toutes ces nouvelles technologies.
Si j'insistais, il y a un instant sur l'aspect incitation et volontariat, c'est parce que je crois profondément qu'il faut faire très attention lorsque l'on essaie de mettre des contraintes, et je pense notamment aux étudiants étrangers que nous accueillons en France. Si nous voulons, faire venir en France pour se former, les meilleurs, il faut, je crois, ne pas avoir de système contraignant à cet égard. Si nous commençons à dire : "venez vous former en France mais nous vous obligerons ensuite à retourner dans votre pays dans telles et telles conditions", c'est clair que cela risque d'être dissuasif et, au lieu de venir se former dans nos universités en France, ils iront se former aux Etats-Unis ou au Canada.
Il faut donc mettre en place un système incitatif aller-retour dès la qualification acquise.
C'est pour le premier aspect de ce co-développement, comment essayer de répondre du mieux possible à cette immigration, qu'elle soit légale ou clandestine et qu'elle soit qualifiée ou non.
Le deuxième volet dans le co-développement consiste à essayer de valoriser l'épargne des migrants installés en France. Nous en avons parlé lors de la dernière Conférence de Paris sur les financements innovants du développement. Actuellement, comme vous le savez, nous tentons de rechercher de nouvelles sources de financement pour le développement. Tous les experts s'accordent à dire que, pour sortir le monde en développement de la très grande pauvreté dans laquelle il se trouve, nous avons besoin, chaque année, de 50 milliards de dollars supplémentaires, dont 25 milliards de dollars pour l'Afrique. Or, si nous voulons agir le plus rapidement possible, il faut trouver des financements innovants par rapport à l'aide publique au développement classique qui est fondé sur des aides budgétaires. On connaît les aléas des aides budgétaires et des problèmes dans les pays du Nord, liés au problème budgétaire, nous considérons qu'il faut trouver des financements additionnels pour sortir, notamment l'Afrique de la pauvreté. Dans les différents financements innovants dont nous avons discuté lors de la Conférence de Paris, il n'y a pas eu que la contribution sur les billets d'avion, nous avons évoqué aussi cette épargne des migrants qui est évaluée à 150 milliards de dollars de transfert que reçoivent chaque année les pays du Sud en provenance de leurs expatriés. 150 milliards de dollars, il faut quand même savoir que c'est le double de toute l'aide publique au développement.
Or, sur ces sommes très importantes, on se rend compte que, seulement 10 % environ de ces sommes sont utilisées à des investissements productifs sur place. Par le co-développement, qu'essayons-nous de faire ? Nous tentons d'améliorer l'efficacité de ces transferts, de les augmenter bien sûr mais surtout, de faire en sorte qu'ils puissent déboucher sur des financements supplémentaires en matière de micro-crédits.
Le micro-crédit, la micro-finance sont des systèmes qui fonctionnent bien dans les pays en développement, ce sont des pistes de réflexion que nous avons actuellement, nous essayons d'améliorer l'utilisation de ces transferts importants, de les canaliser vers l'investissement productif en augmentant les capacités des caisses de micro-crédit pour qu'elles consentent des prêts supplémentaires pour financer la création d'activités économiques dans les pays du Sud.
Nous avons, là aussi, des exemples qui commencent à bien marcher, notamment au Maroc avec des investissements dans le domaine du tourisme par exemple, avec la création de gîtes ruraux.
Nous avons des Marocains installés en France qui investissent une partie des transferts dans ce type de projet, cela crée de l'emploi sur place, cela permet à certains Marocains de France de rentrer et de gérer ces gîtes ruraux, à d'autres de rester et nous avons ainsi, une coopération entre ceux qui restent en France, ceux qui rentrent pour gérer ces gîtes et les emplois supplémentaires qui sont créés sur place dans le cadre de ce projet.
Vous voyez donc que, à partir de ces exemples, lorsque l'on parle d'immigration choisie, si on veut que cela marche, il faut que, du côté du pays de départ, il y ait une politique mise en place d'émigration choisie. Nous nous trouvons là au coeur d'un partenariat Nord-Sud et, je considère que, dans les nouveaux instruments de coopérations que nous avons avec chacun des pays bénéficiaires de notre aide, qui s'appelle le document-cadre de partenariat, je considère que cet élément doit faire partie de notre partenariat en général, car si nous avons une discussion avec le pays bénéficiaire de notre aide sur ces questions d'immigration et d'émigration, si nous parvenons à jouer sur des complémentarités et à faire en sorte que nous ayons un système qui soit mutuellement profitable, je crois que nous aurons réussi ; En tout cas, c'est le coeur de ce que nous appelons le co-développement et qui consiste vraiment à établir un lieu, une passerelle entre les politiques d'immigration et les politiques de développements.
Voilà ce que je voulais vous dire sur cette idée, à l'origine française et qui commence vraiment à se diffuser un peu partout. Je crois que l'on vous a distribué le discours que j'avais prononcé il y a quelques jours à Bruxelles dans le cadre d'un colloque organisé par nos amis belges sur ce thème de l'immigration et du développement. Comme cela vous a été dit, j'ai réuni depuis hier, un séminaire de réflexion sur ce thème, séminaire auquel participent des décideurs, des chercheurs qui sont, à la fois Français et Européens, qui sont qualifiés sur ces questions. Je crois que si nous voulons moderniser notre coopération, il faut aussi essayer de travailler en réseau. C'est ce que nous essayons de faire dans le cadre de ces séminaires de réflexions pour éviter un cloisonnement trop fort, et vous savez que c'est l'un des défauts de l'administration française de travailler un peu trop en vase clos, et, dans un souci d'efficacité, la nécessité de faire circuler les idées et de trouver des pistes nouvelles avec des mesures innovantes.
Je suis personnellement favorable à ce travail en réseau qui associe nos partenaires européens. Ce séminaire est organisé par l'une des Directions de mon ministère et en partenariat avec l'Institut du Développement durable et des Relations internationales. Nos partenaires britanniques ont l'habitude de faire ce type d'exercice, c'est une exercice qui se fait en cercle restreint, puisqu'il y a à peu près un trentaine de participants et je crois que, si nous voulons garder un caractère opérationnel et efficace à ce type de séminaire de réflexion, il faut qu'il reste limiter à une trentaine de personnes. Je vous précise également qu'il est coprésidé, pas seulement par couronne mais aussi par Mme N'diaï qui est directrice générale adjointe de l'organisation internationale pour les Migrations et nous avons dans ce séminaire, la Présidence autrichienne de l'Union européenne, la Commission et nos partenaires Allemands, Britannique, Belges, Suédois, Espagnols, la Banque européenne d'investissements et des chercheurs et des représentants des centres de recherches de ces différents pays.
J'espère qu'ils vont m'alimenter d'idées nouvelles, à partir des éléments que je vous ai indiqué, en tout cas, nous sommes dans ce souci permanent d'associer, toute politique d'immigration à notre politique de développement.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 avril 2006