Interview de M. Jacques Freidel, président de la CGPME, à RMC le 25 janvier 2001 sur la grève des salariés en opposition au recul de l'âge de la retraite, sur le plan de réforme des retraites du Medef et les cotisations versées à l'ASF(Association pour la structure financière).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle C'est une grande journée syndicale aujourd'hui. Un mot sur votre syndicat : vous regroupez combien d'entreprises ?
- "Nous regroupons 1,6 million d'entreprises sur les 2,3 millions que l'on compte en France."
Et pour être une PME c'est combien de salariés ?
- "C'est entre 0 et 500 salariés."
En tout, votre syndicat regroupe combien de salariés qui travaillent dans les PME ?
- "Sur les 14 millions de salariés que compte le secteur privé, nous représentons 13 millions de salariés, c'est-à-dire à peu près 89 % du total des salariés du privé."
Toute la journée et pour la première fois depuis des années, tous les syndicats de salariés ensemble - CGT, FO, CFDT, CFTC et CGC, les cadres - manifestent et sont en grève pour défendre la retraite à 60 ans. Ils manifestent contre le Medef, le patronat. Est-ce que dans cette affaire vous êtes solidaire du Medef ?
- "Sur le fond, nous sommes solidaires et pas seulement avec le syndicat que vous venez de citer. J'ai l'impression que de nombreux syndicats salariés sont parfaitement au fait de la réalité des choses et tout le monde est d'accord pour négocier sur le fond. En revanche, sur la forme on est moins d'accord."
Aujourd'hui, il y a des manifestants dans la rue, dans les usines ou dans les entreprises et, en face, il y a le Medef. De quel côté vous êtes aujourd'hui ?
- "On est du côté de ceux qui veulent se mettre autour de la table. Nous avons été les premiers à le dire à la CGPME. Nous voulons négocier avec les syndicats de salariés sur ce problème de l'âge de la retraite."
Vous n'êtes ni du côté des manifestants ni du côté du Medef ?
- "Face à cette journée que vous évoquez, celle d'aujourd'hui, j'éprouve trois sentiments : un premier sentiment d'incompréhension entre les partenaires sociaux, un sentiment de refus de voir les réalités telles qu'elles sont et un troisième sentiment de manque de communication entre les uns et les autres. D'où la journée que nous allons connaître aujourd'hui."
Sur la forme - parce que la forme est importante dans ces affaires - le patronat pour caricaturer a dit : "d'accord pour négocier mais à condition que vous acceptiez nos positions." Est-ce que vous condamnez la manière dont le Medef a présenté la négociation?
- "Qu'est-ce que cela veut-il dire négocier en imposant des conditions qui seraient indiscutables ? Ce n'est pas de la négociation. Or, je suis convaincu que par la négociation, par le dialogue, on peut arriver à des résultats car il faut voir la réalité comme elle est, et tout le monde en est conscient : il y a un problème à terme des cotisations. Or, quel est l'objectif de la CGPME ? C'est de pouvoir maintenir le niveau de retraites, garantir le pouvoir d'achat de l'actif aujourd'hui qui va reprendre sa retraite demain sans augmenter les cotisations pour préserver la compétitivité des entreprises."
Cela fait des années que votre organisation négocie avec le Medef. Le Gouvernement dit souvent qu'en ce moment le Medef est divisé, que tous les patrons ne sont pas d'accord avec la position officielle du Medef. Est-ce que c'est votre avis ?
- "Tout à fait. Nous avons été les premiers à dire : il faut négocier. On ne peut pas refuser l'ASF et il faut se mettre autour de la table. La position de l'organisation patronale que vous évoquez n'a pas du tout été celle-ci. Or, j'observe aujourd'hui que des Medef territoriaux nous rejoignent en quelque sorte puisqu'ils souhaitent que le système de l'ASF perdure et ils souhaitent, comme nous l'avons dit, se réunir autour de la table."
Comment se fait-il que vous ne soyez pas plus entendus quand vous dites quelque chose par le Medef ?
- "Je ne sais pas. Nous sommes très pragmatiques. Nous annonçons ce que nous pensons. Nous le disons aux syndicats de salariés et nous sommes entendus par eux. Je peux vous le dire et vous le confirmer."
Sur le fond : est-ce que vous êtes d'accord sur le fait que la retraite à 60 ans, c'est fini comme le dit le Medef, c'est-à-dire qu'il faudra revoir l'âge de la retraite et la durée de cotisations pour que les retraites soient payées ?
- "Tout à fait. Mais de très nombreuses personnes et de très nombreux syndicats sont d'accord là-dessus."
Pas les syndicats de salariés en tout cas ?
- "Certains. Mais attention et c'est pour ça que nous réagissons aujourd'hui, en disant qu'il faut lutter contre l'immobilisme des pouvoirs publics d'une part et contre la frilosité de certains syndicats salariés. Pourquoi ? Parce que la réalité des choses montre qu'on ne peut pas garder le système tel qu'il est aujourd'hui indéfiniment. C'est pour des raisons démographiques que tout le monde connaît qu'il faut se mettre autour de la table pour voir comment on peut garantir le pouvoir d'achat des futurs retraités."
Mais est-ce qu'il faut faire cela dans la précipitation ?
- "Non, justement, au contraire. Il n'y a pas une épée de Damoclès sur notre tête. Nous avons le temps de discuter, mais discutons dans le calme. Il ne faut non plus attendre les calendes grecques pour commencer à discuter. C'est maintenant qu'il faut commencer."
Mais dans les rues ce matin ou dans les entreprises, les salariés disent tous ensemble : "on ne touche pas à la retraite à 60 ans."
- "C'est là que je dis qu'il y a une mauvaise compréhension entre les uns et les autres. Il y a aussi un amalgame qui est en train de se faire aujourd'hui, puisque le mouvement était parti de syndicats de salariés du privé et les syndicats de fonctionnaires en profitent pour "faire monter la mayonnaise" parce que eux veulent rester sur les avantages acquis à savoir la retraite même pas à 60 ans, c'est même avant chez eux puisqu'ils ne cotisent que 37 ans et demi. Dans le privé c'est 40 ans. Les discussions vont porter sur le prolongement de la durée des cotisations. Il y a un anachronisme terrible qui s'amplifie : d'un côté quatre millions et demi de fonctionnaires qui vont partir à la retraite bien avant ceux du privé et le privé où il est question qu'on les fasse partir encore après. Anachronisme typiquement français je vous signale."
Juste un mot - c'est très important pour tous les gens qui vont prendre leur retraite entre 60 et 65 ans à partir du 1er avril - est-ce que leur retraite est menacée ? Est-ce que vous donnez aux entreprises l'instruction de ne plus verser les cotisations ?
- "On a été les premiers - mais c'est encore le pragmatisme et le bon sens de la CGPME car nous connaissons parfaitement les petites et moyennes entreprises ; j'en ai moi -même une donc je sais ce qu'il en est - à dire aux entreprises : "continuez à précompter les cotisations ASF." Nous l'avons dit et redit : "il faut précompter les cotisations ASF quelle qu'ait été la décision prise par le président de l'Unedic" qui, lui, a dit : "nous on ne prélèvera pas les cotisations." Nous avons dit et écrit à nos dirigeants de PME : "précomptez les cotisations ASF et si l'Unedic refuse de les prélever, eh bien vous les versez dans un compte courant bloqué.""
Donc, à partir du 1er avril : pas de changement pour les retraités entre 60 et 65 ans ?
"Il y a deux choses : au niveau des entreprises, pas de changement, elles vont donc précompter ; en ce qui concerne les retraités - et c'est la raison pour laquelle j'insiste sur un retour de tout le monde autour de la table des négociations - il ne faut pas que le couperet tombe au 1er avril puisqu'il faut savoir que l'ASF a des montants qui permettent de payer les retraites complémentaires jusqu'au 30 mars. Si rien n'est entrepris avant le 1er avril, eh bien il y a un abattement de 22 % pour ceux qui ont pris leur retraite et qui sont âgés de 60 ans."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 25 janvier 2001)