Déclaration de M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, sur les stratégies à mettre en oeuvre pour renforcer la compétitivité des territoires face à la mondialisation, Rabat, le 4 avril 2006.

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Circonstance : Première édition des Entretiens internationaux du développement et de l'aménagement du territoire (EIDAT), à Rabat (Maroc) du 4 au 5 avril 2006

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Nos deux pays, entretiennent des relations exceptionnelles, fondées sur une réelle amitié, une fraternité même aux yeux des observateurs des relations internationales, qui voient dans le Royaume du Maroc un allié, voire un parent de la nation française, du fait d'une relation d'ordre familial, fraternel, éprouvée à travers l'histoire et les combats partagés.
C'est une vision à laquelle je souscris.
Au-delà des vicissitudes de l'histoire, des remous politiques, un lien fort, étroit, nous conduit régulièrement à renforcer nos relations, et l'on peut dire que notre histoire commune est celle d'une coopération réussie.
Bien avant le processus de Barcelone qui a pour ambition de dessiner cette zone euro-méditerranéenne, existait cette longue histoire qui unit nos deux nations.
Aussi loin que remontent nos mémoires, nous n'avons jamais vécu l'un sans l'autre. Alors, je serais tout d'abord tenté de vous dire : puisque la mondialisation nous invite à sa table, autant nous y rendre en famille.
I - Le défi de la mondialisation
La mondialisation, thème central de nos entretiens, inquiète. Elle s'accélère. les échanges mondiaux sont passés de 20 % à 30 % de la production mondiale en une décennie.
La mondialisation met cruellement en relief le décalage entre des bénéfices globaux à long terme et des impacts négatifs locaux à court terme.
Depuis les premiers démantèlements des barrières douanières il y a près de 60 ans, les échanges ont été quasiment multipliés par vingt et la production mondiale par dix.
Mais à court terme, pour nos compatriotes français et pour les habitants de nombreux pays, mondialisation rime avec délocalisations, mondialisation veut dire : fermetures d'entreprises, chômage, détresse sociale.
Faut-il dès lors se résoudre à constater, comme l'écrivait récemment un économiste que "la pointe avancée de l'industrie contemporaine est devenue un gigantesque lego planétaire, aux briques maniées par les firmes géantes ?". Evidemment non, et je suis convaincu que dans ce domaine comme dans bien d'autres, l'action politique peut infléchir le cours des choses et permettre à nos territoires, à tous nos territoires de retourner la mondialisation à leur avantage.
II - Comment infléchir le cours des choses ?
Je n'entends pas ici "donner des leçons" d'aménagement du territoire... Je suis de ceux qui ne confondent pas indépendance d'esprit et arrogance intellectuelle. Mais je voudrais simplement évoquer la manière dont le ministre d'Etat, Nicolas SARKOZY et moi-même concevons les choses, de manière pragmatique, en partant de la situation actuelle de nos territoires.
1) Quel est le paysage des territoires français aujourd'hui ?
Il est devenu à la fois plus homogène au niveau des grands territoires et plus inégalitaire à l'échelle locale.
Partout, au Nord comme au Sud, les métropoles régionales sont sur des trajectoires de croissance et jouent un rôle moteur pour attirer les populations jeunes, développer des activités innovantes et des emplois qualifiés. La France est plus homogène que la plupart de ses voisins européens.
Il faut toutefois tempérer ce satisfecit en rappelant qu'à l'échelle européenne justement le bilan est plus mitigé. Nous avons un handicap préoccupant en matière d'innovation avec quatre régions seulement figurant dans les 125 situées au-dessus de la moyenne européenne, l'Ile-de-France n'arrivant qu'à la 9ème place. D'où la nécessité vitale de réussir notre politique des pôles de compétitivité. J'y reviendrai.
Mais les inégalités qui diminuent entre les régions s'accroissent au contraire à l'échelle locale. Le problème ne réside plus tant dans la fracture entre territoires urbains et territoires ruraux. Ces derniers, à quelques exceptions près dans le Nord-Est ont connu ces dernières années une croissance démographique deux fois supérieure à celle des villes. Mais nous devons faire face à deux problèmes : l'exclusion urbaine et les crises localisées dans de petits bassins d'emplois, lorsqu'ils sont trop dépendants d'une grande entreprise ou d'un seul secteur d'activité.
Ce rapide panorama nous indique clairement que nous devons renforcer la compétitivité de nos territoires.
2) Comment renforcer la compétitivité de nos territoires ?
Nous devons concevoir et impulser une nouvelle stratégie axée sur l'innovation. En effet, la France n'a pas pris la mesure de la lente érosion de sa capacité à innover. Nous ne déposons pas assez de brevets, nous n'exportons plus assez de biens à haute valeur ajoutée. Cela se ressent sur notre déficit commercial qui a atteint en 2005 le montant record de 25 milliards d'euros, trois fois celui de 2004.
Une des raisons de cette situation est que l'industrie et la recherche publique vivent dans deux mondes différents et cloisonnés. Or c'est la proximité entre la science, les grands industriels, les PME, l'enseignement supérieur et le capital-risque qui leur permet d'interagir constamment, de repérer les projets, d'établir les relations de confiance qui permettent d'avancer. C'est la dynamique de "cluster" qui est à l'oeuvre dans les pays les plus avancés, qui tire leur économie et qui est la meilleure des protections contre les délocalisations. C'est ce qui a conduit Nicolas SARKOZY, alors ministre de l'économie et des finances, à créer les pôles de compétitivité. Plus de 100 territoires ont répondu à l'appel à projets national et 68 projets, devenus 66 par fusion de certains pôles ont été labellisés. Il y en a dans les 22 régions de métropole, et également outre-mer. La valeur de ces pôles, c'est d'abord leur volonté d'innover, de viser l'excellence au plan mondial, de surmonter les barrières entre les institutions. Ensuite, c'est un soutien fort de la part de l'Etat : 1,5 milliard d'euros ont été prévus sur trois ans pour soutenir les projets de recherche des pôles de compétitivité.
Mais la compétitivité ne concerne pas que les grands projets industriels, les grands centres urbains, les grands laboratoires. Tous les territoires ont un droit à l'excellence. C'est pour cette raison que j'ai créé les pôles d'excellence rurale.
Beaucoup de territoires, et souvent ruraux, disposent de potentiels encore trop peu exploités. Le formidable élan des pôles de compétitivité nous a inspiré les pôles d'excellence rurale.
Nous avons lancé un appel à projets sur des thèmes aussi variés que la promotion des richesses naturelles, culturelles et touristiques, la valorisation des bio-ressources, l'offre de services et l'accueil de nouvelles populations, le développement de productions industrielles et artisanales.
C'est un formidable succès : portés par un partenariat public-privé, 470 projets ont déjà été déposés pour la première vague de candidatures, alors que nous avons prévu d'en sélectionner 300 en deux étapes ! Il confirme le potentiel de croissance et d'emplois qui existe dans nos campagnes et les ressources d'imagination et d'esprit d'entreprise de leurs habitants.
Au carrefour du court et du moyen-long terme se situe la mission essentielle d'anticipation et d'accompagnement des mutations économiques. Savoir déceler plusieurs années à l'avance les forces et les faiblesses de nos secteurs économiques, mesurer leur impact sur nos territoires, mettre en place les bonnes réponses en terme de formation et d'investissement, c'est l'anticipation. Mais pour les territoires frappés dès aujourd'hui par la désindustrialisation, il faut également accompagner leur reconversion vers d'autres activités, en coordonnant les efforts publics et privés. C'est ce que nous faisons notamment au travers des contrats de sites, pour redonner de l'espoir et une confiance à des territoires en crise.
Nos avons souhaité que la DATAR évolue en profondeur pour répondre à ces nouveaux défis. Elle est devenue la DIACT le 1er janvier dernier : Délégation Interministérielle à l'Aménagement et à la Compétitivité des Territoires. Elle dispose pour ce faire de moyens renforcés avec une équipe spécialement dédiée qui se met en place. Cette évolution montre bien combien pour nous la réponse aux défis de la mondialisation passe obligatoirement par une approche territoriale équilibrée. Il ne s'agit pas de renforcer les forts en abandonnant les faibles. Il s'agit de reconnaître à chaque territoire un droit à l'excellence fondé sur son génie propre.
Nous sommes convaincus, Nicolas SARKOZY et moi-même, que les territoires sont des lieux cruciaux du combat que nous menons pour faire de la France un pays gagnant dans la mondialisation. Nous croyons fermement dans les capacités d'initiative de nos territoires. Et c'est pourquoi, il est du devoir du ministre de l'Aménagement du territoire, d'offrir à tous les territoires, toujours, des moyens financiers de recréer de l'activité là où il s'en est détruit.
III - Nous devons travailler ensemble
Au terme de ce bref panorama des réponses françaises au défi que pose la mondialisation à nos territoires, quittons l'hexagone. Comme le remarquait déjà il y a trente ans le sociologue Daniel BELL : "Nos Etats sont devenus trop petits pour les grands problèmes et trop grands pour les petits problèmes".
Il nous appartient ensemble, dès aujourd'hui, d'installer les fondements d'une société qui sache concilier le respect des exigences environnementales et une croissance soutenue.
Mais ne nous faisons pas d'illusions : nous n'y parviendrons pas sans une vision géostratégique de l'Europe solidaire avec la rive sud de la Méditerranée, nous n'y parviendrons pas sans vous. La nouvelle donne économique a désormais ceci de commun avec l'écologie, c'est qu'elle ne s'arrête pas aux frontières.
Nous devons travailler ensemble.
Ce n'est qu'à cette seule condition que nous ferons de la mondialisation un facteur de prospérité et d'espoir pour des populations qui ont besoin de croissance, d'emploi, et qui aspirent légitimement au partage des richesses de la planète.
Le temps des égoïsmes nationaux est révolu. Nous habitons le village planétaire. Vous-même, puissance émergente, êtes confrontés aux problèmes liés à l'immigration, avec la migration de populations qui transitent chez vous, en attendant l'Europe, et qui parfois y restent.
Nos problèmes sont les vôtres. Sur ce point là aussi, nous ne parviendrons pas à passer d'une immigration subie à une immigration choisie si une politique d'aménagement du territoire concertée ne nous aide pas à contrôler les flux migratoires.
Ce modèle français de l'immigration choisie, qui n'est fondé en aucun cas sur la fuite des cerveaux, mais sur la mobilité, la circulation des hommes, des compétences et des idées, c'est, vous le savez, celui proposé par Nicolas Sarkozy. La formation, l'expérience et le savoir-faire acquis en France constitueront des atouts essentiels pour la modernisation des pays d'origine. Cette immigration, utile à la France, profitable au migrant, indispensable au pays d'origine, devra s'inscrire clairement dans la perspective d'un retour au pays à l'issue d'une période de quelques années. En facilitant les transferts de technologie, elle deviendra un fer de lance de la modernisation et du développement des pays les plus démunis.
Au regard de ces grands enjeux de demain que sont la démocratie et le développement économique, nos territoires sont complémentaires et liés.
Les plus grands experts mondiaux n'ont de cesse de nous rappeler que les destins sociaux et économiques des deux plaques européennes et africaines sont liés en tous points.
L'Europe vieillit. C'est un atout pour la jeunesse du Maghreb et de l'Afrique. C'est un défi démographique que nous devons apprendre à gérer ensemble.
De même que le vieillissement de nos populations nous conduit à faire appel à davantage d'emplois de services à la personne, nous aurons recours à moyen et long terme à un apport de main d'oeuvre dans des secteurs stratégiques.
Au sud de la Méditerranée, ce sont d'autres défis qui sont lancés aux territoires avec la modernisation technologique, la mutation brutale d'une économie organisée autour du secteur primaire qui entraîne la migration d'une population d'origine rurale vers les métropoles et les littoraux. Sachons les aborder ensemble dans l'esprit qui anime notre politique exemplaire de coopération. Prolongeons notre réflexion en associant, comme vous l'avez proposé, Monsieur le Ministre EL-YAZGHI, pays riverains du Nord et du Sud de la Méditerranée.
Entretenons un pont permanent entre ces deux rives.
Au croisement des réflexions, des engagements et des actions, ce colloque est un lieu de débats propices aux échanges approfondis, entre tous les territoires, dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leurs aspirations légitimes au développement économique et à la cohésion sociale de leurs spécificités propres.
La mondialisation nous invite à sa table, disais-je, en introduction, allons-y en famille. C'est à la fois un souhait et une injonction. Nous n'imposerons pas nos valeurs au 21ème siècle si nous ne sommes pas capables de nous montrer solidaires.


source http://www.interieur.gouv.fr, le 6 avril 2006