Interview de M. Bernard Accoyer, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à France 2 le 11 avril 2006, sur la sortie du conflit contre le contrat première embauche (CPE), son remplacement par une proposition de loi sur l'emploi des jeunes, l'unité de la majorité et du gouvernement, et le dialogue social.

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Média : France 2

Texte intégral

Bonjour à tous. B. Accoyer, bonjour.
Bonjour.
Q- La presse titre sur le CPE "coulé", "enterré" ; les syndicats, eux, parlent d'une "authentique victoire". Ça veut dire que c'est une authentique défaite pour le Gouvernement et la majorité ?
R- Non, c'est une réponse réaliste à une situation qui était devenue dangereuse. Il y a une bonne mesure, qui est une mesure qui est prise pour agir sur le chômage des jeunes, et puis il y a une désinformation qui, finalement, prospère dans le pays.
Q- C'est la faute à la désinformation ?
R- Oui, je pense qu'il y a une présentation tout à fait, disons-le, mensongère, des réalités sur ce dispositif. Mais, finalement, ce qui compte, c'est de constater ce qui s'était mis en place, une situation dangereuse ; dangereuse pour les personnes dans les manifestations, avec des manifestants de plus en plus jeunes qui s'exposent ; dangereuses dans les universités où les années universitaires, même dans les lycées, étaient compromises, dangereuses aussi pour l'économie du pays et donc, dans cette situation, le chef de l'Etat, le Premier ministre, ont souhaité que le dialogue soit renoué et que l'on trouve une solution.
Q- Mais deux mois pour faire ce constat, ce n'est pas un peu long ? Il n'aurait pas fallu agir plus tôt ? Il n'y a pas, quand même, un gâchis énorme ?
R- La situation s'est complexée, s'est rendue de plus en plus tendue au fil du temps et il fallait, parce que c'est important d'agir concrètement pour le chômage des jeunes, essayer de pouvoir faire passer cette mesure, dont la France a besoin, cette mesure de modernisation pour que la France, comme tous les pays, ait des dispositifs qui permettent d'avoir à la fois un emploi plus sûr et puis également un emploi plus souple, c'est ce qui est fait partout dans les pays modernes.
Q- Alors, quand interviendront le débat et le vote pour la nouvelle loi qui remplacera l'article 8 sur le CPE ?
R- Je l'espère et je pense que c'est ce qui se passera, ça sera dès aujourd'hui que nous pourrons apporter ce dispositif qui, en réalité, garde la même finalité, qui est d'agir sur le chômage des jeunes, mais qui est centrée, parce que nous l'avons vu avec les partenaires sociaux, sur un objectif, immédiatement partagé par tout le monde, c'est-à-dire les jeunes dans la plus grande difficulté et ceux qui n'ont pas de
formation.
Q- Et ça permettrait un vote quand ? Quand l'affaire pourrait être réglée, pour parler clair ?
R- D'ici la fin de la semaine.
Q- D'ici la fin de la semaine. La moitié des universités sont encore perturbées ou bloquées. Un certain nombre d'étudiants demande maintenant la suppression du CNE, voire de la loi sur l'égalité des chances. Il n'y a pas un risque de radicalisation ?
R- On voit bien que la tendance est à l'apaisement et c'est heureux, parce qu'il faut que chacun puisse poursuivre son année universitaire, passer ses examens, ne pas perdre une année. Mais, il y a toujours eu dans les universités, j'ai connu 68, il y a toujours eu des minorités politiques très activistes qui ont joué, d'ailleurs, un rôle considérable dans la confusion et dans les désordres généralisés, qui se sont installés. Ce sont ceux-là mêmes qui aujourd'hui essaient encore - on voit bien qu'ils n'ont que des finalités politiciennes, voire révolutionnaires - de semer le trouble. Bon, évidemment, la République doit l'emporter, la raison va l'emporter parce que quand on est étudiant, on sait très bien que pour réformer un pays, c'est d'abord en étant soi-même bien formé, en ayant de bons diplômes et ensuite, [que c'est] dans le débat démocratique, dans l'échange, que l'on peut construire un avenir et par là même aussi les réformes.
Q- D. de Villepin peut-il encore gouverner ? Peut-il agir ? Peut-il encore engager des réformes ou est-ce qu'il est condamné à gérer les affaires courantes ?
R- Mais bien sûr que le Premier ministre...
Q- Même s'il n'est qu'à 25 % dans les sondages ? Même s'il vient de subir une épreuve terrible, comme il l'a reconnu lui-même ?
R- Mais bien sûr qu'il peut, ça renforce les épreuves, il l'a dit, il l'a bien montré, et la majorité est restée constamment unie, même s'il y a toujours quelques voix...
Q- Oui, mais il y a quand même un certain nombre d'états d'âme. On a entendu des députés, et même certains qui disent : " on ne votera pas la nouvelle loi, on s'abstiendra ", d'autres qui parlaient même de créer un nouveau parti pour soutenir D. de Villepin.
R- Oui, un député sur 364. C'est la diversité, la parole est libre, mais je peux vous dire que la majorité est unie derrière le Gouvernement et qu'il n'y a pas de problème de ce côté là.
Q- Et donc, vous voyez D. de Villepin pouvoir agir, pouvoir lancer de nouvelles réformes, pouvoir être utile au pays comme il le disait ?
R- Mais il le faut, parce que la France a besoin que les réformes qui ont été engagées depuis 4 ans, et que D. de Villepin poursuit encore aujourd'hui avec détermination et réalisme, puissent continuer de permettre à la France de s'adapter dans un monde qui bouge et donc de permettre aux Français, d'abord d'avoir un emploi mais surtout de garder un niveau de vie et une protection sociale à la hauteur de ce que nous avons connu.
Q- Quand N. Sarkozy déclare ce matin au Figaro que le Premier ministre a fait du "bon travail", quand on connaît leur rivalité, c'est de l'humour ou quoi ?
R- C 'est vrai. Le Premier ministre est à fond dans son action, il fait tout ce qui doit être fait, tout ce qu'il peut faire, mais il est bien connu que lorsque l'on fait beaucoup de choses, certaines n'aboutissent pas, d'autres sont de réels succès. Le réalisme c'est cela et après on dépasse cette période de difficultés et on construit à nouveau. C'est ce qu'a voulu dire N. Sarkozy et nous le soutenons dans cette analyse et dans cette volonté.
Q- Il affirme également qu'il n'a pas renoncé à la rupture. Alors, comment est-ce que ce pays est réformable, comment faut-il faire puisque, on vient de le voir, il y a eu un échec quand même très, très grave avec le CPE, qu'est-ce qu'il faut faire ? Comment on réforme la France ?
R- Je crois qu'il faut dire la vérité aux Français, leur dire que notre pays est dans une situation difficile, que notre endettement est énorme, que la gauche, en particulier, n'a pas prévu, n'a pas préparé l'avenir et constamment a fait des fautes extrêmement graves : elle les a faites avec la retraite à 60 ans...
Q- Oui, mais ça c'était, mettons, il y a plus de quatre ans, maintenant.
R- Oui, mais on paie ça. On paie ça.
Q- L'héritage, c'est un peu...
R- Et qui va les payer ? Ce sont les jeunes. Les nationalisations à contre temps, les 35 heures, ce sont de vrais mensonges. C'est une démagogie qui ne débouche strictement sur rien du tout. Et, en réalité, ce que l'on a vu ces dernières semaines, de la part de l'opposition, de la part de la gauche, c'est exactement la même chose, ils ne proposent toujours rien du tout. Et donc, cette jeunesse, qui est une jeunesse intelligente et réaliste, moi je l'appelle à un grand débat où on se dira les choses telles qu'elles sont, la vraie vérité, et c'est comme ça que la France peut se réformer. Elle l'a montré avec les retraites, que nous avons pu réformer.
Q- Justement, quelles sont les leçons à tirer, comment on fait pour que la prochaine fois ça marche ? Voilà.
R- Eh bien, déjà, ce qui s'est passé est le début d'une réforme. Parce que les yeux vont s'ouvrir sur les réalités décalées de notre pays par rapport aux autres, et dans le débat, dans une analyse partagée, nous arriverons, j'en suis sûr, et c'est ce que nous souhaitons, et c'est ce que nous avons décidé, avec ceux qui étaient avec moi dans cette rencontre avec les partenaires sociaux, avec J. de Rohan, avec les rapporteurs, avec les ministres Borloo et Larcher, il faut que, après cette décision immédiate sur le chômage des jeunes les plus en difficultés, nous ouvrions un grand débat pour une réforme avec les jeunes, parce que c'est eux qui sont concernés pour l'avenir, et avec tout le pays, comme cela s'est fait pour les retraites à un moment.
Q- Et avec une vraie concertation cette fois. On parle également d'autres mesures qui permettraient au Gouvernement de rebondir, par exemple - c'est un exemple parmi d'autres - la loi interdisant le tabac dans les lieux publics. Vous êtes pour ? On peut lancer cette réforme ou ça vous paraît dangereux ?
R- Vous savez, je suis oto-rhino-laryngologiste, alors je connais bien les effets du tabac ; je suis naturellement pour que l'on progresse dans la lutte contre le tabac.
Q- Mais avec une loi, rapidement ?
R- Il ne faut jamais se précipiter, mais le Gouvernement a des projets, nous en débattrons. Notre objectif, il est partagé par une grande majorité de Français, il faut que les choses se fassent avec une adhésion de tout le monde.
Q- Alors, l'Italie, une victoire à l'arrachée, semble-t-il, de la gauche, avec 25 000 voix d'avance, mais qui assurera une majorité au Parlement, à l'Assemblée. Berlusconi, il était membre du PPE, c'est donc un peu une défaite pour vous, c'est le même parti européen que vous.
R- Vous savez, la journée d'hier a été riche en rebondissements. Moi, je souhaiterais attendre les résultats définitifs pour ce qui concerne les élections italiennes.
Q- Mais s'ils sont confirmés comme ça, comment vous l'interpréterez ?
R- Je pense que ce sera préoccupant pour ce pays qui risquerait d'être divisé à 50/50, ou pratiquement. L'Italie est une grande puissance européenne, l'Europe a besoin de pays qui travaillent ensemble, qui essaient de nous sortir d'une crise mondiale où nous avons notre niveau de vie, notre rayonnement, notre puissance commune, qui sont en jeu. Donc je souhaite que l'Italie sache gérer cette période de tension, cette période d'indécision, mais encore une fois, les Italiens ont leurs problèmes, c'est leur responsabilité.
Q- Et vous ne voulez pas vous en mêler. Et vous ne soutenez pas spécialement Berlusconi.
R- Ah si, si. Je trouve qu'un pays qui fait des réformes...
Q- Vous préférez Berlusconi à Prodi ?
R- Ça, il n'y a pas photo !Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 avril 2006