Interview de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, à Europe 1 le 19 avril 2006, sur le rapport du Conseil national de la chirurgie sur la fermeture de 113 blocs opératoires en France et les décès liés au tabagisme passif.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Est-ce que je peux d'abord vous demander une définition ?
R- Je vous en prie !
Q- Aujourd'hui, gouverner qu'est-ce que c'est ?
R- C'est prévoir, c'est anticiper. On le voit notamment sur les différents risques sanitaires : je pars ce soir pour la Guyane à nouveau, parce qu'il nous faut anticiper une recrudescence possible de l'épidémie de dengue.
Q- Donc, anticiper, écouter, prévoir, pas décider ?
R- C'est aussi décider, bien sûr.
Q- Eh bien on va le voir, il y a une occasion de plus. En novembre, vous avez eu l'heureuse initiative de lancer, une enquête d'experts indépendants pour offrir la meilleure qualité de soins chirurgicaux aux Français, cinq mois après, vous savez, nous savons : 113 blocs de chirurgie, de petits hôpitaux doivent être fermés tout de suite.
R- Cela fait même dix ans qu'on en parle. Mais maintenant, il est temps de mettre aussi les choses sur la table et de donner aux Français ce qui est une exigence première, la transparence et la vérité.
Q- On dit, par exemple, que les 113 [blocs] ne réalisent pas 2.000 opérations par an, que les blocs et les salles de réveil ne sont pas aux normes, qu'ils n'offrent ni sécurité ni qualité des soins, cela fait froid dans le dos ! Et les spécialistes ajoutent qu'on refuserait immédiatement à un aéroport, à un magasin, à une entreprise d'être ouverts dans de telles conditions d'insécurité, de risques. Que faites-vous ?
R- Ça c'est ce qu'écrivent les chirurgiens du Conseil national de la chirurgie qui ont fait ce rapport. Moi, mon rôle, ma responsabilité, maintenant, c'est d'aller voir sur place ce qui n'a pas été fait, quelle est la réalité dans chacun de ces 113 blocs chirurgicaux. Parce que, encore une fois, la seule chose qui compte à mes yeux et pas seulement à mes yeux, pour les Français, c'est la sécurité...
Q- C'est la sécurité des patients...
R- Ne plaisantons pas avec ces mots là, c'est la sécurité des patients et la qualité des actes...
Q- Vous dites : "c'est le principe qui me guide"... Votre guide, [c'est] la nécessaire sécurité du patient.
R- Et qu'on se mette très clairement d'accord sur ce point : si à un moment donné la sécurité n'est pas au rendez-vous, il faut fermer un bloc chirurgical, qu'il réalise moins de 2.000 actes ou plus de 2.000 actes, sans hésiter et sans tarder. Maintenant, ce que je demande c'est aux Agences régionales d'hospitalisation, les représentants du ministère de la Santé dans chacune des régions, d'aller voir sur place ces 113 blocs et de me dire, si oui ou non, la sécurité et qualité sont au rendez-vous. Si ce n'est pas le cas...
Q- Dans quels délais ?
R- A la fin du mois, je leur demande d'engager cela ; pourquoi ? Parce que je veux maintenant une logique de sur mesure. Il faut, je crois également, que l'on mette tout sur la table. Les Français ont le droit de savoir si dans tel ou tel établissement, il y a la qualité au rendez-vous. J'ai décidé de faire en début d'année, ce qui n'avait jamais été fait, c'est-à-dire de publier le tableau de bord, notamment, des infections nosocomiales pour que les Français sachent, précisément, si dans leur hôpital on fait les efforts nécessaires pour éviter d'être contaminé, alors qu'on venait pour une autre opération. Je continue dans la voie de la transparence et je ne m'arrêterai pas. Je n'ai pas l'intention de rayer de la carte, comme ça, d'un trait de plume, 113 blocs chirurgicaux mais je n'ai pas non plus l'intention d'enterrer ce rapport. Je crois au sur mesure. Est-ce qu'on peut rentrer dans le détail ?
Q- Oui, attendez, on va aller plus loin, parce que vos décisions sont très attendues. Le 4 avril, vous aviez promis de répondre quinze jours après, c'est donc aujourd'hui. Vous ne pouvez pas dire, après ce rapport qui a l'air très précis, qui montre bien une carte...
R- Mais ils ne sont pas allés sur place et moi je veux qu'on aille sur place.
Q- Ils ne sont pas allés sur place, ils ont travaillé sur papier ?
R- Ils ont travaillé sur le papier, à partir justement de ces quotas, 2.000 interventions. Il y a certains établissements qui réalisent même 48 interventions par an. Et moi, ce que je veux, très simplement, c'est de savoir la réalité. Parce que, ce n'est pas parce que vous réalisez moins de 2.000 opérations que la pratique est mauvaise, il ne faut pas dire ça, il ne faut même pas penser ça.
Q- Donc vous ne mettez pas leur rapport à la poubelle ?
R- Non, pas dans un tiroir...
Q- ...Vous allez faire du cas par cas.
R- Du cas par cas. Pourquoi ? Parce qu'il faut aussi tenir compte d'un certain nombre de critères différents. Ma responsabilité, en tant que ministre de la Santé, c'est de tout prendre en compte. Il y a des établissements où vous avez, par exemple, des conditions géographiques particulières, où cela va être compliqué d'aller se faire opérer dans un plus grand hôpital. Dans ces cas là, cela vaut la peine de faire les investissements nécessaires pour mettre à niveau l'hôpital ; ça, c'est prévu.
Q- Et puis, il y a les petits hôpitaux qui vont devenir grands dans les périodes touristiques...
R- Il y a aussi des hôpitaux, notamment dans les régions touristiques, où bien évidemment il faut faire un effort particulier. Mais maintenant, vous savez, cela se fait depuis maintenant un certain nombre d'années ces restructurations. Parce que, faire évoluer un bloc, fermer un bloc, ce n'est pas fermer un hôpital. Aujourd'hui, nous sommes capables de nous engager, pour un établissement, pour un maire président de conseil d'administration qui voudrait aller dans cette direction, de lui donner la garantie qu'on gardera le personnel, qu'on gardera l'activité, que l'on gardera même des ressources pour faire fonctionner l'hôpital. Il y a des exemples...
Q- Est-ce que c'est normal que les maires soient des présidents de conseil d'administration ? Là, ce que vous dites, c'est la rentabilité, l'emploi dans leur région, est-ce que c'est normal ? En matière de santé, qu'est-ce qui prévaut, la médecine et la science, la politique ou l'électoralisme ?
R- Un maire président de conseil d'administration ne fait pas de l'électoralisme, c'est aussi le patron, au même titre que le directeur, au même titre que le président de la commission des...
Q- C'est normal, en France, que le maire... ?
R- Oui, moi je trouve que c'est une bonne chose que le maire préside, parce qu'il est aussi important que les élus prennent à bras le corps, complètement le dossier de la santé. Les restructurations, ce n'est pas non plus nouveau : depuis dix ans maintenant, nous en avons réalisées 130, allez voir à La Mûre, dans l'Isère, comme cela marche ; cela marche bien. A Saint-Amand-les-Eaux, dans le Nord, cela marche bien. Ce qui est important, c'est de bien montrer qu'aujourd'hui, on n'a pas besoin de fermer des blocs chirurgicaux pour réussir la réforme de l'assurance maladie. Parce que fermer un bloc, cela ne fait réaliser aucune économie, il faut le préciser et le dire. Donc la seule chose qui compte à mes yeux...
Q- Donc, cela ne fait pas d'économie, mais fermer un bloc opératoire, ce n'est pas fermer un hôpital, vous le dites bien, ce n'est pas supprimer des lits, mais sur les 113, au cas par cas, en faisant du sur mesure, il y en aura combien qui fermeront ?
R- Réponse après l'enquête de terrain que je demande aux Agences régionales de santé.
Q- Donc, vous ne déciderez pas ?
R- Mais bien sûr que si ! Si la sécurité est en jeu, ma responsabilité, en tant que ministre de la Santé, c'est très clairement de prendre les décisions qui s'imposent. Mais là encore, n'allons pas prendre une règle à calcul quand on parle de santé. On me dit aujourd'hui 2.000, c'est ce que me disent les chirurgiens qui, eux-mêmes, pensent qu'il faut faire évoluer. Mais moi, je suis désolé, à 1.850 actes par an...
Q- Evidemment !
R- Oui "évidemment", mais c'est donc important de le rappeler, parce que, encore une fois, ce ne sont pas des critères économiques, des ratios, des quotas qu'il faut prendre en compte. Je ne veux pas de clause "couperet". Du sur mesure, il n'y a que ça qui m'intéresse.
Q- Donc, il y aura des décisions, donc il y aura des suppressions de blocs opératoires. Est-ce que les 40 ou 50 établissements privés qui sont aussi concernés seront touchés par vos décisions ?
R- Mais évidemment ! Si vous avez la sécurité, je ne vais pas regarder d'un côté le public et ne pas regarder le privé. La responsabilité qui est la nôtre c'est tout simplement de prendre en compte cette qualité, cette sécurité des soins, et d'aller jusqu'au bout. Mais je voudrais aussi, quand je parle du sur mesure, il ne s'agit pas non plus de faire n'importe quoi. Si, par exemple, un hôpital plus important peut absorber une activité, très bien. Mais ce qu'il faut dans ces conditions, c'est que le patient puisse consulter sur place, près de chez lui, se faire opérer à 30 kilomètres et revenir faire le suivi opératoire, le suivi de soins dans son hôpital et qu'il se fasse opérer par le même chirurgien.
Q- Qui paiera à ce moment là ?
R- Dans ces conditions, l'hôpital de proximité peut même récupérer les ressources. Mais je ne veux pas non plus qu'on augmente les délais d'attente dans un hôpital plus important. C'est ça que je veux prendre en compte, le sur mesure, c'est jusqu'au bout.
Q- Est-ce que vous avez regardé, l'excellente émission de France Soir et Europe 1, signée M. Cymes, M. Carrère d'Encausse sur le cancer, on y constatait les ravages du tabac - des blessés, des blessés...- 5.000 décès par an. Je lis et j'entends que le Gouvernement pourrait interdire, enfin, de fumer dans les lieux publics, d'ici à l'été, est-ce que vous le confirmez ?
R- Ce que m'a demandé D. de Villepin, c'est de continuer la concertation, la consultation des acteurs pourquoi ? Parce que nous avons un objectif qui est, bien évidemment, de faire reculer le tabagisme passif. Aujourd'hui, 5.000 personnes décèdent par an du tabagisme, c'est-à-dire que ce sont des personnes qui ne fument pas et qui meurent d'un cancer lié au tabac.
Q- Attendre un an, c'est 5.000 victimes, à vous écoutez ? Attendre six mois, c'est 2.500 victimes, il y a urgence !
R- Sur ce point là, soyons aussi très précis : le tabagisme passif, ce n'est pas seulement dans les lieux publics. Vous avez vu les campagnes d'information que nous avions faites : chez soi, également, un non fumeur peut justement être victime du tabac.
Q- Vous avez, avec beaucoup de brio réponse à tout. Mais la décision...
R- Non, ce qui m'intéresse surtout, c'est de réussir sur ces enjeux de santé publique, à la fois à convaincre, plutôt que de contraindre. Les esprits évoluent, regardez aujourd'hui...
Q- Mais la contrainte, c'est d'attendre aujourd'hui, la conviction elle est là ! La question est : est-ce que c'est avant ou après 2007 ? C'est tout.
R- Pour moi, en tant que ministre de la Santé, le plus tôt est le mieux, parce que je veux qu'on sorte de cette cohabitation forcée, fumeurs non- fumeurs. Je veux protéger les salariés, parce que depuis juin 2005, nous savons que les employeurs ont une obligation, c'est d'éviter que les salariés soient exposés aux risques du tabac. Et je veux aussi, ce qui n'a pas été fait dans les autres pays européens, je veux aider les fumeurs qui le souhaitent à s'arrêter. Et là aussi, un certain nombre de pistes intéressantes vont être proposées très vite.
Q- D'accord. On peut penser que même avant 2007, les décisions pourraient être prises.
R- En ce qui me concerne, je le souhaite, bien évidemment. Et je fais même un pari, c'est que le Premier ministre souhaite que l'on puisse trouver un consensus sur la question. Je pense que le consensus est possible.
Q- J.-L. Debré, justement, pour le consensus propose une commission parlementaire, droite, gauche, cela peut aider ?
R- Très bonne initiative, parce qu'on est bien sur un débat qui dépasse les clivages politiques, on est sur un véritable enjeu de société. Tout le monde parle aujourd'hui de cette question du tabac.
Q- Donc, vous voulez une commission parlementaire ?
R- C'est le Parlement qui décide, mais je trouve que c'est une très bonne initiative.
Q- Sur le cancer, l'Inserm, l'Institut du cancer présidé par le professeur Kayat, va vous remettre une importante étude sur le cancer. Après dix ans d'enquête, on peut parler de plus en plus souvent de guérison. Or après le combat contre la maladie, les malades doivent gagner maintenant le combat social. On les considère comme des condamnés ou comme des exclus, est-ce que vous les aiderez à retrouver ce que D. Kayat appelle"leur pleine citoyenneté" ?
R- Bien sûr et ils le savent ; D. Kayat le sait bien également. Il y a un sujet aujourd'hui qui, pour moi, est un profond scandale, c'est qu'aujourd'hui quand on a réussi à vaincre la maladie, il faut se battre pour avoir accès dans cette citoyenneté, notamment aux crédits et à l'assurance. Parce que les banquiers et les assureurs mettent un certain nombre d'embûches sur le parcours. Même quand vous avez des moyens, vous ne pouvez plus, aujourd'hui, acquérir votre logement. Il faut que cela cesse ! Il y a une convention qui existe, la convention Belorgey, qui, aujourd'hui, a donné des résultats suffisants à mes yeux.
Q- Donc décision quand ?
R- Le plus rapidement possible, parce que, là encore, je suis en train de finaliser avec les banquiers et les assureurs. Je concerte avec eux, même si ce n'est pas facile et avec les associations. Elles savent que je suis à leurs côtés.
Q- La CNAM, révèle aujourd'hui les chiffres de l'assurance-maladie : au premier trimestre, les dépenses seraient en hausse de 2,8 % par rapport à 2005.
R- Ce qui est historique : encore un bon résultat, depuis dix-huit mois ; les bons résultats sont constants, merci de le rappeler.
Q- Qu'est-ce qui augmente ?
R- Mais attendez, 2,8 %, c'est exactement ce que nous avions prévu comme chiffre, on est très loin des 6 à 7 % d'il y a deux ans ou trois ans. La Sécu, aujourd'hui, n'est pas complètement guérie mais elle va bien mieux.
Q- Qu'est-ce qui devrait baisser ?
R- Aujourd'hui, nous allons continuer à faire baisser les dépenses de
médicaments quand elles ne sont pas justifiées médicalement. On peut
faire mieux : prescrire mieux, c'est parfois prescrire moins de
médicaments.
Q- La grippe aviaire, c'est fini, pas fini ? On n'en parle plus...
R- Vous n'en parlez plus, vous en parlez moins, mais je continue à être totalement mobilisé sur ce dossier, attentif à la situation internationale, soucieux de continuer à bien préparer, à former les professionnels de santé qui seraient en première ligne en cas de grippe aviaire. Nous organisons la semaine prochaine un exercice gouvernemental de simulation : que ferions-nous, si nous étions confrontés à une pandémie humaine ? La mutation du virus n'a été observée nulle part sur la planète, mais notre responsabilité c'est aussi de nous préparer à une telle éventualité.
Q- Chaque pays européen doit faire face, en ce moment, à l'augmentation constante des dépenses de santé. Il y aurait des tas d'exemples, mais j'en prends un qui vient du Royaume-Uni : avec l'accord de T. Blair, les hôpitaux publics vont délocaliser en Inde les tâches administratives, c'est moins cher et ils réduisent leur déficit. Un jour, la France passera-t-elle par là ?
R- Non, je ne le crois pas, je ne le pense pas et je ne le souhaite pas. Vous auriez même pu aller plus loin : en Grande-Bretagne, ils ont décidé, comme ils n'ont plus assez de budget, de licencier des salariés des hôpitaux. Cela n'a pas de sens et dans notre pays, heureusement, on ne rentre pas dans cette logique de maîtrise comptable. Je pense que l'on peut bien gérer, qu'on doit mieux gérer, mieux acheter quand c'est possible à l'hôpital, en continuant à améliorer la qualité des soins. Mais en tout état de cause, chez nous, il n'est pas question de fermer les hôpitaux au 15 novembre parce qu'on n'aurait plus de budget, cela n'a pas de sens.
Q- Vous faites deux voyages - on en termine - : vous allez en Guyane, vous l'avez dit, annoncer un plan de lutte contre la dengue, transmise elle aussi par les moustiques.
R- Surtout vérifier si ce que nous avons décidé le 6 mars, quand je m'y suis rendu, est totalement opérationnel. Nous avons eu 8 hospitalisations d'enfants pendant le week-end dues à la dengue et je veux, avant même la saison des pluies, voir si ce que nous avons mis en place est suffisant.
Q- Mais il n'y a pas de vaccin et il n'y a pas de médicament ?
R- Pour l'instant, mais là aussi, ce que nous avons réalisé et su faire avec le chikungunya, je veux la même chose sur la dengue, c'est-à-dire que je veux que l'on regarde dans les médicaments existants, qui n'ont pas été prévus pour la dengue, si l'un d'entre eux ne serait pas efficace. Il faut aussi du pragmatisme. Ce qui m'intéresse, c'est que l'on n'ait plus de maladie qui touche les Français chaque année sans traitement.
Q- Pourquoi faut-il déclarer avant l'été la dengue et la chikungunya ?
R- Parce que, si un patient revient d'un endroit où il y a la dengue ou le chikungunya en France, je veux le savoir aussitôt dès qu'il est pris en charge par un professionnel de santé.
Q- Bon voyage X. Bertrand, soyez efficace contre les moustiques, à mort les moustiques ! A votre poste, je suppose que vous avez intérêt à être vacciné.
R- Il n'y a pas de vaccin nous l'avons dit, mais à mon poste, je dois aussi être présent là où il un risque pour la population.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2006