Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France 2 le 28 avril 2006, sur le congrès de la CGT à Lille, le CPE et le CNE, le projet de loi sur l'immigration "choisie" et l'unité syndicale.

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Média : France 2

Texte intégral

G. Leclerc - B. Thibault, vous serez réélu aujourd'hui secrétaire général de la CGT, on en parle dans un instant. Mais tout de suite l'actualité, c'est la forte baisse du chômage : 30.900 chômeurs de moins. Pour le Gouvernement, c'est le résultat du plan de cohésion sociale, de l'apprentissage, du CNE... Est-ce votre avis ?
R - Oui, sans doute, que le Gouvernement, forcément, c'est le jeu assez classique, va valoriser ces chiffres. Je n'ai pas eu le temps, je le conçois, de regarder plus en détail, nous étions réunis en Congrès. Ce que je sais aussi, c'est qu'il y a de plus en plus de précarité. Donc, au-delà des évolutions sur le nombre d'emplois, ce qui nous intéresse, c'est la qualité de l'emploi. Et je peux vous dire que lors de ce Congrès, les témoignages sur la précarité grandissante de l'emploi ont été très nombreux.
Q - Vous avez dit au cours de ce Congrès, que vous vouliez "faire la peau du CNE". Le ministre, G. Larcher, lui, au contraire, vous propose de discuter de son évolution. Comment "faire la peau du CNE" ?
R - Il faut arriver à interrompre ce processus, c'est déjà un premier point. Dès lors que le contrat "nouvelles embauches" a deux principales tares qu'avait le CPE, à savoir, l'absence de motivation de licenciement à présenter par les employeurs - autrement dit, qu'ils puissent licencier sur un claquement de doigt - et la période d'essai portée à deux ans, bien plus que la règle prévue dans les conventions collectives jusqu'à présent, ce qui était rejeté pour le CPE, c'est ce qui est rejeté pour le CNE par l'ensemble des syndicats. Il faut donc interrompre le processus. Et d'autre part, il faut reconsidérer les droits qui sont applicables à ceux qui sont déjà employés en CNE, puisqu'il y a maintenant, malheureusement, des contrats qui ont été passés, mais il y a aussi des licenciements, dont des licenciements abusifs qui se multiplient.
Q - Mais d'une façon générale, à partir du moment où, semble-t-il, cela marche, où le chômage baisse, ne faut-il pas continuer cette politique ?
R - Non, non, je ne pense pas que l'on puisse attribuer au contrat "nouvelles embauches" les évolutions sur le chômage. Les chiffres qui sont mis en avant par le Gouvernement - on parle de 400.000, une semaine après, de 450.000, voire de 500.000 CNE, signés ou qui seraient signés par les entreprises - si c'était créateur net d'emploi, cela voudrait dire qu'on aurait un demi-million de chômeurs de moins dans notre pays. Or, les statistiques mêmes montrent le contraire. C'est la démonstration qu'il s'agit bien de contrats de substitution aux contrats à durée indéterminée, ou aux contrats à durée déterminée, qui existaient auparavant.
Q - L'emploi toujours, d'une certaine façon, avec Alstom. Après avoir risqué la faillite, le Gouvernement, deux ans après, revend 2 millions d'actions, avec d'ailleurs une plus value d'1,2 milliard. Finalement, c'est une bonne opération, non ?
R - Je ne suis pas sûr qu'il soit une bonne opération que l'Etat se dessaisisse de tous les leviers qu'il a, les uns après les autres : qu'il s'agisse du secteur financier, du secteur industriel. Dès lors que l'on veut développer des politiques sur la base de choix publics et politiques, il faut avoir des outils à sa disposition. On ne peut pas penser que la seule logique privée, la seule logique actionnariale, soit suffisante à concevoir une stratégie de développement et de croissance pour un pays.
Q - L'Etat aurait dû garder les actions qu'il détenait dans Alstom ?
R - Je pense que, dans un certain nombre de secteurs, la présence de la puissance publique est nécessaire, si nous voulons que la politique reprenne des droits vis-à-vis du pouvoir économique.
Q - L'actualité encore, c'est la nouvelle loi sur l'immigration - pour une "immigration choisie" dit N. Sarkozy - avec, notamment, le durcissement du regroupement familial, et puis la suppression de la régularisation automatique au bout de dix ans. Qu'en pensez-vous ?
R - Nous sommes de ceux qui critiquent très fermement, avec toute une série d'autres organisations et d'associations, ce projet de loi. On comprend bien que l'on entre malheureusement dans une nouvelle période, où on va vouloir faire de l'immigration et de l'immigré, le bouc émissaire d'une crise sociale qui est profonde, mais qui, en aucun cas, ne peut justifier les projets qui sont ceux mis sur la table par le Gouvernement et par M. Sarkozy.
Q - Venons-en au Congrès de la CGT. Donc, un troisième mandat pour vous. Un troisième mandat, pour quoi faire ? Avez-vous le sentiment que votre ligne a été confortée ?
R - Ce troisième mandat va débuter dans moins d'une heure, peut-être, puisque l'élection n'est pas encore formellement effectuée...
Q - Oui, mais comme il n'y a pas d'autres candidats, à première vue, ce sera vous.
R - On va faire comme si l'élection s'était déroulée, je vous le concède. Les orientations adoptées par les congressistes sont tout à fait claires, elles sont largement approuvées. Elles s'appuient sur, déjà, l'expérience de ce que nous avons mis en oeuvre ces dernières années, le bilan d'activité a lui aussi été approuvé à plus de 82%. C'est donc un encouragement à la poursuite de ce que nous avons développé jusqu'à présent, voire à une accélération de la cadence de la démarche, notamment, s'agissant du fonctionnement interne de la CGT, avec un certain nombre de réformes, sur nos structures, nos mécanismes de financement. Et je suis vraiment très satisfait des conclusions de ce Congrès.
Q - Pourtant, on a quand même beaucoup entendu les contestataires, l'opposition, qui refuse une CGT réformiste, light, inodore, sans saveur, qui voudraient un syndicalisme de classes, de masse. Qu'en pensez-vous ?
R - Il faut bien mesurer que l'opinion des syndiqués, l'opinion des congressistes, ne s'apprécie pas uniquement en fonction du bruit qu'ils font dans une salle de réunion. Je remarque qu'à l'issue des votes, une grande majorité des syndiqués, des syndicats, se sont exprimés pour conforter la démarche que nous avons mise ensemble, depuis maintenant deux congrès, [depuis] 1995. C'était d'ailleurs mon prédécesseur qui, pour l'essentiel, avait tracé en quelque sorte, ce sillon. Donc, je ne me réfère pas uniquement à ceux qui ont eu le droit, et ils l'ont fait, de proposer ou de contester cette démarche, sans d'ailleurs qu'ils ne proposent quelque chose d'autre de très précis.
Q - Néanmoins, par exemple, le mot "compromis" a été retiré du texte d'orientation. Cela prouve bien que ce n'est pas clair ?
R - Mais en même temps, nous avons une phrase qui donne à peu près le même sens. Nous n'avons pas voulu laisser dans le texte - les congressistes n'ont pas souhaité qu'il y ait dans le texte - d'ambiguïté dans l'usage des mots, et le parallèle qui pourrait être fait entre le terme de "compromis" et le terme de "compromissions", qui ne veulent pas dire la même chose, c'est vrai, mais qui peuvent encore, chez nous, laisser des ambiguïtés. Donc, nous avons trouvé une formule qui prône les meilleurs résultats possibles à l'issue des négociations. Je pense que le sens premier est respecté.
Q - De même, vous prônez un syndicalisme rassemblé. Et on a vu F. Chérèque sifflé, hué, au Congrès de la CGT.
R - Oui, il a été, malheureusement, sifflé par une partie des congressistes, qui n'approuve pas les orientations qui ont été définies par une grande majorité des congressistes. Alors, un congrès c'est fait pour cela, c'est fait pour débattre. Et puis, c'est fait pour arbitrer, pour voter, et tracer une orientation. C'est chose faite désormais.
Q - L'objectif de la CGT, en termes d'effectifs, c'est 1 million d'adhérents, vous n'en avez que 711.000 pour l'instant. Autrefois, vous étiez montés jusqu'à plus de 2,5 millions. Comment allez-vous faire pour, enfin, augmenter vos effectifs ?
R - 2,5 millions, vous renvoyez à une période très ancienne...
Q - C'était il y a 20 ans, ce n'est pas si vieux.
R - Oui, enfin... En 20 ans, on peut quand même considérer que, le renouvellement du salariat, la modification du tissu industriel, du tissu des entreprises, s'est bouleversé. Il y a aujourd'hui, une majorité des salariés, par exemple, qui travaille dans les petites entreprises - moins de 50 salariés -, là où il n'y a pas de comité d'entreprise, là où il n'y a pas d'élections professionnelles, d'ailleurs. Donc...
Q - Et c'est là où vous allez porter votre effort ?
R - C'est là où nous allons essayer de porter notre effort, en faisant converger nos capacités militantes, mais aussi des moyens financiers supplémentaires dans cette direction. Et en faisant mieux respecter le droit syndical, parce que je signale aussi que, pour les salariés du privé - les témoignages ont été aussi très nombreux à ce propos -, une des premières causes mise en avant par les salariés du privé pour expliquer, non pas justifier, mais expliquer, cette faible syndicalisation, c'est la peur des représailles. Il n'est pas normal que, dans un pays comme la France, on ait encore la crainte de pouvoir se syndiquer, ou des effets produits par son engagement syndical.
Q - Très brièvement. Lundi, c'est le 1er mai. Selon la CFDT, ce sera une manifestation classique, qui ne sera pas massive, et qui ne s'inscrira pas dans la continuation du CPE. C'est votre avis ?
R - Nous avons des manifestations qui vont, suivant les départements, rassembler un certain nombre d'organisations syndicales...
Q - Sur quel mot d'ordre ? Quel est le slogan cette année ?
R - Je pense que nous allons rester dans la démarche qui dénonçait la précarité de l'emploi. Nous avons, nous-mêmes, suggéré, que le CNE fasse bien partie des revendications portées à cette occasion. Je pense que, d'une certaine manière, nous serons dans le prolongement de ce qui s'est exprimé, sans doute dans des proportions différentes. Mais la participation, à nouveau, des organisations lycéennes, des organisations étudiantes, me rend optimiste sur la visibilité du 1er mai. Juste après le Congrès de la CGT, ce sera une très belle semaine.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 28 avril 2006