Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la réforme de la coopération, la politique de coopération internationale et d'aide au développement sur une zone de solidarité prioritaire (ZSP) et sur le fonctionnement du CICID, Paris le 28 janvier 1999.

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Circonstance : Première réunion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) à Paris le 28 janvier 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Nous venons de tenir une première réunion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement. C'est l'aboutissement de vingt mois de travail C'est une nouvelle étape : avec ce comité se poursuit la mise en oeuvre des orientations arrêtées il y a un an et qui guident la réforme de la Coopération.
Je reviendrai en premier lieu sur ces principes, et vous rappellerai ce qui, dans les douze derniers mois, a été fait pour commencer de les appliquer. Je voudrais, au-delà de ce premier bilan, vous faire part des principaux résultats de ce Comité interministériel, avant de répondre à vos questions.
La réforme globale de la coopération que le gouvernement a engagée, et qui a reçu l'accord du président de la République, permet de rendre plus sélective et plus efficace notre politique de coopération internationale. Cette réforme est globale : elle porte sur l'ensemble de la coopération internationale française. Elle concerne donc tant l'aide au développement bilatérale et la coopération économique et financière que les moyens consacrés aux organisations multilatérales et à la coopération culturelle, scientifique et technique. En 1999, la France consacrera près de 47 milliards de francs aux actions de coopération internationale sous toutes leurs formes. En 1997, la France a consacré 37 milliards de francs et 0,45 % de son PIB à l'aide publique au développement : elle reste donc le pays le plus généreux du G 7.
Tout en maintenant ces flux substantiels d'aide publique au développement, le gouvernement souhaite leur donner une plus grande cohérence et une efficacité accrue. L'utilisation des fonds publics sera ainsi mieux maîtrisée.
Pour lui donner cette cohérence, les principes de sélectivité et de concentration de l'aide au développement sur une zone de solidarité prioritaire (ZSP) ont été retenus. La ZSP comprend les pays les moins développés en termes de revenus et n'ayant pas accès aux marchés de capitaux. L'aide sera concentrée sur les pays où elle peut produire un effet significatif en termes économiques ou politiques. J'y reviendrai dans quelques instants.
Pour accroître son efficacité, nous rechercherons la spécialisation des instruments d'aide par pays, et nous respecterons le caractère subsidiaire de certaines aides. Dans les pays où l'action de la France n'est pas prioritaire, nous ferons le choix du canal de l'aide multilatérale, et notamment communautaire. Une meilleure coordination interministérielle est nécessaire, afin d'accroître la cohérence des interventions en réduisant le nombre des intervenants. Il faut aussi mieux articuler l'action publique et celle de la société civile. L'ensemble de ces principes n'affecte pas la vocation universelle de notre coopération culturelle, scientifique et technique.
Pour mettre en oeuvre ces principes arrêtés il y a un an, le gouvernement a rationalisé les structures chargées de préparer et de définir la politique de coopération (le CICID), comme celles qui en assurent la gestion (les départements ministériels, l'Agence française de développement, le Fonds d'aide et de coopération).
Le CICID a maintenant un rôle directeur dans la définition, la gestion et le contrôle de la coopération française. Pour la première fois aujourd'hui, les départements ministériels qui sont parties prenantes à l'action de coopération de la France ont pu y exposer leur action. Nous avons pu passer en revue l'ensemble de ces actions de coopération au développement. Sur cette base, nous engagerons en 1999 un travail approfondi, afin d'obtenir une vision globale de la coopération internationale de la France.
Cette vision globale nous permettra de redéfinir, en connaissance de cause, année après année, la hiérarchie de nos priorités. Une approche plus politique des moyens qui sont mis en oeuvre deviendra possible. Nous pourrons mieux distinguer les contributions obligatoires aux Nations unies, à la Banque mondiale, aux banques régionales de développement et fonds multilatéraux, les contributions volontaires à ces organismes et les aides bilatérales.
Pour ce qui concerne sa mise en oeuvre, notre coopération a été rationalisée autour de deux grands pôles : le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Economie et des Finances, chargés de la gestion et du suivi. La réforme du ministère des Affaires étrangères a été engagée. Un ensemble diplomatique regroupant les services du MAE et de la Coopération a été créé.
L'Agence française de développement est devenue l'opérateur principal de notre action d'aide publique au développement dans la zone de solidarité prioritaire. Son champ d'intervention s'est élargi aux se secteurs de la santé et de l'éducation. L'ensemble des crédits correspondants lui a été délégué. L'Etat ne conserve donc plus en propre que la gestion directe des soutiens aux secteurs de souveraineté (justice, Etat de droit, défense, police...) : c'est le nouveau rôle du Fonds d'aide et de coopération (le FAC), dont les procédures seront révisées cette année.
Les protocoles du Trésor ont été réformés : la dualité d'objectifs (aide au développement - pénétration commerciale) qui prévalait auparavant, disparaît. Les protocoles financiers visent désormais uniquement à soutenir la pénétration économique et commerciale.
Les décisions adoptées par le Comité interministériel qui s'est tenu aujourd'hui représentent une nouvelle étape de la réforme de notre politique de coopération.
Pour ce qui concerne les structures, nous avons décidé de créer un Haut conseil de la coopération internationale. En effet, l'opinion publique française n'a pas toujours été convaincue de l'intérêt et de l'efficacité de l'aide au développement. Pour redonner tout son crédit à la politique de coopération, nous avons voulu la rendre plus transparente et mieux associer ceux qui, dans la société civile, y contribuent. En outre, l'aide privée au développement est, en volume, plus considérable encore que l'aide publique. La fonction essentielle de ce Haut conseil est donc de rechercher une articulation efficace entre l'action des pouvoirs publics et celle de la société civile.
Placé auprès du Premier ministre, il aura un champ de compétences très large, permettant une concertation aussi large que possible. Ses soixante membres sont nommés par le Premier ministre pour une durée de trois ans. Le Haut conseil sera indépendant: les représentants de l'administration qui participent aux travaux du Haut conseil n'ont qu'une voix consultative.
Le Conseil des ministres adoptera formellement la création de cet organisme le 10 février prochain.
Les modalités de fonctionnement du CICID et de l'évaluation de la politique de coopération ont été précisées.
Le CICID se réunira une fois par an. Cette périodicité permettra au gouvernement de fixer les priorités sectorielles et géographiques de notre coopération. Nous pourrons ensuite, en conséquence, orienter la programmation budgétaire.
Le groupe de travail interministériel chargé de rédiger chaque année un rapport sur l'évaluation de l'efficacité de la coopération internationale et de l'aide au développement a été formalisé. M. Claude Villain, Inspecteur général des Finances, le présidera. Ce rapport contribuera à la recherche d'une plus grande cohérence de notre politique de coopération. Il alimentera utilement les travaux du CICID.
Nous avons par ailleurs poursuivi notre réflexion sur les priorités de notre politique de coopération.
Avec la définition de la Zone de solidarité prioritaire (ZSP), nous nous sommes dotés d'un outil sélectif et flexible. Ses contours ont été aujourd'hui précisés, conformément aux principes arrêtes le 10 janvier 1998.
La ZSP est sélective. Ses contours découleront des principes directeurs de la réforme, que je viens de rappeler. En réformant notre dispositif de coopération, le gouvernement a voulu mettre fin à la notion de "champ" de la coopération. Cela étant, il faut faire des choix. Notre aide bilatérale, si elle est saupoudrée, ne peut pas contribuer efficacement au développement des pays bénéficiaires. Les besoins de ces pays ne sont d'ailleurs pas les mêmes, selon leur degré de richesse et de développement : nos interventions en Chine et au Burkina ne peuvent être ni de même nature, ni poursuivre les mêmes objectifs. C'est pour répondre à cette diversité du monde en développement, que nous avons retenu la notion de "zone de solidarité prioritaire". Celle-ci n'est pas une liste énumérative de pays, mais une logique d'intervention qui guide notre politique lorsque notre aide bilatérale, parce que concentrée, peut être efficace, et répond à un objectif de solidarité et de développement des infrastructures de base.
Relèvent de cette logique d'intervention les pays les plus pauvres, à faible revenu, n'ayant pas accès aux marchés des capitaux. D'un point de vue fonctionnel ce sont des pays où peut intervenir notre agence d'aide au développement l'AFD, c'est-à-dire l'essentiel de l'Afrique, la péninsule indochinoise, le Maghreb et, c'est la décision du CICID, le Liban et la Palestine.
La ZSP est flexible.
D'abord parce qu'elle ne donne pas aux pays qui y figurent un "droit de tirage" automatique. Elle comprend ceux qui ont "vocation à" bénéficier de notre aide. Ne pas relever de 1a Zone de solidarité prioritaire empêche d'en bénéficier. Etre sur la liste ne garantit pas, en revanche, de recevoir une aide particulière.
D'autre part, la ZPS est flexible parce qu'elle est évolutive. Le CICID en redessine chaque année les contours. Les choix faits pour un exercice peuvent être complétés ou remis en cause l'année suivante. Les décisions prises quant à l'entrée ou à la sortie d'un pays de la ZSP peuvent poser des problèmes pratiques et avoir des effets diplomatiques. Il appartiendra aux ministres compétents de traiter ces problèmes et d'expliquer les décisions prises, en étroite concertation interministérielle. Ces décisions s'inscriront à l'avenir dans des accords de partenariat pour le développement, qui fixeront le cadre pluriannuel de notre coopération avec les pays concernés.
Nous avons arrêté le domaine potentiel des interventions du FAC, dans les secteurs dits "de souveraineté" :
La compétence du FAC s'étendra à toute la Zone de solidarité prioritaire.
Son intervention ne sera toutefois pas systématique, chaque année, pour chaque pays. Il n'est donc pas question de saupoudrer sur un plus grand nombre de pays une aide d'un montant stable. Le CICID définira dans ce but, année après année, des priorités.
Par ailleurs, un groupe de travail interministériel devra réexaminer, pour juin 1999, l'ensemble des modalités du fonctionnement du FAC rénové, ainsi que ses rapports avec l'Agence française de développement. Il fera des propositions.
Enfin ce premier CICID a été l'occasion d'évoquer rapidement le travail effectué, et les axes de notre action pour 1999 : la renégociation de Lomé, le codéveloppement, le développement durable.
Des travaux sont en cours sur la renégociation de la Convention de Lomé, lancée le 29 juin 1998 par le Conseil Affaires générales. La France défend une vision ambitieuse du partenariat à venir, tout en plaidant pour son profond renouvellement, afin d'en assurer la pérennité. Nous souhaitons que ce partenariat soit plus efficace. Il faudra donc remédier aux insuffisances constatées : lenteur des procédures, centralisation de la décision au sein de la Commission, implication variable de ses services dans la mise en oeuvre des projets.
S'agissant de la promotion des formations supérieures françaises, le ministre de l'Education a souligné l'importance de ce qu'il faut bien appeler un marché, estimé à 130 milliards de francs pour l'ensemble du monde. C'est aussi un enjeu culturel fondamental : celui de la formation des élites des pays étrangers. Dans ce domaine, nous devons rattraper un retard indiscutable, en particulier dans les pays émergents. La France reçoit moins de 1 % des étudiants originaires d'Asie et moins de 3 % des étudiants originaires d'Amérique latine. La création de l'agence Edufrance devrait y contribuer.
L'état des réflexions en cours sur le codéveloppement a été évoqué.
Ces travaux devront être approfondis en 1999.
Enfin, plusieurs thèmes de travail ont été retenus pour 1999 : l'examen des suites à donner au rapport remis le 14 décembre 1998 par M. Tavernier, l'articulation des aides bi- et multilatérales, la préparation et la signature des premiers accords de partenariat avec les pays de la ZSP, ainsi que la coopération française en matière d'éducation de base. Pour finir, le développement durable, sur lequel j'ai demandé à Laurence Tubiana un rapport.
Pour conclure brièvement, je souhaite souligner l'importance de la réforme que nous avons entreprise. Elle touche une action - l'aide au développement - qui est une des grandes traditions françaises. C'est pourquoi il est légitime, me semble-t-il, que les grandes orientations en soient discutées par la représentation nationale. Le gouvernement est donc prêt à organiser, sur notre politique de coopération, un débat au Parlement.
Je laisse maintenant la parole à Madame et Messieurs les Ministres, ici présents, qui pourront répondre à vos questions.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)