Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les relations entre l'Union européenne et les Etats-Unis et la construction européenne, à Paris le 10 mai 2006.

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Circonstance : Diner offert à l'occasion de la Troisième conférence de l'Institut Aspen-France, à Paris le 10 mai 2006

Texte intégral


Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un grand plaisir de vous recevoir ce soir au Quai d'Orsay. Je tiens à féliciter Aspen-France pour cette initiative inspirée, conforme à sa vocation de favoriser des débats ouverts entre des décideurs d'horizons divers, tous animés par le même désir de mieux comprendre les enjeux les plus actuels pour agir.
Je suis très heureuse de pouvoir apporter ma contribution - modeste - à une réflexion aussi essentielle que celle qui nous rassemble ce soir et que vous poursuivrez les jours prochains à Lyon sur la relation transatlantique, et plus particulièrement la façon dont cette relation évolue sur les grands enjeux extérieurs.
Vous avez d'ailleurs choisi la franchise en évoquant, dans le titre de cette conférence, les "convergences et divergences" transatlantiques. Cette franchise me va. Parce qu'elle est au coeur du sujet. Si l'on examine l'évolution de cette relation en ce qui concerne les enjeux extérieurs, on trouve une histoire complexe faite souvent d'idéaux et d'initiatives communes, mais aussi de malentendus voire parfois de désaccords.
Certains d'entre vous savent peut-être que j'ai commencé ma vie professionnelle comme diplomate aux Etats-Unis. A travers les différentes responsabilités que j'ai exercées, à l'ambassade de France à Washington, ici au Quai d'Orsay, à l'Elysée en tant que porte-parole et bien sûr aujourd'hui comme ministre déléguée aux Affaires européennes, j'ai pu mesurer combien la relation transatlantique s'impose en réalité comme une évidente nécessité. Je reprendrais volontiers ce soir les mots célèbres du président Kennedy, le 4 juillet 1962, selon lequel c'est bien d'une "déclaration d'interdépendance" qu'il faut parler.
Interdépendance politique, fondée sur notre histoire partagée et sur nos valeurs communes enracinées dans le respect des libertés individuelles et l'idée du progrès à l'échelle universelle - deux valeurs qui fondent notre attachement à la démocratie.
Interdépendance scientifique et culturelle grâce à des flux d'échanges d'étudiants, de chercheurs et d'artistes sans égal dans le monde.
Interdépendance économique, bien sûr puisque l'Europe et les Etats-Unis ont atteint un niveau d'intégration unique en son genre, à tel point que les spécialistes se réfèrent à la notion d'économie transatlantique, qui représente à elle seule 42 % de l'économie mondiale. Chaque jour, l'équivalent de 1,7 milliards d'euros est échangé de part et d'autre de l'Atlantique et ce commerce transatlantique génère entre 12 et 14 millions d'emplois en Europe et aux Etats-Unis.
Dans cet esprit de proximité, nous apprenons chaque jour davantage à faire progresser la situation dans les régions en crise. Je pense à l'Iran, dossier sur lequel notre coordination est étroite. Je pense à la promotion de la démocratie, en Ukraine ou au Liban. Ou encore à la lutte contre le terrorisme. Chacun sait qu'aux moments les plus tendus du désaccord sur l'Irak, la coopération euro-américaine s'est non seulement poursuivie, mais également approfondie, sur des sujets aussi divers que la lutte contre le terrorisme, Haïti, les Balkans, l'Afghanistan ou encore le Liban. Le propre des vraies alliances et des vraies amitiés repose aussi sur la capacité des deux partenaires à assumer leurs différences, lorsqu'il y en a, et à savoir qu'elles n'empêchent pas de se retrouver sur l'essentiel. A les assumer avec sérénité et esprit de responsabilité, sans s'accuser de forfaits imaginaires. Etre amis doit permettre de se parler de tout.
Sous l'effet de la mondialisation, les enjeux extérieurs constitueront sans doute, à l'avenir, la nouvelle frontière de la relation transatlantique. Enjeux de sécurité, tels que la lutte contre le terrorisme international ou la lutte contre la prolifération. Enjeux de développement durable, avec la poursuite de l'ouverture économique et des échanges, la réduction des inégalités à l'échelle mondiale, ou l'impact des changements climatiques.
Nos sociétés respectives, et nos institutions, cherchent chacune leurs marques face à ces enjeux. Par nature et par nécessité, les Européens sont profondément attachés - avec des sensibilités différentes - à la recherche de solutions coopératives à l'échelle européenne et multilatérale. Les Etats-Unis avec un parcours différent, prennent progressivement la mesure de la montée des interdépendances, notamment par exemple sur le plan énergétique.
Mais nos objectifs sont largement communs et se manifestent par des prises de position concrètes : ensemble, nous souhaitons la réduction des déséquilibres macro-économiques mondiaux, la réalisation des Objectifs du Millénaire au bénéfice des plus vulnérables, et la réussite du cycle de Doha à l'OMC, qui doit être un cycle de négociation ambitieux et équilibré. Nous savons que sur ces sujets l'existence d'une volonté partagée entre les Etats-Unis et les pays européens est un élément important d'une négociation, qui suppose par ailleurs l'implication de tous les acteurs. Tous ces enjeux, quelle qu'en soit la nature, concernent la communauté internationale dans son ensemble et nécessitent des institutions multilatérales fortes et basées sur des règles. Et la coopération transatlantique est indispensable pour faire exister et respecter ces institutions.
Dans ces conditions, comment faire vivre la coopération transatlantique d'aujourd'hui pour faire face à ces nouveaux défis extérieurs ? Il y a naturellement de nombreuses pistes, et vous les explorerez certainement lors de votre conférence de Lyon. Permettez-moi, pour ma part, de me concentrer sur celle que je connais le mieux pour la pratiquer au quotidien : nous devons bâtir une Europe plus forte, plus unie, et plus efficace. Nous devons avoir "plus d'Europe" et non pas "moins d'Europe". C'est notre intérêt à tous, Européens et Américains. Nous le savons ici, sur ce continent. On le sait souvent - mais pas toujours - outre-Atlantique. Nous avons là un intérêt commun, je veux le dire avec force.
Cela dit, soyons exigeants mais soyons justes avec l'Europe : elle commence à exister sur la scène internationale. Elle sait faire entendre sa voix sur les grands sujets comme le changement climatique (à Denver en 1997 ou Gleneagles en 2005), la promotion de la diversité culturelle (à l'Unesco en 2005) ou bien encore la place et le rôle du droit (avec notamment la création de la Cour pénale internationale). Elle dispose d'une politique commerciale commune et négocie en tant que telle à l'OMC. Continuons. C'est du simple bon sens : à 25, nous sommes plus forts que si nous parlions seuls. L'Europe développe par ailleurs progressivement une politique étrangère commune, elle dispose d'un Haut-représentant, elle adopte des positions et des actions communes sur de nombreux sujets, elle met en place ses instruments.
De même, l'Europe de la défense, qui n'était encore qu'un rêve hier, devient un peu plus chaque jour une réalité : ainsi le drapeau européen est-il présent sur plusieurs continents, à commencer par le nôtre, dans les Balkans où sa force militaire a pris la relève de l'Otan en Bosnie-Herzégovine avec 6500 hommes présents sur le terrain. Tous ceux ici qui ont vécu les tragédies des années 1990 ne l'auraient peut être pas imaginé.
Enfin, le Conseil européen de mars dernier a décidé de doter progressivement l'Union d'une politique énergétique intégrée, en insistant d'abord sur son volet extérieur. Il le fallait.
Mais cette présence de l'Europe sur la scène internationale pourrait être beaucoup plus importante. Le Traité constitutionnel prévoyait de nombreuses avancées dans tous ces domaines, à commencer par l'instauration d'un ministre des Affaires étrangères de l'Union, mais nous connaissons tous les incertitudes qui pèsent sur l'avenir de ce texte, quoiqu'un quinzième Etat membre l'ait ratifié hier, 9 mai, date symbolique s'il en est.
Toutefois, si nous en avons la volonté politique, nous pouvons dès maintenant renforcer la cohérence et l'unité de l'action de l'Union européenne, par exemple en coordonnant davantage le travail des différentes institutions ou bien en renforçant nos capacités de défense à partir de l'agence européenne de défense.
C'est dans cet esprit que la France vient de présenter à ses partenaires des propositions visant à améliorer le fonctionnement des institutions, notamment en matière d'action extérieure, dans le cadre des traités existants et sans préjudice de la question d'un nouveau traité, traité qui reste nécessaire. Nous discuterons avec nos partenaires dès la fin du mois de mai de ces propositions, qui d'ores et déjà ont été bien reçues par la Commission et la présidence.
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Vous le savez, et le président de la République l'a rappelé à plusieurs reprises depuis le référendum du 29 mai, la France reste évidemment attachée au projet d'une Europe forte, politique et solidaire. Notre tâche est de la faire avancer pas à pas, jour après jour, et aussi de réconcilier les citoyens avec le projet européen, et je m'y emploie chaque jour. C'est pourquoi nous avons hier donné à la fête de l'Europe un retentissement particulier et un sens qu'elle n'avait, je crois, encore jamais eu en France.
De coeur, de conviction, d'expérience, je suis convaincue qu'une Europe forte est une condition essentielle du renforcement nécessaire de la coopération transatlantique.
Je forme le voeu que vos travaux, ce soir et dans les prochains jours, permettent de nourrir et d'approfondir encore cette relation unique.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2006