Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur la mondialisation et la promotion du développement durable, Paris le 27 avril 2006.

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Circonstance : Colloque sur la mondialisation à Paris le 27 avril 2006,

Texte intégral


Chers Amis,
Ce colloque est pour nous un élément de préparation de notre projet. Nous avons fait le choix de reparler de la mondialisation. C'est à l'évidence le grand thème qui structure le débat public à l'échelle nationale et à l'échelle internationale. Il nous faut la changer. Si nous voulons changer la France, il nous aussi changer la mondialisation. Pour cela, nous devons reconnaître les réalités. Il ne servirait à rien de surestimer ou de sous-estimer les environnements qui sont autour de nous. La mondialisation est un fait et, en même temps, son cours actuel n'est pas une fatalité. C'est la raison pour laquelle, les uns et les autres -partis politiques, syndicats, organisations non gouvernementales-, nous sommes dans un combat ; nous sommes dans un mouvement.
Il est vrai que nous portons les mêmes aspirations, les mêmes revendications et, souvent, les mêmes propositions. Sauf que nous agissons dans des cadres différents. Les partis politiques ont à prendre des engagements -nous le ferons lors des élections de 2007- et à les mettre en oeuvre si, bien sûr, les électeurs nous en donnent la possibilité. Les organisations, elles, n'ont pas à cesser leur combat le jour ou le lendemain des élections ; elles ont à le poursuivre. Je ne doute pas, d'ailleurs, que les propos que nous tenons ici ne soient utilisés contre nous le moment venu. Je l'espère d'ailleurs car notre statut n'est pas de rester dans l'opposition pour toujours et vaut mieux être interpellé au pouvoir qu'applaudit dans l'opposition. Ce que nous allons dire ici et traduire dans notre projet sera, pour les organisations, une référence, y compris pour nous rappeler nos objectifs le moment venu.
Le choix en matière de mondialisation est soit de nous adapter -c'est ce que l'on nous dit ; finalement la mondialisation serait forcément irréversible et nous n'aurions qu'à changer nos règles, nos comportements et même nos modes de vie pour être les plus efficaces possible dans la mondialisation. Nous voulons offrir une alternative, c'est-à-dire être capable de maîtriser la mondialisation sur des principes et sur des règles.
Nous devons donc affirmer -et ce sera notre premier engagement- la réforme de la gouvernance mondiale comme un préalable et un objectif. C'est le préalable parce que si l'on veut changer les normes internationales, il faut changer les organisations qui les émettent. Nous avons fait le choix d'une « ONU économique » qui est porté depuis longtemps par des partis politiques, des syndicats et des ONG et par quelques Etats, heureusement.
L'ONU, aujourd'hui, est en crise. Crise de légitimité, de financement, de fonctionnement même -il ne servirait à rien de le nier. Il peut paraître parfois vain d'évoquer de nouvelles structures quand celles qui existent aujourd'hui ont du mal à édicter leurs règles ou à empêcher le pire -on l'a vu encore à l'occasion de l'intervention en Irak.
Pour nous, « l'ONU économique » doit être le cadre où s'instaurerait justement la hiérarchie des normes internationales : conseil mondial de développement durable, conseil de sécurité économique ou environnementale... Qu'importe les mots même s'ils ont un sens, il faut que « l'ONU économique » puisse avoir également une capacité pour agir.
Nous voulons aussi que l'OMC, c'est-à-dire une structure qui est en dehors de l'ONU, y revienne. On ne pourrait pas comprendre que le commerce mondial puisse échapper à des règles internationales communes, à des normes internationales, à des principes, à des droits. Sinon, comment fixer les règles du commerce international au-delà du marché ? Nous voulons aussi qu'il puisse y avoir une garantie d'accès posée par les institutions internationales aux biens publics mondiaux. Cela suppose, si l'on veut faire échapper un certain nombre de biens à la marchandisation, de créer les outils financiers indispensables : c'est la proposition que nous faisons, avec d'autres, de fonds mondiaux des Nations Unies. Cette question des moyens, des ressources, des financements est essentielle. Ce sera le plus dur. Nous reprochons beaucoup aux Etats-Unis. Mais, en même temps, sommes-nous toujours nous, pays européens, et particulièrement la France, en capacité d'offrir des moyens de financement nouveaux aux institutions internationales. Il faudra donc que chacun fasse effort. Et, pour nous, s'il n'y a pas ces instruments financiers nouveaux, il ne pourra pas y avoir, pour l'accès à l'eau, aux médicaments, à l'Education, à l'environnement, des politiques véritablement engagées par les institutions internationales.
Je n'écarte pas bien sûr la question du FMI, de la Banque mondiale, qui sont des structures utiles, n'oublions pas de le préciser. Je ne voudrais pas qu'en contestant, à juste raison, le fonctionnement de ces institutions l'on puisse penser qu'il ne faudrait plus d'institutions. Le FMI, la Banque mondiale ont été des créations de l'après seconde guerre mondiale pour des objectifs de développement, pour des objectifs de croissance, pour des objectifs de lutte contre les inégalités.
Nous faisons le choix de l'Europe dans la mondialisation. Il faut aussi faire effort dans l'Europe pour en changer les orientations, mais elle peut être beaucoup plus utile que tous les pays additionnés. Cela veut dire que dans les institutions financières internationales, l'Europe doit parler d'une seule voix. Cela veut dire que, sur les aides publiques au développement, l'Europe doit ajouter et coordonner.
Cela veut dire que la politique commerciale -qui est une compétence européenne- doit être redéfinie, notamment dans le cadre des négociations commerciales multilatérales. C'est là que, bien sûr, se posent les questions aussi essentielles que celle de l'agriculture et, d'une manière générale, des préférences collectives.
Pour cela, l'Europe doit aussi conclure des alliances. Ces dernières années, l'Europe -en définitive- est apparue comme plutôt isolée, y compris par rapport à des pays qui avaient objectivement les mêmes intérêts que nous -je pense notamment aux pays émergents que nous avons laissés trop souvent, par notre propre égoïsme, utiliser des positions qui pouvaient d'ailleurs être utiles aux Américains.
Nous devons aussi, une fois la place de l'Europe rappelée, prendre des engagements qui nous concernent, c'est-à-dire la France. Nous les avons déjà évoquées dans plusieurs instances, je le fais là, à l'occasion de notre projet. Nous aurons nous-mêmes, avec l'Europe bien sûr et dans le cadre des institutions internationales, à reprendre la proposition de l'annulation totale de la dette des pays les plus pauvres. Cet objectif tient à coeur de beaucoup d'entre vous et d'ailleurs, pour partie déjà atteint. Mais, avec des conditions tellement restrictives, avec des utilisations des sommes ainsi dégagées tellement contraires aux principes qui sont les nôtres, qu'il faut y revenir. Il faut que cette annulation puisse être mise au service du développement, sinon ce n'est qu'une modalité financière. Il faut aussi qu'il y ait des conditionnalités politiques, démocratiques. Il faut, enfin, que cette annulation de la dette puisse être accompagnée d'autres politiques ; et c'est toute la question du budget de l'aide publique au développement.
Et là, parlons franchement : il y a notre propre responsabilité. Quand nous avons été nous-mêmes au pouvoir, nous n'avons pas fait l'effort suffisant pour position cette aide à un niveau convenable. Pourquoi ? Parce que, quand il y a des ajustements budgétaires, personne ne vient défendre la cause des pays en développement. Et quand, en plus, nous avons -c'est une richesse- des territoires et départements ultramarins, ils nous servent aussi à gonfler notre aide publique au d??veloppement ; ce qui est sans rapport avec la situation des pays qui ne sont pas de notre responsabilité et n'ont plus à l'être. C'est pourquoi, nous avons à prendre des engagements, dès lors que le Président de la République, lui, ne les a pas tenus. En matière d'aide publique au développement, lors de son second mandat, il avait dit des choses que l'on n'a pas retrouvées en termes budgétaires. Il va donc falloir augmenter l'effort et réorienter cette aide tout en en changeant les modalités. Réorienter en termes d'éducation, de santé, parce que ce sont l'essentiel ; changer les modalités, en essayant d'utiliser des formules multilatérales. Ce qui supposera de changer aussi notre administration en cette matière.
Il ne peut pas y avoir finalement de véritable politique d'aide au développement, si elle est définie par Bercy, ce qui est le cas aujourd'hui. C'est le Ministère de l'Economie et des Finances qui est maître du jeu en matière d'aide publique au développement, en matière de négociation de la dette. Il faut donc que le Ministère de la coopération, ou le Ministère des Affaires Etrangères, joue tout son rôle pour l'aide publique au développement.
Enfin, il faut trouver de nouvelles ressources, au-delà de l'aide, et c'est toute la question des taxes internationales. Je ne me plains pas qu'il ait pu avoir une première taxe sur les billets d'avion -encore faut-il qu'elle soit généralisée et faut-il encore que l'on utilise ce qui a été fait pour les billets d'avion pour d'autres domaines ! Dans une certaine mesure, la taxe Tobin retrouve une part de sa légitimité, puisque ce qui est possible pour un transport de personnes doit être possible pour un transport de capitaux.
Il nous faut aussi aborder la question des paradis fiscaux et celle de la lutte contre la corruption. C'est une question très difficile. Il nous faut s'attaquer à tout un système de blanchiment qui altère les règles du commerce international, de l'échange et du rapport entre Etats. Il nous faut lever -et pas simplement pour lutter contre le terrorisme même s'il faut le faire- le secret bancaire dans le cadre des instructions judiciaires, renforcer la coopération judiciaire. Il faut parler de ces sujets car c'est une question majeure pour la démocratie.
Je veux, enfin, évoquer la promotion du développement durable. Nous parlons beaucoup de la hausse du prix du pétrole. Elle nous pose la question de l'avenir même du pétrole dans nos sociétés. Mais, il faut songer aussi à ce qu'est la répercussion de la hausse du prix du pétrole sur les pays les plus pauvres. Il y avait déjà un sujet d'interrogation pour nous tous : les pays les plus pauvres, vraisemblablement, ne pourront pas accéder au moment où ils deviendront des pays émergents, puis développés, à la ressource énergétique, pétrolière notamment, elle sera épuisée. Mais, aujourd'hui, les pays qui doivent néanmoins avoir recours au pétrole souffrent considérablement du renchérissement de la matière première. À partir de là, il faut prévoir des plans d'aide à ces pays rien que pour ces questions.
Ensuite, il y a l'avenir même du système énergétique : de ce point de vue, nous avons à promouvoir les énergies renouvelables, toutes les formes d'économie d'énergie et un système de développement qui doit être différent. À cet égard, le protocole de KYOTO, pour nous, est essentiel mais doit d'ores et déjà être complété et il va falloir pénaliser les pays non-signataires qui ne tiennent pas leurs engagements et créent des « dés économies » externes pour l'ensemble des pays.
CONCLUSION
Nous avons à prendre des engagements multiples qui relèvent des institutions internationales, qui sont de la compétence de l'Europe, qui participent de nos propres arbitrages budgétaires, qui doivent modifier nos règles et nos usages en matière de financement, crédit et fiscalité, qui doivent modifier nos règles de vie dès lors que l'on parle de développement durable.
Agir pour le monde suppose des choix tout à fait exigeants pour la France. Nous ne pouvons pas dissocier le changement que nous souhaitons pour notre pays du changement de mondialisation. Il y a toujours eu la mondialisation. Faut-il encore savoir quel cours nous lui donnons.
Le projet que nous allons présenter ne peut pas être uniquement un projet pour la France -il le sera ; il doit être aussi un projet pour la France dans le monde. Si nous reprenions le beau slogan d'une « France solidaire », alors il faudrait dire une « France solidaire pour un monde plus humain ». C'est l'objectif que nous nous fixons aujourd'hui.
Source http://www.parti-socialiste.fr, le 3 mai 2006