Interview de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, à France 2 le 8 mars 1999, sur la parité hommes - femmes en politique, l'orientation professionnelle des filles, les actions contre la violence sexuelle entre adolescents, et les mesures en faveur du soutien scolaire dès la maternelle ou du tutorat.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

Texte intégral

Q - Nous allons parler de la parité, puisque cest aujourdhui la Journée de la femme. En matière de parité politique, vous avez été un peu pionnière, puisque dès 1995, vous avez fait une proposition allant dans ce sens qui a été accueillie, disons mollement, y compris par votre propre famille politique.
R - Cest vrai que javais déjà défendu un amendement constitutionnel à lAssemblée. Je métais trouvée un peu seule à ce moment-là avec Véronique Neiertz. Cest pour cela que je suis bien placée pour dire aujourdhui que si la parité aboutit, cest vraiment parce que Lionel Jospin a eu une détermination sans faille. Cela fait déjà près de trois ans quil en a fait adopter le principe par le Parti socialiste, quil la repris dans sa déclaration de politique générale, et quaujourdhui il en a fait une de ses priorités politiques. Il a su limposer, il a su aussi se faire comprendre. Je crois que si le Sénat a rendu les armes, dune certaine façon, cest aussi parce que le Premier ministre a joué la conviction. Il a porté quelque chose de très profond. Il na jamais considéré que le combat des femmes était subalterne. Il a utilisé aussi les arguments clairs et sans démagogie, en particulier en expliquant tout simplement que la parité, cétait la reconnaissance de la mixité, et que cétait un besoin dintérêt général par rapport à la façon dont sont gérées les affaires publiques.
Q - Vous avez été étonnée que certaines de femmes, y compris de gauche, disant : il ne faut pas linscrire dans la Constitution ; ce débat na pas de sens ; cest faire du tort aux femmes que dexiger que la parité soit inscrite dans la loi ?
R - Je respecte cette opinion-là, mais je crois que les femmes qui se sont exprimées de ce point de vue en général nont pas subi la brutalité de la vie politique. Je crois que lorsque lon a été confronté à cette brutalité-là, quon a même subi des injures, des insultes...
Q - Parce quon sait quà lAssemblée, parfois, vos confrères masculins utilisent des termes qui ne sont pas forcément élégants...
R - Oui, absolument, alors que vous avez à la base, au contact des électeurs, des citoyens de bon sens.
Par exemple, les problèmes de féminisation des titres étaient considérés comme une incongruité. Jai été élue en 88. Dès le départ, je me suis fait appeler la députée. Dans mon département des Deux-Sèvres, cela na jamais posé aucun problème. Et plus on montait dans la hiérarchie ou dans la pseudo-hiérarchie, plus cela posait problème. Je crois quil faut en revenir à des choses claires, à des choses simples, à des choses évidentes, et comme cela la société sera mieux gérée. Maintenant, il faut faire rentrer la parité dans les faits. Cest-à-dire quil faut éduquer tout le monde, pour penser paritaire, pour penser égalitaire, pour faire en sorte que les décisions soient prises par des hommes et par des femmes.
Q - Ces préoccupations rejoignent assez bien les réponses des collégiennes que vous avez interrogées. Un sondage a été fait auprès delles sur leurs attentes. Le premier résultat, cest dabord la réussite au collège. Elle passe avant lentente avec les parents, et elle passe avant y compris la rencontre avec le premier copain ou petit ami.
R - Oui.
Q - Elles sont très raisonnables, ces filles.
R - Elles sont très raisonnables, elles sont très investies dans la réussite scolaire et, dailleurs, lécole est linstitution en France qui est à lavant-garde de la parité et de la mixité scolaire, puisque la formidable démocratisation de lécole depuis dix ans a profité massivement aux filles. Aujourdhui, il y a plus de filles bachelières que de garçons ; elles réussissent mieux souvent dans le processus scolaire. Seulement, voilà, cest après que cela se corse, cest-à-dire quaprès, en effet, il y a des orientations professionnelles qui sont discriminantes. Il y a une réalité dans le monde du travail qui est très inégalitaire, puisquà qualification égale, les femmes gagnent encore 30 % de moins. Je crois que léducation peut faire encore beaucoup pour projeter les filles en avant, non seulement vers la réussite scolaire - ce que lécole réussit déjà, ce que les enseignants réussissent déjà formidablement - mais ensuite pour leur donner aussi la capacité de faire des choix professionnels sans subir une discrimination, et de se défendre dans le milieu du travail pour que leurs salaires soient égaux à ceux des hommes.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 1999)