Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France 2 le 17 mai 2006, sur son vote favorable à la motion de censure du PS et la stratégie de rassemblement de l'UDF.

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Circonstance : Débat sur la motion de censure, à l'Assemblée nationale le 16 mai 2006

Média : France 2

Texte intégral

Q- Revenons sur ce débat, hier, à l'Assemblée nationale, où vous étiez,
en quelque sorte, le héros du jour, puisque vous aviez annoncé que vous
voteriez la censure et vous avez été suivi par onze des trente membres
du groupe UDF à l'Assemblée nationale. Vous avez eu un discours
extrêmement "viril", comme on dit au rugby, à l'égard du Premier
ministre. Offensif en tout cas. Comment regardez-vous aujourd'hui cette
journée d'hier ?
R- C'est une journée qui a été marquée par une censure non dite puisque
la majorité des députes du parti majoritaire a refusé de venir en
séance pour soutenir le Premier ministre.
Q- Les bancs de l'UMP étaient en effet assez vides.
R- A cette censure non dite, qui se cache, moi, j'ai préféré une
censure franche. Parce que la situation actuelle, tout le monde le voit
bien, est si dégradée, la confiance a disparu, il n'y a absolument plus
aucune franchise à l'intérieur du Gouvernement et de l'UMP. Vous avez
vu la tête que faisait un camp contre l'autre camp à l'intérieur de l'
UMP. Tout ceci mérite qu'on le sanctionne.
Q- Cela augure-t-il de nouveaux rapports de force politiques dans le
pays, parce qu'une partie de l'UDF votant avec le PS, c'est quand
même...
R- Non, ce n'est pas avec le PS ! Normalement, dans une crise comme
celle-là, il y a deux autorités qui peuvent mettre un terme. Il y a le
président de la République ; c'est normalement son travail, sa
responsabilité. Et il a plusieurs armes : il peut démissionner pour
remettre tout sur la table, il peut dissoudre l'Assemblée nationale
pour qu'il y ait de nouvelles élections. Il peut changer le
Gouvernement, il peut même demander au Gouvernement d'aller solliciter
la confiance de l'Assemblée pour que les choses soient remises sur la
table. Le président de la République a décidé de ne rien faire. Alors,
puisque la première autorité n'a pas fait son travail, il reste à faire
appel à la deuxième et la deuxième, ce sont les députés du peuple, ceux
qui sont élus pour représenter le peuple. Ils ont le pouvoir de mettre
un terme à la crise. Et c'est cela que nous avons dit hier à la
tribune. Ce n'est pas le PS ou je ne sais quel parti, ni l'UDF qui
sanctionne le Gouvernement, c'est l'Assemblée nationale représentant le
peuple français qui dit que cela ne peut pas durer comme cela. Et tout
le monde sait que cela ne peut pas durer comme cela. Il n'y a pas un
journaliste, si vous consultez la corporation, qui pense que cela peut
durer et il n'y a pas un Français, parmi ceux qui nous écoutent, qui
puisse dire que ça va bien.
Q- Oui, mais en même temps, on voit bien que le système est grippé. Il
y a ces sentiments et ces conversations dans les couloirs, en même
temps, le système est fait de telle façon qu'il n'y a pas un député
UMP, non plus, qui est allé voter la censure. Aujourd'hui, et
depuis1962, je crois, il n'y a pas eu d'assemblée qui a renversé un
gouvernement.
R- C'est là une partie de la crise du régime : c'est que les gens qui
sont élus, qui gouvernent ne remplissent pas la responsabilité qui est
la leur.
Q- Ils sont élus au nom du peuple mais obéissent aux consignes de
parti.
R- Voilà. Toutes ces histoires de discipline de parti, tout cela, c'est
fini, ça craque de partout. Toutes ces histoires de droite/gauche, il
est interdit de se parler d'un côté à l'autre de l'Hémicycle, ça craque
de partout, parce que le peuple français n'en est plus là.
Q- Vous voulez dire que le pays n'est pas aussi clivé que l'Assemblée
nationale pourrait le laisser croire, qu'il n'y a pas une vraie
différence entre la droite et la gauche aujourd'hui ?
R- Vous savez bien comment cela se passe dans les familles ou dans les
entreprises : autrefois, ou l'on était à droite, ou l'on était à
gauche, et tout le monde autour de la table était prié, si le chef de
famille était à droite, d'être à droite, et si le chef de famille était
à gauche, de le suivre. C'était comme ça, c'était une société
autoritaire. Nous ne sommes plus dans une société autoritaire. Et cette
ouverture ou cette compréhension, qui est celle de toutes les femmes et
de tous les hommes, lesquels y sont bien obligés à cause de leur vie,
elle ne se retrouve pas dans les institutions. Autrement dit, le geste
que j'ai fait hier, qui a suscité quelques vagues, d'accepter de
franchir le pas, pour dire "ce n'est pas parce que je n'ai pas les
mêmes idées que le PS que je ne peux pas, dans des circonstances
nationales graves, voter avec eux, travailler avec eux, préparer un
jour l'avenir..."
Q- Vous voulez dire que l'on pourrait faire comme l'Allemagne ?
R- C'est ça qui est formidable. On est en France : lorsque j'ai fait le
choix qui est le mien, on a eu des déluges de polémiques. De l'autre
côté du Rhin, à quelques mètres de chez nous, les électeurs allemands
leur ont dit : "Excusez-nous, vous allez travailler ensemble. Nous vous
obligeons, vous, SPD et vous, centre-droit allemand, nous vous
demandons, nous vous enjoignons de travailler ensemble pour sortir l'
Allemagne de la crise dans laquelle elle [est]". On a annoncé des
apocalypses et cela marche très bien ! Cela demande des réglages, des
efforts, mais tout dans la vie demande des efforts et c'est cette
démarche nouvelle dont, je crois, moi, qu'elle va marquer l'avenir et
offrir une autre perspective.
Q- Et vous, vous pourriez incarner cela, cette capacité à ramener vers
vous certains UMP, [ceux de l'UDF] qui sont partis pour aller à l'UMP
et certains des socialistes qui pourraient se recentrer ? J.-P.Raffarin
vous reprochait, par exemple, d'abandonner les valeurs du centre...
R- Oui, J.-P. Raffarin... Sans commentaire. Le choix que j'ai fait, c'
est celui de permettre à la politique française de bouger, que les
lignes bougent. Le choix que j'ai fait, c'est que l'on puisse faire
travailler ensemble, en acceptant leurs différences, un large secteur
de l'opinion qui, autrefois, était, comme on disait, "à droite", et j'
espère au centre. Et un large secteur de l'opinion qui était autrefois
à gauche. On ne peut plus accepter ces espèces d'immenses mouvements de
balancier qui entraînent des alternances et chaque fois une désillusion
épouvantable. Et donc, ou bien on continue comme cela, avec des
blocages énormes, ou bien on se dit qu'il y a peut-être une autre
manière de faire. Et c'est une des choses qui peuvent dire aux
Français, qu'au fond, il existe un autre chemin que ce que nous avons
vécu jusqu'à ce jour.
Q- Excusez-moi : il y a aussi un principe de réalité qui est la
puissance, la force de feu de l'UMP. B. Accoyer ne s'est d'ailleurs pas
privé de faire allusion à de possibles représailles. Hier, N. Sarkozy,
sur France 2 expliquait pourquoi il restait dans le Gouvernement. Il y
a cette réalité qui ne va pas bouger tout de suite.
R- "Cette puissance de feu", comme vous dites, cette idée que PS et UMP
tiennent de toute façon la clef de la vie politique française, cela
appartient à un monde en train de finir. L'UMP occupe deux tiers des
sièges à l'Assemblée nationale ; en réalité, dans le pays, c'est moins
de 20 %. Donc cette rupture...
Q- Ce décalage...
R- Ce décalage entre les Français comme ils sont et ce que les partis
traditionnels nous montrent, c'est cette rupture là qui est en train de
craquer. Je suis heureux d'avoir pu contribuer, à ma manière, à la
faire craquer.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mai 2006