Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "RTL" le 11 mai 2006, sur le climat politique ambiant suite à l'affaire Clearstream, ses conséquences pour les pays, et sur la motion de censure déposée à l'Assemblée nationale par l'opposition socialiste.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Jean-Marc Ayrault.
R- Jean-Marc Ayrault : Bonjour, Jean-Michel Aphatie.
Q- Vous êtes avec nous, à Nantes, dans les locaux de RTL. Tous les jours, les socialistes posent des questions au gouvernement sur l'affaire Clearstream : des députés socialistes demandent la démission du gouvernement, vous avez déposé une motion de censure. Peut-on parler d'acharnement des socialistes, dans cette affaire Clearstream, Jean-Marc Ayrault ?
R- Non, ce n'est pas de l'acharnement, c'est notre rôle d'opposition de demander des explications au gouvernement et, surtout, de créer les conditions politiques pour sortir de cette crise qui paralyse l'action publique. Parce que c'est cela dont il s'agit aujourd'hui.
Le Premier ministre, qui est chargé de lutter contre le chômage - c'est quand même bien la moindre des choses - en réalité, passe une partie de ses journées dans des luttes de clans avec son numéro 2, qui est le président de l'U.M.P, Monsieur Sarkozy qui, lui-même, ne manque aucune occasion de le déstabiliser. C'est-à-dire que, pendant ce temps-là, on ne traite pas les affaires de la France.
C'est quand même bien le rôle de l'opposition de demander des comptes et, surtout, de demander qu'une initiative soit prise pour que ce climat délétère, dans lequel nous nous enfonçons chaque jour, cesse et qu'on aborde les vrais problèmes. C'est le sens de notre motion de censure.
Q- Jacques Chirac vous a répondu, mercredi. Il a dit : "Je fais toute confiance au gouvernement de Dominique de Villepin pour conduire la mission que je lui ai confiée. Passons à autre chose", dit le chef de l'État.
R- Croyez-vous que l'on peut passer à autre chose ? Vous croyez que la lutte de clan du numéro 1 et du numéro 2 du gouvernement va s'arrêter comme ça ? Il suffit d'observer à l'Assemblée Nationale - en tout cas, je le constate chaque semaine - c'est la paralysie générale, c'est le groupe U.M.P qui est divisé, tiraillé et, surtout, extrêmement inquiet sur son avenir, parce qu'il voit bien que la confiance des Français est en train de leur échapper.
Et à qui cela profite-t-il ? Croyez-vous que cela profite à la démocratie ? Je crois que cela profite surtout aux extrêmes, et Monsieur Le Pen n'a pas besoin de beaucoup parler. Il y a un sentiment d'écoeurement qui s'installe dans le pays parce que les français ont des problèmes, ont des soucis, veulent voir l'avenir avec confiance, et ce n'est pas du tout ce qui est en train de se passer.
Q- Mais, Jean-Marc Ayrault, Jacques Chirac a dit, mercredi, "le gouvernement Villepin continue".
R- Ah ! Il continue ! Mais vous voyez bien dans quelles conditions il continue. Donc, c'est cela, c'est une réalité politique.
Q- Ce n'est pas vous qui pouvez faire changer le gouvernement, Jean-Marc Ayrault !
R- Je pense que les Français souhaitent le respect des échéances, en 2007, et je crois qu'ils ont raison dans leur majorité. Mais dans une démocratie normale, et il suffit d'observer autour de nous, dans toute l'Europe. Et bien, le gouvernement aurait changé, serait tombé, et une initiative politique aurait été prise par le président de la République, pour assainir la situation, pour créer les conditions d'un fonctionnement normal.
Mais pas continuer comme cela, dans ce déballage de turpitudes, de scandales dont vous, d'ailleurs, la presse, nous apportez chaque jour des révélations nouvelles, et qui mettent en cause le fonctionnement des institutions. Parce que, quand le président de la République dit qu'il fait confiance à la justice, et que l'on constate, la veille, qu'un juge d'instruction dit qu'il a été manipulé par le vice-président du plus grand groupe industriel d'armement français européen, il y a quelque chose qui ne marche plus, dans notre pays ! Et c'est pour cela que la confiance disparaît.
Donc, il faut agir ! Il faut une initiative politique. Notre motion de censure, il est vrai que c'est un acte politique symbolique, mais cela va permettre de poser le problème du fonctionnement de notre démocratie. Et puis, commencer à poser les conditions de l'alternative pendant cette année qui vient.
Q- Par curiosité, quel sera l'orateur du groupe socialiste ?
R- Ce sera le premier secrétaire du groupe socialiste, François Hollande.
Q- Vous venez de dire, Jean-Marc Ayrault - vous êtes président du groupe socialiste à l'Assemblée Nationale - que le respect des échéances était important. Or, six députés socialistes, mercredi, ont demandé la démission du chef de l'Etat. Est-ce sérieux de demander la démission du chef de l'État, Jean-Marc Ayrault ?
Je comprends leur réaction, parce que c'est une réaction de colère, une réaction de désarroi, en même temps. Parce que, c'est vrai qu'une telle crise politique, qui montre un pourrissement du régime, qui montre le bilan catastrophique de toutes ces années de présidence Chirac - pas seulement pour lui et ses amis - mais surtout pour la France. Et qu'il y a un désarroi qui, normalement, dans une démocratie, aurait entraîné la chute du gouvernement et, pourquoi pas, l'avancement des échéances. On voit cela souvent, autour de nous, dans tous les autres pays. Donc, je comprends leur désarroi.
Mais, ce n'est pas pour autant que c'est ce que nous devons faire. Je crois que respecter les échéances, en 2007, est une nécessité démocratique et, en même temps, faire que cette année soit utile pour le débat démocratique, et qu'elle ne soit pas polluée par ce pourrissement général qui commence à lasser, à écoeurer les Français. Donc, c'est cela que nous attendons : une initiative. Alors, que fait le président de la République ? Il ne fait rien !
Q- Vous comprenez le désarroi de ces six députés, Jean-Marc Ayrault, mais vous les désavouez, ce jeudi, sur RTL.
R- Non, je ne désavoue pas. J'ai le droit de dire que je comprends leur désarroi, sans pour autant leur faire une leçon de morale. Ils expriment un ras-le-bol, que voulez-vous ! Il y a un ras-le-bol, aujourd'hui. Alors, si le président de la République n'est pas capable de comprendre qu'il y a une crise politique, qui n'est pas capable de faire autre chose que d'inventer - parce que c'est ce qu'il est en train d'inventer - le "diktat victimaire" : "Je suis victime !". Comme ça, ça lui évite de s'expliquer.
Mais dans quelle démocratie sommes-nous ? Regardez, autour de nous, que ce soient les Allemands, les Britanniques, les Espagnols : cela ne se passerait pas comme ça dans tous les autres pays. Même aux Etats-Unis, qu'on a souvent tendance à critiquer : on s'explique, le Parlement joue un rôle. Là, nous sommes obligés de jouer notre rôle dans des conditions extrêmement pénibles.
Mais je souhaite vraiment que la démocratie, dans notre pays, retrouve la voie de la raison et non pas être prisonnière, en quelque sorte, des luttes de clans. Parce que Villepin-Sarkozy : tout cela, c'est pareil, ils utilisent les mêmes méthodes. Ils utilisent les services secrets, qui sont assurés de la sécurité des Français, au service de leur lutte de clans. Ne trouvez-vous pas que c'est grave ?
Q- Jean-Marc Ayrault, en même temps, heureusement que Jacques Chirac ne va pas démissionner parce, sinon, vous ne seriez pas tout à fait prêt pour faire face à l'échéance.
R- On peut toujours dire cela, et on peut toujours ironiser. Mais je souhaite vraiment que l'on puisse parler des problèmes concrets des Français. Il y a eu la crise des banlieues, en novembre dernier. Que s'est-il passé depuis ? Rien du tout ! Aucune décision, aucune initiative, rien sur le terrain ! Je peux vous en parler puisque, dans ma ville, à Nantes, j'ai aussi des quartiers qui connaissent des graves difficultés. Je regarde ce qui s'est passé depuis. Est-ce que les subventions aux associations qui avaient été promises ont-elles été rétablies ? Rien ! Et sur le reste ? L'action en faveur de l'emploi des jeunes ? Le C.P.E, des centaines de milliers de Français dans les rues : que s'est-il passé depuis ? Rien ! On ne parle que de l'affaire Clearstream, des luttes de clans entre les uns et les autres. Cela commence à bien faire. Cela suffit ! Il y en a marre !
Q- Parler des problèmes concrets des Français : un sondage publié par "Le Figaro", mercredi, édité par B.V.A, montrait que pour 56% des sympathisants de gauche, les règles actuelles de l'immigration ne sont pas satisfaisantes, et il faut les modifier. Ce qui vous met, peut-être, en porte à faux, vous qui luttez aujourd'hui contre la loi que présente Nicolas Sarkozy sur l'immigration.
R- Ce n'est pas parce qu'on pose des problèmes et que l'on fait un diagnostic sur les difficultés de la politique d'immigration française que, pour autant, on n'a pas le droit d'être en désaccord sur un certain nombre de solutions. Et les solutions que propose Monsieur Sarkozy ne vont pas régler le problème. Elles vont générer, au contraire, des centaines de milliers de clandestins supplémentaires et que, donc, elles vont aggraver le problème.
Je pense que les Français veulent une vraie politique de l'immigration qui soit équilibrée. Ce que je regrette, encore une fois, c'est qu'à la veille de l'élection présidentielle, le ministre de l'Intérieur utilise l'immigration comme un élément du débat politique, comme un élément de clivage politique. Sur un sujet pareil, on devrait rechercher, au contraire, les conditions d'un diagnostic partagé de la situation liée à l'immigration. Et puis, ensemble, trouver des solutions qui soient équitables. Ce serait plus intelligent, ce serait plus utile et cela ferait progresser le débat.
Merci, Jean-Marc Ayrault - vous ne souhaitez pas la démission de Jacques Chirac : vous l'avez dit, ce jeudi, sur RTL - Bonne journée !

Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mai 2006