Texte intégral
J.-P. Elkabbach Bonjour José Bové, vous êtes où ?
- "Je suis à la Martinique, en plein centre de la Martinique, dans un gîte d'accueil paysan. Il fait nuit, la pluie vient de cesser et on entend les grenouilles tout autour de moi."
Vous connaissez la première et principale phase du plan Jospin. Est-ce que la peur doit maintenant cesser ?
- "Je pense que si la peur a dicté les consommateurs dans un premier temps et qu'il y avait véritablement une crainte, cette crainte, sur le fond scientifique, n'était pas fondée. Par contre, elle était fondée sur le fait de dire que l'acte d'acheter ce que l'on mange n'est pas fondé sur la peur. Les gens se sont dit que s'il n'y a aucun moyen de contrôler, ils allaient arrêter d'acheter."
Est-ce que vous êtes prêt à lancer aujourd'hui avec vos amis une campagne du style : "mangez de la viande française !"?
- "Lundi, si mes informations sont bonnes, il y a eu une manifestation à Lille avec un barbecue géant pour dire aux gens : " mangeons de la viande, si elle est nourrie à l'herbe, si elle n'est pas poussée, on peut le faire ". J'ai fait la même chose à Cayenne il y a deux jours. Donc, aujourd'hui, on peut raisonnablement dire aux gens qu'il n'y a pas de crainte à partir du moment où il y a une surveillance, un dépistage systématique et si maintenant on a la garantie qu'il n'y a plus de farines animales utilisées. Pour les années à venir, il n'y a plus aucune raison d'avoir peur, à moins, évidemment, qu'on ne fasse pas attention aux importations et notamment aux importations en provenance d'Allemagne. Là, effectivement il faut sécuriser au maximum le marché."
Il faudrait interdire d'importer des viandes de pays comme l'Allemagne, que vous citez, qui utilisent des farines animales et qui refusent les tests, c'est cela ?
- "Exactement ! Ce qui s'est passé en France vient non pas d'un trop d'Europe mais d'un pas d'assez d'Europe. Quand l'affaire de la vache folle a commencé, il n'y a pas eu de cohérence. On a laissé des circuits de marchés se faire, des fraudes s'organiser, bien qu'on ait pris des législations en France. Il faut maintenant prendre des législations, chaque fois qu'il y a un problème de ce genre, au niveau européen, immédiatement, et ne pas attendre qu'il y ait deux ou trois Etats qui s'y mettent pour tenter ensuite de convaincre les autres."
Dans le domaine de la sécurité alimentaire, la France est en tête. D'autres états européens ne semblent pas pressés d'en faire autant. Est-ce que vous prévoyez des actions pour que les décisions Jospin-Glavany soient étendues à toute l'Europe ?
- "Il est important que les décisions soient étendues à toute l'Europe et d'ailleurs c'est pour cela que nous appelons les éleveurs à manifester à Nice au moment du sommet social pour dire qu'il faut une réforme de la politique agricole sur la question des protéines végétales et sur la prise en compte de ce problème au niveau européen de manière globale immédiatement et non pas à chaque fois, quelques années après."
Aujourd'hui, les vétérinaires des quinze pays de l'Europe vont, paraît-il, s'interroger sur deux questions - un peu tardivement d'ailleurs. : A partir de quel âge faut-il étendre les tests de dépistage à tous les bovins ? L'embargo contre les bovins français est-il est justifié ? Quelle réponse donnez-vous ce matin ?
- " Je crois que, raisonnablement, il faut étendre les textes à partir du moment où l'animal a dépassé vingt-quatre mois, c'est-à-dire deux ans, parce que c'est au début de sa vie que l'animal risque d'attraper la maladie de la vache folle. C'est en tout cas ce que disent les scientifiques. Donc, il faut déterminer un système d'années. Je pense que deux ans, c'est raisonnable pour faire le dépistage systématique. C'est la mesure qu'il faut prendre immédiatement."
Lundi, dans l'émission " Mots croisés " de France 2, vous disiez : " il ne faut pas de polémique politique sur un tel sujet ", et il n'y a eu que cela. Mais est-ce qu'entre José Bové et Luc Guyau, il peut y avoir des réconciliations ou des actions à mener en commun à cause de ce climat ?
- "Je pense que si Luc Guyau est prêt à se rallier avec nous sur la mise en place d'un plan de sauvegarde des éleveurs, c'est-à-dire que s'il est prêt, pour défendre les éleveurs, à dire il faut les indemniser, qu'il faut qu'il y ait un stockage pour que le marché reparte, plutôt que de dire qu'il faut abattre tous les animaux qui sont nés avant 96, pourquoi pas faire un bout de chemin ensemble ?"
L'Europe, la Commission de Bruxelles, avait aidé la Grande-Bretagne dans un moment difficile. Est-ce que vous voulez agir pour que la France reçoive à son tour toutes les formes d'aides, y compris financières, dont elle a besoin ?
- "Si l'Europe a aidé la Grande-Bretagne au moment de sa crise, je pense qu'il est indispensable aujourd'hui qu'elle en fasse de même pour aider un pays de la Communauté à passer ce cap. Il y a nécessité de débloquer des fonds, ne serait-ce que pour venir en aide aux éleveurs : plus de 60 % des éleveurs n'étaient pas concernés par les farines animales puisqu'ils avaient des vaches allaitantes, c'est-à-dire des vaches à viande qui n'ont eu que de l'herbe dans leur alimentation. Les producteurs sont en train de payer une crise qui n'est que le fait de fraudeurs et la volonté d'un système de vouloir - comme pour les cyclistes - mettre de l'EPO dans l'alimentation."
Vous parlez souvent des fraudeurs. On sait qui ils sont. Pourquoi ne les sanctionne-t-on pas si on sait qu'ils existent ?
- "On sait qui ils sont puisque dans les rapports des fraudes"
Qui sont-ils ?
- "Ce sont les fabricants d'aliments qui ont incorporé des farines à l'insu des producteurs, ce sont des groupes comme Sanders, comme Guyomar, comme Glon, comme l'Union des coopératives bretonnes et normandes - on pourrait en citer d'autres : il y en a cent trente deux qui ont fait ce petit jeu et qui n'ont jamais été poursuivies. C'était justement l'objet de notre plainte en 96. Comment se fait-il qu'il y ait des gens qui aient pu importer des produits toxiques en provenance de l'étranger et que rien ne soit fait ? Il y a eu un véritable problème de dysfonctionnement de services de l'Etat, au niveau de l'Etat."
Maintenant on est fixé, en plus vous donnez les noms ! Ils vous répondront peut-être ! Les deux cohabitants font assaut de charme en ce moment : le Président de la République reçoit demain les organisations agricoles professionnelles. Est-ce que vous serez vous aussi à l'Elysée ?
- "Personnellement, je ne serai pas à l'Elysée, je n'ai pas encore eu d'information pour savoir si la Confédération paysanne sera reçue. Par contre, nous avions demandé un rendez-vous avec le Premier ministre. Ce rendez-vous aura lieu vendredi matin, avant de fixer les modalités d'application du plan et surtout de savoir comment on va prendre en compte la difficulté de la situation des éleveurs. Donc, nous allons débattre avec le Premier ministre de ces questions-là mais en même temps aussi de la nécessité - dont on n'a peut-être pas assez parlé dans la presse ce matin - de mettre en place un plan protéines végétales pour que l'Europe puisse être autonome au niveau de l'alimentation de ses troupeaux."
Mais est-ce qu'on peut rester au niveau français pour le colza, le tournesol, le soja ? Est-ce qu'on peut rendre de la terre, la travailler ou est-ce qu'on peut importer du soja non OGM ?
- "Il va falloir faire un plan en plusieurs phases et c'est pour cela que je regrette que le plan Jospin arrive dix ans après que le problème ait commencé. On aurait pu prendre des décisions beaucoup plus tôt et avoir le temps de décider. Néanmoins, je pense que ce plan doit se faire au niveau européen. Aujourd'hui, on a un excédent de 4 millions d'hectares de céréales qu'on subventionne ensuite à l'exportation ; plutôt que de faire ces céréales qui coûtent un argent terrible aux"
Aux contribuables
- "A l'ensemble des citoyens européens, aux contribuables, on aurait plutôt intérêt à faire des protéines végétales, ce qui nous garantirait qu'elles soient sans OGM. En attendant, on peut toujours acheter du soja au Brésil, notamment dans l'état de Rio Grande qui a interdit la production d'OGM. C'est ce que font déjà un certain nombre de grands distributeurs français qui s'approvisionnent au Brésil."
Est-ce que vous estimez que cette fois les politiques se sont bien comportés dans ce domaine et pour ces problèmes-là ?
- "Les politiques ont réagi non pas en raison des problèmes scientifiques mais en raison du principe de précaution électoral. A quelques mois d'élections importantes, ils se sont dits "on ne peut pas être en reste". Je crois que cela va laisser des traces : à mon avis, ce n'est pas forcément la meilleure attitude. Il aurait mieux valu assumer les responsabilités au moment où il y avait des décisions à prendre, au moment où il y a eu des fraudes, au moment où ces problèmes sont apparus plutôt que de le faire sous la pression d'une peur qui s'empare des consommateurs."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 15 novembre 2000)
- "Je suis à la Martinique, en plein centre de la Martinique, dans un gîte d'accueil paysan. Il fait nuit, la pluie vient de cesser et on entend les grenouilles tout autour de moi."
Vous connaissez la première et principale phase du plan Jospin. Est-ce que la peur doit maintenant cesser ?
- "Je pense que si la peur a dicté les consommateurs dans un premier temps et qu'il y avait véritablement une crainte, cette crainte, sur le fond scientifique, n'était pas fondée. Par contre, elle était fondée sur le fait de dire que l'acte d'acheter ce que l'on mange n'est pas fondé sur la peur. Les gens se sont dit que s'il n'y a aucun moyen de contrôler, ils allaient arrêter d'acheter."
Est-ce que vous êtes prêt à lancer aujourd'hui avec vos amis une campagne du style : "mangez de la viande française !"?
- "Lundi, si mes informations sont bonnes, il y a eu une manifestation à Lille avec un barbecue géant pour dire aux gens : " mangeons de la viande, si elle est nourrie à l'herbe, si elle n'est pas poussée, on peut le faire ". J'ai fait la même chose à Cayenne il y a deux jours. Donc, aujourd'hui, on peut raisonnablement dire aux gens qu'il n'y a pas de crainte à partir du moment où il y a une surveillance, un dépistage systématique et si maintenant on a la garantie qu'il n'y a plus de farines animales utilisées. Pour les années à venir, il n'y a plus aucune raison d'avoir peur, à moins, évidemment, qu'on ne fasse pas attention aux importations et notamment aux importations en provenance d'Allemagne. Là, effectivement il faut sécuriser au maximum le marché."
Il faudrait interdire d'importer des viandes de pays comme l'Allemagne, que vous citez, qui utilisent des farines animales et qui refusent les tests, c'est cela ?
- "Exactement ! Ce qui s'est passé en France vient non pas d'un trop d'Europe mais d'un pas d'assez d'Europe. Quand l'affaire de la vache folle a commencé, il n'y a pas eu de cohérence. On a laissé des circuits de marchés se faire, des fraudes s'organiser, bien qu'on ait pris des législations en France. Il faut maintenant prendre des législations, chaque fois qu'il y a un problème de ce genre, au niveau européen, immédiatement, et ne pas attendre qu'il y ait deux ou trois Etats qui s'y mettent pour tenter ensuite de convaincre les autres."
Dans le domaine de la sécurité alimentaire, la France est en tête. D'autres états européens ne semblent pas pressés d'en faire autant. Est-ce que vous prévoyez des actions pour que les décisions Jospin-Glavany soient étendues à toute l'Europe ?
- "Il est important que les décisions soient étendues à toute l'Europe et d'ailleurs c'est pour cela que nous appelons les éleveurs à manifester à Nice au moment du sommet social pour dire qu'il faut une réforme de la politique agricole sur la question des protéines végétales et sur la prise en compte de ce problème au niveau européen de manière globale immédiatement et non pas à chaque fois, quelques années après."
Aujourd'hui, les vétérinaires des quinze pays de l'Europe vont, paraît-il, s'interroger sur deux questions - un peu tardivement d'ailleurs. : A partir de quel âge faut-il étendre les tests de dépistage à tous les bovins ? L'embargo contre les bovins français est-il est justifié ? Quelle réponse donnez-vous ce matin ?
- " Je crois que, raisonnablement, il faut étendre les textes à partir du moment où l'animal a dépassé vingt-quatre mois, c'est-à-dire deux ans, parce que c'est au début de sa vie que l'animal risque d'attraper la maladie de la vache folle. C'est en tout cas ce que disent les scientifiques. Donc, il faut déterminer un système d'années. Je pense que deux ans, c'est raisonnable pour faire le dépistage systématique. C'est la mesure qu'il faut prendre immédiatement."
Lundi, dans l'émission " Mots croisés " de France 2, vous disiez : " il ne faut pas de polémique politique sur un tel sujet ", et il n'y a eu que cela. Mais est-ce qu'entre José Bové et Luc Guyau, il peut y avoir des réconciliations ou des actions à mener en commun à cause de ce climat ?
- "Je pense que si Luc Guyau est prêt à se rallier avec nous sur la mise en place d'un plan de sauvegarde des éleveurs, c'est-à-dire que s'il est prêt, pour défendre les éleveurs, à dire il faut les indemniser, qu'il faut qu'il y ait un stockage pour que le marché reparte, plutôt que de dire qu'il faut abattre tous les animaux qui sont nés avant 96, pourquoi pas faire un bout de chemin ensemble ?"
L'Europe, la Commission de Bruxelles, avait aidé la Grande-Bretagne dans un moment difficile. Est-ce que vous voulez agir pour que la France reçoive à son tour toutes les formes d'aides, y compris financières, dont elle a besoin ?
- "Si l'Europe a aidé la Grande-Bretagne au moment de sa crise, je pense qu'il est indispensable aujourd'hui qu'elle en fasse de même pour aider un pays de la Communauté à passer ce cap. Il y a nécessité de débloquer des fonds, ne serait-ce que pour venir en aide aux éleveurs : plus de 60 % des éleveurs n'étaient pas concernés par les farines animales puisqu'ils avaient des vaches allaitantes, c'est-à-dire des vaches à viande qui n'ont eu que de l'herbe dans leur alimentation. Les producteurs sont en train de payer une crise qui n'est que le fait de fraudeurs et la volonté d'un système de vouloir - comme pour les cyclistes - mettre de l'EPO dans l'alimentation."
Vous parlez souvent des fraudeurs. On sait qui ils sont. Pourquoi ne les sanctionne-t-on pas si on sait qu'ils existent ?
- "On sait qui ils sont puisque dans les rapports des fraudes"
Qui sont-ils ?
- "Ce sont les fabricants d'aliments qui ont incorporé des farines à l'insu des producteurs, ce sont des groupes comme Sanders, comme Guyomar, comme Glon, comme l'Union des coopératives bretonnes et normandes - on pourrait en citer d'autres : il y en a cent trente deux qui ont fait ce petit jeu et qui n'ont jamais été poursuivies. C'était justement l'objet de notre plainte en 96. Comment se fait-il qu'il y ait des gens qui aient pu importer des produits toxiques en provenance de l'étranger et que rien ne soit fait ? Il y a eu un véritable problème de dysfonctionnement de services de l'Etat, au niveau de l'Etat."
Maintenant on est fixé, en plus vous donnez les noms ! Ils vous répondront peut-être ! Les deux cohabitants font assaut de charme en ce moment : le Président de la République reçoit demain les organisations agricoles professionnelles. Est-ce que vous serez vous aussi à l'Elysée ?
- "Personnellement, je ne serai pas à l'Elysée, je n'ai pas encore eu d'information pour savoir si la Confédération paysanne sera reçue. Par contre, nous avions demandé un rendez-vous avec le Premier ministre. Ce rendez-vous aura lieu vendredi matin, avant de fixer les modalités d'application du plan et surtout de savoir comment on va prendre en compte la difficulté de la situation des éleveurs. Donc, nous allons débattre avec le Premier ministre de ces questions-là mais en même temps aussi de la nécessité - dont on n'a peut-être pas assez parlé dans la presse ce matin - de mettre en place un plan protéines végétales pour que l'Europe puisse être autonome au niveau de l'alimentation de ses troupeaux."
Mais est-ce qu'on peut rester au niveau français pour le colza, le tournesol, le soja ? Est-ce qu'on peut rendre de la terre, la travailler ou est-ce qu'on peut importer du soja non OGM ?
- "Il va falloir faire un plan en plusieurs phases et c'est pour cela que je regrette que le plan Jospin arrive dix ans après que le problème ait commencé. On aurait pu prendre des décisions beaucoup plus tôt et avoir le temps de décider. Néanmoins, je pense que ce plan doit se faire au niveau européen. Aujourd'hui, on a un excédent de 4 millions d'hectares de céréales qu'on subventionne ensuite à l'exportation ; plutôt que de faire ces céréales qui coûtent un argent terrible aux"
Aux contribuables
- "A l'ensemble des citoyens européens, aux contribuables, on aurait plutôt intérêt à faire des protéines végétales, ce qui nous garantirait qu'elles soient sans OGM. En attendant, on peut toujours acheter du soja au Brésil, notamment dans l'état de Rio Grande qui a interdit la production d'OGM. C'est ce que font déjà un certain nombre de grands distributeurs français qui s'approvisionnent au Brésil."
Est-ce que vous estimez que cette fois les politiques se sont bien comportés dans ce domaine et pour ces problèmes-là ?
- "Les politiques ont réagi non pas en raison des problèmes scientifiques mais en raison du principe de précaution électoral. A quelques mois d'élections importantes, ils se sont dits "on ne peut pas être en reste". Je crois que cela va laisser des traces : à mon avis, ce n'est pas forcément la meilleure attitude. Il aurait mieux valu assumer les responsabilités au moment où il y avait des décisions à prendre, au moment où il y a eu des fraudes, au moment où ces problèmes sont apparus plutôt que de le faire sous la pression d'une peur qui s'empare des consommateurs."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 15 novembre 2000)