Déclaration de M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, sur les orientations de la politique énergétique européenne basées sur la coopération entre Etats membres, et sur ses priorités, notamment la sécurité d'approvisionnement, la compétitivité internationale, le développement durable, Paris le 31 mai 2006

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Circonstance : Colloque "L'énergie en panne d'Europe ?" à Paris, le 31 mai 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de commencer par une confidence : je trouve le thème de votre colloque « l'énergie en panne d'Europe ? » à la fois provocateur et pessimiste mais aussi stimulant pour la réflexion.
Je rappellerai que la préoccupation de l'Union européenne en matière de sécurité énergétique ne date pas de 2006 puisque dés l'année 2000 sous présidence française et avec l'impulsion de la commissaire en charge, à l'époque, de l'énergie Madame de Palacio, la commission avait publié un livre vert intitulé « vers une stratégie européenne pour la sécurité d'approvisionnement ». En fait, dès le début de la construction européenne, la sécurité d'approvisionnement a été au coeur de l'Europe avec par exemple la CECA, à une époque où le charbon était une source d'énergie très importante. Nous n'avons en fait jamais « manqué » de politique énergétique.
Après les blacks outs électriques en 2003, et plus récemment la crise russo-ukrainienne du début de l'année 2006, la problématique de la sécurité énergétique européenne est devenue une préoccupation de premier plan au niveau européen. Après les pannes, nous avons eu des craintes pour nos approvisionnements, malgré la confiance que nous avions placée en Gazprom. Nous avons craint que l'énergie soit utilisée comme un instrument de pouvoir. Ces événements, parmi d'autres, ont favorisé l'accélération d'une prise de conscience plus aiguë des défis qui nous attendent et de la complexité des enjeux futurs de l'énergie.
Dans ce contexte, les Etats se sont naturellement tournés vers l'Europe, comme souvent en cas de difficulté. L'Europe a bien entendu son rôle à jouer sur la scène énergétique mondiale. Elle est légitime à négocier au niveau international et par les nombreux textes qu'elle adopte elle a un rôle déterminant dans l'évolution du secteur de l'énergie. C'est ma position : la France souhaite que l'Europe contribue à la résolution des défis énergétiques. L'Europe doit être capable d'offrir un cadre et des outils permettant aux Etats Membres d'assurer leur sécurité énergétique, c'est-à-dire l'équilibre de l'offre et de la demande d'énergie dans des conditions économiques et environnementales soutenables. Cet objectif politique global peut être obtenu par une plus grande coopération entre les Etats, quelle que soit leur situation énergétique et doit contribuer à la mise en place d'une meilleure gouvernance énergétique mondiale.
Pour les autorités françaises, la sécurité énergétique n'est pas nouvelle, elle est même au coeur de la politique française de l'énergie qui, notamment, depuis le choc pétrolier de 1973, vise à rétablir un plus haut degré de sécurité dans le bilan énergétique de notre pays, notamment grâce à notre programme nucléaire.
C'est l'occasion de rappeler que la France est le premier pays producteur d'énergie renouvelable de l'Union Européenne grâce à l'hydroélectricité (en volume). De même, notre politique sur les biocarburants avance à un rythme élevé. Enfin, la France souhaite maintenir son avance dans le nucléaire. C'est pourquoi la décision a été prise du lancement de la construction d'un EPR à Flamanville, et pourquoi nous nous sommes battus pour l'implantation d'ITER à Cadarache.
La France est très active dans le domaine de l'énergie et souhaite partager son expérience. Cette ambition énergétique française, nous l'avons relayée en janvier 2006 au travers de notre mémorandum « pour une relance de la politique énergétique européenne dans une perspective de développement durable ». De l'aveu même du Commissaire Piebalgs, la France a beaucoup contribué à la réflexion sur la relance d'une politique énergétique européenne.
Notre mémorandum présente des pistes pour la mise en place de systèmes énergétiques plus sûrs, plus durables et accessibles à tous. Nous insistons pour la mise en place d'une politique européenne de l'énergie qui développerait, dans une approche globale et partagée, des objectifs à atteindre filière par filière. De plus, nous préconisons la nécessité pour l'Europe d'une approche intégrée et coordonnée des politiques énergétiques de ses différents Etats Membres.
Ainsi, en matière de politique énergétique, la France a proposé que chaque Etat membre de l'Union européenne établisse un schéma de prospective énergétique, portant sur la gestion prévisionnelle, à moyen et long terme, de l'offre et de la demande, et présente les moyens qu'il entend mettre en uvre pour satisfaire sa demande énergétique, tant du côté de la production nationale que s'agissant des importations d'énergie. En France, nous établissons une PPI (Programmation Pluriannuelle des Investissements) que je présente régulièrement au Parlement. Cette PPI permet d'éclairer les consommateurs et les producteurs. J'ai constaté que de nombreux pays en Europe n'ont pas l'équivalent, ni même les ressources pour l'établir. Nous préconisons donc un tel exercice afin de clarifier les perspectives pour les investissements.
La stratégie de diversification des sources d'énergie mise en uvre par la France intéresse de près des pays dont la dépendance à l'égard, par exemple, du gaz russe est aujourd'hui forte.
Enfin, les Etats européens ont également intérêt à coordonner leurs politiques énergétiques. Je pense aux crédits d'impôts, à la normalisation... L'échelon européen est l'échelon pertinent.
Nous proposons également d'autres pistes de réflexion :
- un effort accru dans le domaine de l'efficacité énergétique;
- de nouveaux efforts de Recherche-Développement dans le domaine de l'énergie;
- et une meilleure prise en compte de la problématique énergie-climat dans les relations internationales.
Je suis heureux que le Livre vert de la Commission européenne intitulé « une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable », puis le Conseil européen des 23-24 mars dans le domaine de l'énergie, qui a jeté les bases d'une véritable politique européenne, aient repris l'essentiel de nos propositions, qui restent d'actualité pour les mois et les années qui viennent.
Je rappellerai brièvement plusieurs des priorités dégagées par le livre vert :
- la mise en place d'un observatoire européen de l'approvisionnement énergétique
- la publication régulière d'une analyse stratégique de la politique énergétique européenne
- la définition d'une politique énergétique extérieure commune.
Je voudrais insister sur ce dernier aspect qui démontre que la politique européenne n'est non seulement pas en panne mais plutôt en train de développer une politique extérieure ambitieuse, réaliste - car elle prend en compte les politiques et particularités nationales - et enfin pragmatique - car elle privilégie les coopérations concrètes avec les principaux partenaires européens plutôt que des échanges tous azimuts.
Je pense notamment au dialogue UE-Russie, qui est d'une importance stratégique pour la sécurité d'approvisionnement du continent et qui doit être fondée sur de meilleurs équilibres, sur une plus grande réciprocité et enfin sur une sécurité juridique, réglementaire et fiscale renforcée : nous pouvons dans ce cadre dire ce que nous pensons à notre partenaire russe du code minier, de la charte de l'énergie ...
Dans le même esprit, un dialogue UE-OPEP a été lancé depuis 2005. Nous attendons de ce dialogue des réponses des pays producteurs de l'OPEP sur les scénarios de production et sur l'état des réserves de certains d'entre eux pour qui l'estimation précise des réserves conserve un caractère stratégique. Il est opportun que l'Europe traite de ces questions, ce qui permet également d'avoir une approche géographiquement équilibrée avec tous les pays producteurs.
D'autres dialogues existent avec l'Inde, la Chine et plus récemment avec l'Algérie.
Toutes ces coopérations permettent de faire partager à ces groupes de pays une même approche en matière de réduction de l'intensité énergétique, de promotion des économies d'énergie, de développement des énergies renouvelables et des nouvelles technologies de l'énergie, et de lutte contre le changement climatique. Grâce à ces partenariats, l'Europe témoigne d'une véritable ambition énergétique à l'échelle mondiale. Ainsi, je vois dans cette diplomatie énergétique européenne un moyen de renforcer son rayonnement, de servir de référence aux autres pays consommateurs et producteurs en ayant le souci des impératifs de protection de l'environnement.
Pour conclure, l'Europe n'est pas et n'a jamais été en panne sur le sujet de l'énergie. J'en veux pour preuve les progrès dans la mise en place d'un marché intégré de l'énergie quand bien même il reste encore des améliorations à y apporter.
La problématique des prix de l'électricité est pour moi révélatrice de la nécessité d'une approche intégrée au niveau européen des enjeux énergétiques, nécessité que nous avons rappelée dans notre Mémorandum.
La formation des prix de l'électricité est en effet un sujet sur lequel nous souhaitons avancer avec nos partenaires européens. Certes il y a le rôle des interconnexions. Mais surtout, les quotas de CO2 ont un effet direct et absurde sur les prix de l'électricité. Pas un seul producteur n'a eu à acheter de quotas sur le marché. Or les prix de l'électricité on reflété à la hausse, comme à la baisse heureusement, les variations du prix des quotas de CO2. Je ne vois pas pourquoi dans ces conditions, le prix intègre cette composante. Les consommateurs non plus d'ailleurs. Nous allons donc prendre une initiative avec mon collègue allemand et mes collègues du Bénélux pour résoudre ce problème. Nous avions demandé lors des négociations sur la directive quotas, mais nous n'avions pas obtenu, que la pénalité soit libératoire. Ce qui veut dire que la directive doit être renégociée, ce qui prendra du temps. Or nous voulons des résultats rapides sur cette question.
L'énergie est et restera pour de nombreuses années au coeur des débats européens. Ma conviction, c'est que le partage, l'échange d'expériences et la mise en commun de nos diagnostics des problèmes sont essentiels. Mon rôle, en tant que ministre français de l'énergie, c'est d'apporter une contribution active à ces débats, fondée sur la politique que je suis chargé de conduire.
Merci de votre contribution à ce sujet, je prendrai connaissance avec intérêt du résultat de vos travaux, que je souhaite fructueux.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 2 juin 2006