Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale à RTL le 30 mai 2006, sur la polémique créée par l'amnistie de Guy Drut, représentant de la France au Comité international olympique.

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Q- "Avoir une médaille olympique, ça ne crée pas des droits, ça crée des devoirs". C'est ce que vient de dire A. Duhamel et, franchement, cette amnistie de G. Drut choque très profondément les Français.
R- Au moins, avec vous, vous condamnez sans appel. Ecoutez la défense 30 secondes. Premièrement, l'amnistie est une loi. Alors, je veux bien qu'on parle de "monarchie républicaine", mais le fondement de la décision c'est le législateur. Et si l'on ne voulait pas qu'on prenne de telles dispositions, il ne fallait pas voter la loi d'amnistie. Deuxièmement, cette loi d'amnistie existe depuis la République. Il y a eu des milliers et des milliers de personnes qui ont été amnistiées. J'entends, aujourd'hui, un certain nombre de socialistes crier, dénoncer l'amnistie. Ils la dénonçaient moins quand ils étaient au pouvoir, quand ils avaient la majorité et quand c'était Mitterrand. Peu importe, c'est comme ça !
Q- Cette loi d'amnistie existe depuis 2002, précisément.
R- Celle-là. Mais le principe existe depuis toujours ! Deuxièmement, je
vais vous dire quelque chose qui va vous surprendre : moi, je n'aurais
pas amnistié G. Drut.
Q- C'est dit !
R- Moi, je n'aurais pas amnistié G. Drut...
Q- J.-L. Debré, président de l'Assemblée Nationale n'aurait pas amnistié G. Drut.
R- Mais arrêtez de m'interrompre, il y a une deuxième partie de la phrase ! Et deuxième remarque que je vais vous faire : J. Chirac savait parfaitement que cela allait soulever des polémiques, que cela allait créer une agitation politicienne, mais il a considéré que c'est sa responsabilité - et sa responsabilité de président de la République - qu'il ne fallait pas priver la France d'un siège au Comité International Olympique. Alors, vous pouvez penser que tout cela est absurde. C'est une appréciation du président de la République : il a considéré que, dans l'intérêt des sportifs, il fallait que la France soit représentée par G. Drut au Comité International Olympique. Il a pris cette décision, que je n'aurais pas prise, moi, que je n'aurais pas eu le courage de la prendre, car j'aurais cédé face aux risques de polémiques, mais il a veillé, me semble-t-il, avant, à deux choses : d'une part, que la condamnation pécuniaire soit effectivement payée.
Q- 50.000 euros.
R- Deuxièmement, il a bien remarqué, comme nous tous, que les juges n'avaient pas frappé G. Drut d'inéligibilité. Alors, voilà la décision ! C'est courageux. Moi, je ne l'aurais pas fait, mais je pense que, dans l'intérêt de la France, il a eu raison de le faire.
Q- Vous ne l'auriez pas fait parce que vous manquez de courage, J.-L. Debré ?
R- Sûrement !
Q- [Dans la rubrique] "Voix Express" du Parisien de samedi, Solange Thierry [27 ans, travailleuse sociale, Paris XVIIIème, ndlr] qui est interrogée : "Cette histoire donne l'impression qu'il suffit de connaître quelqu'un pour obtenir ce qu'on veut. C'est inacceptable". Vous voyez les dégâts que cela fait, J.-L. Debré.
R- Que cela fasse des dégâts...
Q- Ce n'est pas de la polémique. Ce sont des dégâts.
R- Attendez, que cela fasse des dégâts, que cela éloigne les Français des hommes politiques : certainement !
Q- C'est terrible comme constat, J.-L. Debré !
R- C'est un constat. Mais quand on est chef d'Etat, il y a aussi à prendre en compte les intérêts de la nation, et il assume. J'ajoute que ce qui est plus grave encore, et cela, vous ne le dites pas : l'amnistie c'est une loi votée par le Parlement, par les députés, et les députés qui la votent assument leur responsabilité. Mais il y a plus grave ! Il y a, dans les institutions de la Vème république, de la IVème, de la IIIème, même de la 2nde, le droit de grâce. Et là, vous ne dites rien ! On n'a rien dit lorsqu'un certain nombre de responsables politiques - J. Bové, M. Gremetz - ont bénéficié d'une grâce. Et là, on a trouvé que c'était normal.
Q- Pas forcément. Enfin !
R- Alors, pas deux poids, deux mesures ! Je pense que J. Chirac savait ce qu'il faisait. J'en suis persuadé parce que je lui en ai parlé. Je lui ai dit que j'étais fondamentalement contre, mais il m'a dit que, compte tenu de ses responsabilités internationales, il avait conscience des cris, de la polémique - parce qu'en France, on fait tout pour que cela soit ainsi : on en parle, on en reparle, on ressasse. Tous ceux qui, jadis, étaient au pouvoir et qui ont cautionné de telles décisions, aujourd'hui, crient. C'est normal ! C'est la fin du quinquennat..
Q- C'est vous qui le dites !
R- ...Mais le président de la République, le chef de l'Etat, c'est celui qui, aussi, est capable d'assumer une décision, de prendre une décision et de l'assumer.
Q- Vous dites "fin de quinquennat" et on a cru entendre "fin de régime".
R- Quand je dis "fin de quinquennat"...
Q- C'est-à-dire ?
R- ...Ce n'est pas "fin de régime" ! Vous êtes fantastique ! Ou alors, vous avez des problèmes d'audition, cher ami. Quand je dis "quinquennat", vous entendez "régime". Je vais vous donner l'adresse d'un bon médecin.
Q- D'accord, mais on va en parler ! Il y a des députés qui écrivent au chef de l'Etat pour lui dire qu'il faut changer de Premier ministre.
R- A ma connaissance, il n'y en a eu qu'un.
Q- A ma connaissance, il y en a deux : F. Grosdidier et puis F. Scellier, député UMP du Val d'Oise - c'est Le Parisien qui le rapporte ce mardi : "Il faut changer rapidement de Premier ministre".
R- Comme je pensais que vous alliez me poser cette question - voyez, je commence à vous connaître !
Q- Vous avez préparé la réponse !
R- Non, non. Je me suis renseigné. Et, quand je me suis renseigné, hier, il n'y en avait eu qu'une.
Q- Eh bien, il y en a eu une deuxième. Et alors, qu'est-ce que vous en pensez ? Des députés qui écrivent au chef de l'Etat pour dire qu'il faut changer de Premier ministre !
R- J'aime beaucoup les députés qui écrivent au chef de l'Etat. J'ai une
appréciation plus nuancée à l'égard de ceux qui écrivent au chef de
l'Etat en disant à la presse qu'ils ont écrit.
Q- Mais sur le fond ?
R- Ce n'est pas leur responsabilité ! Il y a les institutions de la Vème république !
Q- Quel manque de confiance ! Quelle crise de confiance, tout de même, J.-L. Debré !
R- Mais non ! Il y a des institutions et la source du pouvoir, c'est le peuple et ce sont les élections. Si on rentre dans la république du sondage ou dans la république de la dénonciation, il n'y aura plus de République.
Q- Problèmes d'audition, J.-L. Debré. C'est vous qui en avez parlé, mais je comptais vous en parler...
R- Mais non, c'est vous qui m'avez parlé. Moi j'entends très bien.
Q- R. Sulmont accompagnait le Président, la semaine dernière, au Chili et au Brésil. Il a fait un reportage - on l'a entendu sur RTL, lundi matin - le président de la République a du mal à entendre ses interlocuteurs. Pourquoi n'est-il pas appareillé tout simplement, comme le sont des centaines de milliers de personnes de son âge ?
R- Vraiment, cela n'a aucun intérêt, votre question. Quand je le vois, il m'entend, il m'écoute.
Q- Non, il ne vous écoute pas ! Pour G. Drut, il ne vous a pas écouté.
R- Pas toujours, pas toujours. Mais je vous donnerai l'adresse parce que vous, vous avez un phénomène qui est plus grave : vous changez les mots.
Q- J.-L. Debré, un homme plein de ressources, d'adresse, de conseils - mais il n'est pas toujours écouté, hélas ! Et à l'heure.
R- ... vous étiez l'invité de RTL, bonne journée !Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 juin 2006