Texte intégral
Q - Durant la Coupe du monde de football, que font les diplomates ?
R - Ils continuent de se parler. Par définition, la Coupe du monde est un temps de paix et c'est un temps où l'on échange. Les diplomates sont donc ravis de pouvoir échanger avec les autres nations.
Q - Y a-t-il des télévisions ou des radios au Quai d'Orsay ?
R - Il y en a, bien entendu. Tout le monde est derrière l'équipe de France ; mais la diplomatie continue. Hier, j'ai rencontré M. Blatter, le président de la FIFA et je lui ai demandé de tout faire pour que les Marocains, les Algériens, qui seront privés de la Coupe du monde pour des raisons de droits de télédiffusion profitent de cet évènement. Je crois qu'il est également important que tous les peuples puissent avoir accès à cette manifestation mondiale. Il n'y a aucune raison qu'en fonction des moyens des uns ou des autres, certains puissent en être privés. Je lui ai dit que cela me choquait et il m'a répondu qu'il tentait de trouver des solutions.
Q - Faut-il faire pression sur lui pour qu'il n'y ait pas des riches et des pauvres à cause des problèmes de droits sportifs ?
R - Que d'autres pays le fassent comme nous l'avons fait hier.
Q - Qui a informé la France de la mort de Zarqaoui ? Comment l'avons-nous su et qu'en pense-t-on ?
R - Le monde entier l'a su immédiatement car les dépêches sont sorties quelques minutes après. Je crois que ce qu'il faut dire sur Zarqaoui, c'est qu'il incarnait un terrorisme particulièrement sanglant en Irak et que, maintenant, il n'y a qu'une seule priorité en Irak, c'est la logique politique, la réconciliation nationale, le fait que chaque parti politique, quelle que soit son appartenance ethnique, sa confession, puisse participer au processus politique. C'est la raison pour laquelle nous sommes tout à fait favorable à l'idée d'un processus de réconciliation nationale en Irak derrière la Ligue arabe. Il faut qu'il puisse y avoir cette grande Conférence d'entente nationale.
Q - Les Irakiens, les Chiites surtout, disent "le boucher du peuple chiite est mort". Mais on dit : un Zarqaoui de perdu, des milliers de zarqaoui aussi cruels et déterminés lèveront la tête et les armes. Que peut-on faire ?
R - La seule solution, c'est que l'Irak retrouve la pleine souveraineté de ses institutions. C'est la seule solution pour isoler les plus radicaux, pour diminuer la violence et le terrorisme dont l'intensité n'a jamais été aussi élevée. La constitution du nouveau gouvernement a été un élément important sur le plan politique avec la nomination d'un Premier ministre : M. Nouri Al-Maliki. C'est une avancée.
Vous savez également que, depuis quelques heures, il y a enfin un ministre, sunnite, de la Défense, M. Abdul-Qader Mohammed Jassim Al-Mifarji, et un ministre, chiite, de l'Intérieur, M. Jawad Al-Bolani. Il y a encore trop peu de gens qui croient à la réconciliation nationale et à la logique politique.
Q - Voulez-vous dire sur place ou ici ?
R - Sur place.
Q - Les Européens et les Américains, les Américains surtout, qui avaient soutenus les seigneurs de la guerre qui n'étaient que des bandits et des trafiquants craignent-t-ils que la Somalie devienne aujourd'hui une nouvelle base d'Al Qaïda et du terrorisme islamiste ?
R - La situation sécuritaire à Mogadiscio est très préoccupante, même si des progrès ont été réalisés récemment. Nous appelons l'ensemble de la communauté internationale à soutenir les autorités de transition pour contribuer au rétablissement de la paix et nous lançons un appel à tous pour un arrêt des combats et le retour à un véritable dialogue politique.
Vous me posez une question sur la montée des intégrismes religieux : le sujet numéro un dans le monde, aujourd'hui, me semble-t-il, avec la prolifération nucléaire, c'est que si nous laissons se poursuivre l'appauvrissement des pays pauvres, avec un fossé entre les pays riches qui deviennent de plus en plus riches et les pays pauvres qui stagnent - cela, ce sont les fruits de la mondialisation - il y aura un désespoir de toute une jeunesse qui sera manipulée par des gens qui utiliseront la religion pour faire de la politique.
C'est la chose la plus dangereuse aujourd'hui.
Q - M. Douste-Blazy, on dit que c'est devenu votre obsession ?
R - En effet, parce que je le vois.
Q - Vous avez eu beaucoup d'activités ces derniers jours avec Nelson Mandela, Bill Clinton, Kofi Annan, Bernard Kouchner qui étaient avec vous pour lancer ce truc qui s'appelle UNITAID : une Centrale d'achat de médicaments destinée aux pays pauvres. C'est vrai que dans les médias, la bonne conscience est en marche, tout va bien, mais cela suffit-il ?
R - Ce n'est pas la bonne conscience, c'est enfin un acte concret pour obtenir un financement. Grâce à cette idée du président Chirac et du président Lula, à partir du 1er juillet, un euro sera prélevé sur l'achat des billets d'avion lorsque l'on souhaitera se déplacer en France ou vers n'importe quelles capitales européennes.
Q - Et cela fera beaucoup d'argent à la fin de l'année ?
R - Cela fera 200 millions d'euros par an, rien que pour la France. On me dira que ce n'est qu'une contribution de plus ? Si avec cela, avec l'OMS, avec l'UNICEF et l'ONU, nous sommes sur le terrain à distribuer des médicaments contre la tuberculose, le sida et le paludisme, là, nous ferons quelque chose de très important car nous empêcherons quelqu'un dont le fils ou la fille est en train de mourir de la tuberculose de prendre la route pour aller chercher des médicaments de l'autre côté de la frontière.
Q - C'est une sorte de taxe morale anti misère et anti maladie ?
R - Oui, mais surtout, arrêtons de parler de l'immigration comme de quelque chose que nous pourrions stopper avec des lois ou des armées. Personne n'arrêtera quelqu'un qui cherche des médicaments pour soigner son enfant.
Q - UNITAID, c'est peut-être plus important que les lois européennes sur l'immigration d'après vous ?
R - Evidemment, la seule solution, en Afrique c'est le co-développement. C'est développer mais ne pas assister ; c'est permettre à l'Afrique de repartir sur le plan économique et c'est aussi de soigner les gens. Il est impensable de croire que, sur les 6 millions de personnes qui ont besoin de médicaments pour ne pas mourir du sida dans les 3 mois, 5 millions n'en auront jamais, alors qu'ils existent chez nous, parce que nous pouvons les payer.
Ce n'est pas uniquement scandaleux moralement, c'est une folie politique. N'oublions pas que, dans les attentats de Londres, il y a presque un an, la moitié des gens venaient des pays du Sud.
Q - Qu'ai-je fait en vous posant une question concernant ce sujet ! Parce que là !
R - C'est un sujet politique majeur.
Q - C'est en effet, un des bons aspects de la mondialisation mais qui distribuera les fonds et les médicaments recueillis par UNITAID ?
R - C'est ce que nous avons évoqué à l'Assemblée générale des Nations unies vendredi dernier à New York, autour de Kofi Annan. Il est évident que nous ferons cela ensemble, avec des organismes onusiens comme l'UNICEF ou des ONG, des gens comme Bernard Kouchner qui connaît parfaitement le terrain, avec l'accord des pays car, n'oubliez pas une chose, mettre des médicaments sur le tarmac d'un aéroport, cela ne sert strictement à rien en Afrique ; encore faut-il qu'il y ait des dispensaires de brousse, des infirmiers et des médecins.
Q - Et, y en aura-t-il ?
R - Nous allons justement créer cela. 14 pays ont souscrit au projet de contribution sur les billets d'avion. Par ailleurs, 43 pays acceptent de soutenir UNITAID alors qu'au début, il n'y avait que deux personnes : M. Chirac et M. Lula. La Coupe du monde de football, qui va permettre au monde entier de connaître UNITAID, sensibilisera, je l'espère, les opinions publiques pour qu'elles poussent leur gouvernement à nous rejoindre.
Q - Pourquoi ? Parce qu'il y aura UNITAID sur les ballons ?
R - Il y aura UNITAID sur un ballon au début de chaque match et cela permettra aussi aux opinions publiques, aux journalistes sportifs, d'identifier les pays qui n'auront pas encore adhéré à cette cause. Nous ne pouvons pas continuer à être égoïstes.
Q - Cela doit être donc une obsession pour aider collectivement ces pays.
R - Oui, parce que la mondialisation engendre des crises mondialisées et partagées.
Q - Souhaitez-vous que je parle de l'Iran ?
R - Oui.
Q - Vous êtes également au coeur de l'Iran vous aussi, ce pays évolue-t-il ? M. Javier Solana vient de rencontrer à Téhéran les dirigeants de l'Iran, personne ne parle plus aujourd'hui ni de représailles ni de sanctions à caractère militaire contre l'Iran ?
R - Il y a deux faits historiques qui ont eu lieu la semaine dernière. Pour la première fois, depuis plus de 20 ans, les Etats-Unis d'Amérique ont accepté de soutenir les propositions européennes ; c'est une victoire de la diplomatie européenne, et française en particulier.
Q - Peut-on dire que c'est un effet d'une influence éventuelle de Jacques Chirac sur ou auprès de M. Bush ?
R - Le président Chirac qui a vu très clair, qui a été un visionnaire dans l'affaire de l'Irak, a beaucoup contribué, j'en suis certain, à la réflexion du président des Etats-Unis aujourd'hui. En effet, on ne peut pas penser un seul instant que s'il y a une guerre entre l'Islam et l'Occident, elle se fera comme cela. Ce serait une guerre horrible, terrible, il faut tout faire pour l'éviter. Il faut arrêter de penser que nous avons toujours raison.
Q - Pensez-vous qu'il faut s'attendre à une négociation directe entre les Etats-Unis et l'Iran ?
R - Il y a un deuxième élément nouveau, c'est que le 1er juin, à Vienne, avec Condoleezza Rice, les Russes, les Chinois et les Européens, nous avons pu trouver un accord sur ce sujet, sur des propositions positives à soumettre aux Iraniens. Le nucléaire civil, les accords commerciaux y compris sur l'aéronautique, c'est avec cela que nous souhaitons que les Iraniens reviennent à la table des négociations.
Javier Solana se trouvait là-bas il y a 48 heures, il m'a dit que la réunion s'était déroulée dans des conditions assez constructives. L'Iran est devant ses responsabilités : ou elle accepte de revenir à la table des négociations, ce qui veut dire qu'elle donne des signes de retour à la confiance vis-à-vis de la communauté internationale, ou elle refuse et c'est l'isolement durable.
Q - Mais cela veut-il dire qu'à terme, les occidentaux accepteront que l'Iran possède un arsenal nucléaire et que, de cette façon, ce pays deviendrait, peut-être plus raisonnable, plus rationnel ?
R - L'Iran a droit à l'énergie nucléaire civile, comme tout les pays. La question est que nous ne voulons pas que les Iraniens en fassent un usage différent. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé la suspension des activités nucléaires sensibles. Je suis persuadé que ce n'est pas en humiliant les peuples, surtout des grands peuples comme celui-ci, que nous pourrons aboutir. Nous ne pourrons le faire qu'en nous mettant autour de la table, en considérant les Iraniens comme des partenaires.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juin 2006