Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France-Inter le 12 juin 2006, sur le climat politique et les enjeux électoraux de l'UDF.

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Q- F. Bayrou a donc promis samedi - je le cite - : "d'en finir avec la connerie de l'apartheid droite-gauche, s'il est élu président de la République". Très en verve et utilisant un langage que l'on n'a pas l'habitude d'entendre chez lui, il a dit sa volonté - je cite encore - "de donner un coup de pied au cul du système", renvoyant dos à dos UMP et PS qu'il a sévèrement critiqués... Alors, votre solution, si je comprends bien, si vous être Président, c'est un Gouvernement d'union nationale : on prends les meilleurs à droite comme à gauche et on gouverne ? Est-ce que ce grand centre, ce grand rassemblement, est-ce une alternative claire ? Une élection présidentielle, c'est un choix décisif...
R- C'est l'alternative claire et la seule disponible aux échecs répétés dont les Français souffrent depuis vingt ans. Vous savez bien, vous qui les recevez tous, que les principaux responsables politiques français, en réalité, quand ils parlent avec vous, dans les couloirs, leur analyse de la situation, leur thèse, leur projet, sont très proches, très semblables. On a même vu des responsables politiques de gauche qui essayaient de doubler sur la droite, des responsables de la droite qui eux-mêmes se déplaçaient sur la gauche. Tout cela est évidemment un jeu. C'est de ce jeu-là que nous souffrons. Je reprends votre phrase : en effet, ce dont nous avons besoin pour mettre un terme à cet apartheid, il faut inventer entre la droite et la gauche ce dont nous avons besoin, c'est de cohérence. Je reprends les termes principaux des choix proposés aux Français : faut-il, un, changer nos institutions ? Ma réponse est oui, et il y a des gens qui veulent changer les institutions au centre, à gauche et à droite. Deux, faut-il la construction européenne ? L'Union européenne renouvelée dans laquelle la démocratie s'impose enfin, au lieu de la technocratie qui a fait que les Français l'ont rejetée il y a un an ? Ma réponse est oui. Faut-il l'économie de liberté ? Ma réponse est oui. Faut-il bâtir un pacte social qui garantisse à chacun que les décisions sont prises, non pas en fonction des intérêts des puissants, mais en fonction de l'intérêt de tous ceux qui, en particulier sont au travail, voilà le cadre, l'axe principal de ce que sera forcément la seule alternative disponible.
Q- Pour être vraiment clair, pouvez-vous nous citer ce matin des noms de personnalités, de droite ou de gauche, que vous pourriez imaginer dans un Gouvernement si vous êtes Président ?
R- Au PS, je vais prendre la génération précédente et puis la génération actuelle. Dans la génération précédente, des gens comme Rocard et Delors sont absolument compatibles avec cette idée...
Q- Ce n'est pas la nouvelle génération, ce n'est pas le renouveau.
R- Oui, mais vous n'êtes pas si jeune non plus que vous puissiez ainsi indiquer qu'on met au rencard des responsables politiques confirmés.Mais des Kouchner, des Strauss-Kahn, sont des hommes qui sont compatibles entre eux. Il y a, à droite, à l'UMP, des gens qui sont parfaitement aussi. M. Barnier est quelqu'un de tout à fait estimable ; il y en a beaucoup d'autres. Le problème, ce n'est pas de trouver les hommes, ils existent ; ce n'est pas de rendre les idées compatibles, elles le sont, c'est de faire sauter le mur de Berlin qui empêche, en France, que ces hommes se parlent, se parlent de bonne foi pour faire progresser les choses.
Q- Réaction, dans Libération, ce matin, de F. Hollande, qui, après votre appel, vous traite d' "imprécateur". Il dit : "F. Bayrou est contre tout et contre tout le monde".
R- Que F. Hollande essaie de défendre sa boutique, ce n'est pas si facile pour lui en ce moment. Donc j'ai plus de la compassion que l'envie de la clouer au pilori. La situation dans laquelle il se trouve est extrêmement difficile. Vous savez bien qu'à la fois, publiquement et de manière personnelle, il est un peu mis en cause par ce qui se passe au PS.
Q- Vous voulez gouverner avec la droite et la gauche, et en même temps, vous les critiquez sévèrement. J'ai du mal à comprendre. Vous dénoncez l' "Etat Chirac", l' "Etat Sarkozy", vous critiquez les propositions de S. Royal sur les 35 heures...
R- Vous ne pensez pas que l'immense majorité des Français qui nous entend est exactement sur la même ligne ? Comment ne pas critiquer l'Etat, comme il fonctionne, l'Etat Chirac après l'Etat Mitterrand ? Comment ne pas le critiquer, quand vous voyez que toutes les nominations appartiennent au même petit cercle ? Quand vous voyez que l'amnistie donnée pour G. Drut a révolté un très grand nombre de Français ? Ne pensez-vous pas que c'est critiquable ? Et quant à S. Royal, le programme adopté par le PS comporte l'engagement de remettre en cause la loi Fillon, c'est-à-dire la seule chose qui ait été faite pour rééquilibrer les retraites. Loi Fillon, dont nous savons tous, tous ceux qui sont dans ce studio et tous les acteurs du jeu politique, qu'elle ne suffira pas et qu'il faudra aller plus loin. Mais va-t-on regarder en face la réalité et dire simplement que les problèmes, les drames que la France a à résoudre, ils ne peuvent l'être que par un mouvement d'union qui dépassera les frontières habituelles ?
Q- Vous proposez, manifestement, une troisième voie, entre les stars des sondages, S. Royal et N. Sarkozy. Il y a un effet Royal dans l'opinion, tous les sondages le démontrent. V. Giscard d'Estaing, le fondateur de votre parti a dit hier qu'elle incarne une forme de changement. Le changement, c'est quand même un compliment. Il y a un effet Royal dans les sondages, il n'y a pas un effet Bayrou, pourquoi ?
R- S. Royal a bénéficié dans les sondages, d'abord de la présence d'une femme dans ce jeu. Mais elle a surtout bénéficié de déclarations iconoclastes à l'égard du PS. Il y en avait deux : soumettre les jeunes en situation de délinquance à l'autorité militaire et il y avait la critique extrêmement rude des 35 heures. L'autorité militaire, ça n'a pas été repris par le programme de son parti, comme vous le savez, et combattu y compris par F. Hollande. Deuxièmement, sur les 35 heures, après des critiques de S. Royal, elle a passé la marche arrière, en disant que ce qu'il fallait faire pour les 35 heures, qui étaient si nocives, c'était les généraliser. Ce "un pas en avant, un pas en arrière", me semble-t-il, n'est pas très rénovateur de la politique. Cela dit, s'il y a une rénovation au PS, tant mieux ! Si le PS bouge, tant mieux. Ce dont les Français ont besoin, c'est que les lignes bougent et pas qu'on en reste dans la glaciation, qui, hélas, gèle tellement le système que tant et tant de nos compatriotes n'ont plus d'espoir, n'y croient plus.
Q- Est-ce qu'un candidat à la présidentielle peut faire de grandes promesses quand on voit l'état des finances de la France ? La dette est de 41.000 euros par famille, les comptes de la Sécu sont dans le rouge... Ne va-t-il pas falloir, avant tout, retrouver l'équilibre des comptes sociaux ? Ce sera un des enjeux de la campagne, et cela veut dire l'austérité.
R- C'est une adhésion que vous venez de prononcer au projet que je défends. En effet, le PS - c'est un point de critique extrêmement vif que vous venez d'articuler, là - présente un projet qui coûte, selon les estimations les plus basses, la bagatelle de 50 milliards d'euros.
Q- Vous faites des promesses qui ne coûtent rien ?
R- Oui, absolument, parce que la promesse que j'ai faite, c'est que l'on inscrirait dans la Constitution l'interdiction de présenter un budget en déséquilibre de fonctionnement. C'est-à-dire que la dette, au moins, ne croîtrait plus, que ce serait un engagement que le peuple français imposerait à ses dirigeants de ne pas surcharger de dettes les générations actuelles et qui viennent, qui vont étouffer sous le poids de cette dette.
Q- Hypothèse : comme en 2002, vous ne passez pas le cap du second tour à la présidentielle et au second tour, il y a un candidat UMP et un ou une candidat(e) socialiste. Pour qui appelez-vous à voter ?
R- Ce que j'aime dans votre histoire, c'est que depuis des années, vous essayez, les médias en général, de vendre aux Français l'idée qu'il n'y aurait le choix qu'entre deux partis, et deux seulement...
Q- Mais cela peut arriver, c'est une hypothèse !
R- Je n'envisagerais jamais cette hypothèse...
Q- C'est déjà arrivé...
R- Non, la dernière fois, ce n'était pas du tout cela. Quand on a fait la bêtise de vendre Chirac-Jospin pendant des mois et des mois, et que l'on s'est retrouvé avec Le Pen au deuxième tour, cinq ans après, on ne recommence pas ! Ce qui est arrivé, contrairement à ce que vous dites, ce n'est pas PS contre UMP, c'était Chirac contre Le Pen. Vous auriez tort d'oublier ce genre de chose.
Q- Je parle de 2007, hypothèse pour 2007...
R- Non, vous venez de dire "c'est déjà arrivé". Ce n'est pas arrivé, ce qui est arrivé, c'est le contraire et en partie parce que vous avez essayé d'enfourner de force dans la tête des Français l'idée qu'il n'y avait pas de choix de premier tour, qu'ils étaient condamnés, de toute façon, parce que sondages et médias en jugeaient ainsi, à avoir deux candidats et deux seulement, ce que les Français ont rejeté avec la violence que vous savez.
Q- Vous ne me répondez pas...
R- Ceci doit servir de leçon.
Q- ...On ne saura pas, donc.
R- On ne saura pas parce que le devoir d'un candidat qui se présenterait au premier tour de l'élection présidentielle, c'est de considérer qu'il offre un vrai choix au pays et pas un choix de substitution. Un vrai choix, en lui-même. C'est cela, désormais, la vocation de la famille politique et du courant politique que je représente.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 juin 2006