Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Monsieur le Vice-président de la Commission des Affaires étrangères,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Comme Philippe Douste-Blazy vous l'a indiqué, le Conseil européen de juin permettra aux chefs d'Etat ou de gouvernement, tout d'abord, de faire le point sur la période de réflexion décidée par eux il y a un an. Il leur permettra également de débattre des questions liées à l'élargissement mais aussi de la politique européenne de l'énergie, des questions migratoires et de plusieurs sujets sur lesquels nous avions fait des propositions, par exemple le projet de création d'une capacité européenne de réponse aux crises, avec déjà de premières mesures opérationnelles.
Vos interventions ont porté sur la recherche des moyens pour continuer à faire avancer une Europe concrète au service des citoyens, mais aussi à progresser sur les questions institutionnelles et sur la nécessité d'une réflexion sur l'élargissement.
Je vous répondrai sur tous ces points. Mais je veux vous dire aussi, pour répondre aux réflexions qui ont été faites au cours de ce débat, la conviction qui est la nôtre que les Françaises et les Français restent attachés à l'Europe comme projet politique.
C'est un projet, comme vous l'avez dit Monsieur le Député Léonetti, porteur de valeurs et profondément respectueux de l'identité des peuples. Un projet porteur d'un idéal, celui de la fraternité et de la raison, celui où les nations décident librement de faire prévaloir ce qui les unit sur ce qui les divisait. Après vous, je souhaite le rappeler ici, aujourd'hui, au moment où nous donnons collectivement, parfois, l'impression d'oublier que l'Europe ne sera que ce qu'est notre volonté collective commune.
Alors, continuons d'abord par faire avancer une Europe concrète au service des citoyens.
Vous l'avez tous souligné, et notamment Monsieur le député Léonetti et le président de la délégation pour l'Union européenne. C'est l'évidence.
Depuis un an, le gouvernement a clairement donné la priorité, dans son action européenne, à la construction d'une Europe plus concrète, développant des politiques efficaces qui répondent aux attentes des citoyens. Croissance, emploi, sécurité, énergie, investissements accrus dans la recherche et l'innovation, actions en faveur de la jeunesse, problématique des migrations et du développement, OMC, politique extérieure, notamment Iran et Proche-Orient : tels ont été les principaux axes de l'action de l'Union européenne ces derniers mois. Dans un contexte difficile, la priorité doit être donnée aux actions concrètes et l'Europe, plus que jamais, doit démontrer la valeur ajoutée de son action. C'est ainsi que les citoyens se reconnaîtront en elle. Nous le savons. C'est ainsi que les Françaises et les Français pourront à nouveau avoir confiance en elle, comme vous l'avez souhaité, Madame la Députée Comparini.
Qu'on l'appelle Europe des projets ou Europe des résultats, la nécessité de cette orientation est reconnue comme essentielle par tous les gouvernements européens et par la Commission. Sur cette base, je tiens à vous dire que l'Union européenne fait son travail et prend les décisions qu'elle doit prendre, parfois avec plus de difficulté ou de lenteur qu'il serait souhaitable, mais elle le fait. C'est un point important. Je prendrai quelques exemples :
- sur le budget : il y a un peu plus de six mois, beaucoup doutaient de la capacité des Etats membres à s'accorder sur un budget. Or avec les décisions du Conseil européen de décembre, puis l'accord avec le Parlement européen, l'Europe dispose aujourd'hui d'un budget, qui est de surcroît un bon budget, conforme à ce qu'il doit être pour bâtir une Europe forte, compétitive et solidaire : avec 864 milliards d'euros pour la période 2007-2013, l'Europe a les moyens de ses ambitions ; avec 55 milliards de plus par rapport à la période précédente, elle peut faire monter en puissance les politiques qu'il convenait de développer : cohésion, recherche et développement, politique extérieure commune, justice et affaires intérieures, etc.
- Autre exemple : la proposition de directive sur les services : nous avons réussi, en un an, à totalement renverser la situation et à convaincre nos partenaires et le Parlement européen. La réforme du premier projet était nécessaire, elle a été "salutaire", comme vous l'avez dit, Monsieur le Président Ayrault. Je regrette seulement que les élus socialistes français au Parlement européen n'aient pas voté en faveur de ce "salut" ! Je dirai la même chose au député Lefort, s'il m'y autorise. Le premier projet n'était pas acceptable ; au contraire, l'accord politique conclu il y a deux semaines par les ministres des 25, par consensus, reprend le texte voté par le Parlement européen, qui était très satisfaisant : suppression du principe du pays d'origine, application du droit du travail du pays de destination, comme je vous l'avais dit, Monsieur le Député Lefort, c'est-à-dire par exemple du droit du travail français en France, préservation des services publics ainsi que des secteurs sensibles que sont la santé, le social, l'audiovisuel. Nous pouvons maintenant envisager un marché intérieur des services respectueux de la dimension sociale de l'Union et permettant le développement des échanges, ce qui est notre intérêt.
Je dois faire observer également, en évoquant ce sujet, deux éléments qui sont essentiels pour porter un jugement sur l'Europe : d'une part, la démocratie européenne a bien fonctionné - on prétend souvent le contraire ; d'autre part, l'Europe arrive à concilier l'économique et le social - ce n'est pas rien.
L'Europe concrète, l'Europe des résultats prend ainsi forme jour après jour :
- c'est le cas dans le domaine de l'énergie où les jalons d'une véritable politique européenne - qui est nécessaire - ont été posés en mars. Et vous avez bien voulu rappeler, Monsieur le Président, la détermination française à aller de l'avant manifestée par le président de la République vendredi lors du sommet franco-britannique ; j'y reviendrai ;
- c'est le cas dans le domaine de la recherche également, avec des moyens budgétaires plus ambitieux, + 35 % par rapport à la période précédente. Le Conseil européen de mars a, par ailleurs, décidé d'utiliser la Banque européenne d'investissement, la BEI, en cofinancement avec l'Union européenne, pour augmenter les fonds consacrés à la recherche d'un montant pouvant atteindre jusqu'à 30 milliards d'euros. Je rappellerai aussi que l'Union européenne a réussi à faire des pas décisifs sur ITER et GALILEO, deux investissements majeurs pour l'avenir et l'indépendance des Européens.
Nous avons des résultats aussi en matière de sécurité, par exemple dans le domaine aérien avec la liste noire des compagnies aériennes dangereuses ; tel est aussi le cas dans la lutte contre l'immigration clandestine : l'introduction prochaine de la biométrie dans les visas permettra de disposer de titres de séjour mieux sécurisés sur le territoire de l'Union.
Des résultats sont là en matière d'éducation également. Nous avons ainsi pu obtenir une augmentation importante du nombre de bourses Erasmus et Leonardo pour les années qui viennent ; cela concerne les étudiants mais aussi les jeunes apprentis.
Et je pourrais aussi mentionner l'Europe de la défense dont les avancées ont été rapides : qui aurait pensé il y a encore cinq ans que l'Union serait en mesure de mener en même temps onze missions en Europe et dans le monde dont deux opérations militaires en Bosnie-Herzégovine et depuis hier en République démocratique du Congo et neuf opérations civiles de gestion de crise : mission de police en Bosnie-Herzégovine et en RDC, mission d'observation de l'accord de paix à Aceh en Indonésie, mission de conseil dans le domaine de la sécurité en RDC et dans l'ARYM, mission d'assistance dans le domaine douanier à Rafah, mission de conseil pour la réforme de la police palestinienne, mission d'observation dans les Balkans, mission de formation de magistrats et policiers irakiens ? Voilà des résultats !
Et puisque je mentionne les questions de politique étrangère, permettez-moi après vous de rappeler le rôle essentiel que mène actuellement l'Europe dans le dossier du nucléaire iranien, et de le dire tout particulièrement à Monsieur le Député Jean-Claude Lefort. L'Europe n'est pas spectatrice. C'est Javier Solana, Haut Représentant de l'Union, qui a présenté à l'Iran l'offre de toute la communauté internationale : Europe, Etats-Unis, Chine et Russie. C'est un rôle nouveau pour l'Europe, et, de plus, Javier Solana s'acquitte remarquablement de sa tâche. Je remercie Monsieur le président de la Délégation pour l'Union européenne d'avoir souligné ces progrès. Et le vice-président de la Commission des Affaires étrangères d'avoir appelé à de nouveaux progrès de la PESC.
Pourquoi ai-je voulu rappeler tous ces exemples aujourd'hui ? J'ai pris tous ces exemples pour montrer que l'Europe agit et décide.
Le Conseil européen de juin permettra, lui aussi, de faire avancer davantage cette Europe concrète en abordant deux sujets essentiels :
- tout d'abord les questions migratoires dont il est inutile de rappeler l'importance. Vous l'avez fait avant moi, Monsieur le Député Léonetti. Notre pays plaide depuis toujours pour une approche globale, c'est-à-dire comportant à la fois le renforcement des contrôles et le renforcement de la coopération et du développement. Car le problème doit être aussi traité à sa source. Tous les acteurs concernés doivent être associés : pays d'origine, de transit et de destination. C'est ce que fera la conférence euro-africaine de Rabat les 10 et 11 juillet, dont vous a parlé Philippe Douste-Blazy.
- ensuite le Conseil reviendra sur les questions énergétiques : il avait demandé en mars de définir en premier lieu une politique extérieure de l'énergie, notamment à l'égard de nos principaux fournisseurs comme la Russie et les pays méditerranéens. Le Haut Représentant et la Commission européenne ont donc proposé un plan d'action. Les chefs d'Etat ou de gouvernement devraient le valider et leur demander de le mettre en oeuvre, notamment en lançant un dialogue ambitieux avec la Russie sur notre sécurité énergétique, et en utilisant les moyens existants, notamment au titre de la politique de voisinage, pour atteindre les objectifs de l'Union européenne en matière énergétique. La France ne peut que se féliciter de cette mise en place progressive de cette politique énergétique extérieure européenne, qui est l'une des clés de notre indépendance énergétique dans les prochaines décennies.
On le voit, même dans un contexte difficile, l'Europe avance. Faut-il pour autant se satisfaire de la situation présente? Bien sûr que non : l'Europe peut nous apporter beaucoup plus et doit continuer à gagner en cohérence et en efficacité mais sachons mesurer à leur juste valeur les progrès accomplis, au lieu de céder à la facilité, et puis surtout sachons nous mobiliser pour progresser encore.
Et je veux dire de la manière la plus claire ici à la représentation nationale que la France tient son rang. La plupart des décisions que j'ai évoquées ont pour origine des propositions de notre pays. Sur tous ces sujets - énergie, recherche, éducation, budget européen, migrations - notre pays a été en initiative et a su peser de tout son poids. Et je pourrais aussi citer la directive services. Ce n'est pas toujours simple dans le contexte que nous connaissons ; de plus, dans une Europe à 25, la formation des majorités est mathématiquement devenue plus complexe. Il faut donc savoir convaincre et c'est ce que nous faisons.
J'en viens à présent aux deux autres grands sujets que vous avez évoqués, les questions institutionnelles et l'élargissement.
Avancer sur les questions institutionnelles.
Bien sûr, la question de l'avenir du traité constitutionnel sera abordée jeudi et vendredi, comme nous l'avions fait à niveau ministériel fin mai à Vienne. Rappelons les faits : quinze pays ont dit "oui", un seizième, la Finlande, envisage de le faire. Mais deux l'ont rejeté et les sept autres pays ne se sont pas encore prononcés, parmi lesquels certains auraient des difficultés à le faire.
Alors, par respect aussi bien de ceux qui ont ratifié le texte que de ceux qui l'ont refusé, parce que le référendum du 29 mai s'impose à nous, et parce qu'il n'y a pas de solution à court terme pour l'avenir du traité, les 25 se dirigent vers la prolongation de la période de réflexion ouverte l'an dernier. C'est l'une des orientations des débats du conclave informel des 27 et 28 mai, auquel je participais : il faudra plusieurs présidences et plusieurs années pour que la question institutionnelle trouve une solution adéquate. Comme l'ont indiqué le président de la République et la chancelière fédérale lors de leur rencontre du 6 juin, la présidence allemande devrait permettre de faire la synthèse des propositions possibles, et le premier semestre 2007 devrait ainsi être le début d'une séquence, qui se prolongera jusqu'au second semestre 2008 avec la présidence française et même au-delà. Voilà comment nous pouvons répondre aujourd'hui à votre interrogation, Monsieur le Président Lequiller.
Sur le fond, soyons clairs, le besoin d'institutions rénovées demeure entier. Nous le mesurons tous les jours, Monsieur le Député Lefort, même si vous ne voulez pas toujours le voir. Les incertitudes qui pèsent sur l'avenir du traité constitutionnel ne remettent pas en cause la justesse de cette analyse, faite depuis plus de 5 ans, et nous savons donc que nous ne pourrons pas en rester durablement au traité de Nice. Vous en avez à nouveau fait le constat aujourd'hui, Monsieur le Député Léonetti.
Mais en attendant de disposer des institutions rénovées dont l'Europe a besoin, il est d'ores et déjà possible d'améliorer tout ce qui peut l'être dans le cadre des traités existants. C'est ce que le président de la République a proposé en début d'année et Philippe Douste-Blazy et moi-même avons ainsi transmis fin avril à nos homologues européens une contribution à la réflexion commune comportant plusieurs propositions précises et concrètes :
- sur la sécurité des citoyens pour l'améliorer en rendant plus facile la prise de décision grâce au passage à la majorité qualifiée dans certains cas décidé à l'unanimité ;
- sur la dimension sociale de l'action de l'Union, si essentielle aux yeux de nos concitoyens ;
- par son action extérieure, pour en renforcer la cohérence, la visibilité et l'unité entre tous les acteurs concernés - Commission, Conseil, SG/HR, Etats membres -; car en effet c'est nécessaire, comme vous l'avez souligné Monsieur le Président Blum ;
- sur le rôle des parlements nationaux: c'est une exigence démocratique à laquelle nous devons répondre ; vous nous l'avez dit, notamment Madame Comparini comme Monsieur Lefort ; nous l'entendons ;
- sur la coordination des politiques économiques, indispensable pour renforcer notre efficacité collective, comme la France l'a toujours souhaité.
Philippe Douste-Blazy vous l'a rappelé, toutes ces propositions visent à améliorer ce qui peut l'être, en étant pragmatique. C'est possible et c'est nécessaire. Les textes actuels le permettent.
Les négociations se poursuivent encore en vue du Conseil européen, notamment sur nos propositions, dont je note qu'elles ont été soutenues par la Commission pour nombre d'entre elles. Nous souhaitons que les conclusions du Conseil arrêtent des orientations pour avancer sur plusieurs de ces propositions et de poser ainsi les jalons nécessaires pour l'avenir. Outre que ces améliorations seraient utiles en elles-mêmes, elles rendraient la période de réflexion vraiment active.
Engager la réflexion dès juin sur l'élargissement.
La France avait souhaité que cette réflexion occupe davantage de place dans le débat européen. Les Français l'ont aussi clairement demandé et vous vous en êtes fait l'écho à nouveau aujourd'hui, Madame Comparini et Monsieur Ayrault.
Mais commençons par dire au sujet de l'élargissement qu'il a été une réussite réelle et même un accomplissement historique conforme à la vocation première de la construction européenne : bâtir sur notre continent - dont on connaît l'histoire - un espace de paix, de démocratie - nous étions encore divisés il y a quinze ans - et un espace de développement économique et social. Qui pourrait croire d'ailleurs que, dans le monde globalisé d'aujourd'hui, nous ne devions pas unir nos forces pour réussir ?
Mais en même temps, comme vous l'avez souligné, Monsieur le Député Léonetti, nombre de citoyens européens ont pu avoir le sentiment que le processus se déroulait sans eux, quoique leurs représentants y participent, sans contrôle politique adéquat, et qu'il fallait renforcer celui-ci. On ne fera pas l'Europe sans les peuples, nous en sommes tous convaincus.
Le gouvernement français a donc demandé - et obtenu - qu'avant d'accueillir de nouveaux membres l'Union engage un débat de fond sur sa stratégie. L'élargissement ne concerne pas seulement, en effet, les pays candidats mais aussi l'Union elle-même et a des conséquences sur sa nature comme sur son fonctionnement. C'est pourquoi, pour que ce processus reste à l'avenir une réussite, nous devons répondre aux différentes questions concrètes qui se posent : quelles seront les politiques communes d'une Union élargie ? Quel sera son budget et son type de financement ? Quelles seront ses institutions ? Et comment s'assurer du soutien des peuples à ce processus ? La capacité de l'Union à accueillir de nouveaux membres, ce que l'on appelle la capacité d'absorption, doit être non seulement rappelée au Conseil européen mais précisée. Nombre d'entre vous l'ont aussi souhaité aujourd'hui, le président de la délégation pour l'Union européenne et M. Léonetti.
Nous devrions donc progresser sur ce point et engager la réflexion dès juin, une réflexion qui devra ensuite être poursuivie sous les présidences suivantes.
Enfin, s'agissant des pays adhérents, des pays candidats ou bien encore des pays des Balkans auxquels a été reconnue une perspective européenne, je puis vous assurer que nous restons d'une très grande vigilance dans le suivi au jour le jour des discussions et des négociations en cours. Le récent rapport de la Commission sur la Bulgarie et la Roumanie montre que le processus est conduit avec sérieux.
Au total, la France aborde ce Conseil européen, comme elle le fait depuis un an, en étant une force de propositions, vous l'avez vu, et en demandant à ses partenaires d'aborder ouvertement tous les sujets majeurs concernant l'avenir de l'Europe, même ceux qui sont difficiles. Notre volonté à être en initiative reste entière et nous continuerons à aller de l'avant car c'est ce que nous demandent nos concitoyens. Il n'y aurait aucune issue dans le repli sur soi. C'est fort de cette conviction que le gouvernement agit depuis un an et continuera de le faire.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2006