Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur la politique énergétique de la France et les propositions du PCF en ce domaine, à Paris le 14 juin 2006.

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Circonstance : Réponse à une déclaration du gouvernement à l'Assemblée nationale sur la politique énergétique, Paris le 14 juin 2006

Texte intégral

Monsieur le président, Monsieur le ministre, chers collègues,
Moins d'un an après la promulgation de la loi de programme fixant les orientations de notre politique énergétique, le 13 juillet 2005, l'Assemblée nationale est de nouveau saisie pour discuter, à nouveau, des orientations de la politique énergétique de la France. Au-delà des motivations internes à votre majorité qui ont pu être à l'origine de cette initiative, nous voulons nous en saisir pour contribuer à sortir notre pays de l'impasse dans laquelle votre politique énergétique le conduit. Le programme du Conseil national de la résistance appelait " un retour à la nation... des sources d'énergie, des richesses du sous-sol ". Et dès la Libération du joug nazi, la France conquit son indépendance énergétique en construisant des services publics porteurs de développement économique, de progrès social et de coopération internationale. Cet héritage, cet atout inestimable, vous êtes en train de le brader au nom de vos dogmes libéraux. Vous le faites contre l'intérêt de la France, de son peuple, des salariés de ces entreprises. Vous le faites par complaisance aux logiques du tout marchand et de la libre concurrence que portent aujourd'hui l'Union européenne et l'OMC. Alors que la question énergétique constitue aujourd'hui un vrai enjeu de civilisation, vous jouez petit, vous jouez profit !
Mes chers collègues, l'énergie est une question trop importante pour laisser libre cours à un tel aventurisme. Vous avez privatisé. Alors que l'on aurait pu construire, avec EDF et GDF, un grand groupe public de l'énergie qui garantisse notre souveraineté énergétique, vous préférez alimenter la course aux OPA et donc menacer l'indépendance et l'avenir de GDF, d'EDF, mais aussi bien sûr de Suez. Une telle inconséquence répond peut-être aux prescriptions de la Commission européenne. Elle n'en reste pas moins une ineptie politique. En effet, les choix énergétiques relèvent de l'intérêt général de toute la planète : aucun intérêt particulier ou financier ne peut donc interférer dans la définition et la conduite de ces politiques ! Elles relèvent du bien commun, donc de la maîtrise des peuples et de leurs représentations démocratiques.
L'énergie, c'est d'abord un droit pour chaque homme, chaque femme. C'est un atout vital pour chaque peuple. C'est donc aussi de grandes responsabilités pour tous les gouvernements ! C'est le droit au bien-être, droit de se chauffer, de s'éclairer, de se déplacer. Ce droit figure d'ailleurs dans le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité. Son article 10 dispose notamment, je cite que " la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ". Il proclame donc, ainsi, l'existence de ce droit à l'énergie. Et ce droit, aujourd'hui, n'est pas assuré pour tous nos concitoyens. Des salariés d'EDF, les " Robin des bois ", sont aujourd'hui obligés de pallier les carences de l'action publique, en rétablissant le courant aux familles les plus démunies de notre pays. Et cette situation peut encore s'aggraver lorsque l'on voit comment la privatisation d'EDF a entraîné des hausses de tarifs de 48 % dans le secteur dérégulé, pour les entreprises, et que se profile la même chose pour les familles, si le gouvernement accepte la libéralisation totale des marchés d'ici à juillet 2007.
L'énergie, c'est aussi le droit au progrès économique et social
L'énergie, c'est aussi le droit au développement et donc au progrès économique et social pour tous les peuples de la planète. 2,6 milliards d'hommes et de femmes sont aujourd'hui privés d'un accès à l'énergie dans le monde. Et les ressources énergétiques sont aujourd'hui sources de conflits et de tensions. On assiste à l'épuisement progressif de toutes les ressources fossiles et au réchauffement climatique. Mais entravés ou guidés par les logiques du tout-marchand, les tenants de l'ordre établi sont incapables d'apporter une réponse collective permettant de placer les ressources énergétiques et leur utilisation au service des individus et du développement durable de la planète. Parce que nous mesurons le fait que l'ensemble de la société est concernée par la question énergétique, les députés communistes et républicains proposent de faire reposer notre politique énergétique sur des choix démocratiques et sur un réel volontarisme politique, à même de donner corps à la conduite de celle-ci. En ce sens, nous revendiquons la totale maîtrise publique de ce secteur économique. Et comme toutes ces questions sont communes à toute l'Europe, les députés communistes et républicains soutiennent la création d'une véritable Europe de l'énergie. Mais cette politique européenne n'aura d'efficacité qu'en portant cette vision du caractère universel de l'énergie dans les instances internationales, qu'en reposant sur le respect de l'indépendance énergétique des Etats membres, sur la coopération et les échanges entre les Etats, mais aussi sur un fort engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Nous soutenons la création d'un véritable pôle public de l'énergie
Une telle ambition ne se concrétisera pas sans une remise à plat de l'esprit de la construction européenne : face aux logiques financières de court terme induites par la déréglementation et la mise en concurrence des secteurs de l'énergie et du transport, l'Europe devra opposer, pour être crédible, d'autres logiques politiques, solidaires, humanistes, seules à même de répondre à ces enjeux de civilisation. C'est dans ce cadre que nous soutenons la création d'un véritable pôle public de l'énergie. Il s'agirait, au-delà des nécessaires renationalisations d'EDF et de GDF, de regrouper tous les acteurs de la filière énergétique, qu'ils relèvent de la recherche, de la production ou de la distribution de l'énergie. Je pense donc aux services publics d'EDF et de GDF, mais aussi à AREVA, la Cogema, le CEA, l'ADEME, Total. Ce pôle public aurait, en lien avec la définition d'orientations politiques par le Parlement, la mission de conduire cette politique, mais aussi d'influencer les choix économiques, c'est-à-dire d'irriguer toute la sphère publique des enjeux et de l'importance des questions énergétiques.
Ce pôle public serait chapeauté par une Haute autorité, composée d'élus de la Nation, de représentants de l'Etat, des salariés et des usagers. Cette Haute autorité aurait pour mission d'assurer le suivi de cette politique énergétique et de veiller au bon respect de la transparence et du caractère démocratique des décisions. Le financement de ce pôle public pourrait reposer en partie sur le prélèvement des profits exorbitants réalisés par Total: plus de 21 milliards d'euros pour les années 2004 et 2005 ! De même, toutes les opérations d'acquisitions externes d'EDF ont révélé l'ampleur des gâchis consécutifs à cette politique de promotion des seuls investissements financiers : un véritable service public, émancipé de ces logiques financières, aurait donc une pleine capacité à investir dans la recherche, dans la promotion de nouvelles énergies et dans le développement de nouvelles capacités de production, tout en maintenant un coût d'accès à l'énergie relativement faible pour tous les usagers. Ce pôle public de l'énergie devrait fonder sa conduite sur la réponse aux besoins énergétiques, dans des conditions aptes à préserver l'environnement et l'avenir de notre planète. Au vu de la croissance forte des besoins en énergie et de l'impact de ce développement sur notre environnement, il est devenu vital de développer des énergies propres, durables et renouvelables. Mais il est tout aussi urgent de repenser notre conception même du développement économique : il n'est plus possible de se lancer dans de grandes envolées sur le développement durable tout en cautionnant un système économique, le capitalisme, à l'origine même du pillage des ressources naturelles et de la destruction progressive de l'environnement.
Il n'est plus possible de continuer à promouvoir une croissance incapable de prendre en compte son impact sur l'environnement. Il en va de l'avenir de la Terre et des générations futures. La fonction de ce pôle public de l'énergie serait donc essentielle. Je prendrai un exemple : toute notre politique d'aménagement du territoire repose aujourd'hui sur des logiques libérales et donc un complet laisser-faire sur le marché foncier. Nos concitoyens en quête de logement à des prix accessibles sont donc contraints d'aller chercher des terrains toujours plus éloignés des centres-villes. Cette politique consomme donc énormément d'espaces en périphérie des villes et renforce l'utilisation de la voiture. Avec toutes les conséquences que cela implique en matière de consommation d'hydrocarbures et de rejets de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Dans ce cadre, il s'agit de repenser notre politique d'urbanisme et de transport urbain, aussi au travers du prisme de la maîtrise de l'énergie et de son efficacité sociale. Devant la fin du pétrole qui se profile, ce pôle public aurait aussi pour mission d'orienter et de financer la recherche et le développement d'énergies du futur, propres et si possible renouvelables.
Améliorer les performances des énergies renouvelables, de la biomasse ou de la méthanisation...
Je pense au projet ITER. L'intérêt de cette recherche est considérable. Mais nous savons que les promesses offertes par la fusion nucléaire ne pourront pas se concrétiser, au mieux, avant des décennies. Pour satisfaire nos besoins à moyen terme, tous les projets d'investissement dignes d'intérêt devraient être soutenus, notamment pour améliorer les performances des énergies renouvelables, de la biomasse ou de la méthanisation, travailler sur la production d'hydrogène. Nous soutenons aussi les recherches visant à développer une énergie nucléaire propre. Il s'agit de travailler sur les centrales de 4ème génération, qui pourraient être moins génératrices de déchets, mais aussi sur la gestion des déchets produits actuellement par nos centrales nucléaires. Leur existence suscite de réelles et légitimes inquiétudes dans l'opinion qui ne pourront être levées qu'en trouvant, dans la plus totale transparence, des solutions à ce problème. Et le projet de loi actuellement en débat au Parlement est loin de répondre à cet enjeu ! Comme nous savons qu'il n'y aura pas de substitut unique au pétrole, nous devons engager de réels investissements pour garantir que nos capacités de production d'énergie répondent bien, à l'avenir, à nos besoins en énergie : c'est dans ce cadre que nous soutenons la construction d'un réacteur de type EPR à Flamanville et que nous exigeons, au nom de la sûreté des installations nucléaires, une totale maîtrise publique de ces installations. Mais il faudra surtout s'engager, de façon bien plus déterminée que ce n'est le cas aujourd'hui, vers une diversification de nos sources d'énergie et notamment sur la promotion d'énergies renouvelables, comme les énergies solaire et éolienne. Nous devrions être extrêmement ambitieux.
De la même façon, nous attendons, au-delà des beaux discours, un réel engagement des pouvoirs publics pour le développement du ferroutage et du transport fluvial, ce qui demande de ne pas poursuivre la libéralisation du rail, comme vous le faites, mais bien de préserver un grand service public du transport. Nous pensons également qu'il est nécessaire d'investir davantage dans la recherche pour un " charbon propre ". Des grands pays fondent aujourd'hui leur développement sur cette ressource, avec la conséquence que nous connaissons sur l'environnement : il y a donc urgence au développement d'une coopération internationale sur cette recherche. Je le répète, toutes les énergies propres seront utiles pour compenser, à l'avenir, non seulement l'épuisement rapide des ressources pétrolières, mais aussi les risques de perte d'indépendance énergétique consécutifs à l'insuffisance croissante de nos capacités de production. Mes chers collègues. Oui, les conditions de vie des générations futures, l'avenir de notre pays et de la planète dépendent des choix énergétiques. Rien ne serait plus grave et irresponsable que de les laisser dominer par les seules logiques du marché, par les desiderata d'actionnaires assoiffés de dividendes. Les choix énergétiques doivent être maîtrisés par notre peuple, par les peuples, ils doivent relever de l'intérêt général. Mais après ce débat, que va-t-il se passer ?
Monsieur le Premier ministre : allez-vous déposer une loi sur la privatisation de GDF pour la faire passer en force en juillet ? Allez-vous préférer le statu quo, source de tant de dangers dans la valse d'OPA que nous connaissons ? Allez-vous laisser les batailles de clan internes à votre majorité guider la politique énergétique de la France ? Ou allez-vous, et c'est ce que nous vous demandons, ouvrir un grand débat populaire et citoyen qui pourrait déboucher sur un véritable acte souverain, l'organisation d'un référendum. Monsieur le Premier ministre. L'énergie n'est pas une question réservée à des spécialistes, encore moins aux affairistes, elle est propriété des habitants de la communauté que devrait être notre planète.Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 19 juin 2006