Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur l'enseignement supérieur, notamment les grands défis de l'économie de la connaissance et la politique du gouvernement français en ce domaine, Athènes le 28 juin 2006.

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Circonstance : Réunion des ministres de l'éducation de l'OCDE sur les thèmes des "Enjeux de l'enseignement supérieur dans les pays membres de l'organisation : Qualité, équité, efficience" à Athènes les 27 et 28 juin 2006.

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi un grand plaisir et un honneur de m'exprimer devant votre assemblée, sur un sujet aussi essentiel.
Essentiel, parce qu'en ce début de XXIème siècle, nous sommes réellement à un tournant.
L'accélération des sciences et des technologies entraîne des mutations profondes dans l'économie. Elle est aussi à l'origine d'interrogations, d'angoisses et parfois de tensions dans la société, particulièrement chez les plus jeunes.
Ce sujet est essentiel aussi parce que l'avenir de chacun de nos pays dépendra de sa capacité à entrer dans l'économie du savoir.
Ces 50 dernières années, nous avons relevé le défi de l'accès du savoir à tous. En France, par exemple, la population étudiante a été multipliée par 8 ces 50 dernières années. Et nos universités multiséculaires ont su relever ce défi !
Mais avec l'avènement de l'économie du savoir, de nouveaux défis se présentent à nous. Nous devons en prendre conscience tous ensemble, comme nous avons commencé à le faire, au début du mois, à l'occasion du premier G8 consacré à l'éducation. Car à l'heure où l'éducation se mondialise, c'est par les échanges d'idées que nous trouverons des solutions pour chacun d'entre nous.
Aujourd'hui, je voudrais vous présenter quels sont, à mes yeux, les quatre grands défis de l'économie de la connaissance, et quelle politique la France a adoptée pour y répondre.
I. Quatre grands défis
Commençons par les grands défis.
Quatre d'entre eux me semblent particulièrement importants :
- le défi financier ;
- le défi structurel ;
- le défi de la formation professionnelle ;
- et enfin, le défi de l'accréditation des diplômes.
Le premier défi est d'ordre financier.
Car l'économie du savoir nous impose de former un plus grand nombre à des qualifications pointues et rapidement changeantes.
Cela coûte de plus en plus cher. L'éducation reste fondamentalement une mission de l'Etat, mais ces besoins croissants nous obligent à inventer de nouveaux modes de financement. La clé réside sans doute dans les coopérations entre entreprises, universités et Etat, car manifestement, les 3 parties ont des intérêts convergents.
Le deuxième défi est d'ordre structurel.
Si nous voulons que l'enseignement supérieur contribue effectivement à la recherche et à l'innovation, nous devons rapprocher les lieux de l'enseignement de ceux de la recherche et de l'innovation industrielle.
Cela signifie concrètement rapprocher universités, laboratoires et entreprises.
Le troisième défi concerne la formation professionnelle.
Car pour qu'il y ait économie du savoir, il faut créer la meilleure adéquation possible entre l'enseignement supérieur, lieu du savoir et l'entreprise, moteur de l'économie.
Cela passe par une amélioration de l'insertion professionnelle des diplômés et une professionnalisation des diplômes. Nous avons de plus en plus de diplômés, et nous devons nous en féliciter. Mais nous ne pouvons pas nous donner pour seul objectif une croissance indéfinie de la qualification !
Tout le monde ne peut pas être docteur en mathématiques, et même si c'était possible, nous ne saurions pas tous les employer ! Nous observons d'ailleurs que ces 50 dernières années le lien entre qualification et emploi commence à se relâcher.
Sans remettre en cause les exigences d'une recherche fondamentale, nous devons donc veiller à l'adéquation des diplômes avec les nécessités de l'économie.
Le quatrième défi enfin concerne l'accréditation des diplômes.
La mondialisation de l'éducation provoque des effets "capitalistiques" qui m'inquiètent : nos établissements d'enseignement supérieur ne doivent pas devenir des machines à délivrer des diplômes standardisés sous la pression de machines à évaluer ou à accréditer !
Il n'est pas question, bien sûr, de renoncer à évaluer ou à accréditer les diplômes! Je dis simplement qu'il faut délivrer des diplômes à forte reconnaissance internationale tout en évitant l'uniformisation.
II. La politique de la France
Tel sont les quatre grands défis auxquels nous sommes confrontés.
Je voudrais à présent illustrer sur ces points la politique que je mène en France.
1. L'effort financier
Nous nous efforçons d'abord de répondre au défi financier.
La France vient de se doter d'une importante "loi de programme pour la recherche", votée en avril dernier. Par cette loi, elle consent, pour le renforcement de la recherche, à un effort financier sans précédent depuis au moins 50 ans.
Cette loi de programme prévoit ainsi une augmentation des moyens de plus de 27 % sur la période 2005-2010, ce qui représente 20 milliards d'euros supplémentaires sur cette période.
Grâce à ces mesures exceptionnelles, la France se donne des moyens sans précédent en faveur de la recherche.
2. Rapprochement enseignement supérieur-recherche
Le second point concerne le défi structurel, c'est-à-dire le rapprochement entre l'enseignement supérieur et la recherche.
Dans le couple recherche-enseignement supérieur, c'est la recherche qui joue un rôle moteur. Car pour créer et diffuser la connaissance, c'est à la recherche d'entraîner l'enseignement supérieur et non l'inverse ! C'est particulièrement vrai en France, car les trois quarts de nos laboratoires se situent au sein de l'université.
Ma conviction, c'est que l'excellence scientifique entraîne l'excellence universitaire, condition d'un enseignement de qualité. Elle attire des étudiants motivés et suscite des vocations.
En France, ce principe inspire notre Pacte pour la Recherche, un ensemble de mesures sans précédent pour renouveler nos structures et nos financements.
Nous avons lancé un appel à propositions pour constituer des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, c'est-à-dire des sites universitaires structurés par une recherche de niveau international. Ce qui frappe, c'est l'extraordinaire mobilisation des universités pour ces pôles, qui seront autant des sites de taille critique mondiale.
C'est aussi cette approche que nous explorons au niveau européen avec le projet d'Institut européen des Technologies du président Barroso.
Le principe reste identique : renforcer les coopérations pour accroître la taille critique, la visibilité et l'attractivité de nos sites universitaires.
L'attractivité m'amène à évoquer le sujet de la "fuite des cerveaux" sur lequel beaucoup se lamentent. Dans une science mondialisée, le risque n'est pas qu'ils partent, car c'est une bonne chose que les talents s'ouvrent au monde ! L'important, c'est surtout qu'ils reviennent ! A nous de faire évoluer les structures pour rendre nos universités attractives, en en faisant des grands centres de la connaissance !
3. Formation professionnelle.
J'en viens à mon troisième point : la formation et l'insertion professionnelle.
La France est un pays d'excellence universitaire. Mais les diplômes que délivre son université ne sont pas toujours suffisamment connectés au monde de l'entreprise. Les événements qui ont eu lieu récemment en France s'expliquent en partie par l'inquiétude des étudiants et des jeunes diplômés : ils se rendent compte, souvent trop tard, que le diplôme obtenu ou la filière choisie ne correspondent pas aux débouchés réels. Le Premier Ministre a donc lancé un grand débat national sur cette question, et les premières mesures seront proposées prochainement.
D'ores et déjà, nous avons décidé de renforcer les filières professionnalisantes au sein des universités. Je citerai juste un chiffre : pour la prochaine rentrée universitaire, nous créons environ 200 "licences professionnelles" supplémentaires, c'est-à-dire 200 diplômes universitaires professionnalisants répartis sur tout le territoire national.
Enfin, je voudrais souligner un point qui me paraît essentiel : l'économie du savoir ne se joue pas seulement aux derniers étages de la recherche. Cela veut dire que chacun, à son niveau, doit être en mesure de s'accorder avec une exigence fondamentale de cette nouvelle économie : l'adaptation. Car l'économie du savoir est une économie de l'innovation, qui demandera à chacun de s'adapter. Les jeunes mécaniciens d'aujourd'hui construiront demain de tout autres voitures, dotées de moteurs électriques, de piles à combustible ! Ils devront s'y adapter. Et cette adaptation suppose
deux choses :
- que les agents des entreprises, mais aussi leurs cadres se forment tout au long de la vie ;
- mais aussi, en amont, que l'éducation les prépare à s'adapter. C'est donc une révolution des esprits qu'il faut accomplir dès maintenant.
Eh bien, cette révolution se prépare en France à son niveau le plus fondamental, c'est-à-dire dans la définition des savoirs fondamentaux.
Comme vous le savez peut-être, nous sommes actuellement en train de définir tous les savoirs et compétences de base que les jeunes Français devront avoir acquis à la fin de leur scolarité obligatoire. Et le texte qui les définit comprend d'importantes dispositions relatives à l'autonomie et à l'initiative. Car pour s'adapter, ce qui est impératif dans la nouvelle économie de la connaissance, il faut faire preuve d'autonomie et d'initiative : il faut savoir se donner de nouvelles règles de travail, savoir reconfigurer ses compétences pour les appliquer à de nouvelles situations. Voilà ce que nous devons apprendre à nos jeunes, et que nous allons leur apprendre ! Vous le voyez, nous préparons activement l'économie de la connaissance de demain, à l'université, mais aussi dès l'école primaire !
4. L'accréditation des diplômes
J'en viens enfin à l'accréditation des diplômes.
J'ai dit tout à l'heure que nous étions confronté au risque de l'uniformisation.
Sur ce point, le système européen d'accréditation harmonisé me semble précieux. Et la France s'est y pleinement engagée.
Dans ce système, tout étudiant peut acquérir dans le pays européen de son choix les "crédits" qui composeront son diplôme. Je cite ce dispositif, car il favorise la mobilité des étudiants, et donc l'apprentissage de cultures différentes, la capacité à s'adapter qui sont des qualités essentielles dans "l'économie du savoir". Ensuite, ce système repose sur une harmonisation avec des équivalences. Il ne s'agit pas d'une uniformisation des contenus. Je crois que ce système nous permet donc de créer des diplômes internationalement reconnus, sans niveler les spécificités nationales et régionales. N'oublions pas que l'enjeu n'est pas de produire des objets standards ! L'enjeu est de former des esprits créatifs et inventifs ! Car plus que tout, la créativité et l'inventivité sont les clés de l'économie du savoir.
Voilà quelle est la politique de la France.
Mais je voudrais pour finir en revenir à notre table ronde.
Car c'est ensemble que nous avons à aborder l'économie du savoir.
Ce qui signifie renforcer nos coopérations : il n'y a pas de solution unique ! Nous avons chacun à trouver des solutions pour nous-mêmes, mais nous avons tout autant à partager, à inventer
ensemble !
Pourquoi ne pas réfléchir à une méthode de classement et de comparaison de nos universités ?
Pourquoi ne pas envisager un système d'accréditation harmonisé sur le modèle de ce que nous avons fait en Europe ?
Autant de pistes de réflexion que nous aurons l'occasion d'approfondir ensemble.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 juillet 2006