Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "France 2" le 14 juin 2006, sur la fusion entre GDF (Gaz de France) et Suez, et sur le budget 2007.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Il y a un débat cet après midi à l'Assemblée nationale qui s'annonce difficile pour le Gouvernement, c'est le débat sur la politique de l'énergie. Difficile, parce que beaucoup de députés UMP ne veulent pas entendre parler de la fusion entre GDF et Suez. Au fond, est-ce que cette fusion est vraiment indispensable ?
R- Je ne sais pas si c'est un débat difficile, c'est un débat nécessaire et c'est un débat sans vote. C'est donc un débat où les uns et les autres vont pouvoir s'expliquer et parler. Parler de quoi ? Parler de l'énergie. L'énergie devient un bien rare et un bien qu'il faut préserver sur lequel il faut avoir une politique à long terme. Les choses ont changé depuis quelques semestres, le prix du baril de pétrole augmente, il faut que l'on accroisse notre indépendance énergétique, il faut que nous ayons des entreprises qui soient à même de lutter avec les géants mondiaux, il faut grossir dans cet environnement. Ce sont toutes ces questions qui vont être mises sur la table. Dans ce contexte, c'est vrai qu'il faut se poser la question sur GDF. On a deux grandes entreprises en France, issues du service public : il est hors de question de toucher EDF ; EDF, c'est le nucléaire électrique, c'est le leader mondial dans son secteur ; et il y a GDF. GDF est une très belle entreprise mais une entreprise beaucoup plus petite, qui ne sert pratiquement que les consommateurs français et au niveau européen et planétaire, GDF a beaucoup de mal à lutter.
Q- Donc vous dites qu'elle risque de se faire manger ?
R- Je dis très clairement qu'aujourd'hui, ma préoccupation, en tant que ministre de l'industrie, c'est le devenir de GDF. GDF a aujourd'hui souhaité se marier sur un projet industriel avec Suez, et pour ce faire, il faut demander au Parlement s'il est d'accord, parce qu'il y a une loi et qu'il faut tout simplement lui demander de pouvoir faire voter cette loi. Et s'il ne veut pas la voter, il ne la vote pas, s'il veut la voter, il la vote. Moi, je crois à ce projet pour GDF. Eh bien on va l'expliquer aux députés et après cela, ils décideront.
Q- C'est justement cela qui pose problème, parce N. Sarkozy, quand il était à votre place à Bercy, avait fait voter une loi qui disait que l'Etat garderait 70 % de GDF. La fusion avec Suez implique que l'Etat passe en dessous de cette barre ; comment expliquez-vous ce changement ?
R- Il faut être très précis : le Gouvernement, à l'époque, avait proposé une limitation à 50 % et le Parlement, les députés ont souhaité l'augmenter à 70 %. C'est le Parlement qui décide, il est souverain, il l'a fait. C'est la raison pour laquelle on va revoir le Parlement pour lui demander si,sur uniquement GDF, il est d'accord pour abaisser à 34 % parce que la fusion avec le groupe Suez - je dis très clairement que Suez, dans cette affaire, n'est pas l'élément qui me préoccupe le plus, Suez est une entreprise privée, une grande entreprise du reste, franco-belge. Suez aura toujours un avenir. Ma préoccupation, c'est GDF : peut-on continuer à avoir un GDF qui est contraint, et donc, qui aura du mal à avoir un avenir, notamment pour sécuriser les contrats d'approvisionnement ? Je rappelle que GDF ne possède aucun gisement, GDF, c'est uniquement des contrats d'approvisionnement et des contrats de distribution avec les consommateurs. Il faut être un géant, aujourd'hui, pour pouvoir peser, garantir la sécurité énergétique, avoir les meilleurs coûts. C'est donc la question que je vais poser. Encore une fois, on est en démocratie, c'est pour cela qu'il faut expliquer et je suis dans une phase de concertation, on explique ce projet, on explique à la représentation nationale, aux Français et puis, ce sont les députés qui votent.
Q- Vous disiez 34 % pour l'Etat dans GDF, cela veut dire privatisation. Ce que se disent les consommateurs, c'est que si GDF devient privé, les prix, forcément, vont augmenter.
R- D'abord, pourquoi 34 % ? Parce qu'avec 34 %, on a la minorité de blocage, on contrôle vraiment la destinée de l'entreprise. Je crois que c'est une bonne chose parce qu'il y a notamment des actifs stratégiques, il y a quelques terminaux gaziers qui sont stratégiques. Il y a les réserves stratégiques et là, il faut même avoir les [...] spécifiques...
Q- Les prix vont-ils augmenter ?
R- C'est la raison pour laquelle, c'est ce que nous allons mettre sur la table devant les députés. Pour ce qui concerne les prix, merci de me poser la question, parce qu'on pense que la détermination des prix a à voir avec la détention du capital. A savoir, parce que l'Etat est actionnaire, les prix sont plus ou moins élevés. C'est complètement faux !
Q- Souvent, vous dites "pas question d'augmenter le prix du gaz, vous l'avez déjà dit, vous avez déjà empêché des augmentations du prix du gaz quand même !
R- C'est la commission de régulation de l'énergie, qui est une commission indépendante, qui valide les prix du gaz. Ceci existe aujourd'hui et existera après, cela n'a strictement - je le dis très clairement - rien à voir avec la détention du capital. C'est tellement vrai qu'en 2000, le prix du gaz a augmenté - à l'époque, GDF était possédé à 100 % par l'Etat - de 30 % pour les consommateurs, tout simplement parce que par la loi, on est obligé de répercuter l'évolution des prix de l'approvisionnement. Ceci n'a strictement rien à voir avec la détention du capital. Par contre, ce que le Gouvernement souhaite, c'est qu'il y ait des mesures spécifiques, notamment pour les plus défavorisés, des tarifs sociaux,comme cela existe, par exemple chez EDF. Et ça, nous allons en discuter pour protéger les plus fragiles.
Q- Le Gouvernement a l'air de vouloir aller vite dans cette affaire. A un moment, on disait même que tout soit bouclé avant le 14 juillet. Est-ce que l'affaire du contrat "première embauche" n'a pas montré qu'il ne fallait prendre son temps ?
R- Lorsque le Premier ministre a annoncé qu'il soutiendrait la demande de GDF - c'est GDF qui est venue demander au Gouvernement d'évoluer - et la demande de Suez d'avoir un projet industriel, il m'a confié la charge de la concertation. J'ai mené une très large concertation. C'est vrai que cela a pris trois mois pour discuter avec les organisations syndicales, expliquer la réalité du projet, expliquer pourquoi le faire, l'améliorer. Maintenant, on est en concertation avec les parlementaires, tout cela prend du temps. Quand on est dans une concertation, j'essaie de la mener le plus honnêtement possible, en répondant à toutes les questions, sans trop me fixer un délai. Pour l'instant, on est dans le délai qui avait été programmé depuis le début. J'espère qu'on tiendra mais la concertation, c'est ce qui est primordiale.
Q- L'autre dossier, c'est le budget pour 2007, vous en avez présenté les grandes lignes hier. Un rapport de la Cour des comptes, présidée par P. Séguin, sorti hier, dit que les 2,9 % de déficits qu'on a annoncé pour 2005, ont un peu été obtenus grâce à des opérations de camouflage. En fait, le déficit serait de 3,5 % pour 2005. Ce n'est pas très gentil pour vous...
R- La Cour des comptes, tous les ans, fait un rapport, ce qui est tout à fait normal, elle est dans son rôle.
Q- Il est sévère cette année !
R- Comme tous les ans. J'ai regardé avec attention, le rapport dit quelque chose de très important : les moins de 88 du déficit qui ont été obtenus - je rappelle par parenthèse que tous les grands pays européens sont en déficits excessifs, l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre. Ils l'étaient tous en 2003, ils l'étaient tous en 2004 ; en 2005, il y en a qu'un qui est passé en dessous de la barre des déficits, qui est revenu dans la normalité : c'est la France.
Q- Mais il dit que c'est un peu grâce à du camouflage...
R- Non. Le juge de paix, c'est Eurostat, c'est une organisation indépendante qui valide les comptes et qui est européenne. Elle a validé les comptes et a dit que les comptes de la France étaient sincères. Après ça, que la Cour des comptes dise, à l'intérieur : est-ce qu'on peut faire comme ci et comme ça, elle est dans son rôle. Mais il n'a pas du tout critiqué, il l'a redit les moins de 88. Il a dit qu'on peut toujours faire plus, il a raison, je suis d'accord. On peut toujours faire plus en progrès, je suis d'accord. Mais sur le chiffre, je suis extrêmement précis. Par ailleurs, le commissaire Almunia, qui est justement chargé des affaires économiques, a rappelé hier que la France était clairement sur la bonne voie économique. Cela m'a fait plaisir, parce qu'on dit tellement souvent l'inverse.
Q- La Bourse a chuté de 10 % ces derniers jours ; est-ce un krach boursier ?
R- Non, on ne peut pas appeler cela un krach boursier. La Bourse était montée à des niveaux très élevés, comme vous savez. Les Bourses mondiales étaient montées à des niveaux très élevés, il y a une correction. Je crois qu'il ne faut pas être plus alarmiste que cela. Encore une fois, on vient de très haut.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 juin 2006