Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Pour la première fois, aujourd'hui, à Rabat, l'Europe et l'Afrique se retrouvent côte à côte pour aborder ensemble la question des flux migratoires.
La démarche est novatrice, et mérite d'être saluée : pour la première fois en effet, pays de départ, pays de destination et pays de transit affirment leur volonté commune de coopérer dans la recherche de solutions concertées, pour faire face à un phénomène qui les concernent tous ; pour la première fois aussi, ces mêmes pays placent sur le même plan la question du développement et celle de la gestion des flux migratoires, affichant ainsi leur détermination à agir à la fois sur les causes et sur les conséquences des phénomènes migratoires, dans une approche globale du phénomène.
C'est donc cela, je crois, "l'esprit de Rabat" qui nous anime tous aujourd'hui : parvenir à une approche globale et concertée des flux migratoires entre l'Afrique et l'Europe.
Encore convient-il de bien saisir la portée de notre exercice : il ne s'agit évidemment pas pour nous de chercher à éradiquer ou même à empêcher les migrations entre nos pays. Non seulement ce serait vain, puisque ce serait aller à l'encontre d'une constante de l'histoire de l'humanité. Mais bien plus, ce serait contre-productif, puisque nous savons que les mouvements de population sont en eux-même créateurs de richesses : la Banque mondiale estime ainsi que la contribution des migrants à l'accroissement du revenu mondial avoisinera 772 milliards de dollars en 2025.
Ce à quoi il nous faut donc parvenir, c'est à un partage de ce gain global, qui soit équitablement réparti entre le Nord et le Sud ; agir ensemble pour éviter les effets négatifs que génèrent les migrations subies : d'un côté de la Méditerranée, les pays de départ s'inquiètent de la perte de travailleurs qualifiés et stigmatisent la "fuite des cerveaux", tandis que de l'autre côté, les pays d'arrivée doutent de leur capacité d'intégration de ces mêmes migrants, tant sur leur marché du travail qu'en matière de logement ou d'accès aux soins.
C'est donc une approche équilibrée, je crois, que nous devrions tous pouvoir partager : passer de migrations subies à des migrations régulées ; faire en sorte qu'à "l'immigration choisie" dans les pays d'arrivée, puisse correspondre une "émigration choisie" dans les pays de départ.
Mais si l'objectif à atteindre peut paraître clair, reste à définir les moyens d'y parvenir, et c'est sur cet aspect que nous sommes invités cet après-midi à réfléchir : comment faire en sorte que nos politiques de coopération en matière de développement contribuent à une meilleure régulation des flux migratoires ?
Je voudrais donc livrer à notre discussion les pistes d'action proposées par la France en la matière : d'abord, intégrer la question migratoire dans notre effort global en matière d'aide publique au développement ; ensuite, mettre en oeuvre résolument des projets de co-développement.
1 - S'agissant d'abord de l'effort d'aide publique au développement en faveur de l'Afrique, je n'insisterai pas sur des éléments bien connus. Je veux simplement rappeler que c'est en s'attaquant à la pauvreté, dont on sait bien qu'elle est la première motivation à quitter son pays d'origine, que l'on parviendra à agir le plus efficacement sur les flux migratoires. Il faut donc aider les pays de départ à créer les conditions leur permettant de retenir leurs populations sur place. Pour cela, il faut naturellement se donner les moyens d'être efficaces, et je veux rappeler à cet égard les engagements pris en 2000 par la communauté internationale lors de la définition des Objectifs du Millénaire pour le Développement, d'accroître les volumes d'aide destinés à l'Afrique.
Plus généreux, l'effort du Nord doit aussi davantage intégrer la dimension migratoire qui nous préoccupe aujourd'hui. Plusieurs pistes intéressantes méritent d'être explorées à cet égard :
- il convient sans doute de faire en sorte que nos projets de coopération soient davantage tournés vers les investissements productifs, en privilégiant les projets qui créent directement des emplois ;
- il est également souhaitable de mieux cibler notre aide géographiquement, en concentrant nos efforts sur les régions d'où sont issus les migrants, afin de les aider à rester sur place - par exemple dans la région de Kayes, au Mali.
- il convient aussi que nos instruments de programmation de l'aide - pour la France, je pense aux Documents-cadres de Partenariat - prennent en compte cette dimension de la gestion des flux migratoires, dans les pays où elle est pertinente. En un mot, il nous faut prendre l'habitude d'intégrer pleinement les questions de migrations lorsque nous parlons de coopération entre nos pays.
2 - Mais au-delà ce cet effort global en faveur de l'APD, je souhaite surtout insister devant vous sur la nécessité à mon sens de promouvoir résolument tout ce qui relève du co-développement, c'est-à-dire tout ce qui permet de faire participer au développement de leur pays d'origine les migrants présents dans les pays du Nord.
Cette notion de co-développement est relativement récente : la France l'expérimente avec succès depuis quelques années, notamment avec le Maroc, le Sénégal, et surtout le Mali que je tiens à saluer pour son rôle pilote en la matière. Aujourd'hui, je crois donc venu le moment de changer d'échelle : il nous faut intensifier et multiplier ces projets de co-développement, en y impliquant l'ensemble des bailleurs de fonds - je pense tout particulièrement à la Commission européenne.
Dans ce domaine du co-développement, la France a naturellement des propositions concrètes à formuler, et je souhaite plus particulièrement évoquer devant vous trois ensembles de mesures qui peuvent accompagner nos politiques migratoires, pour les rendre mutuellement bénéfiques :
- en premier lieu, il nous faut faciliter et accompagner le retour des immigrés en situation d'échec, non pas par un simple pécule qui ne sert souvent qu'à tenter de repartir, mais par le financement de micro-projets qui permettent de rentrer dignement, en créant de l'activité et des emplois dans le pays d'origine ;
- Le deuxième volet de notre action doit concerner les transferts financiers des immigrés vers leur pays d'origine, qui représentent des sommes évaluées à 150 milliards de dollars par la Banque Mondiale, soit le double de l'aide publique au développement, mais dont seulement 10 % profitent aux investissements productifs. Pour inciter cet argent à s'investir dans le développement, nous proposons à la fois de réduire le coût de ces transferts en favorisant la concurrence entre établissements bancaires, et de créer des incitations fiscales pour que ces fonds soient davantage consacrés au secteur productif ;
- Enfin, il nous faut agir contre la fuite des cerveaux qui préoccupe légitimement les gouvernements africains : nous voulons pour cela associer les élites installées chez nous au développement de leur pays d'origine, en proposant notamment aux médecins, ingénieurs ou universitaires de participer à nos programmes de coopération pour des missions de courte durée, ou bien encore en leur offrant la possibilité de transmettre leur savoir à distance par l'utilisation des nouvelles technologies.
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Pour conclure, je crois que l'occasion nous est enfin donnée aujourd'hui d'affirmer avec force le caractère indissociable des politiques d'immigration et des politiques de développement.
Les événements dramatiques de Ceuta et Melilla, l'année dernière, ont fait prendre conscience que l'on ne pourra pas régler les problèmes des migrations - comme d'ailleurs du terrorisme ou des grandes pandémies - sans développer le Sud.
Politiques d'immigration et politiques de développement doivent donc être discutées dans le cadre d'un partenariat entre pays du Nord et du Sud, afin que les flux migratoires ne soient plus subis mais gérés de façon conjointe pour devenir mutuellement profitables.
C'est tout le sens, je crois, de notre présence aujourd'hui à Rabat. C'est tout le sens, aussi, du plan d'action qu'il nous faut adopter pour ne pas décevoir l'espoir mis dans cette rencontre. A nous de faire en sorte que cet "esprit de Rabat" que j'évoquais tout à l'heure débouche sur des résultats concrets.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2006
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Pour la première fois, aujourd'hui, à Rabat, l'Europe et l'Afrique se retrouvent côte à côte pour aborder ensemble la question des flux migratoires.
La démarche est novatrice, et mérite d'être saluée : pour la première fois en effet, pays de départ, pays de destination et pays de transit affirment leur volonté commune de coopérer dans la recherche de solutions concertées, pour faire face à un phénomène qui les concernent tous ; pour la première fois aussi, ces mêmes pays placent sur le même plan la question du développement et celle de la gestion des flux migratoires, affichant ainsi leur détermination à agir à la fois sur les causes et sur les conséquences des phénomènes migratoires, dans une approche globale du phénomène.
C'est donc cela, je crois, "l'esprit de Rabat" qui nous anime tous aujourd'hui : parvenir à une approche globale et concertée des flux migratoires entre l'Afrique et l'Europe.
Encore convient-il de bien saisir la portée de notre exercice : il ne s'agit évidemment pas pour nous de chercher à éradiquer ou même à empêcher les migrations entre nos pays. Non seulement ce serait vain, puisque ce serait aller à l'encontre d'une constante de l'histoire de l'humanité. Mais bien plus, ce serait contre-productif, puisque nous savons que les mouvements de population sont en eux-même créateurs de richesses : la Banque mondiale estime ainsi que la contribution des migrants à l'accroissement du revenu mondial avoisinera 772 milliards de dollars en 2025.
Ce à quoi il nous faut donc parvenir, c'est à un partage de ce gain global, qui soit équitablement réparti entre le Nord et le Sud ; agir ensemble pour éviter les effets négatifs que génèrent les migrations subies : d'un côté de la Méditerranée, les pays de départ s'inquiètent de la perte de travailleurs qualifiés et stigmatisent la "fuite des cerveaux", tandis que de l'autre côté, les pays d'arrivée doutent de leur capacité d'intégration de ces mêmes migrants, tant sur leur marché du travail qu'en matière de logement ou d'accès aux soins.
C'est donc une approche équilibrée, je crois, que nous devrions tous pouvoir partager : passer de migrations subies à des migrations régulées ; faire en sorte qu'à "l'immigration choisie" dans les pays d'arrivée, puisse correspondre une "émigration choisie" dans les pays de départ.
Mais si l'objectif à atteindre peut paraître clair, reste à définir les moyens d'y parvenir, et c'est sur cet aspect que nous sommes invités cet après-midi à réfléchir : comment faire en sorte que nos politiques de coopération en matière de développement contribuent à une meilleure régulation des flux migratoires ?
Je voudrais donc livrer à notre discussion les pistes d'action proposées par la France en la matière : d'abord, intégrer la question migratoire dans notre effort global en matière d'aide publique au développement ; ensuite, mettre en oeuvre résolument des projets de co-développement.
1 - S'agissant d'abord de l'effort d'aide publique au développement en faveur de l'Afrique, je n'insisterai pas sur des éléments bien connus. Je veux simplement rappeler que c'est en s'attaquant à la pauvreté, dont on sait bien qu'elle est la première motivation à quitter son pays d'origine, que l'on parviendra à agir le plus efficacement sur les flux migratoires. Il faut donc aider les pays de départ à créer les conditions leur permettant de retenir leurs populations sur place. Pour cela, il faut naturellement se donner les moyens d'être efficaces, et je veux rappeler à cet égard les engagements pris en 2000 par la communauté internationale lors de la définition des Objectifs du Millénaire pour le Développement, d'accroître les volumes d'aide destinés à l'Afrique.
Plus généreux, l'effort du Nord doit aussi davantage intégrer la dimension migratoire qui nous préoccupe aujourd'hui. Plusieurs pistes intéressantes méritent d'être explorées à cet égard :
- il convient sans doute de faire en sorte que nos projets de coopération soient davantage tournés vers les investissements productifs, en privilégiant les projets qui créent directement des emplois ;
- il est également souhaitable de mieux cibler notre aide géographiquement, en concentrant nos efforts sur les régions d'où sont issus les migrants, afin de les aider à rester sur place - par exemple dans la région de Kayes, au Mali.
- il convient aussi que nos instruments de programmation de l'aide - pour la France, je pense aux Documents-cadres de Partenariat - prennent en compte cette dimension de la gestion des flux migratoires, dans les pays où elle est pertinente. En un mot, il nous faut prendre l'habitude d'intégrer pleinement les questions de migrations lorsque nous parlons de coopération entre nos pays.
2 - Mais au-delà ce cet effort global en faveur de l'APD, je souhaite surtout insister devant vous sur la nécessité à mon sens de promouvoir résolument tout ce qui relève du co-développement, c'est-à-dire tout ce qui permet de faire participer au développement de leur pays d'origine les migrants présents dans les pays du Nord.
Cette notion de co-développement est relativement récente : la France l'expérimente avec succès depuis quelques années, notamment avec le Maroc, le Sénégal, et surtout le Mali que je tiens à saluer pour son rôle pilote en la matière. Aujourd'hui, je crois donc venu le moment de changer d'échelle : il nous faut intensifier et multiplier ces projets de co-développement, en y impliquant l'ensemble des bailleurs de fonds - je pense tout particulièrement à la Commission européenne.
Dans ce domaine du co-développement, la France a naturellement des propositions concrètes à formuler, et je souhaite plus particulièrement évoquer devant vous trois ensembles de mesures qui peuvent accompagner nos politiques migratoires, pour les rendre mutuellement bénéfiques :
- en premier lieu, il nous faut faciliter et accompagner le retour des immigrés en situation d'échec, non pas par un simple pécule qui ne sert souvent qu'à tenter de repartir, mais par le financement de micro-projets qui permettent de rentrer dignement, en créant de l'activité et des emplois dans le pays d'origine ;
- Le deuxième volet de notre action doit concerner les transferts financiers des immigrés vers leur pays d'origine, qui représentent des sommes évaluées à 150 milliards de dollars par la Banque Mondiale, soit le double de l'aide publique au développement, mais dont seulement 10 % profitent aux investissements productifs. Pour inciter cet argent à s'investir dans le développement, nous proposons à la fois de réduire le coût de ces transferts en favorisant la concurrence entre établissements bancaires, et de créer des incitations fiscales pour que ces fonds soient davantage consacrés au secteur productif ;
- Enfin, il nous faut agir contre la fuite des cerveaux qui préoccupe légitimement les gouvernements africains : nous voulons pour cela associer les élites installées chez nous au développement de leur pays d'origine, en proposant notamment aux médecins, ingénieurs ou universitaires de participer à nos programmes de coopération pour des missions de courte durée, ou bien encore en leur offrant la possibilité de transmettre leur savoir à distance par l'utilisation des nouvelles technologies.
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Pour conclure, je crois que l'occasion nous est enfin donnée aujourd'hui d'affirmer avec force le caractère indissociable des politiques d'immigration et des politiques de développement.
Les événements dramatiques de Ceuta et Melilla, l'année dernière, ont fait prendre conscience que l'on ne pourra pas régler les problèmes des migrations - comme d'ailleurs du terrorisme ou des grandes pandémies - sans développer le Sud.
Politiques d'immigration et politiques de développement doivent donc être discutées dans le cadre d'un partenariat entre pays du Nord et du Sud, afin que les flux migratoires ne soient plus subis mais gérés de façon conjointe pour devenir mutuellement profitables.
C'est tout le sens, je crois, de notre présence aujourd'hui à Rabat. C'est tout le sens, aussi, du plan d'action qu'il nous faut adopter pour ne pas décevoir l'espoir mis dans cette rencontre. A nous de faire en sorte que cet "esprit de Rabat" que j'évoquais tout à l'heure débouche sur des résultats concrets.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2006