Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, à "France Inter" le 1er août 2006, sur la nécessité d'un cessez-le-feu au Liban et de l'installation par l'ONU d'une force internationale, à laquelle la France doit participer, sur les causes de la baisse statistique du chômage en France, et sur la ligne politique du PS pour l'élection présidentielle de 2007.

Prononcé le 1er août 2006

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- Le chômage continue de baisser en France : D. de Villepin a confirmé hier son objectif de descendre en dessous de la barre des deux millions au début de l'année prochaine, avec, pour perspective, l'espoir de gagner en 2007. C'est sur cette note optimiste que les ministres se sépareront ce matin, pour quelques vacances, à l'issue du dernier Conseil [des ministres]. Que dit la gauche face à un gouvernement requinqué par les bons chiffres de l'emploi, nous allons le demander à notre invité, F. Hollande. D'abord, si vous le permettez un mot du Liban, parce que la guerre continue là-bas. La France a fait repousser hier, à l'ONU, une réunion des éventuels contributeurs à une force d'interposition, réunion que les Etats-Unis appelaient ardemment. Approuvez-vous la position du Gouvernement français dans ce conflit et les déclarations du président de la République ?
R- La seule position qui soit aujourd'hui doit être celle de la communauté internationale, c'est le cessez-le-feu immédiat. Ensuite, on peut discuter, on doit discuter d'une force d'interposition permettant de sécuriser les frontières, frontière entre le Liban et Israël, afin que les Israéliens eux-mêmes puissent avoir des garanties, frontière aussi entre la Syrie et le Liban pour que le Liban puisse avoir sa propre intégrité. Et puis, il faut un accord politique. Alors si l'on veut envoyer une force d'interposition sans cessez-le-feu et sans accord politique, on prend un risque considérable, parce que cette force de l'ONU, parce qu'il ne peut s'agir que d'une force de l'ONU sera prise, c'est le cas de le dire, entre deux feux.
Q- Donc vous êtes bien en phase avec la position officielle française ?
R- La position qui doit être la nôtre, doit être exprimée encore plus fortement. Il ne s'agit pas simplement d'être contre une force d'interposition, il faut être pour un cessez-le-feu immédiat. Je demande vraiment que la France, elle fait ses efforts, et c'est bien, mais il faut aussi que l'Europe qui, jusqu'à présent a été absente - on a vu des pays, heureusement, prendre la même position que la nôtre, c'est-à-dire celle du cessez-le-feu - mais il faut que l'Europe, en tant que telle, puisse faire entendre sa voix, c'est le moment. Il y a une trêve, elle est de très courte durée - elle n'est pas complète d'ailleurs -, il faut absolument qu'il y ait ce cessez-le-feu maintenant.
Q- Si cessez-le-feu il y a et accord politique sur une force internationale, la France doit-elle y aller ou non ?
R- C'est à l'ONU de mettre cette force en place, puisqu'elle ne peut-être qu'une force acceptée par toutes les parties, c'est-à-dire, forcément une force internationale. La France doit bien sûr y prendre sa part.
Q- Le dernier Premier ministre socialiste, L. Jospin s'était fait caillasser en Palestine pour avoir qualifié le Hezbollah d' "organisation terroriste" ; que diriez-vous aujourd'hui ? Est-ce bien une organisation terroriste ?
R- Certains l'ont dit maintenant, y compris dans la majorité actuelle. Mais je pense qu'aujourd'hui, ce n'est pas le moment de qualifier, c'est le moment d'arrêter. Ce n'est pas le moment de dire ce qui est la responsabilité des uns et des autres. On sait bien que c'est le Hezbollah qui a provoqué, qui a enlevé les soldats israéliens. On sait aussi que les Israéliens ont répondu de manière excessive, on le voit, de manière disproportionnée, chacun peut le constater, avec les populations civiles qui sont aujourd'hui victimes au Liban et en Israël. Donc, à partir de là, je crois qu'il faut donner toute sa chance à l'accord politique, et dans l'accord politique, il y aura nécessairement toutes les forces libanaises, et donc la démilitarisation des milices, sûrement celle du Hezbollah, mais aussi la participation de toutes les forces libanaises à la reconstruction de leur pays.
Q- En France, le chômage continue de baisser, il s'établit à 9 % de la population active selon le dernier chiffre. J'imagine que vous vous réjouissez de ces chiffres et d'une tendance qui se confirme depuis plusieurs mois ?
R- Vous avez raison, je devrais me réjouir parce que chaque fois que le chômage baisse dans notre pays, c'est un peu plus de sécurité pour beaucoup de nos concitoyens. Sauf que le chômage baisse statistiquement et je vais en faire la démonstration. Pour que le chômage puisse baisser réellement, effectivement, il faudrait qu'il y ait une création d'emplois. Or la croissance aujourd'hui, et depuis notamment quatre ans, est à l'arrêt et à partir de là, il n'y a pas de création d'emplois. Alors pourquoi le chômage statistique baisse-t-il ? Parce qu'il y a des emplois aidés, c'est-à-dire des contrats qui sont de très courte durée, donnés à des jeunes ou à des moins jeunes qui sont dans l'extrême précarité et pour quelques mois, j'allais dire, jusqu'à l'élection présidentielle. Il y a des stages, de nombreux stages pour faire sortir un certain nombre de demandeurs d'emplois des statistiques, il y a des radiations administratives très nombreuses lors du dernier mois et puis il y a une évolution de la population active, c'est-à-dire qu'aujourd'hui il y a moins d'arrivées de jeunes sur le marché du travail. Voilà ce qui explique des diminutions statistiques du chômage. Mais en revanche, il y a une montée considérable de la précarité, on le voit avec le nombre de RMIste, on le voit aussi avec le nombre d'allocataires de ce que l'on appelle l'ASF, l'allocation de solidarité pour les chômeurs en fin de droits.
Q- On ne va pas se plaindre qu'elle existe, tout de même, cette allocation.
R- J'entends depuis hier le Gouvernement faire de l'autosatisfaction, le Premier ministre faire des déclarations flatteuses à son endroit - cela lui ressemble d'ailleurs - mais il y a hélas une politique de communication, il n'y a pas une politique de l'emploi.
Q- Cela dit, un traitement social, la gauche aussi en a usé et c'est normal, les allocations de fin de droit, les stages, les contrats aidés pour les jeunes, les emplois jeunes notamment...Voilà, les recettes ont continué sous des appellations différentes.
R- Vous savez, qu'il y ait une nécessité de traitement social - et vous évoquez les emplois jeunes ; c'était sur cinq ans, pas sur trois mois ou six mois -, qu'il y ait une nécessité pour ceux qui sont très loin du marché du travail de les réinsérer par des accompagnements personnalisés, j'y suis tout à fait favorable. Il est dommage d'ailleurs que le Gouvernement ait suspendu tous ces dispositifs depuis quatre ans et les ait rétablis, là, à la veille de l'élection présidentielle. Tant mieux pour les personnes concernées mais il faut surtout qu'il y ait de la croissance si on veut qu'il y ait de la création d'emplois. Vous évoquez - mais je n'aime pas faire des bilans parce que ce qui compte c'est l'avenir -, la période 1997-2002 : il y a eu 2 millions d'emplois créés ; aujourd'hui, je vous l'ai dit, pas un emploi créé supplémentaire depuis 2002.
Q- Mais 250 000 chômeurs en moins quand même...
R- Oui, c'est ce que je vous ai dit, par des opérations qui sont forcément efficaces statistiquement mais pas efficaces réellement et socialement pour les personnes concernées.
Q- Et l'objectif des 2 millions alors, barre à franchir et à aller en deçà, pour le Premier ministre M. de Villepin au début de l'année prochaine ; objectif louable qui, s'il est atteint pèsera lourd dans la campagne, chiffre symbolique ?
R- Je pense que les Français sont parfaitement lucides parce qu'ils vivent ces situations de précarité de difficulté de pouvoir d'achat et donc de chômage également qui reste à un niveau très élevé. Parce que quand on prend l'ensemble des chômeurs, ce n'est pas deux millions de chômeurs, 2,2 millions aujourd'hui ; c'est 3,5 millions, chacun le sait et quand on prend toutes les catégories de chômeur. Donc à partir de là, je pense qu'il ne faut non pas être dans l'utilisation politique des chiffres du chômage, il faut être dans l'évaluation des politiques qui ont été conduites par les uns ou par les autres et moi, ce que je propose au nom du parti socialiste c'est d'abord, une relance de la croissance, un soutien du pouvoir d'achat. Aujourd'hui, le prix des carburants ampute largement le budget des ménages et empêche précisément la consommation et donc la reprise de la croissance. Deuxièmement il faut de la sécurité professionnelle c'est-à-dire de la transition entre les emplois d'aujourd'hui et les emplois de demain. Vous savez, le ministre de l'Emploi et le Premier ministre ont, hier, évoqué ce que l'on appelle le contrat de transition professionnelle. J'ai fait rechercher nombre de bénéficiaires de ce contrat ; 376 bénéficiaires, c'est-à-dire des gens qui ont été licenciés sur le plan économique et à qui on a proposé ce type de contrat. 376 dans la situation d'aujourd'hui, nous ne sommes pas à la hauteur de la situation.
Q- Toujours est-il que le Gouvernement Villepin continue et que D. de Villepin sera toujours Premier ministre à la rentrée et sans doute jusqu'à la fin du quinquennat et que cette majorité estime maintenant avoir des atouts pour 2007. Quels sont les atouts de la gauche, à part la profusion des candidats qui se profile comme en 2002 ?
R- Les atouts de la gauche, c'est d'être capable de proposer une politique qui soit à la fois crédible et forte sur le plan des changements, car c'est le changement qu'il faut avoir à l'esprit pour 2007. Vous dites D. de Villepin sera encore en place jusqu'en 2007, je vous le concède bien volontiers et la politique qui nous sera proposée par N. Sarkozy, ce sera la même en couleurs. Donc, à partir de là, il faut un changement. Lequel ? Je vous l'ai également exprimé, il faut d'abord redonner confiance dans notre pays et pour cela, il faut une politique de relance de la croissance de l'investissement, du pouvoir d'achat pour qu'il y ait de nouveau redémarrage de l'économie. Deuxièmement, il faut qu'il y ait de l'égalité. Ce qui fait défaut aujourd'hui, dans toutes les politiques publiques, c'est la justice sociale, elle n'est jamais au rendez-vous des politiques du Gouvernement. Eh bien nous, la gauche, nous devons mettre la justice dans l'école, dans les politiques de logement, dans les politiques sociales parce que s'il n'y a pas de justice, il n'y a pas de [inaud].
Q- Oui, mais il faudra bien penser à une visibilité politique parce que s'il y a autant de candidats qu'en 2002, toutes les chapelles de gauche, d'extrême gauche, de l'écologie ayant un candidat, l'histoire se répétera non ?
R- L'histoire peut se répéter. C'est pourquoi le parti socialiste doit lui-même être exemplaire. Nous aurons à choisir un candidat ou une candidate au mois de novembre prochain, il n'y en aura qu'un ou une, ce sont les militants qui en décideront. Ensuite, j'ai fait des propositions à nos amis radicaux de gauche, aux amis de J.-P. Chevènement pour que nous ayons un candidat, que ce candidat socialiste soit commun à ces formations politiques, à la condition de leur offrir et c'est normal des contreparties, et sur le plan programmatique et sur le plan des circonscriptions. Aux autres familles politiques de la gauche, LCR, PC, je concède bien que ces formations veulent avoir leur candidat, eh bien qu'ils l'aient, mais en même temps en prenant aussi appui sur l'idée de rassemblement et c'est pourquoi nous aurons une réunion au mois de septembre, toutes les familles de la gauche, pour justement établir nos propositions communes pour 2007. Et enfin, il y a l'extrême gauche, il y a la gauche de la gauche. Je suis comme vous, je constate qu'ils n'ont rien compris, tiré aucune leçon de ce qui s'est passé en 2002, et c'est pourquoi, là, il faudra que les électeurs et les électrices qui veulent le changement en 2007 ne se trompent pas, votent utile.
Q- Et en un mot, au PS, est-ce que vous trouvez que L. Jospin "joue au chat et à la souris" - c'est L. Fabius qui a dit ça hier... ?
R- L. Jospin me paraît disponible. Certains souhaitent qu'il puisse aller plus loin, nous verrons bien. Moi je ne veux pas mettre les questions de personne avant aujourd'hui. Ce sera au mois de novembre que nous élirons notre candidat. Aujourd'hui, c'est le projet des socialistes et moi je promouvrai le projet des socialistes avec tous ceux qui le voudront et ils seront nombreux parce que c'est sur la base d'un projet que nous pouvons créer une espérance et un changement.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 août 2006