Déclaration de M. Michel Rocard, Premier ministre, sur la politique de l'eau, au Sénat le 20 juin 1990.

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Circonstance : Débat sur la politique de l'eau à la suite d'une question de M. Jean François-Poncet au Sénat le 20 juin 1990

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Je tiens tout d'abord à remercier la haute assemblée de me donner l'occasion de débattre avec ses membres de la politique de l'eau, et de m'exprimer ainsi sur un sujet que je considère personnellement comme une de nos priorités pour les mois et les années à venir.
Le Gouvernement, vous le savez, a entrepris de redéfinir la politique de l'eau. Votre point de vue et votre expérience lui apporteront un éclairage précieux.
A l'heure où nous parlons, la politique de l'eau dans notre pays, c'est tout d'abord un plan d'action face à la sécheresse. Malgré la légère amélioration des conditions hydrologiques ces dernières semaines -pour parler simplement, il a plu- les réserves d'eau sont toujours terriblement déficitaires, en particulier dans le Sud-Ouest.
Constatant cette situation alarmante dès la fin du premier trimestre, le Gouvernement a arrêté le 26 avril dernier un plan d'action face à la sécheresse.
Une cellule nationale dé crise a été constituée, elle se réunit et suit la situation semaine après semaine.
Afin de traiter les problèmes au plus près du terrain, dans les départements touchés, chaque préfet a mobilisé une cellule départementale de crise. Celle-ci fait la synthèse des données climatiques, hydrologiques et agronomiques, et prépare les décisions réglementaires visant à limiter les usages de l'eau non prioritaires. Ainsi, dix-huit départements ont déjà été conduits à prendre des mesures de restriction ou d'économie d'eau.
Par ailleurs, un inventaire des communes où existe un risque de rupture d'approvisionnement en eau est en cours d'établissement.
Dès maintenant, pour faire face à ce risque, une tranche de crédits du Fonds National de Développement des Adductions d'Eau vient d'être débloquée. Elle permettra la mise en oeuvre en urgence, et selon des procédures budgétaires accélérées, des travaux nécessaires : forages exceptionnels, interconnexion de réseaux, améliorations de prises d'eau en rivière pourront ainsi être réalisés dans des délais très brefs, et répondre aux problèmes les plus aigus cet été.
Enfin, j'ai demandé à EdF de contribuer à l'approvisionnement en eau des usagers prioritaires, en mobilisant les réserves de ses barrages hydroélectriques. J'ai signé le 16 mai dernier avec son Président une convention cadre nationale précisant les modalités de cette mise à disposition.
D'ores et déjà, deux conventions de mise en application ont été conclues, dont l'une avec les organisations agricoles. Cette dernière pose le principe de l'usage à des fins agricoles de l'eau des barrages d'Electricité de France ; une dizaine des plus grosses retenues d'eau du Sud-Ouest sont concernées. Elle définit aussi des actions de formation et de sensibilisation aux économies d'eau, et prévoit des mesures d'optimisation de la répartition de la ressource entre ses différents usagers.
S'agissant d'une question aussi délicate que la fourniture d'eau, la signature d'une telle convention n'allait pas de soi. Elle illustre la priorité donnée à la concertation pour résoudre l'épineuse question des conflits d'usage quand la ressource se raréfie.
Cette première étape confirme le Gouvernement dans sa conviction que c'est de la concertation que naîtront des solutions aux problèmes posés par la gestion de l'eau en France.
Voilà pourquoi la démarche engagée par le Gouvernement pour redéfinir la politique de l'eau, si elle est volontariste, n'en repose pas moins sur une très large concertation.
Une consultation des différents partenaires locaux a été engagée dans le cadre des Assises Régionales de l'Eau. Elle vise à réunir un ensemble cohérent d'initiatives et de propositions à l'échelon des bassins et sous-bassins. Les conclusions de ces Assises Régionales seront connues fin septembre prochain.
Je pense que le Président du Comité de Bassin Adour Garonne, Monsieur Jean FRANCOIS-PONCET, ne me démentira pas si je fais état ici de l'ardeur avec laquelle ces travaux régionaux sont actuellement menés. Voilà qui laisse augurer de résultats à la mesure de l 'ambition que le gouvernement place dans sa relance de la politique de l'eau.
Au terme de ce travail, les orientations retenues feront l'objet d'un projet de loi qui sera déposé au Parlement avant la fin de l'année, pour être discuté au printemps 1991.
Entre temps auront eu lieu, au début de l'année 1991, les Assises Nationales de l'Eau dont les conclusions seront publiées avant la discussion du projet de loi.
La méthode retenue doit permettre à tous les partenaires, responsables de collectivités territoriales, représentants des producteurs ou des usagers, de faire connaître leur point de vue. La matière est trop importante et les interactions entre des niveaux de décisions différents trop complexes pour qu'un projet législatif de cette nature soit traité à la hâte.
Corme j'ai eu l'occasion de le dire lors des Journées Nationales de l'Eau, ce travail devrait s'articuler autour de deux thèmes :
- une meilleure gestion quantitative de l'eau, d'une part ;
- et le renforcement de la lutte contre les pollutions d'autre part.
Sur le premier point, deux changements principaux seront proposés au Législateur.
D'abord, la mise en place dans chaque bassin d'un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, outil de planification souple permettant de confronter la ressource aux besoins à court, moyen et long termes.
Préparés principalement par les agences de bassin, ces schémas seront soumis aux comités de bassin après une large concertation, et approuvés par l'Etat.
Là où la situation l'exigera, dans des zones délimitées de bassin ou sous-bassin, ces solutions pourront servir de référence à des règlements d'eau, afin que le droit d'accès à la ressource puisse être respecté.
Deuxième proposition pour rendre plus cohérente la gestion de la ressource : il faudra que les autorisations de prélèvement - que ce soit dans les cours d'eau ou dans les nappes - soient instruites de façon plus cohérente, et comprennent des indications relatives aux volumes prélevés.
La modernisation envisagée du droit de l'eau n'aura pas pour but de nous engager dans la voie du rationnement général et permanent, mais bien au contraire dans une politique d'utilisation optimale d'une ressource qui, localement ou temporairement, se révèle déjà insuffisante aujourd'hui, et le sera sûrement davantage dans le futur si nous n'y prenons pas garde.
Deuxième volet de ce dispositif législatif : donner une nouvelle impulsion à la lutte contre les pollutions.
C'est à la fois une exigence à l'égard de l'hygiène publique et de l'écologie, et un impératif économique.
Les menaces sont nombreuses. Selon les bassins et les vallées, les urgences ne sont pas partout les mêmes mais il faudra, parfois simultanément,
- accélérer l'équipement des agglomérations en matière d'assainissement et développer un assainissement autonome de qualité dans les zones d'habitat dispersé ;
- poursuivre la lutte contre les pollutions industrielles et organiser la lutte contre les pollutions d'origine agricole en mettant en place des programme d'action et des procédures de financement adaptés ;
- renforcer enfin la lutte contre les pollutions accidentelles, notamment par la collecte et le traitement des eaux de pluie.
A la suite des travaux techniques et de la concertation, le Gouvernement fixera, à l'occasion de la préparation des Assises Nationales et du projet de loi, les orientations d'ensemble et le cadre financier, pouvant inclure de nouvelles dispositions relatives à la fiscalité et aux redevances.
Une double approche, réglementaire et incitative sera adoptée. Les mécanismes réglementaires seront adaptés aux nouvelles formes de pollution, et, par ailleurs, les pénalités sanctionnant les infractions devront être renforcées.
Les Agences et Comités de Bassin, dont l'action rencontre un succès reconnu depuis 26 ans, verront leurs missions étendues. Ces organismes ont su en effet démontrer leur efficacité et ont confirmé la pertinence de l'échelon du bassin dans la gestion de l'eau.
Ces orientations s'inscriront dans le cadre du sixième programme des Agences de Bassin qui prendra effet au cours de la période 1992-1996.
Le projet de loi sur l'eau sera enfin l'occasion de moderniser le cadre institutionnel de la police de l'eau. Les modalités de la coordination interministérielle de la gestion administrative de l'eau, animée par le Secrétariat d'Etat à l'Environnement, ont atteint aujourd'hui leurs limites. Tout le monde perçoit la nécessité de disposer d'une organisation plus cohérente et plus lisible, tant au niveau central qu'au niveau local.
Tels sont les grands axes de la nouvelle politique de l'eau que prépare le Gouvernement. Je laisse le soin au Secrétaire d'Etat à l'Environnement et aux Risques Majeurs, ainsi qu'au Ministre de l'Industrie et de l'Aménagement du Territoire et à celui de l'Agriculture, de répondre plus en détail aux questions que vous souhaiterez aborder.
Ma conviction est que nous devons réagir avec vigueur et sans concession au gaspillage de la ressource et au dérapage de la pollution. Le défi est ambitieux, mais à notre portée si tous les partenaires sont prêts à le relever ensemble.
Pour conclure, je voudrais vous préciser que ces travaux sur la politique de l'eau s'intègrent dans le Plan National pour l'Environnement lancé par le Gouvernement, dont un rapport préparatoire a été récemment rendu public par le Secrétaire d'Etat à l'Environnement.
Nous devons faire franchir à notre pays une nouvelle étape dans la protection de l'environnement - y compris, bien sûr, la protection de l'eau - et ce rapport préparatoire vous convaincra, je l'espère, par son ambition et son réalisme, de la détermination du Gouvernement dans ce domaine.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, l'air est pollué, le feu ravage les forêts, la terre est souillée, l'eau manque.
L'air, la terre, le feu et l'eau, ce sont les quatre éléments qui sont préoccupants. On ne saurait mieux mesurer le caractère vital de ces problèmes.
Je vous remercie.