Texte intégral
Q - Au début du conflit, Paris semblait aligné sur la position américano-israélienne : de quand datez-vous le retournement de la position française et quel en est l'élément déclencheur ?
R - A aucun moment, il n'y a eu d'alignement de nos positions sur quelque autre pays. Notre but a été de parvenir, en concertation avec nos partenaires américains mais aussi avec le Liban, Israël et beaucoup d'autres membres de la communauté internationale, à un texte qui assure un arrêt immédiat des violences et, au-delà, mette en place progressivement une solution à long terme. J'ai déjà eu l'occasion de le rappeler : le seul objectif de la France dans cette crise aura été et demeure celui du droit et de la paix. Il n'y a pas eu de retournement de notre position. Mais il y a eu une évolution majeure et positive avec la décision prise par le gouvernement de Fouad Siniora de proposer le déploiement de 15.000 militaires libanais dans le sud du pays. Ce pas très important a permis de bâtir le dispositif inscrit dans la résolution 1701, qui prévoit le processus parallèle de retrait israélien et le déploiement de l'arme libanaise, appuyée par la FINUL renforcée.
Q - La France peut-elle se targuer d'avoir obtenu la mise en oeuvre de la résolution 1701 au Conseil de sécurité de l'Onu ?
R - Le succès de la résolution 1701, votée à l'unanimité, est dû au travail de tous. Quant à la mise en oeuvre de ce texte, c'est d'abord au Liban et à Israël, avec naturellement le plein soutien de la communauté internationale, et bien sûr celui de notre pays, qu'il revient à présent d'avancer.
Q - Avez-vous été surpris par la résistance du Hezbollah ? Les combats ne risquent-ils pas de se poursuivre ?
R - La France l'a dit tout au long de cette crise : il ne peut y avoir de solution militaire. Chaque jour, les événements sur le terrain ont confirmé ce constat. Aujourd'hui, il faut mettre en oeuvre cette résolution. Ceci implique que chacune des parties respecte les obligations qui relèvent de sa responsabilité : d'abord, les modalités de retraits au sud de la Ligne bleue ou au nord du fleuve Litani, qui constituent la première étape avec l'arrivée parallèle de l'armée libanaise assistée de la FINUL ; ensuite, l'application de la résolution 1559, qui a prévu le désarmement de toutes les milices et dont les modalités de mise en oeuvre relèvent de la compétence des autorités libanaises. Il est essentiel que chaque partie soit pleinement consciente des devoirs qui lui incombent et veille à leur application. Il va de soi que la communauté internationale doit apporter sa contribution à ce processus, notamment à travers le renforcement de la FINUL. La France, pour ce qui la concerne, entend y prendre toute sa part.
Q - Si la France prend la tête des opérations de maintien de la paix, comment éviter le risque d'un nouveau "Drakkar" ?
R - Le Liban de 1983, date de la tragédie du Drakkar, n'est pas le Liban d'aujourd'hui. La réalité libanaise est complexe, en pleine évolution, avec de réels succès qui ont permis, depuis plus de deux ans, de réaffirmer la force de sa démocratie et de restaurer sa souveraineté et son indépendance. En ce qui concerne la FINUL, comme vous le savez, les différents contributeurs potentiels sont en train d'examiner leurs possibilités de participation. La France, comme l'a indiqué le président de la République, déterminera le renforcement de sa participation en fonction des moyens d'action donnés à cette force et de l'existence d'une juste répartition entre les pays qui fourniront des contingents. Nous serons attentifs à ce que la participation de nos armées s'accompagne de toutes les garanties nécessaires à leur sécurité. Par ailleurs, je voudrais souligner que l'armée française a 1.700 hommes dans les différents bâtiments de la Marine autour du Liban. Ils jouent un rôle majeur pour l'approvisionnement de la FINUL.
Q - La Syrie semble vouloir revenir dans le jeu diplomatique. Le président de la République, meurtri par l'assassinat de Rafic Hariri, y est-il toujours hostile ?
R - Chacun attend d'abord de la Syrie qu'elle se conforme à ses obligations internationales telles qu'elles découlent des résolutions des Nations unies qui ont suivi la mort de Rafic Hariri.
Q - On vous a reproché d'en faire un peu trop en évoquant un rôle stabilisateur de l'Iran dans la région, un pays qui semble pourtant téléguider le Hezbollah. Qu'en est-il aujourd'hui ?
R - Comme l'a souligné le président de la République, l'Iran, héritier d'une civilisation que nous respectons, peut et doit jouer un rôle important et stabilisateur dans la région, en particulier au Liban. Je n'ai pas dit autre chose : c'est à l'Iran, maintenant, de décider s'il veut ou non assumer ses responsabilités en jouant la carte de la modération.
Q - En effet, la montée en puissance des chiites n'est-elle pas une menace pour la région ? Le conflit en cours peut-il s'analyser comme un avant-goût de l'affrontement à venir entre Tel Aviv et Téhéran, dans une sorte de guerre des civilisations ?
R - Comme vous le savez, toute notre politique au Proche et au Moyen-Orient repose sur la conviction qu'il faut éviter à tout prix la vision manichéenne d'un choc des civilisations opposant l'Islam à l'Occident. Cette vision est tout le contraire de notre action diplomatique qui appelle au dialogue et à la tolérance. Il ne saurait donc être question pour nous d'incriminer l'Islam en général, ni les chiites en particulier. Ces derniers constituent, de fait, dans leur unité mais aussi dans leur diversité, une fraction importante, parfois majoritaire, de la population dans de nombreux pays de la région. Nous devons donc continuer inlassablement à convaincre ces différentes communautés de choisir la voie de la paix et de la prospérité.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 août 2006