Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec Ouest-France le 26 août 2006, sur les effectifs et les conditions d'engagement des troupes européennes au sein de la Finul renforcée au Liban ainsi que sur les réactions internationales aux dernières propositions iraniennes sur ses activités nucléaires.

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Média : Ouest France

Texte intégral

Q - A l'issue de la réunion des Vingt-cinq, à Bruxelles, jugez-vous l'engagement de nos partenaires européens au sein de la FINUL renforcée à la hauteur des besoins ?
R - Cette réunion est un succès pour l'Union européenne, qui sera la colonne vertébrale de la FINUL renforcée, ou FINUL 2. C'est un succès pour la France puisque, à la suite de l'annonce du président de la République, nos partenaires ont annoncé des contributions très conséquentes. Une solidarité européenne s'est manifestée concrètement. Maintenant, c'est la situation au jour le jour qui nous permettra de savoir quels sont les besoins quantitatifs. Nous en sommes déjà, au total, à 8.000 ou 9.000 hommes, que nous pouvons commencer à déployer.

Q - La mission des Casques bleus est-elle définie avec assez de précision ?
R - La FINUL renforcée est là pour aider l'armée libanaise à se déployer sur l'ensemble du Sud-Liban. C'est un fait politique majeur, puisque cette zone n'a pas vu l'armée libanaise pendant des années. Elle peut aussi, si les autorités libanaises le lui demandent, assurer l'embargo des livraisons d'armes à toutes les frontières du pays.

Q - Et en cas d'agression d'une des parties contre l'autre ?
R - Elle fera respecter le cessez-le-feu, car elle peut utiliser la force en cas de légitime défense.

Q - La force internationale est-elle assez "robuste" pour garantir le succès de sa mission ?
R - La résolution 1701 ne porte pas que sur la fin des hostilités, le déploiement de l'armée libanaise dans le Sud et le retrait de l'armée israélienne, le retour des déplacés, la levée du blocus aérien et maritime, la mise en place de l'embargo sur les armes. Elle vise aussi l'accord politique entre les gouvernements israélien et libanais sur trois sujets : désarmement des milices, règlement du différend territorial des fermes de Chebaa, solution du problème des prisonniers israéliens au Liban et libanais en Israël. Si cet accord politique n'est pas trouvé dans les mois qui viennent, le cercle vertueux engagé par la résolution sera fragilisé.

Q - Avez-vous reçu des parties en conflit l'assurance qu'elles étaient vraiment décidées à respecter le cessez-le-feu ?
R - Je pense que, de part et d'autre, il y a cette volonté. Je vois aujourd'hui avec plaisir que le déploiement de l'armée libanaise au Sud-Liban et le retrait de l'armée israélienne sont en train de se produire.

Q - Mais le Hezbollah n'a pas la moindre intention de désarmer ?
R - Nous continuons de penser que ce désarmement ne peut être obtenu par des moyens militaires. Il doit résulter, comme l'a rappelé le président de la République, d'un dialogue entre Libanais.

Q - Et Israël refuse la levée immédiate du blocus ?
R - Le blocus sur les vols de passagers doit être levé le plus vite possible, sinon, on ne pourra pas reconstruire le Liban. En revanche, je comprends que le blocus sur le fret doit s'accompagner d'un embargo crédible et contrôlé des livraisons d'armes. C'est la raison pour laquelle l'Allemagne s'apprête à déployer des forces de contrôle des ports.

Q - L'Union européenne occupe-t-elle, dans le rétablissement de la paix au Liban, la place qui devrait être la sienne ?
R - Elle a un rôle majeur à jouer. C'est un rôle d'équilibre. L'Europe doit faire comprendre qu'il ne faut pas entrer dans un jeu dangereux de guerre des civilisations, un jeu qui viserait à expliquer où sont le bien et le mal à des pays qui n'ont pas la même culture, la même religion, la même civilisation que la nôtre. L'Union doit montrer, en particulier aux Israéliens, que le gouvernement libanais de Fouad Siniora, comme d'ailleurs le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, sont des interlocuteurs qu'il faut soutenir et non le contraire.

Q - Prenez-vous au sérieux l'appel de Téhéran à des "négociations sérieuses" sur le nucléaire iranien ?
R - Nous avons reçu, mardi, la réponse à nos propositions du 6 juin. C'est un document de plus de vingt pages, complexe, détaillé, que nous étudions minutieusement. Après consultation de nos partenaires européens, russes, chinois, américains, nous ferons part, prochainement, de nos positions. Le chef de la délégation iranienne, Ali Larijani, se dit prêt à des négociations. Mais il sait très bien que la résolution 1696 du 31 juillet prévoit que celles-ci ne peuvent reprendre qu'après suspension de l'enrichissement de l'uranium. Je dis aux autorités iraniennes que la France souhaite également la reprise des négociations. Si Mohammed El Baradeï, chef de l'Agence internationale de l'Energie atomique, constate que l'Iran n'a pas respecté la résolution, le Conseil de sécurité devra en tirer les conséquences. Mais il reste moins d'une semaine à l'Iran pour se mettre en conformité avec la résolution. Nous mettrons à profit le temps qui reste pour avoir des explications plus détaillées sur sa réponse, en espérant qu'il ne s'isolera pas.

Q - Sinon ?
R - Attendons de voir ce qui va se passer cette semaine. Le risque est immense pour le monde. Jusqu'au dernier moment, il faut tout faire pour faire prévaloir le dialogue.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 août 2006