Texte intégral
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Président de l'UJFA,
Mesdames, Messieurs
Chaque année, plus de mille demandes d'émission timbres sont formulées par des parlementaires, des élus locaux, des associations, des institutions ou des particuliers.
Seulement une cinquantaine d'entres elles verront leur consécration philatélique, après une sélection opérée par une commission , composée de représentants de la Poste, du ministère de la Culture, des milieux philatéliques, du négoce, de la presse spécialisée, des créateurs de timbres postes et de clients.
Cette commission statue pour avis en fonction de certains critères précis, et notamment en fonction de l'importance des évènements à commémorer, des personnalités qu'il convient d'honorer, des sites, des villes de France dont il faut faire connaître les attraits.
Une fois le choix définitif fixé par arrêté ministériel que j'ai l'honneur de prendre en tant que ministre chargé des Postes, l'exécution du programme annuel des émissions peut être lancée. Mais c'est en général seulement, l'année suivante que les timbres sortiront des presses.
C'est ainsi, qu'en 2005, Monsieur Jean Pierre Saal et l'UJFA ont fait connaître leur demande d'émission d'un timbre poste en l'honneur d'Alfred Dreyfus l'année du centenaire de sa réhabilitation. Et j'ai donc eu le plaisir de signer l'arrêté qui a retenu cette proposition, soutenue, il est vrai par de très nombreuses personnalités, dont mon prédécesseur Patrick Devedjian. Certaines d'entre elles sont d'ailleurs présentes aujourd'hui à cette manifestation.
Il est important de rappeler ce formalisme car il résulte du droit exclusif réservé à l'Etat en matière d'émission de timbre-poste, en tant que valeur fiduciaire et instrument de l'exécution du service public postal.
Mais c'est aussi, pour l'Etat l'occasion de porter un message fort. Un message évocateur de l'histoire, des traditions, des réalisations, du patrimoine de la France, un message illustratif de la vie sociale, économique et culturelle, tout autant que commémoratif de personnages disparus
reconnus pour leur contribution exceptionnelle à notre pays.
Un timbre habilement et artistiquement conçu, fait beaucoup plus que simplement indiquer que son expéditeur a acquitté le taux réglementaire de l'affranchissement.
Il transmet au destinataire- compatriote ou étranger- un certain message sur la personnalité, les valeurs et les préoccupations du gouvernement du moment, dans le pays qui l'a émis.
Et, c'est bien parce que depuis sa création , le timbre évoque les petits et les grands moments de l'histoire, les hommes et le patrimoine de la mémoire, qu'il est devenu un véritable objet de fascination du public.
Alors, comment vouloir faire oeuvre de mémoire et ne pas accéder à votre demande, quand il s'agit en fait de commémorer le parcours d'un homme devenu le symbole d'une République de Justice, de Liberté et de Vérité ?
« Ecris-moi souvent, écris-moi longtemps » écrira Dreyfus, désespéré de l'île du Diable à son épouse, Lucie. Pourtant, même en proie à la plus grande détresse, jamais cet homme n'a baissé les bras. Même la grâce qui lui fut accordée par Emile Loubet, n'était pas satisfaisante face à son intransigeante recherche de vérité. C'était son innocence qui devait être proclamée. L'une des
façons, un siècle plus tard, de marquer notre fidélité, notre respect pour son combat est nécessairement de contribuer à ce devoir de mémoire.
Aujourd'hui, en éditant pour la première fois un timbre-poste à l'occasion du centenaire de la réhabilitation d'Alfred Dreyfus, nous célébrons la victoire du droit, de la justice mais aussi la victoire d'un homme qui n'a jamais cessé de revendiquer et de respecter le devoir de vérité.
Nous célébrons l'honneur retrouvé d'un soldat , l'honneur retrouvé d'un patriote,l'honneur rendu à un citoyen. C'est tout le sens des mots prononcés par Alfred Dreyfus, le jour de la cérémonie de remise de la Légion d'honneur. A ceux qui l'acclament, après tant d'années de souffrance et d'humiliation, aux cris de « Vive Dreyfus, Vive la France ! », il répondra « Vive la Vérité, Vive
la République ! ».
Une autre façon de lui rendre hommage est sans doute d'essayer de parler vrai en rappelant avec Emile Zola que « tout le mouvement de défense républicaine est né de là et si la France est sauvée du long complot de la réaction, c'est à l'Affaire Dreyfus qu'elle le devra ».
« Haute trahison », telle était, pour la justice militaire, en 1895 la culpabilité de Dreyfus.
Son crime n'a-t-il pas été, en fait, d'être un officier de la bourgeoisie juive alsacienne, d'avoir choisi de servir la France au moment ou, fatalité de l'histoire, sa terre natale était rattachée à l'Allemagne, alors que lui était porté par l'idéal républicain ?
Faut-il parler de « Crime judiciaire », pour reprendre les termes forts de Jean-Marie Bredin ? Le 12 juillet 1906, la justice civile, par la voix de ses plus hauts représentants, réhabilite Alfred Dreyfus, lui rendant ainsi son honneur perdu. Ainsi comme l'a si justement exprimé M. Guy Canivet, Premier Président de la Cour de Cassation : « en dernière analyse de l'accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout ».
De tels errements justifient que cent ans plus tard, l'on s'interroge encore, afin de ne jamais oublier que l'aveuglement produit le pire afin de ne jamais oublier que le courage du Capitaine Dreyfus, du lieutenant-colonel Picquart, du sénateur Scheurer-Kestner, de Clemenceau, de Zola, que le courage de tous ces gens là, au service des convictions républicaines, a permis la
victoire de la Vérité.
L'Affaire Dreyfus éclate alors que la France vaincue mais convertie au culte de l'armée ...l'Arche sainte, est en proie au nationalisme exacerbé et aveugle.
Nationalisme inspiré par la volonté de restaurer la place de la France en Europe et dans le Monde.
La France saignée à blanc par les guerres de la Révolution, du premier puis second empire. Une France déchirée, agitée par le combat sans merci que livrent l'Eglise et les partis royaliste et bonapartiste à la IIIe République ou le conflit hérité de la Révolution se poursuit sur un mode à peine atténué.
La France en prise avec l'émergence des Etats Nations qu'elle a pourtant suscité par l'esprit de 1789.
Nationalisme entretenu par la peur d'une nouvelle révolution. L'épisode tragique de la « commune de Paris » marque encore tous les esprits, cette hantise de la guerre civile attisée tout au long du siècle par des passages erratiques entre monarchies, empires et républiques.
Et cette instabilité institutionnelle permanente qui a dévoyé les grands principes de justice, de liberté et de vérité, l'affaire Dreyfus la porte à son paroxysme, provoquant une très profonde crise nationale et politique.
Dans ce pays livré aux déchaînements passionnels, une droite antisémite prend fait et cause de la manière la plus extrême pour l'armée, la raison d'Etat, la patrie et contre Dreyfus.
La raison d'Etat, celle des institutions militaires, toutes entières portées par l'esprit de revanche de l'humiliation de Sedan et d'une guerre perdue prend le pas sur les valeurs fondatrices de la République.
Les générations d'historiens qui se sont succédées depuis plus d'un siècle ont unanimement établi une vérité reconnue, riche d'enseignements.
Pour ma part, pour avoir l'honneur d'ouvrir vos travaux, je souhaiterais exprimer le fidèle attachement de l'alsacien, du radical et du républicain au souvenir du Capitaine Dreyfus et tracer quelques pistes.
Elles nous conduisent à réfléchir sur le sens de la République, le sens de l'engagement des hommes.
Le sens de la République
Décisive pour l'histoire politique de notre pays, l'affaire Dreyfus, impose clairement les fondements de notre République contemporaine. Ils reposent sur trois piliers, sur trois exigences celle de la Justice et l'équité, celle de la Laïcité, celle de la Liberté.
De ces 12 ans de luttes, de souffrances et d'outrance qui ont divisé le pays, nous devons retenir - au-delà de la passion qu'anime la recherche de la vérité- deux enseignements :
La vérité est plus forte que la raison d'Etat.
La République n'est légitime que si elle respecte l'intégrité des citoyens, parce qu'elle les reconnaît libres, autonomes, capables de penser par eux-mêmes.
Cet idéal républicain, celui là même auquel nous sommes tous ici très attachés, a été porté par le courage et l'engagement de grands hommes, que je souhaite évoquer avec vous.
Le sens de l'Engagement
Une des facettes la plus significative de l'affaire Dreyfus, est bien qu'elle a donné naissance à une figure nouvelle sur la scène française, celle de l'Intellectuel.
L'engagement de ces hommes est à la fois politique et hautement moral. Il nécessite de leur part courage et dignité. Il atteste de leur totale indépendance d'esprit, de leur tolérance et de leur fervent humanisme.
Sans ces valeurs cardinales il n'y aurait pas eu de 13 janvier 1898, il n'y aurait pas eu le «J'ACCUSE» de Zola au nom d'une « passion, celle de la lumière », « au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. » Zola dont « la protestation enflammée n'est que le cri de son âme ».
Sans ces valeurs, le « noble frère » Matthieu Dreyfus, l'écrivain libertaire Bernard Lazare, l'éditorialiste Georges Clemenceau, le lieutenant-colonel Georges Picquart (strasbourgeois qui a grandi dans une commune de ma circonscription), le sénateur Auguste Scheurer-Kestner, alors dernier représentant de l'Alsace au Parlement (dont l'autorité morale a largement inspiré mon engagement personnel en politique). Sans ces valeurs de loyauté et d'honnêteté ces hommes n'auraient eu ce comportement qui honore la France.
Sans ces valeurs, la cour de Cassation n'aurait en 1906 reconnu le « crime de justice ».
Ces hommes étaient de tous horizons et de toutes convictions religieuses ou politiques. Et c'est bien là l'élément le plus essentiel de cette Affaire. En fait, les clivages traditionnels sont balayés, car l'engagement de ces hommes ne tient, ni à leur origine sociale, ni à leur appartenance religieuse ou à leur origine ethnique, ni à leur option politique.
Pourtant, ensemble, ils sauvèrent l'honneur de la République. Risquant tout, et pour certains perdant tout, ces hommes font un choix personnel, un choix sans aucune considération psychologique, biographique ou politique.
Ce sont des hommes libres et leur liberté les guide vers la Justice. Admirables dans leur fermeté éthique, ces Hommes sont d'authentiques républicains. Ils ont compris et partagé le combat de Dreyfus pour que triomphe le droit du citoyen face aux institutions et à l'arbitraire.
Ne jamais renoncer à ses droits et placer toujours la Vérité et la Justice au coeur de la société, telle est la grande leçon, l'inestimable héritage que l'Affaire Dreyfus a transmis à la République, à la France.
C'est cet enseignement qui est résumé sur les quelques millimètres carrés de ce timbre qui, de lettres en missives, sera chargé de rappeler l'Histoire et de transmettre le message.Source http://www.industrie.gouv.fr, le 13 juillet 2006