Tribune de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes dans le quotidien suédois "Dagens Nyheter" le 7 février 1999 et déclaration sur la réalisation de l'euro, le pacte européen pour l'emploi, l'affirmation politique de l'Europe, la réforme des institutions communautaires préalable à l'élargissement de l'Union européenne, Stockholm le 8 février 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage en Suède les 7 et 8 février 1999-intervention à l'Institut des relations internationales à Stockholm le 8

Média : Dagens Nyheter

Texte intégral

INTERVIEW AU QUOTIDIEN "DAGENS NYHETER" le 7 février 1999
Je suis heureux de lopportunité de madresser aux lecteurs du Dagens Nyheter à loccasion de la visite de travail que jeffectue en Suède les 7 et 8 février 1999.
LUnion européenne, dont votre pays est membre depuis à peine quatre ans, connaît actuellement des évolutions considérables. LUnion économique et monétaire est devenue réalité le 1er janvier pour 11 de ses 15 membres, le Traité dAmsterdam devrait entrer en vigueur dans quelques mois, les négociations sur « lAgenda 2000 » détermineront le cadre financier de lUnion pour les premières années du prochain siècle et nous devons faire face au défi de lélargissement à lEst, qui pose la question du devenir de lEurope.
Je voudrais évoquer deux aspects qui me paraissent essentiels :
1) Nous devons faire de leuro, avec vous, quand vous le souhaiterez, linstrument dune Europe de la croissance et de lemploi.
La Suède a fait le choix souverain de ne pas rejoindre, pour lheure, leuro. En tant que ministre dun des Etats membres qui en ont été à lorigine, je voudrais évoquer notre conception de leuro, instrument de progrès économique et social, et toute la place que pourrait occuper votre pays dans la zone euro.
En premier lieu, leuro est, selon moi, et contrairement à ce que disent ses détracteurs, un moyen de reconquérir une souveraineté monétaire que la plupart de nos pays, pris individuellement, avaient perdue.
En effet, leuro a le potentiel pour devenir une monnaie de réserve internationale, à légal du dollar, et contribuer ainsi à la fois à la maîtrise de notre destin économique et à la stabilité de lenvironnement monétaire et financier dont léconomie mondiale a besoin. Il est clair que plus leuro sera large, plus il sera fort. Cest pourquoi il est important que, dès le départ, il nait pas laissé les pays du sud de lEurope de côté. Cest pourquoi il est important que la Suède, comme les autres pays qui sont encore à lextérieur, nous rejoigne.
Ensuite, leuro est un élément de stabilité. Nous avons commencé à le constater, en quelque sorte par anticipation, au second semestre de 1998, quand la zone euro a été protégée des turbulences causées par les crises financières internationales. Leuro est également stable car, dans un contexte dinflation maîtrisée, il signifie la fin des dévaluations compétitives, des manques à gagner pour les pays dont les monnaies se trouvent renchéries et il est, en revanche, synonyme dattraction pour les investisseurs, européens comme non-européens, ce qui signifie des taux dintérêt bas.
Enfin, leuro nest pas un but en soi, il est un facteur de croissance. Les Onze se sont dotés dun Conseil de leuro, autorité politique qui doit devenir un véritable lieu de convergence des politiques économiques, vers la croissance, en contrepoids au rôle indispensable de la Banque centrale européenne indépendante.
Leuro doit être également un instrument de progrès social. Là aussi, il est clair que, tant que lEurope de leuro sera également celle de 16 millions de chômeurs, la monnaie unique sera sujette à caution, dans les pays qui en ont déjà fait le choix comme dans ceux qui sinterrogent encore.
Le « Pacte européen pour lemploi », dont le lancement a été décidé lors du dernier Sommet de Vienne en décembre, doit maintenant devenir la véritable contrepartie du Pacte de stabilité et de croissance et contenir des objectifs contraignants en matière de lutte contre le chômage. Le gouvernement français sy emploiera et je suis sûr que le gouvernement suédois de Göran Personn y est tout autant sensible. Nos deux pays ont encore environ 12 % de leur population active au chômage, cela nest plus acceptable.
Je sais quune partie de votre opinion publique, même si elle évolue progressivement en faveur de leuro, est encore réticente, justement parce quelle voit dans leuro un outil au service de seules considérations financières.
Je veux exprimer le souhait que les attitudes évolueront et que, le moment venu, en toute souveraineté, vous ferez le choix de nous rejoindre. Toutes les énergies seront nécessaires pour construire la puissance économique européenne, au service de ses peuples.
2) Au delà de leuro, nous devons construire ensemble lEurope politique de demain, renforcée et élargie, au service de ses citoyens.
LEurope ne peut se résumer au champ économique et social. Nous devons bâtir lEurope des libertés et des sécurités, capable de faire entendre son message et ses valeurs à lintérieur de nos frontières comme dans le monde.
Sur la scène internationale, lEurope doit être plus présente, être à la fois forte et généreuse.
Nous devons donner une réelle substance à la Politique étrangère et de sécurité commune. Comme la monnaie, laffirmation politique de lEurope dans le monde est un élément de la préservation de notre modèle politique, économique et social, dans un monde globalisé dominé par une seule « hyper-puissance ». Ce nest quainsi que nous pourrons répondre au véritable besoin dEurope, que je ressens, et qui émane de tous ceux qui refusent un monde unipolaire et uniformisé.
LEurope des sécurités, ce doit être également la dimension intérieure, cet espace européen de liberté, de sécurité et de justice que prévoit le Traité dAmsterdam. Rendons nous à lévidence : plus aucun pays ne peut apporter seul une réponse à laction des mafias ou à lextension de la criminalité organisée, pas davantage quà la question des flux migratoires. Il faut une action européenne.
Jen viens, pour terminer, aux réflexions qui guident le gouvernement français sur lEurope politique, lEurope à 30 vers laquelle nous allons. Nous devons en effet renforcer lEurope tout en lélargissant.
Cette question est pour moi fondamentale. Non seulement parce quil ny aura pas dEurope forte avec des institutions faibles, mais aussi parce que cette problématique est au coeur des interrogations des peuples européens sur leur avenir, à Stockholm comme à Paris, sur la façon dont lespace européen peut se concilier avec leurs conceptions identitaires et nationales.
Nous devons rendre les institutions européennes plus efficaces et plus transparentes. La nécessité dune telle réforme se fait déjà sentir aujourdhui, dans lEurope des Quinze, menacée par lunanimité paralysante. Elle sera tout simplement vitale en vue dune Europe à 25 ou 30.
Pour autant, il serait regrettable de nenvisager lélargissement que comme une contrainte quil sagirait de négocier avec le moins de répercussions négatives possibles. Je ne mésestime pas, bien sur, les défis de cet élargissement mais je le considère comme une chance historique pour lEurope. Je voudrais que vous soyez convaincus de la clarté de lengagement de la France en la matière.
Elargir lUnion à nos voisins dEurope centrale et orientale, cest parachever loeuvre fondatrice entamée au lendemain du second conflit mondial, contrainte pendant plus de quarante ans par le rideau de fer, et consolider la démocratie dans ces pays. Cest redonner son unité à lEurope qui a existé, sous une certaine forme, dès le XVIème siècle, quand elle était celle de lesprit et des hanses. Cest pourquoi, dailleurs, jai préférer parler de réunification de lEurope plutôt que dun élargissement supplémentaire. Vous en êtes bien sûr tout à fait conscient, ici, au coeur du monde baltique.
Voilà comment la France aborde les prochaines échéances européennes. Que la Suède y joigne son énergie et nous pourrons, ensemble, faire de lEurope le creuset des ambitions du siècle prochain./.
INTERVENTION A L'INSTITUT DES RELATIONS INTERNATIONALES A STOCKHOLM le 8 février 1999 sur le thème : " LEurope avec leuro, lEurope après leuro"
Mesdames et Messieurs,
Laissez-moi dabord vous dire le plaisir que jai à intervenir devant vous aujourdhui, à loccasion de la visite de travail que jeffectue en Suède. Permettez-moi, aussi, de remercier les organisateurs de cette réunion, mais aussi, tout particulièrement, les étudiants qui ont pris la peine de se déplacer pour entendre les vues du gouvernement français, ainsi que mes opinions personnelles, sur lavenir de la construction européenne.
Une telle problématique, jen suis persuadé, rencontre un réel écho en Suède. Certes, le peuple suédois a fait le choix irrévocable de ladhésion à lUnion européenne, mais, en même temps, il faut constater quil a choisi de ne pas participer à leuro, qui a été lancé le 1er janvier dernier.
Je comprends parfaitement cette hésitation. Nous-mêmes, en France, à loccasion du référendum sur la ratification du Traité de Maastricht, avons bien constaté les incertitudes et les craintes que pouvait susciter ce qui était perçu par certains comme un abandon de souveraineté.
Je ne suis pas ici, bien évidemment, pour essayer de vous recommander un choix. Une telle décision relève clairement de votre débat politique interne, et je connais autant lattachement du peuple suédois à son modèle que les vertus du consensus à la suédoise. Mais si je madresse à vous, en particulier à la jeunesse, cest aussi pour contribuer à éclairer les termes de ce débat et pour vous dire aussi ce qui, selon moi, justifie que le peuple suédois fasse le choix dune intégration européenne toujours plus résolue.
Je rappellerai tout dabord que lUnion européenne, dont votre pays est membre depuis quatre ans, connaît actuellement des évolutions considérables. LUnion économique et monétaire est devenue une réalité le 1er janvier ; le Traité dAmsterdam entrera en vigueur dans quelques mois ; les négociations sur « lAgenda 2000 » détermineront le cadre financier de lUnion et la configuration des politiques communes pour les premières années du prochain siècle ; jajoute enfin que nous devons, ensemble, relever le défi de lélargissement de lUnion européenne aux pays dEurope centrale, orientale et balte.
Cette équation, dont chacun des paramètres est, en soi, complexe, pose clairement la question du devenir de lEurope : une monnaie unique, pour quoi faire ? Une union politique, pour quel projet ? Un élargissement, dans quelle perspective ? Cest pourquoi, je voudrais axer mon propos devant vous sur deux aspects qui me paraissent essentiels :
· je vous dirai, dabord, que nous devons faire de leuro linstrument dune Europe de la croissance et de lemploi, dune Europe des solidarités ;
· je vous donnerai ensuite mon opinion sur lEurope après leuro, élargie et renforcée, cest-à-dire sur les termes du projet politique que nous devons construire ensemble.
I.Nous devons donc dabord réussir leuro, avec la Suède quand elle le souhaitera, pour bâtir lEurope de la croissance et de lemploi.
Car la monnaie unique est dabord, pour nous, un instrument de progrès économique, au service de la croissance.
Leuro, contrairement à ce que disent ses détracteurs, est dabord un moyen de reconquérir une souveraineté monétaire que la plupart de nos pays avaient perdue.
Que devient, en effet, la souveraineté quand la conduite de léconomie dépend de la variation quotidienne du cours de la monnaie nationale par rapport à une ou deux monnaies dominantes ? Le franc français a connu cette situation de « monnaie - prétendument - souveraine » jusquau 1er janvier dernier, alors quil était en fait contraint par la nécessité de maintenir un taux de change quasiment fixe avec le mark allemand, et ce dans un rapport de forces inégal. Ce pouvoir que nous avions perdu, nous allons le retrouver, certes de façon partagée, avec leuro, qui traite désormais dégal à égal avec le dollar.
Ensuite, leuro est un élément essentiel de stabilité. Nous avons commencé à le constater dès le second semestre de 1998, quand la zone euro a été protégée des turbulences causées par les crises financières asiatique et russe. Jobserve a contrario, pour le regretter, que la couronne suédoise a été soumise à de fortes pressions, perdant plus de 10% de sa valeur en quelques semaines.
Mais pour devenir un instrument de stabilité, leuro devait disposer dune assiette à la fois large et stable.
Or leuro est large et inclut lItalie, lEspagne et le Portugal, qui ont fait des efforts remarquables pour nous rejoindre. Et cest bien dans la perspective dun euro plus large encore, dun euro pour lEurope entière, que nous souhaitons que la Suède, le Royaume-Uni et le Danemark, quand ils le voudront, ainsi que la Grèce dès quelle le pourra, le rejoignent à leur tour.
Ainsi, leuro a le potentiel pour devenir une monnaie de réserve internationale, à légal du dollar. Il contribuera dès lors à la stabilité de lenvironnement monétaire, dont non seulement lEurope mais aussi léconomie mondiale ont besoin : les crises monétaires et financières actuelles, en Asie, en Russie et au Brésil, nous le rappellent quotidiennement.
Cet euro large est aussi un euro stable. Dans un contexte dinflation maîtrisée, il signifie la fin des dévaluations compétitives et des pertes de parts de marché pour les pays dont les monnaies se trouvaient renchéries.
Enfin, leuro est un facteur de croissance. Outre la suppression des coûts de transaction et des frais de couverture de change, la monnaie unique va élargir la circulation des capitaux et permettre une meilleure allocation des ressources. Les investisseurs, européens et non-européens, y trouveront la certitude de taux dintérêt réels bas.
Jinsiste également sur le fait que les Onze se sont dotés dun Conseil de leuro, lEuro- 11, autorité politique qui doit devenir un véritable lieu de convergence des politiques économiques, vers la croissance, en contrepoids au rôle indispensable de la Banque centrale européenne indépendante.
Cet enjeu est pour nous déterminant et je sais que vous y êtes aussi sensibles en Suède : leuro doit être au service de la croissance et un instrument de progrès. En entretenant la pression à la baisse sur les taux dintérêt, il crée les conditions dun renforcement de la croissance et de lemploi.
Cette exigence est cruciale : leuro doit faire la preuve quil est aussi un élément de réponse au problème du chômage de masse, que nous connaissons, et que vous connaissez aussi.
Nos deux pays ont encore environ 12 % de leur population active privée demploi : cette situation nest plus acceptable. Et aussi longtemps quil y aura 16 millions de chômeurs dans lEurope de leuro, la monnaie unique fera lobjet dinterrogations parmi nos peuples, chez ceux qui en ont déjà fait le choix comme chez ceux qui hésitent encore. Je sais, à cet égard, que les résultats que nous atteindrons en termes de décrue du chômage constitueront un élément déterminant de votre choix dentrer dans leuro, ou de rester en dehors.
Comme vous le savez, le gouvernement français, au niveau européen, a fait du renforcement de la lutte contre le chômage une priorité. Nous lavions annoncé dès le Conseil européen dAmsterdam, en juin 1997. Le Conseil européen spécial qui a été consacré, pour la première fois, à lemploi en novembre 1997, à Luxembourg, a fixé des objectifs - je pense aux lignes directrices européennes pour lemploi, déclinés à travers des plans nationaux, qui anticipent sur lentrée en vigueur des dispositions du Traité dAmsterdam en la matière.
Il y a désormais une détermination forte des chefs dEtat et de gouvernement de renforcer encore ces instruments et de les faire converger vers une stratégie cohérente, qui prendra la forme dun « Pacte européen pour lemploi », comme la décidé le dernier Conseil européen, à Vienne, en décembre dernier.
Nous souhaitons que ce plan européen soit ambitieux et traduise concrètement la priorité que nous, gouvernements dEurope, devons accorder à la lutte contre le chômage.
Quelles pistes entendons-nous privilégier ? Chacun doit, bien sûr, sinspirer des expériences des autres ; mais il y a aussi ce que nous, pouvoirs publics, pouvons faire pour favoriser les conditions de lemploi à léchelle européenne : je pense au renforcement du dialogue social, à la recherche de conventions collectives européennes, à la définition dorientations au niveau européen sur la durée du travail, au principe dun minimum salarial, à la formation permanente, à la mise en place dobjectifs vérifiables pour lemploi.
Cest en avançant de cette façon que simposera progressivement, lidée dun contrepoids, dans le domaine social, au Pacte de stabilité et de croissance adopté en 1997 dans le domaine économique.
Cela mamène à insister sur nos convergences. Comme vous, nous sommes attachés à notre modèle social et, à cet égard, le modèle suédois conçu par Per Albin Hansonn dans les années 30, constitue une référence, un modèle de consensus social et de redistribution à bien des égards exemplaires dans lEurope de laprès-seconde guerre mondiale.
Mais, comme le vôtre, notre modèle social est en crise, miné par le chômage. Lefficacité du système de prélèvements obligatoires, qui était hier le support de ce modèle, est aujourdhui à bien des égards un frein à son évolution : vous le savez mieux que quiconque. Cest dans ce contexte quil faut, me semble-t-il, traiter de la question de la monnaie unique. Je sais quune partie de votre opinion publique, même si elle évolue progressivement en faveur de leuro, est encore réticente, justement parce quelle craint que leuro soit un outil au service de laustérité et des impératifs financiers.
Or, jai tenté de vous montrer que la monnaie unique, sous réserve dune forte volonté politique des gouvernements européens, peut être un instrument au service de la croissance et de lemploi. Il est clair, également, que plus lintégration des pays membres de la zone euro progressera, plus la situation de ceux restés en dehors risque de devenir pénalisante.
Cest pourquoi je veux exprimer le souhait que les attitudes évolueront et que, le moment venu, en toute souveraineté, vous ferez le choix de nous rejoindre. Toutes les énergies seront nécessaires pour construire la puissance économique européenne, au service de ses peuples, au service de ce modèle social sans équivalent dans le monde que leuro nous aidera à préserver, tout en nous incitant à le faire évoluer.
Car cest bien dévolution et dadaptation dont il sagit. Les conditions dans lesquelles se construit lEurope aujourdhui nont plus rien à voir, ou presque, avec celles qui ont présidé à la signature du Traité de Rome : fin de la guerre froide, mondialisation des échanges et construction densembles régionaux, émergence des Etats-Unis comme seule « hyper-puissance », montée du chômage de masse. Nous serions bien naïfs de considérer que lEurope doit vivre sur ses acquis alors que tout, autour de nous, nous incite à la faire évoluer et à regarder lavenir.
Cette Europe de leuro est aussi, pour moi, une Europe du changement. Cette Europe sociale, ce modèle européen qui est un modèle de civilisation que nous voulons, à juste titre, préserver, nous devons aussi ladapter et le renforcer. Cest là aussi un des enjeux de lAgenda 2000 et de la réforme des politiques communes. Mais le principal enjeu de cette évolution, cest la capacité que nous aurons demain à construire ensemble notre avenir politique.
II.En effet, au delà de leuro - cest le deuxième point de mon intervention - nous devons construire ensemble lEurope politique de demain, renforcée et élargie, au service de ses citoyens.
Je partirai dune évidence : il serait vain de penser que leuro et la perspective de la réunification du continent européen suffiront, à eux seuls, à créer, de façon mécanique, les conditions dune union politique plus étroite. Ce que jobserve en effet, cest que la perspective de lélargissement nous confronte inéluctablement à deux principaux défis.
· Premier défi : comme Jacques Delors, je pense que « prétendre que lapprofondissement et lélargissement sont parfaitement compatibles, cest prendre ses désirs pour des réalités ». En fait, je suis même convaincu que, dune certaine façon, lUnion que nous avons créé voici plus de quarante ans a vécu.
Elle ne résistera pas, dans sa forme actuelle, à la dynamique de la réunification du continent européen : lEurope à 30 ne pourra pas avoir les mêmes ambitions et la même forme que lEurope à Quinze.
Je dis cela, pour ma part, sans amertume. Je suis trop respectueux de la nation, et du destin de chacune dentre elles en Europe, pour penser que tous les peuples pourraient concevoir, ensemble et au même moment, les mêmes ambitions.
Mais comment, forts de ce constat, pouvons-nous concevoir une vision européenne, sans laisser sinstaller « lEurope à la carte », lEurope « self-service », au moment même où nous demandons aux pays candidats de reprendre la totalité de notre acquis ? Je nai, bien entendu, pas de réponses toutes faites à la question de larchitecture future de lUnion européenne et ce nest dailleurs pas aujourdhui que nous pourrions épuiser le sujet.
Mais il me paraît évident que, dans lEurope de demain, il y aura un coeur dEtats membres, qui dailleurs existe dores et déjà - je pense à leuro à onze, à lUEO à 10, à Schengen à 9, mais aussi à la notion de « coopérations renforcées » consacrée par le Traité dAmsterdam. Bien entendu, je suis profondément convaincu quil est de lintérêt de la France de faire partie de ce groupe de pays et que celui-ci doit rester ouvert à ceux qui voudront le rejoindre. Mais chacun devra prendre ses responsabilités.
· Deuxième défi : lélargissement nous amène à poser à nouveau la question des raisons de construire lEurope aujourdhui, à réfléchir à ce qui fonde notre volonté de vivre ensemble, à repenser les termes dun contrat fondé, historiquement et principalement, sur la réconciliation franco-allemande et sur la résistance à la menace soviétique, mais qui, en quarante années, a considérablement changé de nature.
Car, il ne faut pas le nier, nos opinions sinterrogent. Non pas, du moins en France, quelles soient hostiles à lavancée décisive que nous venons daccomplir avec leuro, mais parce quelles ne semblent pas très sûres de savoir où nous allons. Vos interrogations sur leuro rejoignent celles qui sexpriment dans dautres pays, et en France en particulier, sur la finalité même de la construction européenne.
La vraie question, celle à laquelle nous sommes confrontés pour les années à venir, est bien celle de savoir si la construction européenne constitue toujours un facteur de progrès, si elle va à la rencontre des préoccupations exprimées par les citoyens dEurope. Cest en ce sens, je crois, quil est temps de refonder le contrat européen, non seulement entre les Quinze mais aussi à lusage des pays qui aspirent à nous rejoindre.
Quels pourraient être les termes de ce contrat ?
Je me limiterai, pour donner plus de place à notre débat, à cinq réflexions.
· Première réflexion : comment rendre les institutions européennes plus efficaces ? Je ne mattarderai pas sur ce point : vous savez quen dépit de léchec dAmsterdam sur ce point, la France continue de penser quune profonde réforme des institutions européennes est indispensable et que, pour cette raison, elle constitue un préalable aux futures adhésions.
Non seulement parce quil ny aura pas dEurope forte avec des institutions faibles, mais aussi parce que cette question est au coeur des interrogations des peuples européens sur leur avenir, à Stockholm comme à Paris, sur la façon dont lespace européen peut se concilier avec leurs conceptions identitaires et nationales.
· Deuxième réflexion : comment assurer la pérennité du « modèle de société européen » ? La réponse à cette interrogation est cruciale. Jai insisté tout à lheure sur le nécessaire rééquilibrage social de la construction européenne. Mais il faut aller plus loin, en se fondant sur les progrès accomplis depuis 40 ans dans la reconnaissance des droits fondamentaux. Je pense donc quil serait utile de rédiger une Charte des droits civiques et sociaux des citoyens, qui rappellerait les dispositions qui font de lEurope un espace de liberté et de solidarité sans équivalent dans le monde, et qui les compléterait par de nouveaux droits.
· Troisième réflexion, liée à la précédente : le renforcement de la sécurité des citoyens dont on voit bien quelle est, avec le chômage, au coeur des préoccupations de nos concitoyens.
Rendons-nous à lévidence : plus aucun pays ne peut apporter seul une réponse à laction transnationale des mafias ou à lextension de la criminalité organisée, pas davantage quà la question de la nécessaire maîtrise des flux migratoires. Là comme ailleurs, je crois au partage de la souveraineté plutôt quaux fantasmes souverainistes et je souhaite une action équilibrée entre les mesures destinées à assurer la sécurité des citoyens et celles permettant la mise en place dun espace européen de liberté et de justice, comme le prévoit le Traité dAmsterdam.
· Quatrième réflexion, sur la question de la paix et de la sécurité internationale : cette dimension est aussi cruciale. Quelle serait la crédibilité de lUnion européenne si, dans ce domaine-là aussi, les nations ne pouvaient faire preuve dun minimum de solidarité et de volonté dagir ensemble ?
Doù notre volonté de renforcer la Politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, qui existe virtuellement mais ne fonctionne pas encore : nous avons tous à lesprit la façon dont ont été gérées, notamment du point de vue européen, les dernières crises, de la Bosnie à lIraq, et les incertitudes tragiques de la situation au Kossovo.
Lémergence dune défense européenne sera un autre élément de cette ambition. Je suis, pour ma part, convaincu que lintégration européenne resterait incomplète si elle noffrait pas, par une défense commune, lassurance à ses citoyens quelle peut contribuer aussi à leur sécurité extérieure.
Je ne méconnais pas les difficultés que ces évolutions peuvent constituer pour ceux de nos partenaires, dont la Suède, qui ont des traditions différentes en matière de défense et qui ne participent à aucune alliance militaire.
Mais je sais en même temps que votre pays est déterminé à jouer son rôle, à contribuer à des actions de paix dans le monde, à coopérer, sur des bases claires, avec lAlliance atlantique. Je sais également votre engagement en faveur dun système de sécurité européen. Je crois donc quil y a place pour un dialogue sur ces sujets, dans un esprit de concertation et, à cet égard, jai le sentiment que la réflexion évolue ici, à Stockholm.
· Cinquième et dernière réflexion, qui est au coeur de lavenir de lUnion : comment renforcer ladhésion de la jeunesse au projet européen ?
Les jeunes qui sont ici présents sont les héritiers de cette vaste ambition européenne. Nombreux sans doute, parmi vous, sont ceux qui, grâce à laction de lEurope dans le domaine de la culture, de léducation ou de la formation, se sont déjà rendus ou se rendront dans dautres pays de lUnion. Cette multiplication des échanges, cette meilleure connaissance de la diversité européenne, illustrent parfaitement le pacte européen.
Vous serez appelé, à votre tour, à prendre votre part de ladaptation du projet européen à un monde en constante évolution, dans lequel les fractures sont manifestes. Je sais en particulier le rôle que votre pays et vous-mêmes tenez dans laction en faveur des pays en développement et dans le domaine humanitaire. Il sagit là dune part essentielle de notre identité commune. Si lEurope doit être forte, elle doit aussi être généreuse.
Je vois aussi, dans lélargissement à lEst, la dynamique qui, en faisant se rapprocher lUnion européenne de ses frontières « naturelles », peut lui donner tout son sens. Ceci prend dailleurs tout son sens ici même, à Stockholm, au coeur du monde baltique. Et cest pourquoi, après lEstonie, lUnion européenne ouvrira sans tarder les négociations dadhésion avec la Lituanie et la Lettonie. Comme vous, la France se réjouit de cette perspective.
Elargir lUnion à nos voisins dEurope centrale, orientale et balte, cest, en effet, parachever loeuvre fondatrice entamée au lendemain du second conflit mondial, contrainte pendant plus de quarante ans par le rideau de fer, et consolider la démocratie dans ces pays.
Cest une chance pour nous tous, et pour vous en particulier. Une telle occasion ne se représentera peut-être pas de pouvoir façonner ainsi le devenir de notre continent. A nous de la saisir, ensemble, et de faire de lEurope, inspirée par la haute idée que nous en avons, le creuset des ambitions du siècle prochain, qui peut et doit être le siècle de lEurope. Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 1999)