Texte intégral
Hedwige Chevrillon - En direct de l'université du Medef, je reçois François Bayrou, le président de l'UDF. François Bayrou, bonjour.
François Bayrou - Bonjour.
HC - Vous faites partie des politiques qui sont venus parler aux patrons. Vous ouvrez demain votre université d'été qui se tient à la Grande Motte. Des personnalités comme Michel Rocard, Michel Barnier ou encore Nicolas Hulot font partie de vos invités. Aujourd'hui, c'est votre tour d'être invité par les patrons.Qu'est-ce que vous êtes venu leur dire ?
FB - Le sujet, c'était le libéralisme, les raisons pour lesquelles il y avait en France tout ce débat autour du libéralisme, un débat quelquefois musclé, agressif, et quel système on pourrait imaginer, au fond c'était ça le sujet. Et ma réponse est celle-ci : la logique économique, c'est bon pour l'économie et il faut donc la respecter et en même temps la logique politique, la logique des citoyens, doit être supérieure à toute influence. Donc, il faut qu'il y ait une logique économique respectée, mais il ne faut pas que la logique politique obéisse à la logique économique. Il ne faut pas que le pouvoir politique, le pouvoir des citoyens, soit asservi ou influencé par la logique économique. A partir de ce moment-là, on a au fond ce que le libéralisme était comme philosophie, c'est-à-dire la séparation des pouvoirs, qui fait que chaque citoyen, citoyen individuel ou citoyen entreprise, est assuré de ne pas avoir en face de lui un pouvoir absolu qui le guide sur des voies où il ne veut pas aller.
HC - Mais est-ce qu'il n'y a pas forcément une influence lorsqu'on est dans une mondialisation aussi forte, aussi expansive, une influence de la logique économique sur la logique politique ?
FB - Influence oui, mais mainmise non. Je suis certain que le peuple français ne peut pas accepter que sa volonté de citoyen se plie à des influences économiques, en plus souterraines, qui ne disent pas leur nom. Donc cette restauration du politique, cette reconstruction du politique en face de la logique libérale, est nécessaire.
HC - Le thème de cette université d'été, c'est concilier l'inconciliable. Est-ce que vous restez optimiste, on peut concilier la logique économique et la logique politique ?
FB - La démocratie, c'est concilier l'inconciliable. La démocratie, c'est avoir en face de soi des intérêts contradictoires et les rendre conciliables pour que chacun trouve sa place. Et c'est pourquoi je défends cette idée de séparation des pouvoirs. Autrefois, on a séparé les pouvoirs à l'intérieur du politique, exécutif, législatif, judiciaire. Maintenant, il faut séparer le politique de l'économique, et l'économique du médiatique.
HC - Vous avez tenu des propos assez violents dans une interview à paraître dans L'Express, où vous dites, à propos notamment de Nicolas Sarkozy, qu'il y a une grande connivence entre les puissances d'argent et la mise en scène des confrontations dures dans la société.
FB - N'oublions pas de dire que j'ai été interrogé sur le PS d'abord et j'ai dit quelle était mon incompréhension du programme du parti socialiste. Et ensuite interrogé sur mes différences avec Nicolas Sarkozy, j'ai cité celle-là. Quand De Gaulle disait autrefois : « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille », c'est ça qu'il voulait dire. C'est-à-dire qu'il ne faut pas une trop grande proximité, une trop grande complicité entre les gouvernants et le monde des grands intérêts économiques. De ce point de vue-là, en effet, c'est une différence. De la même manière qu'est une différence la mise en scène de confrontations dans la société qui poussent les gens les uns contre les autres, ce qui me paraît porter des fruits parfois inquiétants.
HC - Dans son discours d'ouverture et à ce même micro, Laurence Parisot, la présidente du Medef, a dit qu'elle allait être extrêmement vigilante sur cette campagne présidentielle, qu'elle comptait éviter toute démagogie et justement discuter et intervenir dans cette campagne. Est-ce qu'elle est dans son rôle, est-ce que le Medef est dans son rôle ?
FB - Oui. Permettez-moi de prendre un exemple. Parfois les évêques disent : « nous allons être très vigilants sur ... » Et de leur point de vue, ils sont légitimes, ils ont raison. Ils défendent leur système de valeurs et leur vision. Il est légitime de voir les représentants des entreprises défendre leur système de valeurs et leur vision, et les représentants des salariés défendre leur système de valeurs et leur vision. Mais le politique n'a à se soumettre à aucun de ces systèmes de valeurs. La responsabilité du politique, c'est de montrer qu'il définit, lui, un projet pour tous et, donc, soumis à personne. Et c'est cette séparation, cette distinction : vous avez tous le droit légitime de défendre vos intérêts, votre système de valeurs, c'est normal que vous le fassiez. Mais en France, sous la République française et en démocratie, le pouvoir n'a à être soumis à aucun de ces intérêts. Et si l'on fait bien cette distinction, qui est pour moi fondatrice, à ce moment là on a une démocratie qui se porte bien, une république qui est reconnue et où chacun a sa place. Et les conflits sont tranchés par la vie politique et le Parlement.
HC - Encore une dernière question sur ce point, et après on parlera de votre université d'été. François Bayrou, est-ce qu'un responsable politique peut dire qu'il est libéral aujourd'hui en France ?
FB - Je vais vous avouer ma difficulté : je ne sais pas ce que le mot libéral veut dire. Si le mot libéral veut dire qu'il faut des règles et des lois pour organiser et protéger la liberté de chacun, alors il faut être libéral. Si le mot libéral veut dire : il faut que la logique économique l'emporte sur toutes les autres logiques, alors, de ce point de vue-là, ce serait pour moi un échec. Il faut simplement avoir des convictions clairement exprimées et une vision où tout le monde puisse se reconnaître.
HC - A ce même micro et à la même heure exactement, je recevais Jose Manuel Barroso, le président de la Commission européenne. Lui, il disait : « le libéralisme, c'est plutôt une bonne chose, c'est ce qui fait qu'il y a de la croissance et c'est ce qui fait qu'il y a de l'emploi ; et en France, vous savez le faire, mais le problème c'est que vous, Français, vous voyez toujours le côté négatif des choses ». Vous êtes un petit peu d'accord ?
FB - Oui et non. Jose Manuel Barroso était Premier ministre du Portugal et ça n'a pas été facile tous les jours avec les Portugais, puisque même, il l'a avoué, il a saisi ainsi l'occasion de quitter sa responsabilité. Ce n'est pas simple de dire aux peuples ce qu'ils doivent faire. Les peuples ont bien le droit de penser différemment des grands responsables politiques, économiques. Les peuples ont leurs attentes et il faut les respecter. Ce qui est très important pour moi, c'est que tout le monde sache que le débat politique, le projet politique ne se soumettra à aucun diktat. Dès cet instant-là, vous avez l'équilibre que nous recherchons.
HC - Même un diktat médiatique ? Certains, notamment à l'occasion de l'université d'été du Parti socialiste, comme Jean-Luc Mélenchon qui est, lui, plutôt proche de Laurent Fabius, ont dit que cette peoplisation de la campagne était criminelle. Il avait raison ?
FB - La peoplisation est une des nouvelles faiblesses de la vie politique française. Parce que la peoplisation, ça consiste à parler de l'accessoire pour éviter de parler de l'essentiel. Parler de la vie personnelle, des histoires diverses et variées, des maillots de bain, des plages, comme on l'a vu pendant l'été, ça c'est l'accessoire qui évite qu'on s'intéresse à l'essentiel. Tout autre chose est de dire qui sont les gens, c'est légitime, nécessaire de savoir qui sont les gens, quelles sont leurs racines, leur manière de voir les choses. Mais la peoplisation, oui, c'est une faiblesse.
HC - On attend toujours la photo de François Bayrou en maillot de bain, bien qu'on vous ait vu à cheval. François Bayrou, on se retrouve dans un instant, juste après les infos. (...) François Bayrou, nous parlions des relations qu'un candidat comme vous peut avoir avec le patronat. Vous, vous invitez à votre université d'été Michel Rocard. Pourquoi ?
FB - J'invite Nicolas Hulot, Michel Rocard et Michel Barnier vendredi. Pour montrer qu'en France, on peut dialoguer et, j'espère, un jour travailler avec des gens compétents, responsables et qui ne sont pas forcément de votre étiquette.
HC - Michel Rocard a été, du reste, le premier à avoir des ministres centristes dans son gouvernement.
FB - Et cette vision là, d'une manière de faire de la politique plus large, fondée sur des relations d'estime plutôt que sur la logique des appareils, c'est ce que je pense nécessaire pour la France d'aujourd'hui. Aucun des défis qui sont devant nous, aucun, ni la dette, ni le climat, ni l'énergie, et on peut les énumérer comme ça, aucun de ces défis ne peut être relevé si l'on n'a pas une action politique largement soutenue dans la société française. Le fait qu'on enferme la vie politique dans un seul parti, un seul appareil, cela fait que ces gouvernements sont toujours minoritaires et qu'ils échouent toujours depuis vingt-cinq ans. Ma vision est différente et je crois qu'il faut une autre approche pour la France.
HC - C'est une première historique dans l'histoire de l'UDF, dans son histoire un peu mouvementée, de mettre fin à ce que vous appeliez, il y a quelques mois, l'apartheid entre la droite et la gauche, une stratégie d'indépendance. Jusqu'où cela peut vous conduire ? Si vous avez un gouvernement d'ouverture, à supposer que vous ne soyez pas élu en mai 2007, est-ce que ça veut dire que vous, les centristes, vous pourriez aussi bien vous allier à des gens de gauche et à des gens de droite ?
FB - « A supposer que » n'est pas une supposition que je retiens. Je suis dans une démarche de proposition aux Français d'une attitude politique nouvelle. Ma conviction est que c'est de cette attitude que les Français ont besoin. On essaie de leur vendre précuits Sarkozy /Ségolène Royal, tous les jours.
HC - Ça vous énerve et on le comprend.
FB - Non, pas du tout, ça me fait rire parce que j'ai déjà vécu cela en 2002. Vous nous vendiez Chirac/Jospin - pas vous, vous n'êtes pas en cause personnellement - le monde des médias nous vendait Chirac/Jospin. Aujourd'hui, le monde des médias nous vend précuits, préfabriqués, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Et les Français n'ont pas envie du précuit et du préfabriqué. Ils ont envie de participer à une confrontation entre plusieurs thèses sur leur avenir et ce jour-là, ils choisiront. Je considère que la thèse que je présente est plus, j'allais dire révolutionnaire, en tout cas qu'elle change plus les choses que de reprendre le PS après avoir eu l'UMP, qui succédait au PS, qui succédait au RPR. Vous voyez bien qu'on ne fait que l'éternel retour dans cette affaire.
HC - Votre analyse, en fait, c'est que les Français ont besoin d'une rupture, pas forcément celle que voit Nicolas Sarkozy, mais vous pensez qu'on est un peu dans une période de rupture.
FB - Je pense qu'il faut tourner la page. Je pense que notre démocratie est malade, que nos institutions vont très mal, que le peuple n'est pas représenté, qu'il n'a pas son mot à dire, depuis le peuple des entreprises jusqu'au peuple des chômeurs. Ils sont aussi exclus et je pense qu'il est nécessaire que nous ouvrions un chapitre nouveau. Alors je dis à l'avance quelles sont les conditions de ce chapitre nouveau, j'en cite deux : il faut avoir des règles différentes, des institutions différentes, et qu'elles ressemblent à celles de tous les autres pays européens
HC- c'est-à-dire ?
FB - c'est-à-dire que, par exemple, tous les courants politiques soient représentés au Parlement, c'est aussi bête que ça. Quand vous avez un courant politique que je n'aime pas
HC - y compris l'extrême droite et le Front national ?
FB - oui, un courant politique qui fait 15 % ou 16 % des voix et qui n'a pas un seul député, alors que le parti qui a fait 19 % en a 365. Nous, nous avons fait 12 % aux élections régionales et européennes, l'UMP a fait 18, 12-18, ils ont plus de dix fois plus de députés que nous. Vous trouvez ça normal ? Ça ne marche pas. Donc je suis pour que tous les Français considèrent que le Parlement est le leur, puisqu'ils y seront tous représentés. Premièrement.
Et, deuxièmement, je dis qu'il est mieux pour la France et pour relever ses défis, de faire travailler ensemble une large palette de gens compétents, d'accord sur un contrat de gouvernement, pour que le soutien au gouvernement soit plus large, et peut-être l'écoute du gouvernement plus attentive, que ça ne l'a été depuis vingt-cinq ans.
HC - Vous avez dit avant l'été que vous alliez présenter dans les 577 circonscriptions des députés UDF. Vous maintenez cette position ?
FB - C'est la logique des élections. Je sais bien que ça avait été oublié depuis longtemps ...
HC - Y compris si Alain Juppé se présente ?
FB - Si vous êtes un grand courant politique, vous exercez votre responsabilité de présenter des candidats aux électeurs partout sur le territoire national. Et après, il y a un deuxième tour et vous regardez à l'intérieur de quelle entente politique vous êtes. Mais, au lieu de considérer qu'il y a des dominants et des dominés comme c'était le cas autrefois, je propose qu'il y ait des indépendants.
HC - Vous ne faites pas un peu le jeu de l'extrême droite, dans ce cas-là ?
FB - Ce qui fait le jeu de l'extrême droite, c'est le débat politique simplificateur dans lequel nous nous trouvons. Il y a des millions de Français - des millions de Français - pour qui être obligé de choisir Sarkozy ou Ségolène Royal, ils n'y trouvent pas leur compte. Ceux-là ont le droit d'avoir un projet pluraliste pour eux.
HC - On a le sentiment que le centre devient très encombré. Il y a vous, évidemment, historiquement l'UDF, et puis on voit Jean-Louis Borloo avec le Parti radical, il se veut un peu la composante sociale, un ex de l'UDF, vous le connaissez bien, et puis il y a aussi Dominique de Villepin, avec les nouvelles mesures qu'il a annoncées, s'occupant du pouvoir d'achat et des familles modestes.
FB - Sur la question politique, ma réponse est simple : choisissez l'original, et pas la copie. Parce que vous voyez bien les manoeuvres qu'il y a derrière tout cela. Moi, je n'ai pas de manoeuvres, j'ai une ligne. Premièrement. Deuxièmement, sur Dominique de Villepin, j'ai trouvé que le gouvernement passait mieux l'été qu'il n'avait passé le printemps, mais je suis très réservé chaque fois que les gouvernants viennent à la télévision pour jouer les Père Noël avec l'argent qu'ils n'ont pas. Parce que, évidemment, dans l'état de la dette où nous sommes, ce sont des traites qu'on tire sur nos enfants. Je pense qu'il faut faire très attention à ce genre de choix. Pour moi, c'est sur la feuille de paye qu'on devrait trouver la rémunération du travail.
HC - Vous êtes sur la même logique que François Chérèque.
FB - Très bien. Je ne le savais pas, mais cela ne m'étonne pas. Je ne vois pas pourquoi on passe son temps à faire le détour, la mise en scène, par un gouvernement Père Noël, qui viendrait vous apporter ce qui n'est pas autre chose que le fruit de votre travail. Il y a là quelque chose qui me heurte, et à quoi je pense qu'il faut être très attentif.
HC - Merci François Bayrou, président de l'UDF, qui tient son université d'été à partir de demain à la Grande Motte.
FB - Merci de votre invitation. Source http://www.udf.org, le 5 septembre 2006
François Bayrou - Bonjour.
HC - Vous faites partie des politiques qui sont venus parler aux patrons. Vous ouvrez demain votre université d'été qui se tient à la Grande Motte. Des personnalités comme Michel Rocard, Michel Barnier ou encore Nicolas Hulot font partie de vos invités. Aujourd'hui, c'est votre tour d'être invité par les patrons.Qu'est-ce que vous êtes venu leur dire ?
FB - Le sujet, c'était le libéralisme, les raisons pour lesquelles il y avait en France tout ce débat autour du libéralisme, un débat quelquefois musclé, agressif, et quel système on pourrait imaginer, au fond c'était ça le sujet. Et ma réponse est celle-ci : la logique économique, c'est bon pour l'économie et il faut donc la respecter et en même temps la logique politique, la logique des citoyens, doit être supérieure à toute influence. Donc, il faut qu'il y ait une logique économique respectée, mais il ne faut pas que la logique politique obéisse à la logique économique. Il ne faut pas que le pouvoir politique, le pouvoir des citoyens, soit asservi ou influencé par la logique économique. A partir de ce moment-là, on a au fond ce que le libéralisme était comme philosophie, c'est-à-dire la séparation des pouvoirs, qui fait que chaque citoyen, citoyen individuel ou citoyen entreprise, est assuré de ne pas avoir en face de lui un pouvoir absolu qui le guide sur des voies où il ne veut pas aller.
HC - Mais est-ce qu'il n'y a pas forcément une influence lorsqu'on est dans une mondialisation aussi forte, aussi expansive, une influence de la logique économique sur la logique politique ?
FB - Influence oui, mais mainmise non. Je suis certain que le peuple français ne peut pas accepter que sa volonté de citoyen se plie à des influences économiques, en plus souterraines, qui ne disent pas leur nom. Donc cette restauration du politique, cette reconstruction du politique en face de la logique libérale, est nécessaire.
HC - Le thème de cette université d'été, c'est concilier l'inconciliable. Est-ce que vous restez optimiste, on peut concilier la logique économique et la logique politique ?
FB - La démocratie, c'est concilier l'inconciliable. La démocratie, c'est avoir en face de soi des intérêts contradictoires et les rendre conciliables pour que chacun trouve sa place. Et c'est pourquoi je défends cette idée de séparation des pouvoirs. Autrefois, on a séparé les pouvoirs à l'intérieur du politique, exécutif, législatif, judiciaire. Maintenant, il faut séparer le politique de l'économique, et l'économique du médiatique.
HC - Vous avez tenu des propos assez violents dans une interview à paraître dans L'Express, où vous dites, à propos notamment de Nicolas Sarkozy, qu'il y a une grande connivence entre les puissances d'argent et la mise en scène des confrontations dures dans la société.
FB - N'oublions pas de dire que j'ai été interrogé sur le PS d'abord et j'ai dit quelle était mon incompréhension du programme du parti socialiste. Et ensuite interrogé sur mes différences avec Nicolas Sarkozy, j'ai cité celle-là. Quand De Gaulle disait autrefois : « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille », c'est ça qu'il voulait dire. C'est-à-dire qu'il ne faut pas une trop grande proximité, une trop grande complicité entre les gouvernants et le monde des grands intérêts économiques. De ce point de vue-là, en effet, c'est une différence. De la même manière qu'est une différence la mise en scène de confrontations dans la société qui poussent les gens les uns contre les autres, ce qui me paraît porter des fruits parfois inquiétants.
HC - Dans son discours d'ouverture et à ce même micro, Laurence Parisot, la présidente du Medef, a dit qu'elle allait être extrêmement vigilante sur cette campagne présidentielle, qu'elle comptait éviter toute démagogie et justement discuter et intervenir dans cette campagne. Est-ce qu'elle est dans son rôle, est-ce que le Medef est dans son rôle ?
FB - Oui. Permettez-moi de prendre un exemple. Parfois les évêques disent : « nous allons être très vigilants sur ... » Et de leur point de vue, ils sont légitimes, ils ont raison. Ils défendent leur système de valeurs et leur vision. Il est légitime de voir les représentants des entreprises défendre leur système de valeurs et leur vision, et les représentants des salariés défendre leur système de valeurs et leur vision. Mais le politique n'a à se soumettre à aucun de ces systèmes de valeurs. La responsabilité du politique, c'est de montrer qu'il définit, lui, un projet pour tous et, donc, soumis à personne. Et c'est cette séparation, cette distinction : vous avez tous le droit légitime de défendre vos intérêts, votre système de valeurs, c'est normal que vous le fassiez. Mais en France, sous la République française et en démocratie, le pouvoir n'a à être soumis à aucun de ces intérêts. Et si l'on fait bien cette distinction, qui est pour moi fondatrice, à ce moment là on a une démocratie qui se porte bien, une république qui est reconnue et où chacun a sa place. Et les conflits sont tranchés par la vie politique et le Parlement.
HC - Encore une dernière question sur ce point, et après on parlera de votre université d'été. François Bayrou, est-ce qu'un responsable politique peut dire qu'il est libéral aujourd'hui en France ?
FB - Je vais vous avouer ma difficulté : je ne sais pas ce que le mot libéral veut dire. Si le mot libéral veut dire qu'il faut des règles et des lois pour organiser et protéger la liberté de chacun, alors il faut être libéral. Si le mot libéral veut dire : il faut que la logique économique l'emporte sur toutes les autres logiques, alors, de ce point de vue-là, ce serait pour moi un échec. Il faut simplement avoir des convictions clairement exprimées et une vision où tout le monde puisse se reconnaître.
HC - A ce même micro et à la même heure exactement, je recevais Jose Manuel Barroso, le président de la Commission européenne. Lui, il disait : « le libéralisme, c'est plutôt une bonne chose, c'est ce qui fait qu'il y a de la croissance et c'est ce qui fait qu'il y a de l'emploi ; et en France, vous savez le faire, mais le problème c'est que vous, Français, vous voyez toujours le côté négatif des choses ». Vous êtes un petit peu d'accord ?
FB - Oui et non. Jose Manuel Barroso était Premier ministre du Portugal et ça n'a pas été facile tous les jours avec les Portugais, puisque même, il l'a avoué, il a saisi ainsi l'occasion de quitter sa responsabilité. Ce n'est pas simple de dire aux peuples ce qu'ils doivent faire. Les peuples ont bien le droit de penser différemment des grands responsables politiques, économiques. Les peuples ont leurs attentes et il faut les respecter. Ce qui est très important pour moi, c'est que tout le monde sache que le débat politique, le projet politique ne se soumettra à aucun diktat. Dès cet instant-là, vous avez l'équilibre que nous recherchons.
HC - Même un diktat médiatique ? Certains, notamment à l'occasion de l'université d'été du Parti socialiste, comme Jean-Luc Mélenchon qui est, lui, plutôt proche de Laurent Fabius, ont dit que cette peoplisation de la campagne était criminelle. Il avait raison ?
FB - La peoplisation est une des nouvelles faiblesses de la vie politique française. Parce que la peoplisation, ça consiste à parler de l'accessoire pour éviter de parler de l'essentiel. Parler de la vie personnelle, des histoires diverses et variées, des maillots de bain, des plages, comme on l'a vu pendant l'été, ça c'est l'accessoire qui évite qu'on s'intéresse à l'essentiel. Tout autre chose est de dire qui sont les gens, c'est légitime, nécessaire de savoir qui sont les gens, quelles sont leurs racines, leur manière de voir les choses. Mais la peoplisation, oui, c'est une faiblesse.
HC - On attend toujours la photo de François Bayrou en maillot de bain, bien qu'on vous ait vu à cheval. François Bayrou, on se retrouve dans un instant, juste après les infos. (...) François Bayrou, nous parlions des relations qu'un candidat comme vous peut avoir avec le patronat. Vous, vous invitez à votre université d'été Michel Rocard. Pourquoi ?
FB - J'invite Nicolas Hulot, Michel Rocard et Michel Barnier vendredi. Pour montrer qu'en France, on peut dialoguer et, j'espère, un jour travailler avec des gens compétents, responsables et qui ne sont pas forcément de votre étiquette.
HC - Michel Rocard a été, du reste, le premier à avoir des ministres centristes dans son gouvernement.
FB - Et cette vision là, d'une manière de faire de la politique plus large, fondée sur des relations d'estime plutôt que sur la logique des appareils, c'est ce que je pense nécessaire pour la France d'aujourd'hui. Aucun des défis qui sont devant nous, aucun, ni la dette, ni le climat, ni l'énergie, et on peut les énumérer comme ça, aucun de ces défis ne peut être relevé si l'on n'a pas une action politique largement soutenue dans la société française. Le fait qu'on enferme la vie politique dans un seul parti, un seul appareil, cela fait que ces gouvernements sont toujours minoritaires et qu'ils échouent toujours depuis vingt-cinq ans. Ma vision est différente et je crois qu'il faut une autre approche pour la France.
HC - C'est une première historique dans l'histoire de l'UDF, dans son histoire un peu mouvementée, de mettre fin à ce que vous appeliez, il y a quelques mois, l'apartheid entre la droite et la gauche, une stratégie d'indépendance. Jusqu'où cela peut vous conduire ? Si vous avez un gouvernement d'ouverture, à supposer que vous ne soyez pas élu en mai 2007, est-ce que ça veut dire que vous, les centristes, vous pourriez aussi bien vous allier à des gens de gauche et à des gens de droite ?
FB - « A supposer que » n'est pas une supposition que je retiens. Je suis dans une démarche de proposition aux Français d'une attitude politique nouvelle. Ma conviction est que c'est de cette attitude que les Français ont besoin. On essaie de leur vendre précuits Sarkozy /Ségolène Royal, tous les jours.
HC - Ça vous énerve et on le comprend.
FB - Non, pas du tout, ça me fait rire parce que j'ai déjà vécu cela en 2002. Vous nous vendiez Chirac/Jospin - pas vous, vous n'êtes pas en cause personnellement - le monde des médias nous vendait Chirac/Jospin. Aujourd'hui, le monde des médias nous vend précuits, préfabriqués, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Et les Français n'ont pas envie du précuit et du préfabriqué. Ils ont envie de participer à une confrontation entre plusieurs thèses sur leur avenir et ce jour-là, ils choisiront. Je considère que la thèse que je présente est plus, j'allais dire révolutionnaire, en tout cas qu'elle change plus les choses que de reprendre le PS après avoir eu l'UMP, qui succédait au PS, qui succédait au RPR. Vous voyez bien qu'on ne fait que l'éternel retour dans cette affaire.
HC - Votre analyse, en fait, c'est que les Français ont besoin d'une rupture, pas forcément celle que voit Nicolas Sarkozy, mais vous pensez qu'on est un peu dans une période de rupture.
FB - Je pense qu'il faut tourner la page. Je pense que notre démocratie est malade, que nos institutions vont très mal, que le peuple n'est pas représenté, qu'il n'a pas son mot à dire, depuis le peuple des entreprises jusqu'au peuple des chômeurs. Ils sont aussi exclus et je pense qu'il est nécessaire que nous ouvrions un chapitre nouveau. Alors je dis à l'avance quelles sont les conditions de ce chapitre nouveau, j'en cite deux : il faut avoir des règles différentes, des institutions différentes, et qu'elles ressemblent à celles de tous les autres pays européens
HC- c'est-à-dire ?
FB - c'est-à-dire que, par exemple, tous les courants politiques soient représentés au Parlement, c'est aussi bête que ça. Quand vous avez un courant politique que je n'aime pas
HC - y compris l'extrême droite et le Front national ?
FB - oui, un courant politique qui fait 15 % ou 16 % des voix et qui n'a pas un seul député, alors que le parti qui a fait 19 % en a 365. Nous, nous avons fait 12 % aux élections régionales et européennes, l'UMP a fait 18, 12-18, ils ont plus de dix fois plus de députés que nous. Vous trouvez ça normal ? Ça ne marche pas. Donc je suis pour que tous les Français considèrent que le Parlement est le leur, puisqu'ils y seront tous représentés. Premièrement.
Et, deuxièmement, je dis qu'il est mieux pour la France et pour relever ses défis, de faire travailler ensemble une large palette de gens compétents, d'accord sur un contrat de gouvernement, pour que le soutien au gouvernement soit plus large, et peut-être l'écoute du gouvernement plus attentive, que ça ne l'a été depuis vingt-cinq ans.
HC - Vous avez dit avant l'été que vous alliez présenter dans les 577 circonscriptions des députés UDF. Vous maintenez cette position ?
FB - C'est la logique des élections. Je sais bien que ça avait été oublié depuis longtemps ...
HC - Y compris si Alain Juppé se présente ?
FB - Si vous êtes un grand courant politique, vous exercez votre responsabilité de présenter des candidats aux électeurs partout sur le territoire national. Et après, il y a un deuxième tour et vous regardez à l'intérieur de quelle entente politique vous êtes. Mais, au lieu de considérer qu'il y a des dominants et des dominés comme c'était le cas autrefois, je propose qu'il y ait des indépendants.
HC - Vous ne faites pas un peu le jeu de l'extrême droite, dans ce cas-là ?
FB - Ce qui fait le jeu de l'extrême droite, c'est le débat politique simplificateur dans lequel nous nous trouvons. Il y a des millions de Français - des millions de Français - pour qui être obligé de choisir Sarkozy ou Ségolène Royal, ils n'y trouvent pas leur compte. Ceux-là ont le droit d'avoir un projet pluraliste pour eux.
HC - On a le sentiment que le centre devient très encombré. Il y a vous, évidemment, historiquement l'UDF, et puis on voit Jean-Louis Borloo avec le Parti radical, il se veut un peu la composante sociale, un ex de l'UDF, vous le connaissez bien, et puis il y a aussi Dominique de Villepin, avec les nouvelles mesures qu'il a annoncées, s'occupant du pouvoir d'achat et des familles modestes.
FB - Sur la question politique, ma réponse est simple : choisissez l'original, et pas la copie. Parce que vous voyez bien les manoeuvres qu'il y a derrière tout cela. Moi, je n'ai pas de manoeuvres, j'ai une ligne. Premièrement. Deuxièmement, sur Dominique de Villepin, j'ai trouvé que le gouvernement passait mieux l'été qu'il n'avait passé le printemps, mais je suis très réservé chaque fois que les gouvernants viennent à la télévision pour jouer les Père Noël avec l'argent qu'ils n'ont pas. Parce que, évidemment, dans l'état de la dette où nous sommes, ce sont des traites qu'on tire sur nos enfants. Je pense qu'il faut faire très attention à ce genre de choix. Pour moi, c'est sur la feuille de paye qu'on devrait trouver la rémunération du travail.
HC - Vous êtes sur la même logique que François Chérèque.
FB - Très bien. Je ne le savais pas, mais cela ne m'étonne pas. Je ne vois pas pourquoi on passe son temps à faire le détour, la mise en scène, par un gouvernement Père Noël, qui viendrait vous apporter ce qui n'est pas autre chose que le fruit de votre travail. Il y a là quelque chose qui me heurte, et à quoi je pense qu'il faut être très attentif.
HC - Merci François Bayrou, président de l'UDF, qui tient son université d'été à partir de demain à la Grande Motte.
FB - Merci de votre invitation. Source http://www.udf.org, le 5 septembre 2006