Texte intégral
Nous avons à débattre aujourd'hui bien plus que de la privatisation de Gaz de France, mais de l'avenir énergétique du pays.
Cette question devrait être au coeur des grands choix politiques de 2007. Chacun en connaît les enjeux : le réchauffement de la planète qui pose la question de notre propre modèle de développement ; la fin des énergies fossiles qui oblige à préparer -dès aujourd'hui- la société sans pétrole ; la sécurité des approvisionnements dans un monde marqué par les désordres et les conflits ; et, enfin, l'égal accès de tous à l'énergie dans un contexte de hausse continue des prix des matières premières.
C'est à l'aune de ces réalités-là que doit être regardée l'organisation du secteur énergétique dans notre pays. Au lieu de prendre la mesure de ces défis, vous nous présentez un projet dont le seul objet est de démanteler, pour des raisons idéologiques, les fondements du service public de l'énergie.
Par la privatisation de GDF, la libéralisation du marché, la dérégulation de l'énergie, vous redonnez au marché le rôle principal dans un domaine stratégique, là où l'Etat aurait dû garder sa responsabilité pour préparer l'avenir.
Nous disons solennellement que les Français auraient dû être saisis d'une telle décision à l'occasion de l'élection présidentielle.
Et qu'il y a plus que de la légèreté à délibérer en fin de législature de choix aussi lourds pour notre pays. Certes, nous pouvons diverger sur les solutions industrielles dans tel ou tel secteur ; nous pouvons nous opposer sur la part du capital public dans telle ou telle entreprise ; mais nous ne pouvons pas, à la veille d'une échéance décisive, changer les fondements de notre politique énergétique, modifier la nature des opérateurs et décider des regroupements d'entreprises qui vont engager la France pour longtemps.
Voilà pourquoi ce débat est si important et voilà pourquoi nous voulons que le Parlement lui consacre le temps nécessaire, afin que les Français soient informés des conséquences de l'adoption d'un tel projet sur leur vie quotidienne, leur pouvoir d'achat, mais aussi sur leur sécurité et leur environnement.
D'autant qu'il n'y a aucune urgence à légiférer une nouvelle fois et aussi vite. Dois-je rappeler que c'est le quatrième texte consacré à l'énergie en trois ans et que le législateur va délibérer avant même que toutes les données utiles à sa décision ne soient livrées et connues. Et notamment celles venant de la Commission européenne. Votre projet est donc un texte de circonstance, voire de convenance, mais surtout de complaisance à l'égard du marché et de négligence à l'égard de l'avenir.
Il est irrecevable pour plusieurs raisons :
La première est morale. Votre projet contrevient à une promesse solennelle -celle qu'avait faite ici même Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Economie et des Finances lors du débat en 2004 sur le statut d'EDF et de GDF. Il déclarait : « Je l'affirme parce que c'est un engagement du gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisées. Le Président de la République l'a rappelé solennellement lors du Conseil des Ministres au cours duquel fut adopté le projet ». Il avait écrit aux syndicats, le 29 avril 2004, pour confirmer que « ces sociétés resteront publiques et ne seront en aucun cas privatisées compte tenu de leur caractère déterminant pour les intérêts de la France ».
Une rumeur d'OPA, celle de ENEL sur SUEZ, a servi de prétexte pour balayer cet engagement, provoquer une intervention précipitée du Premier ministre -le 25 février 2005- au nom du patriotisme économique et avancer une fusion/disparition de GDF dans l'urgence et sans consultation des personnels ni du Parlement, et sans que l'Agence des participations de l'Etat n'ait donné son avis.
Mais, à ce manquement de la parole de l'Etat s'ajoute la dissimulation. Car nous avons appris que SUEZ et GDF travaillaient déjà depuis de longs mois sur l'hypothèse d'un rapprochement et que la menace d'une OPA n'a été que l'alibi public d'un arrangement privé. Et convenons que la prétendue hypothèse d'un raid d'ENEL n'est plus sérieusement évoquée.
Loin d'être une riposte à une intervention hostile d'une entreprise étrangère, la fusion GDF/SUEZ est une opération financière souhaitée par les pouvoirs publics, et dont le préalable passe par la privatisation de GDF. Je veux croire que les termes de cette décision n'étaient pas déjà connus du gouvernement dès 2004, lors du changement de statut de GDF et d'EDF par le Parlement car, alors, il s'agirait rien de moins que d'un mensonge d'Etat.
La seconde raison de l'irrecevabilité est industrielle. Le nouveau groupe ne disposera pas d'un effet de taille tel qu'il pourra renforcer sa capacité de négociation sur les marchés d'approvisionnement. Le gain en termes de parts de marché sera de 4 %. Pas de quoi changer les rapports de force. En outre, l'addition pure et simple des rangs de SUEZ et de GDF dans chaque métier du gaz et de l'électricité ne construit pas une entité industrielle cohérente. Elle ignore les divergences des deux entreprises sur les options stratégiques, les territoires de développement et la gestion des réseaux. Elle occulte les incidences sur l'emploi. Et elle vient concurrencer EDF, l'opérateur public, en cassant la complémentarité avec GDF établie depuis 1946. En revanche, la fusion -si elle était décidée- aboutirait à réduire les capacités des deux entreprises concernées, au nom des règles de concurrence européennes. Ainsi, d'ores et déjà, la Commission européenne, dans sa communication des griefs, a confirmé la position dominante du nouvel ensemble et exigé des cessions d'actifs. La vente de la participation de GDF dans l'électricien belge SPE est déjà confirmée.
Mais, l'on parle aussi de l'abandon d'une partie des centrales nucléaires d'Electrabel et de Distrigaz, le premier distributeur gazier belge contrôlé par SUEZ. On évoque même une séparation des réseaux, c'est-à-dire la remise en question de la pérennité de l'entreprise. Et, le plus grave, c'est qu'au moment où l'on évoque ces risques liés à la fusion GDF/SUEZ, nul n'est capable de les évaluer correctement ou de les mesurer sérieusement.
Et c'est le troisième motif de l'irrecevabilité, celui du défaut de transparence. Il est en effet demandé au Parlement de voter une privatisation/fusion avant même que ne soit connue l'importance des cessions d'activités réclamées par Bruxelles, et que l'on ne connaîtra au moins qu'en novembre. Et il est même dit, aujourd'hui, par les dirigeants des deux groupes qu'ils renonceront au mariage plutôt que de devoir se débarrasser d'actifs stratégiques. Ainsi, le Parlement adoptera-t-il une privatisation conditionnelle, mais dont on voit bien qu'elle peut préfigurer d'autres combinaisons que la fusion avec SUEZ, sans que la représentation nationale puisse être informée.
De même, le Parlement va se prononcer sans connaître les conditions financières réelles de l'opération. Et ce sont les actionnaires de SUEZ qui vont en décider. Or, beaucoup se plaignent de la parité retenue (une action GDF pour une action SUEZ) ou réclament un éclatement de SUEZ. S'ils se faisaient entendre, l'opération pourrait se réaliser à un prix différent, impliquant une nouvelle baisse de la part détenue par l'Etat, voire un abandon du projet.
Pour paraphraser une formule célèbre : l'avenir énergétique de la France se fait désormais à la corbeille.
J'ajoute que le nouvel ensemble ainsi bricolé ne serait pas davantage protégé d'une OPA hostile. Avec une part de l'Etat réduite à 1/3 du capital, la nouvelle entité pourrait voir un investisseur privé entrer massivement dans le capital et se trouver en position majoritaire pour déterminer la politique de l'entreprise. Pour tenter de rassurer, le gouvernement indique que le contrôle de l'Etat demeurerait par le moyen d'une action spécifique. En réalité, cette disposition n'aurait qu'une portée limitée dans le cadre juridique européen.
Ainsi, une telle action spécifique avait été mise en place pour ELF, afin d'assurer la contrainte de l'approvisionnement en produits pétroliers de notre pays. Ce modèle très proche de celui proposé aujourd'hui a conduit à la condamnation de la France par la Cour de Justice Européenne qui exige des critères précis proportionnés à l'objectif d'intérêt général.
Prétendre que « l'action spécifique » permettrait à l'Etat, minoritaire, de décider de la stratégie de l'entreprise et de ses orientations dans le sens de l'intérêt général est fallacieux et illusoire. Et dire qu'il pourra désormais maîtriser ses tarifs est mensonger.
Et c'est là le quatrième motif d'irrecevabilité : votre texte est inquiétant pour le consommateur.
Rappelons d'abord les faits avant de mesurer les risques : la facture de gaz a augmenté de 30 % en 18 mois. Les prix de l'électricité comme du gaz ont explosé depuis l'ouverture des marchés + 70 % pour les grosses entreprises consommatrices, voire de 100 % pour les plus petites. La hausse des prix de gros est de près de 50 % pour la seule période d'avril 2005/avril 2006. L'écart entre les prix du marché et les tarifs réglementés est de 60 %.
Certes, le projet de loi affirme le principe du maintien des tarifs réglementés et même celui du droit au retour, mais c'est aujourd'hui une digue de papier.
En effet, les tarifs réglementés sont contestés tant par la Commission européenne qu'en France par la Commission de régulation de l'Energie. Et le gouvernement ne peut s'engager pour autrui. Aussi, quand les tarifs régulés disparaîtront, la nouvelle entité SUEZ-GDF sera libre de fixer ses prix et le réveil risque d'être aussi douloureux que brutal pour les usagers.
Quant au droit au retour du tarif réglementé pour les entreprises qui ont fait le choix du marché, il est lui-même fragile car il ne peut valoir que pour un temps limité. En outre, il repose sur une compensation du manque à gagner des opérateurs par une taxe sur les productions d'énergie nucléaire et hydroélectrique, c'est-à-dire principalement EDF qui pèsera incontestablement sur les coûts de production de l'électricité et viendra justifier la hausse du tarif réglementé. Ainsi, la privatisation de GDF est aussi une mise en cause d'EDF, et plus largement du service public de l'énergie.
Et c'est le dernier motif d'irrecevabilité : votre texte sape les fondements de la politique énergétique de la France.
D'abord sur le plan de la sécurité de nos approvisionnements. Comment pourrait-elle être améliorée quand l'Etat perd le contrôle de l'ensemble des infrastructures lourdes qui en sont les outils pour le gaz : terminaux méthaniers, capacité de stockage, réseaux de transport et de distribution. La privatisation fait courir le risque de voir ces équipements essentiels pour notre pays devenir un jour la propriété d'un groupe étranger comme GAZPROM, désireux de pénétrer le marché européen.
Ensuite, les principes mêmes du service public de l'Energie sont altérés . Depuis 1946, EDF et GDF ont travaillé de façon coordonnée au sein de leurs services communs de distribution, forts de 80 000 agents. Cette structure perd sa raison d'être avec la fusion GDF/SUEZ. Elle sera dépourvue de la personnalité morale et ne pourra résister à la compétition entre les deux groupes. Quant aux communes qui sont, depuis la Libération, propriétaire des réseaux de distribution, le projet crée une situation paradoxale : elles auront pour concessionnaire une entreprise privée en situation de monopole légal.
Enfin, sur l'avenir d'EDF. Elle est aujourd'hui la première entreprise sur le marché européen de l'électricité. Son capital public ne l'a nullement gêné pour assurer son développement et nouer des alliances. Sur le marché domestique, elle a su relever à son avantage le défi de la concurrence. Alors, pourquoi l'Etat décide-t-il de lui créer de toute pièce un compétiteur national de statut privé ? Au nom de l'intérêt national, comment justifier la constitution, par l'apport d'une entreprise publique à un grand groupe privé, d'un ensemble industriel dont la vocation est de réduire la place de l'opérateur public qu'est EDF sur le marché domestique ? La privatisation de GDF, c'est donc la dévalorisation du capital public d'EDF ! Est-il responsable de priver EDF de la seule possibilité à court terme de proposer une offre mixte « électricité/gaz » et de la pénaliser gravement face à ces concurrents européens ?
Voilà pourquoi il faut repousser votre texte et en proposer un autre qui s'articulerait autour des trois principes suivants :
1/L'élaboration d'une politique européenne de l'énergie
L'approche « européenne » du gouvernement se borne à poser le choix entre une entreprise à capitaux majoritairement belges au détriment d'une entreprise italienne pour fusionner avec GDF.
L'Europe, dont la consommation de gaz augmente de 3% par an. est de plus en plus dépendante de ressources extra communautaire alimentées par des pays fournisseurs organisés sous forme d'oligopole.
Alors qu'un nouveau « paquet énergétique » est annoncé par la Commission européenne pour le 12 décembre prochain, il semble déterminant de se battre à cette occasion pour renforcer la politique européenne de l'énergie. Elle doit s'appuyer sur la création d'un véritable régulateur européen, capable de dépasser l'application restrictive des règles de concurrence au niveau de chaque état membre, pour prendre en compte un marché de référence à l'échelle européenne.
Il faut exiger le respect des préalables posés lors du sommet de Barcelone en 2002 : étude d'impact de l'ouverture des marchés rappelée dans les préambules des directives de 2003 et adoption d'une directive cadre sur les services d'intérêt économique générale, dont un projet a été présenté en mai par le groupe socialiste européen.
2/ La création d'un pôle public de l'énergie
L'énergie n'est pas un bien comme les autres. Elle engage la souveraineté et l'indépendance d'une nation et, à ce titre, doit rester propriété publique. La constitution d'un pôle public de l'énergie regroupant EDF et GDF permettrait ainsi de garantir l'approvisionnement, la distribution et la maîtrise des tarifs dans notre pays.
Des synergies fortes existent déjà entre les deux groupes, notamment pour la distribution. C'est le seul moyen pour la France de rester maître de sa politique énergétique et pour les consommateurs, les particuliers comme les entreprises, de conserver un service public de qualité avec des tarifs raisonnables. Ce rapprochement EDF/GDF n'est pas contraire, comme le gouvernement le prétend, aux textes européens. Le rapprochement d'EDF et GDF ne renforcerait pas substantiellement la position dominante des deux entreprises sur le marché français du gaz ou sur celui de l'électricité compte tenu de leur très forte spécialisation actuelle. En conséquence, si des contreparties devaient être exigées, elles ne seraient probablement pas plus importantes que celles qui seraient demandées par la Commission pour la fusion SUEZ/GDF et concerneraient surtout les filiales étrangères.
3/ Le maintien du tarif réglementé
Etant donné l'évolution des prix de l'énergie, il est indispensable de maintenir un tarif réglementé. Les prix de l'énergie représentent un facteur essentiel de la compétitivité des entreprises. Demain, les ménages pourraient voir leur pouvoir d'achat encore plus fortement entamé par une progression non maîtrisée des prix.
Ce maintien du tarif réglementé doit s'accompagner d'une possibilité de retour si un consommateur qui a fait le choix des prix du marché subit une hausse substantielle du coût de l'énergie. Ceci est absolument nécessaire pour des consommateurs comme les hôpitaux qui peuvent être amenés à réduire l'exécution de certaines missions pour faire face à l'augmentation conséquente des factures énergétiques.
CONCLUSION
Voilà le choix qui est soumis à notre Parlement et, au-delà de lui, au pays. Un démantèlement ou un renforcement, un abandon ou une volonté, le tout marché ou l'intérêt général. Votre texte est à la fois dangereux et précipité.
Dangereux car il met en cause l'indépendance énergétique, la sécurité des approvisionnements, le service public et le pouvoir d'achat des Français. Et précipité car, aujourd'hui, une chose est sûre : vous privatisez GDF et vous ne savez pas dans quelle condition, sous quelle forme et pourquoi faire. Bref, vous nous demandez de voter les yeux fermés.
Et c'est pourquoi il faut refuser votre projet et attendre l'élection présidentielle de 2007 pour laisser les Français décider, les yeux ouverts, d'une politique qui engage leur avenir et celui des générations futures.
Source http://www.parti-socialiste.fr, le 11 septembre 2006
Cette question devrait être au coeur des grands choix politiques de 2007. Chacun en connaît les enjeux : le réchauffement de la planète qui pose la question de notre propre modèle de développement ; la fin des énergies fossiles qui oblige à préparer -dès aujourd'hui- la société sans pétrole ; la sécurité des approvisionnements dans un monde marqué par les désordres et les conflits ; et, enfin, l'égal accès de tous à l'énergie dans un contexte de hausse continue des prix des matières premières.
C'est à l'aune de ces réalités-là que doit être regardée l'organisation du secteur énergétique dans notre pays. Au lieu de prendre la mesure de ces défis, vous nous présentez un projet dont le seul objet est de démanteler, pour des raisons idéologiques, les fondements du service public de l'énergie.
Par la privatisation de GDF, la libéralisation du marché, la dérégulation de l'énergie, vous redonnez au marché le rôle principal dans un domaine stratégique, là où l'Etat aurait dû garder sa responsabilité pour préparer l'avenir.
Nous disons solennellement que les Français auraient dû être saisis d'une telle décision à l'occasion de l'élection présidentielle.
Et qu'il y a plus que de la légèreté à délibérer en fin de législature de choix aussi lourds pour notre pays. Certes, nous pouvons diverger sur les solutions industrielles dans tel ou tel secteur ; nous pouvons nous opposer sur la part du capital public dans telle ou telle entreprise ; mais nous ne pouvons pas, à la veille d'une échéance décisive, changer les fondements de notre politique énergétique, modifier la nature des opérateurs et décider des regroupements d'entreprises qui vont engager la France pour longtemps.
Voilà pourquoi ce débat est si important et voilà pourquoi nous voulons que le Parlement lui consacre le temps nécessaire, afin que les Français soient informés des conséquences de l'adoption d'un tel projet sur leur vie quotidienne, leur pouvoir d'achat, mais aussi sur leur sécurité et leur environnement.
D'autant qu'il n'y a aucune urgence à légiférer une nouvelle fois et aussi vite. Dois-je rappeler que c'est le quatrième texte consacré à l'énergie en trois ans et que le législateur va délibérer avant même que toutes les données utiles à sa décision ne soient livrées et connues. Et notamment celles venant de la Commission européenne. Votre projet est donc un texte de circonstance, voire de convenance, mais surtout de complaisance à l'égard du marché et de négligence à l'égard de l'avenir.
Il est irrecevable pour plusieurs raisons :
La première est morale. Votre projet contrevient à une promesse solennelle -celle qu'avait faite ici même Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Economie et des Finances lors du débat en 2004 sur le statut d'EDF et de GDF. Il déclarait : « Je l'affirme parce que c'est un engagement du gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisées. Le Président de la République l'a rappelé solennellement lors du Conseil des Ministres au cours duquel fut adopté le projet ». Il avait écrit aux syndicats, le 29 avril 2004, pour confirmer que « ces sociétés resteront publiques et ne seront en aucun cas privatisées compte tenu de leur caractère déterminant pour les intérêts de la France ».
Une rumeur d'OPA, celle de ENEL sur SUEZ, a servi de prétexte pour balayer cet engagement, provoquer une intervention précipitée du Premier ministre -le 25 février 2005- au nom du patriotisme économique et avancer une fusion/disparition de GDF dans l'urgence et sans consultation des personnels ni du Parlement, et sans que l'Agence des participations de l'Etat n'ait donné son avis.
Mais, à ce manquement de la parole de l'Etat s'ajoute la dissimulation. Car nous avons appris que SUEZ et GDF travaillaient déjà depuis de longs mois sur l'hypothèse d'un rapprochement et que la menace d'une OPA n'a été que l'alibi public d'un arrangement privé. Et convenons que la prétendue hypothèse d'un raid d'ENEL n'est plus sérieusement évoquée.
Loin d'être une riposte à une intervention hostile d'une entreprise étrangère, la fusion GDF/SUEZ est une opération financière souhaitée par les pouvoirs publics, et dont le préalable passe par la privatisation de GDF. Je veux croire que les termes de cette décision n'étaient pas déjà connus du gouvernement dès 2004, lors du changement de statut de GDF et d'EDF par le Parlement car, alors, il s'agirait rien de moins que d'un mensonge d'Etat.
La seconde raison de l'irrecevabilité est industrielle. Le nouveau groupe ne disposera pas d'un effet de taille tel qu'il pourra renforcer sa capacité de négociation sur les marchés d'approvisionnement. Le gain en termes de parts de marché sera de 4 %. Pas de quoi changer les rapports de force. En outre, l'addition pure et simple des rangs de SUEZ et de GDF dans chaque métier du gaz et de l'électricité ne construit pas une entité industrielle cohérente. Elle ignore les divergences des deux entreprises sur les options stratégiques, les territoires de développement et la gestion des réseaux. Elle occulte les incidences sur l'emploi. Et elle vient concurrencer EDF, l'opérateur public, en cassant la complémentarité avec GDF établie depuis 1946. En revanche, la fusion -si elle était décidée- aboutirait à réduire les capacités des deux entreprises concernées, au nom des règles de concurrence européennes. Ainsi, d'ores et déjà, la Commission européenne, dans sa communication des griefs, a confirmé la position dominante du nouvel ensemble et exigé des cessions d'actifs. La vente de la participation de GDF dans l'électricien belge SPE est déjà confirmée.
Mais, l'on parle aussi de l'abandon d'une partie des centrales nucléaires d'Electrabel et de Distrigaz, le premier distributeur gazier belge contrôlé par SUEZ. On évoque même une séparation des réseaux, c'est-à-dire la remise en question de la pérennité de l'entreprise. Et, le plus grave, c'est qu'au moment où l'on évoque ces risques liés à la fusion GDF/SUEZ, nul n'est capable de les évaluer correctement ou de les mesurer sérieusement.
Et c'est le troisième motif de l'irrecevabilité, celui du défaut de transparence. Il est en effet demandé au Parlement de voter une privatisation/fusion avant même que ne soit connue l'importance des cessions d'activités réclamées par Bruxelles, et que l'on ne connaîtra au moins qu'en novembre. Et il est même dit, aujourd'hui, par les dirigeants des deux groupes qu'ils renonceront au mariage plutôt que de devoir se débarrasser d'actifs stratégiques. Ainsi, le Parlement adoptera-t-il une privatisation conditionnelle, mais dont on voit bien qu'elle peut préfigurer d'autres combinaisons que la fusion avec SUEZ, sans que la représentation nationale puisse être informée.
De même, le Parlement va se prononcer sans connaître les conditions financières réelles de l'opération. Et ce sont les actionnaires de SUEZ qui vont en décider. Or, beaucoup se plaignent de la parité retenue (une action GDF pour une action SUEZ) ou réclament un éclatement de SUEZ. S'ils se faisaient entendre, l'opération pourrait se réaliser à un prix différent, impliquant une nouvelle baisse de la part détenue par l'Etat, voire un abandon du projet.
Pour paraphraser une formule célèbre : l'avenir énergétique de la France se fait désormais à la corbeille.
J'ajoute que le nouvel ensemble ainsi bricolé ne serait pas davantage protégé d'une OPA hostile. Avec une part de l'Etat réduite à 1/3 du capital, la nouvelle entité pourrait voir un investisseur privé entrer massivement dans le capital et se trouver en position majoritaire pour déterminer la politique de l'entreprise. Pour tenter de rassurer, le gouvernement indique que le contrôle de l'Etat demeurerait par le moyen d'une action spécifique. En réalité, cette disposition n'aurait qu'une portée limitée dans le cadre juridique européen.
Ainsi, une telle action spécifique avait été mise en place pour ELF, afin d'assurer la contrainte de l'approvisionnement en produits pétroliers de notre pays. Ce modèle très proche de celui proposé aujourd'hui a conduit à la condamnation de la France par la Cour de Justice Européenne qui exige des critères précis proportionnés à l'objectif d'intérêt général.
Prétendre que « l'action spécifique » permettrait à l'Etat, minoritaire, de décider de la stratégie de l'entreprise et de ses orientations dans le sens de l'intérêt général est fallacieux et illusoire. Et dire qu'il pourra désormais maîtriser ses tarifs est mensonger.
Et c'est là le quatrième motif d'irrecevabilité : votre texte est inquiétant pour le consommateur.
Rappelons d'abord les faits avant de mesurer les risques : la facture de gaz a augmenté de 30 % en 18 mois. Les prix de l'électricité comme du gaz ont explosé depuis l'ouverture des marchés + 70 % pour les grosses entreprises consommatrices, voire de 100 % pour les plus petites. La hausse des prix de gros est de près de 50 % pour la seule période d'avril 2005/avril 2006. L'écart entre les prix du marché et les tarifs réglementés est de 60 %.
Certes, le projet de loi affirme le principe du maintien des tarifs réglementés et même celui du droit au retour, mais c'est aujourd'hui une digue de papier.
En effet, les tarifs réglementés sont contestés tant par la Commission européenne qu'en France par la Commission de régulation de l'Energie. Et le gouvernement ne peut s'engager pour autrui. Aussi, quand les tarifs régulés disparaîtront, la nouvelle entité SUEZ-GDF sera libre de fixer ses prix et le réveil risque d'être aussi douloureux que brutal pour les usagers.
Quant au droit au retour du tarif réglementé pour les entreprises qui ont fait le choix du marché, il est lui-même fragile car il ne peut valoir que pour un temps limité. En outre, il repose sur une compensation du manque à gagner des opérateurs par une taxe sur les productions d'énergie nucléaire et hydroélectrique, c'est-à-dire principalement EDF qui pèsera incontestablement sur les coûts de production de l'électricité et viendra justifier la hausse du tarif réglementé. Ainsi, la privatisation de GDF est aussi une mise en cause d'EDF, et plus largement du service public de l'énergie.
Et c'est le dernier motif d'irrecevabilité : votre texte sape les fondements de la politique énergétique de la France.
D'abord sur le plan de la sécurité de nos approvisionnements. Comment pourrait-elle être améliorée quand l'Etat perd le contrôle de l'ensemble des infrastructures lourdes qui en sont les outils pour le gaz : terminaux méthaniers, capacité de stockage, réseaux de transport et de distribution. La privatisation fait courir le risque de voir ces équipements essentiels pour notre pays devenir un jour la propriété d'un groupe étranger comme GAZPROM, désireux de pénétrer le marché européen.
Ensuite, les principes mêmes du service public de l'Energie sont altérés . Depuis 1946, EDF et GDF ont travaillé de façon coordonnée au sein de leurs services communs de distribution, forts de 80 000 agents. Cette structure perd sa raison d'être avec la fusion GDF/SUEZ. Elle sera dépourvue de la personnalité morale et ne pourra résister à la compétition entre les deux groupes. Quant aux communes qui sont, depuis la Libération, propriétaire des réseaux de distribution, le projet crée une situation paradoxale : elles auront pour concessionnaire une entreprise privée en situation de monopole légal.
Enfin, sur l'avenir d'EDF. Elle est aujourd'hui la première entreprise sur le marché européen de l'électricité. Son capital public ne l'a nullement gêné pour assurer son développement et nouer des alliances. Sur le marché domestique, elle a su relever à son avantage le défi de la concurrence. Alors, pourquoi l'Etat décide-t-il de lui créer de toute pièce un compétiteur national de statut privé ? Au nom de l'intérêt national, comment justifier la constitution, par l'apport d'une entreprise publique à un grand groupe privé, d'un ensemble industriel dont la vocation est de réduire la place de l'opérateur public qu'est EDF sur le marché domestique ? La privatisation de GDF, c'est donc la dévalorisation du capital public d'EDF ! Est-il responsable de priver EDF de la seule possibilité à court terme de proposer une offre mixte « électricité/gaz » et de la pénaliser gravement face à ces concurrents européens ?
Voilà pourquoi il faut repousser votre texte et en proposer un autre qui s'articulerait autour des trois principes suivants :
1/L'élaboration d'une politique européenne de l'énergie
L'approche « européenne » du gouvernement se borne à poser le choix entre une entreprise à capitaux majoritairement belges au détriment d'une entreprise italienne pour fusionner avec GDF.
L'Europe, dont la consommation de gaz augmente de 3% par an. est de plus en plus dépendante de ressources extra communautaire alimentées par des pays fournisseurs organisés sous forme d'oligopole.
Alors qu'un nouveau « paquet énergétique » est annoncé par la Commission européenne pour le 12 décembre prochain, il semble déterminant de se battre à cette occasion pour renforcer la politique européenne de l'énergie. Elle doit s'appuyer sur la création d'un véritable régulateur européen, capable de dépasser l'application restrictive des règles de concurrence au niveau de chaque état membre, pour prendre en compte un marché de référence à l'échelle européenne.
Il faut exiger le respect des préalables posés lors du sommet de Barcelone en 2002 : étude d'impact de l'ouverture des marchés rappelée dans les préambules des directives de 2003 et adoption d'une directive cadre sur les services d'intérêt économique générale, dont un projet a été présenté en mai par le groupe socialiste européen.
2/ La création d'un pôle public de l'énergie
L'énergie n'est pas un bien comme les autres. Elle engage la souveraineté et l'indépendance d'une nation et, à ce titre, doit rester propriété publique. La constitution d'un pôle public de l'énergie regroupant EDF et GDF permettrait ainsi de garantir l'approvisionnement, la distribution et la maîtrise des tarifs dans notre pays.
Des synergies fortes existent déjà entre les deux groupes, notamment pour la distribution. C'est le seul moyen pour la France de rester maître de sa politique énergétique et pour les consommateurs, les particuliers comme les entreprises, de conserver un service public de qualité avec des tarifs raisonnables. Ce rapprochement EDF/GDF n'est pas contraire, comme le gouvernement le prétend, aux textes européens. Le rapprochement d'EDF et GDF ne renforcerait pas substantiellement la position dominante des deux entreprises sur le marché français du gaz ou sur celui de l'électricité compte tenu de leur très forte spécialisation actuelle. En conséquence, si des contreparties devaient être exigées, elles ne seraient probablement pas plus importantes que celles qui seraient demandées par la Commission pour la fusion SUEZ/GDF et concerneraient surtout les filiales étrangères.
3/ Le maintien du tarif réglementé
Etant donné l'évolution des prix de l'énergie, il est indispensable de maintenir un tarif réglementé. Les prix de l'énergie représentent un facteur essentiel de la compétitivité des entreprises. Demain, les ménages pourraient voir leur pouvoir d'achat encore plus fortement entamé par une progression non maîtrisée des prix.
Ce maintien du tarif réglementé doit s'accompagner d'une possibilité de retour si un consommateur qui a fait le choix des prix du marché subit une hausse substantielle du coût de l'énergie. Ceci est absolument nécessaire pour des consommateurs comme les hôpitaux qui peuvent être amenés à réduire l'exécution de certaines missions pour faire face à l'augmentation conséquente des factures énergétiques.
CONCLUSION
Voilà le choix qui est soumis à notre Parlement et, au-delà de lui, au pays. Un démantèlement ou un renforcement, un abandon ou une volonté, le tout marché ou l'intérêt général. Votre texte est à la fois dangereux et précipité.
Dangereux car il met en cause l'indépendance énergétique, la sécurité des approvisionnements, le service public et le pouvoir d'achat des Français. Et précipité car, aujourd'hui, une chose est sûre : vous privatisez GDF et vous ne savez pas dans quelle condition, sous quelle forme et pourquoi faire. Bref, vous nous demandez de voter les yeux fermés.
Et c'est pourquoi il faut refuser votre projet et attendre l'élection présidentielle de 2007 pour laisser les Français décider, les yeux ouverts, d'une politique qui engage leur avenir et celui des générations futures.
Source http://www.parti-socialiste.fr, le 11 septembre 2006