Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, avec France Info le 30 aout 2006 sur les défis de l'Union européenne, notamment l'élargissement et les institutions communautaires.

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Média : France Info

Texte intégral


Q - Bonsoir, Catherine Colonna.
R - Bonsoir.
Q - Quand une ministre déléguée aux Affaires européennes dénonce le fonctionnement de l'Europe, voilà qui ne passe pas inaperçu ; c'est ce que vous avez fait devant les ambassadeurs, qu'est-ce qui cloche pour vous dans le fonctionnement de l'Union ?
R - Je souhaite simplement que les Européens soient ambitieux pour l'Europe, c'est tout. Car c'est la meilleure chose qui puisse leur arriver. Donc il faut sans doute un peu se ressaisir. C'est vrai, l'Europe ne va pas mal mais elle va un peu cahin-caha. Elle n'est pas en crise et elle fonctionne, globalement. Elle prend les décisions qu'elle doit prendre mais elle va trop lentement, elle est trop timide. Le monde ne nous attendra pas donc il faut sans doute aller de l'avant plus résolument.
Q - Mais aller de l'avant bien sûr, tout le monde veut aller de l'avant mais concrètement vous dites quoi sur le fonctionnement de l'Europe, qu'est ce qui ne va pas ?
R - Le processus de décision est long, je l'ai dit. Il faut, vous le savez, plusieurs années pour adopter un texte. C'est normal parce qu'au sein de la démocratie européenne, il y a le Conseil qui représente les gouvernements et le Parlement, et il faut des allers et retours entre les deux. Mais plusieurs années pour prendre une décision, est-ce vraiment possible dans le monde d'aujourd'hui ? Parfois oui, souvent non, et de moins en moins. On a aussi souvent tendance à repousser les décisions les plus difficiles au lendemain, à faire rapport sur rapport, à pratiquer la politique des petits pas... C'est une technique. Il faut parfois s'en servir mais pas tout le temps non plus !
Il ne faut pas s'assoupir car nous avons un environnement mondial qui a changé. Les défis à relever sont nouveaux et, pour cela, il faut d'abord davantage de volonté européenne et puis aussi se donner les moyens de réussir.
Q - Mais cela veut dire quoi ce que vous avez dit ? Qu'on s'est élargi trop vite ? Que 25 c'est trop, il ne fallait pas le faire ?
R - Pas du tout. Selon moi, l'élargissement est d'abord une réussite. Il est pleinement conforme à la vocation de l'Europe qui est d'établir la paix sur le continent européen - un continent qui a connu les guerres génération après génération - et d'y établir aussi la démocratie car il y a 15 ans l'Europe était coupée en deux, seule une moitié de l'Europe connaissait vraiment la démocratie. Cela s'est fait, et c'est une belle réussite mais qui a aussi des conséquences lourdes sur le fonctionnement de l'Europe. Il va falloir se donner le temps de mieux gérer ces conséquences et, peut-être, se doter d'un meilleur contrôle politique de l'élargissement. Nous devons définir quel est le projet politique que nous tous Européens nous voulons mener ensemble. Quel doit être le degré d'intégration de l'Europe ? Quelles sont ses politiques ? Il faut faire des choix, savoir ce que l'on veut, tout simplement.
Q - Alors on va y revenir tout de suite. Un mot seulement, vous dites que cela n'est pas une crise profonde mais il y a beaucoup d'analystes qui eux trouvent que l'Europe est dans une situation délicate pour son avenir.
R - Toutes les opinions sont permises mais ce n'est pas la mienne. Je trouve que globalement l'Europe fonctionne : elle a des institutions, des politiques communes, un budget. Par ailleurs, elle sait décider quand il faut vraiment décider mais elle le fait trop lentement et elle a peut-être perdu de vue quel doit être son niveau d'ambition. La paix et la démocratie étant assurées sur le continent européen, je crois qu'aujourd'hui il faut se donner un nouveau projet, une nouvelle ambition.
Q - Il y a eu l'euro, le marché unique ....
R - Plus que cela ! Nous sommes dans un monde globalisé, dans une économie mondialisée et donc l'Europe aujourd'hui, son projet, selon moi, est simple et évident : cela doit être l'ambition d'être une puissance dans la mondialisation, être un cadre pour notre développement économique et social, être quelque chose qui à la fois nous porte et nous protège. Voilà l'objectif. On sait comment faire, il faut s'en donner les moyens : tout commence par la volonté politique !
Q - Cela veut dire que cette volonté nous ne l'avons pas car nous n'avons pas cette nécessité vitale que nous avons eue après la guerre, par exemple d'avoir cette paix que vous indiquiez et que nous avons eue ?
R - C'est vrai. Sans doute les choses étaient-elles plus évidentes pour ces générations qui ont connu la guerre et qui ont compris dans leur chair et leur esprit la nécessité de faire l'Europe, d'éviter que nous nous déchirions ainsi inutilement. Alors l'Europe est victime de son succès et on ne va pas regretter qu'elle ait réussi. Mais il faut qu'aujourd'hui elle se donne une nouvelle raison d'être, qui s'ajoute à la première et je crois que cela doit être de devenir une puissance.
Q - Pour vous que faut-il faire concrètement ?
R - D'abord des choses concrètes et l'on a engagé un certain nombre de réponses. A propos de l'élargissement dont vous parliez tout à l'heure, on a désormais la volonté de mieux le contrôler, de gérer ses conséquences de façon plus précise. Ce que nos citoyens attendent de nous, ce sont des résultats, des choses concrètes dans leurs principaux domaines de préoccupation. Quels sont ils ? C'est l'emploi, la croissance, la sécurité. L'Europe s'efforce de répondre : elle a développé de nouveaux projets, augmenté les budgets pour la recherche, et en matière d'éducation, elle a doublé les bourses pour les étudiants. Elle fait donc des choses mais je crois qu'il faudra un sursaut, une volonté politique plus grande qu'aujourd'hui et puis, en réalité, une mutation du projet européen. Nous devons changer de braquet, changer l'échelle de nos réponses et y aller résolument !
Q - Est-ce que c'est envisageable, sachant que chaque pays va vouloir défendre son intérêt national ?
R - Mais c'est notre intérêt collectif qui prime. Que serions-nous chacun d'entre nous, éparpillés dans la mondialisation ? Il faudrait être bien déraisonnable pour imaginer que nous nous en sortirions mieux. Donc notre intérêt de nation, d'Etat, l'intérêt de nos peuples est de faire l'Europe mieux qu'aujourd'hui, davantage qu'aujourd'hui et en lui faisant faire peut-être moins de petites choses, s'occuper de moins de détails de la vie quotidienne : les dates de la chasse dans tel ou tel département qui insupportent beaucoup de gens ou la taille des palourdes dans le bassin d'Arcachon...
Q - Les ostréiculteurs d'Arcachon ne vont pas être contents en vous écoutant !
R - Au contraire, ils trouvent parfois un peu pesantes les règles européennes ! Cela n'est pas l'essentiel. Il faut faire moins de petites choses et davantage de grandes. Pour la question des migrations en provenance d'Afrique vers les Canaries ou Lampedusa, des incendies de forêt cet été, pour permettre à nos ressortissants de quitter le Liban lorsqu'ils le souhaitaient, il faut être capable de s'entraider entre Européens de façon organisée. Pour le Liban, nous avons fait très bien et je veux saluer le travail de nos militaires et de notre diplomatie. Le ''chacun pour soi", faisons-le entre Européens !
Q - Mais le Liban justement cela fonctionne pas mal : 42 millions d'euros débloqués, beaucoup de soldats européens.
R - Cela finit par fonctionner et c'est pour cela qu'il faut être optimiste pour l'Europe et que je le suis. Il faut être volontariste, avoir un objectif et puis y aller résolument, avoir la fierté de faire l'Europe et non pas la faire en se cachant !
Q - Catherine Colonna, quand vous parlez d'une Europe lente parfois un peu trop compliquée, trop bureaucratique, d'un manque de volonté, si on vous lit entre les lignes, on croirait presque entendre ceux qui avaient appelé à voter non au référendum : et s'ils avaient eu raison ?
R - Je crois qu'ils ont eu tort ! Le peuple français s'est exprimé et je respecte son vote mais un certain nombre de ceux qui avaient appelé à voter non - et c'est de ceux-là dont vous parlez - savaient très bien qu'ils nous mettaient dans une impasse. Nous n'avons pas fait une affaire avec ce référendum, c'est évident. L'Europe ne va pas mieux. Nous faisons notre travail, nous maintenons notre niveau d'ambition et nous faisons des propositions mais de là à dire que nous avons fait une affaire, non.
Q - Il faut réécrire le texte, il faut le proposer, il faut avancer dans cette voie-là ? Les institutions, c'est important, c'est le moteur quoi !
R - Il faut en tout cas retrouver une capacité de décision des Européens. Aujourd'hui, elle est insuffisante, elle ne permet pas de faire face à tous les défis. Il faut réformer les institutions pour pouvoir décider, ne serait-ce que cela !
Q - Votre prise de position très remarquée s'inscrit évidemment dans le paysage préélectoral que nous connaissons. Est-ce un signe du gouvernement, de l'Elysée de tirer ses leçons du 29 mai ?
R - Ce sont mes convictions personnelles qui s'expriment lorsque je vous dis que je souhaite qu'en 2007, pour la campagne électorale, l'Europe soit présente à la place qui doit être la sienne.
Q - Vous avez peur qu'elle y échappe ?
R - Je crois qu'il est important que chaque Français et chaque Française sache ce qu'on lui propose sur chaque sujet important pour son avenir et que l'Europe en fait partie sûrement. Alors que chacun des candidats donne sa vision, dise quel est son projet, quelles sont ses propositions précises. Quant à moi, j'ai dit ce que je pensais, ce n'est déjà pas si mal !
Q - Merci Catherine Colonna, ministre déléguée aux Affaires européennes.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er septembre 2006