Interview de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, à RMC le 23 février 2001, sur le meurtre d'un policier à Villetaneuse, l'annulation d'un déplacement du Premier ministre, le projet de loi sur la Corse et sur les élections municipales.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle
Un jeune policier de 25 ans a été tué cette nuit à Villetaneuse par un forcené. Il était connu des services de police "pour violence et menace avec arme." Est-il normal qu'il ait pu avoir une arme sur lui et tirer et tuer un policier cette nuit ?
- "Vous imaginez bien que d'abord mes pensées vont vers la famille du jeune policier qui a été tué en faisant son devoir. Cela fait le sixième policier ou gendarme depuis ..
Depuis le 1er janvier.
- "Non, depuis trois mois, et je suis triste, évidemment, comme ministre de l'Intérieur. En même temps, cela me permet de dire à votre micro qu'il faut que les Français soient aussi solidaires de leur police qui assure leur sécurité dans des conditions difficiles. Hier soir, le quartier n'était pas "un quartier difficile" comme on dit. C'est un drame de la vie. Ce forcené sur lequel je manque d'éléments, manifestement a été pris d'une folie meurtrière. Un policier est tué, lui-même a été maîtrisé et en est décédé. L'enquête montrera si effectivement ce monsieur était récidiviste ou pas, je n'en sais rien au moment où je vous parle. Ceci étant, vous posez un vrai problème qui est celui de la détention des armes. Je crois que B. Leroux, député de Seine-Saint-Denis, a fait des propositions. Je vais d'ailleurs les intégrer dans un projet de loi pour la sécurité quotidienne des Français, qui viendra au Parlement au printemps. Ceci étant, cela montre bien qu'il ne faut pas que se développe le marché des armes, il ne faut pas que les gens détiennent des armes. Les armes sont des choses dangereuses ! Laissons-les dans les mains de la police, dans les mains de ceux qui sont amenés à les utiliser pour la sécurité des Français et méfions-nous. En tout cas, je suis très triste comme ministre de l'Intérieur qu'un policier ait encore été victime de cette folie meurtrière."
Le Premier ministre a annulé hier soir un déplacement prévu aujourd'hui à Dole pour soutenir la candidature de D. Voynet. N'est-ce pas une reculade et est-il normal que quelques dizaines d'agriculteurs en colère menacent le déplacement d'un Premier ministre en France ?
- "Depuis quelque temps, alors que le Gouvernement a pris, a fait tout ce qu'il pouvait, tout ce qu'il devait faire en direction des agriculteurs - il le montrera encore à travers ce que dira J.Glavany à Bruxelles le 26 février et les mesures que nous prendrions, de toute façon, en direction de cette profession sinistrée - par pas la faute du Gouvernement -, un certain nombre d'agriculteurs se livrent effectivement à des manifestations ou à des empêchements de déplacement. A deux reprises, j'ai connu cela, J. Glavany aussi, d'autres ministres aussi. Je veux dire très clairement que ce n'est pas un comportement normal, ce n'est pas la meilleure manière pour les agriculteurs de se faire comprendre et de déclencher la confiance chez les consommateurs pour qu'ils retrouvent le chemin de la consommation de la viande de boeuf, ce que je souhaite par ailleurs. Le boeuf français est bon et il faut le consommer."
On ne peut pas assurer les déplacements du Premier
ministre ?
-"Hier, au Salon de l'Agriculture, certains ont voulu perturber la visite du Premier ministre. Ils ne l'avaient pas fait pour le Président de la République, c'est donc un comportement de certains agriculteurs. Dans cette période, ça n'est évidemment pas normal. Je ne pense pas qu'ils vont être pour cela plus populaires en France. Les gens supportent mal ce type de comportement."
Si je vous ai bien compris, vous laissez entendre que c'est un affrontement politique de la part de ces agriculteurs ?
- "Je n'en sais rien."
Une volonté d'affrontement politique ?
- "Je pense qu'ils ont leurs idées. Et en voulant empêcher le Premier ministre de circuler lors d'élections municipales, il y a quand même là un signe. En tout cas, s'ils voulaient le démontrer, ils le font. Mais le Premier ministre, constatant le risque que cela fait courir éventuellement à des gens qui sont à ses côtés, voire des dégradations dans une ville, a l'intelligence de ne pas aller à l'affrontement puisqu'on annonçait plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes pour perturber son voyage à Dole. C'est donc en toute sérénité et dans le calme, pour préserver justement l'intérêt bien compris de la démocratie, que le Premier ministre a fait le choix de ne pas aller aujourd'hui à Dole. Ce n'est pas une reculade en soi. C'est, je crois, le signe de l'intelligence et de la responsabilité."
Vous avez maintenu le projet de loi sur la Corse en dépit des remarques et des demandes du Président de la République. Accepteriez-vous que les députés formulent et proposent des amendements qui permettent une meilleure conformité de ce projet à la Constitution, parce que votre prédécesseur dit que c'est évidemment "anticonstitutionnel."
- "Bien sûr. D'abord, je fais confiance au Parlement. Je ne crains pas le Parlement. J'ai été un peu surpris par l'argumentation développée notamment par un certain nombre de responsables de droite disant : " il ne faut pas présenter ce texte au Parlement dans cet état, parce que ..." Pourquoi ? Il faut faire confiance au Parlement de la République. La représentation nationale a la légitimité du peuple pour légiférer. Et donc, comme tout projet de loi, il sera examiné par les député, il sera amendé par les députés, en présence du Gouvernement. Nous aurons un dialogue."
Vous accepteriez qu'ils reviennent sur ce texte-là, sur ce point précis ?
- "Je ne souhaite pas que cette partie soit modifiée puisqu'elle fait l'objet d'un accord général en Corse, y compris de ceux qui sont contre le projet. A mon avis, mieux vaut s'expliquer encore si besoin était. Mais je suis tout à fait rasséréné par rapport à l'issue de ce débat et de ce vote sur un texte utile pour la Corse et pour la République. Je veux une Corse apaisée, enracinée dans la République, car on aura reconnu sa spécificité, son identité et qu'on aura fait un certain nombre de choses pour son développement et l'harmonie de la vie en Corse. Je veux simplement vous dire que les critiques sont normales en démocratie. Mais quand on a rien à proposer en projet alternatif, parce que je n'ai rien vu, rien entendu, rien lu de la part de ceux qui se prononcent contre le projet, alors qu'ils proposent au moins."
Encore faut-il que vos propositions soient constitutionnelles ?
- "Ils n'ont qu'une chose à opposer à notre projet, à celui que je défends : c'est l'exercice de la responsabilité en Corse quand ils étaient aux responsabilités. On ne peut pas dire qu'ils aient brillé, c'est le moins qu'on puisse dire."
Encore faut-il que votre texte soit constitutionnel ?
- "Je crois qu'il l'est. Les parlementaires vont l'examiner et si besoin était, ils le mettraient en conformité, mais je ne crois pas qu'il y ait besoin de cela. Et puis de toute façon, il y a des procédure pour ce faire. Mais laissons le débat parlementaire s'opérer devant l'opinion, comme le projet a été préparé, vous le savez, par la discussion en toute transparence avec l'ensemble des élus corses. Et, vous le savez, en Corse c'est la droite qui est majoritaire, et pourtant la droite soutient ce projet majoritairement."
Vous faites campagne à Paris tous les jours, on vous voit beaucoup dans le 18ème, votre arrondissement. Personne ne croyait à la victoire de la gauche il y a encore quelques mois, et le sentiment est maintenant que la gauche pourrait gagner Paris. Pensez-vous que c'est l'effet d'une mauvaise campagne de la droite ou bien est-ce un rejet du système ?
- "Je pense qu'il y a de tout pour faire une élection, et elle n'est pas faite car c'est dans 15 jours que les Parisiens se prononceront. Il semble bien que la dynamique soit du côté de ceux qui veulent un changement, parce que les Parisiens ont une aspiration légitime à l'alternance, après 24 ans de pouvoir de droite, avec tout ce qu'on sait, tout ce qui n'a pas été fait. Paris ne va pas bien. C'est parce qu'il y a notre travail, notre candidat à la mairie de Paris, nos candidats dans les arrondissements, notre enracinement, notre proximité, notre fidélité, et aussi les propositions que nous faisons. Je crois que ce sont tous ces ingrédients qui vont, je l'espère, concourir à l'alternance à Paris pour un Paris différent. Que Paris soit à nouveau la plus belle ville au monde, c'est le souhait que j'émets."
B. Chirac, normal ou anormal ?
- "C'est bien normal qu'un femme politique fasse campagne électorale. Elle est elle-même élue, elle est conseillère générale de Corrèze de longue date. Elle a été 18 ans aux côtés de son mari à la mairie de Paris. Donc, c'est un sujet qu'elle connaît bien."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 février 2001)