Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à RMC le 12 septembre 2006, sur les pressions exercées par les médias et groupes de presse sur l'opinion publique et les liens entre intérêts financiers et intérêts politiques, notamment en période électorale.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


Q- Avez-vous été convoqué par le PDG de TF1 ?
R- Non. Non, j'ai lu cela dans les journaux. C'est un sujet suffisamment lourd pour que l'on n'en rajoute pas. Alors, ni convocation, ni intimidation, rien de tout cela. J'étais dans les studios de LCI, c'est-à-dire, la même maison que TF1, et P. Le Lay et E. Mougeotte sont venus m'attendre dans le studio pour que, j'imagine, nous allions un peu plus au fond de cette question. Mais absolument rien de cet ordre-là. Nous avons eu une explication musclée, voilà, c'est vrai.
Q- "Explication musclée"... ?
R- Oui.
Q- Que vous a-t-on dit ?
R- Vous savez bien... L'idée des très grands groupes médias c'est que, naturellement, ils sont absolument objectifs dans la présentation des choses. Et l'idée des spectateurs, de tous ceux qui écoutent, entendent et voient, l'idée n'est pas exactement la même, ils ont le sentiment, et à juste titre, qu'une très grande pression s'exerce sur eux pour les conduire dans un vote préfabriqué. En ce moment, "Sarko-Ségo", voilà, c'est tout le...
Q- C'est " fabriqué", c'est "préfabriqué" pour vous ?
R- C'est...une pression assez forte pour aller dans le sens d'une décision préfabriquée qui arrange tout le monde.
Q- On va aller plus loin, puisque, ce matin, nous posons une question à nos auditeurs. P. Dufrenne, quelle est la question ?
R- P. Dufrenne : La question est simple : oui ou non, faut-il interdire aux groupes qui vivent de commandes publiques, "oui", à 85,4%, "non", à 14,6% .
Q- Alors, faut-il interdire aux grands groupes...
R- Il faut que la loi tranche de cette question, et selon moi, lorsque l'on est en affaire avec l'Etat, on ne doit pas pouvoir posséder des grands groupes médias. Parce que...
Q- Si vous êtes élu président de la République, vous prendrez...
R- Oui...
Q- ...vous demanderez à ce que le Parlement se prononce...
R- Je demanderais à ce qu'une loi que je proposerai à l'avance, dise cela. Pourquoi ? Parce que, vous voyez bien que, quand vous avez contribué puissamment à l'élection d'un Président, ce Président n'a rien à vous refuser. Et d'un autre côté, quand vous êtes au pouvoir, et que vous avez en face de vous des médias extrêmement puissants, vous n'êtes pas à l'aise pour dire "non". Et il suffit de regarder toute l'histoire récente, toutes les démocraties importantes de la planète ont interdit ce genre de lien. Et pour ma part, je veux que la France soit une démocratie qui retrouve la transparence. La démocratie pour moi c'est, quand les cartes sont sur la table. Une décision doit être prise ; les raisons, les tenants, les aboutissants, les questions qui se posent sont toutes sur la table, pour que les citoyens sachent, soient informés, et puissent dire leur mot, penser la décision. Or, aujourd'hui en France, les cartes sont sous la table, parce que des liens extrêmement puissants existent, une espèce d'intimité, d'ailleurs affichée pour certains, comme N. Sarkozy, mais réels pour d'autres. La gauche pendant très longtemps a fait la même chose, comme vous savez. Une intimité qui fait que, on n'est pas dans la transparence.
Q- Il y a "intimité coupable" ?
R- Je ne dis pas "coupable", je ne porte pas ce genre de jugement moral. Mais la question... Il faut que l'on retrouve en France la transparence et la distance. Le pouvoir politique doit être un pouvoir indépendant des puissances de l'argent. Et telle était l'idée du général de Gaulle. Vous vous souvenez, il avait eu une phrase formidable, il avait dit : "La politique de la France ne se fait pas à la corbeille de la Bourse". Cela a été la loi de la République. Cela a été la philosophie de la République pendant un siècle. Et chaque fois qu'elle y manquait, il y avait des accidents.
Q- Faut-il demander aux candidats de s'expliquer sur ces questions-là, aux futurs candidats à la présidentielle ? De s'engager ?
R- Non seulement, il faut leur demander, mais ceci va être une très grande question, une des questions principales, pas la principale. Pourquoi ? Parce que derrière cela il y a un projet de société, et on sait bien quel projet de société est en jeu. Vous avez un projet de société qui progresse terriblement à la surface de la planète, c'est le projet de société américain, dans lequel il y a cette intimité entre milliardaires et pouvoir.
Q- "Sarkozy américain", c'est une réalité à vos yeux ?
R- Les lobbies...
Q- "Sarkozy" le libéral, c'est... ?
R- Ce n'est pas une question de libéral. Le libéralisme est une philosophie noble et défendable. C'est la question de voir s'établir des liens de dépendance réciproque entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. Les très grandes puissances du monde économique. Et quand de surcroît,
ces très grandes puissances sont dépendantes de l'Etat, parce que tout cela se fait avec l'argent du contribuable, là, on se trouve devant un univers, dont je considère qu'il ne doit pas prospérer en France. On a vécu cela sous le PS, de la même manière, et on est sur le point de voir s'établir ce projet de société en France. C'est ce que, pour ma part, je ne veux pas. Je pense qu'il existe un projet de société républicain, démocratique, français, qui doit séparer le monde de l'argent et le monde du pouvoir.
Q- Oui ou non, N. Sarkozy est-il dépendant du monde de l'argent ?
R- Je n'ai jamais dit une chose pareille, et je n'ai pas l'intention de...
Q- Vous le laissez entendre ?
R- Non... Les liens d'intimité sont affichés dans tous les journaux, alors...Ceci est une...Ils sont revendiqués et assumés. Pour moi, ce n'est pas la question personnelle d'un homme qui serait entre les mains de...
Q- C'est un candidat ?!!
R- ...C'est un projet de société. Ce dont la France va avoir à trancher en 2007, c'est des 20 ans qui viennent à la vérité. Nous achevons en 2007 un cycle qui s'est ouvert en 1981, le cycle Mitterrand-Chirac. Le PS de Mitterrand, le RPR de Chirac, rebaptisé UMP, avec quelques ralliements. Ce cycle s'achève. Derrière, il faut savoir si nous voulons que ce cycle se poursuive et s'aggrave, ou si nous voulons changer de cycle. Je propose de changer.
Q- N. Sarkozy à New York, J. Chirac a rappelé qu'il était parti "en mission officielle"...Cela vous fait rire, pourquoi ?
R- Alors, vraiment, l'idée qu'en France, vous qui êtes un observateur attentif, les moyens de l'Etat...
Q- J'écoute les auditeurs, les...
R- ...pourraient être utilisés au service d'une campagne électorale, mais enfin vous n'y pensez pas ! D'où tirez-vous une idée pareille ! Vous avez le sentiment qu'il y a quelque utilisation que ce soit des moyens de l'Etat, de l'argent du contribuable pour faire des campagnes électorales ?
Q- Vous êtes choqué ?
R- Aujourd'hui comme hier...Ecoutez, ne prenons pas le ton de l'indignation, contentons-nous d'en rire, c'est plus efficace. Mais bien sûr, vous voyez que ces choses qui sont monnaie courante en France, seraient interdites partout ailleurs, dans toutes les démocraties de la planète.
Q- Il va falloir changer les choses, donc, si vous êtes président de la République.
R- Mais il faut changer les choses ! On ne peut pas se contenter de laisser s'établir toutes ces pratiques-là, qui ne sont pas des pratiques auxquelles la France était habituée, non pas le mélange entre Etat et partis politiques dominants, cela on y est habitués, mais...et c'est un tort. Mais tout cela, ce modèle de société, il faut en proposer un autre en face. Nous avons un grand modèle de société français qui est la séparation des pouvoir. Cela a été inventé par des Français. La séparation des pouvoirs politique, économique et médiatique, cette séparation doit être accomplie. On fera de très grands progrès parce que le citoyen sera plus libre. Il ne sera pas manipulé et pas manipulable.
Q- J'ai une question d'un auditeur : "M. Bayrou, vous qui vous situez, semble-t-il, clairement, comme opposant à la majorité actuelle, allez-vous présenter des candidats contre ceux de l'UMP dans toutes les circonscriptions aux prochaines législatives ?"
R- Il y aura des candidats de l'UDF dans toutes les circonscriptions législatives, si le...
Q- Quelle que soit la circonscription ?
R- Oui.
Q- Vous ne négocierez pas avec l'UMP ?
R- Mais je...Vous ne comprenez pas. Je défends le pluralisme. Le pluralisme est mis à mal en France. Mon travail est de proposer un choix aux Français. Ce que je dis, là, l'espèce de contestation profonde, de mécontentements profonds que le pays ressent à l'égard de ces pouvoirs concentrés, et qui ne laissent pas la moindre place à la voix du peuple, les Français le sentent très bien, et ils n'avaient pour y apporter une réponse que le vote des extrêmes. Or, ils ont constaté que le vote des extrêmes ça ne fragilisait pas le pouvoir, ça renforçait le pouvoir. C'était une habilité suprême. Vous offrez un vote, qui est un vote de contestation, et au lieu d'exprimer une contestation, cela a porté un renforcement formidable de 82,5% des voix de ceux qui sont au pouvoir. Il y a une autre manière de porter cette revendication des Français à la transparence et à un nouvel équilibre, mais cette manière elle doit se faire dans le champ de la démocratie et des convictions démocratiques normales, dans le champ républicain. C'est dans le champ républicain, que les républicains doivent se charger eux-mêmes de rebâtir un système qui ne va plus aux yeux de tout le monde.
Q- On va entrer dans le concret, vos propositions sur divers sujets. Mais
un mot sur la gauche quand même, parce que vous ne parlez pas trop
de la gauche. ..
R- J'en parle beaucoup.
Q- Et Ségolène alors ? Vous dites : "Elle risque d'être lessivée", c'est cela, pendant la campagne ?
R- Non, je n'emploie pas de mots de ce genre. D'abord, on verra...
Q- Vous dites quand même que "l'élection présidentielle est une essoreuse" hein ?
R- Oui, c'est une essoreuse, c'est une élection très dure, vous le savez bien. Dans laquelle Dieu sait que les coups ne sont pas épargnés. Mais ce qui me frappe dans le projet que le PS... parce que l'on n'a que cela entre les mains, on ne sait même pas qui sera le candidat, c'est l'incroyable mensonge que ce projet porte sur les sujets essentiels de l'avenir du pays. Par exemple, le PS dit : "on abrogera la loi sur les retraites". Vous le croyez, vous ?
Q- Cela, franchement, je n'y crois pas !
R- L'idée phare : "on abrogera la loi sur les retraites". C'est un mensonge ! Personne ne l'abrogera, parce que la loi sur les retraites, tout le monde sait que, contrairement à l'affirmation que la réforme était faite, tout le monde sait que l'on a fait une partie, petite partie, du chemin.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 septembre 2006