Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "France 2" le 20 septembre 2006, sur le débat parlementaire sur la privatisation de GDF et le vote solennel prévu le 3 octobre, sur les journées parlementaires du PS à Nantes.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Revenons, si vous le voulez bien, à l'affaire qui a beaucoup agité l'Assemblée, hier, c'est-à-dire l'accord que vous auriez passé avec le président de l'Assemblée nationale, J.-L. Debré, pour finalement accélérer le débat sur Gaz de France et Suez. [C'est pour] arriver à quoi : à un vote autour de début octobre ?
R- Oui, c'est-à-dire que, vous savez que chaque semaine, se réunit la conférence des présidents : président de l'Assemblée nationale, présidents de groupe et de commissions, où nous organisons, en présence du Gouvernement, les débats. Et donc, la question s'est posée de savoir à quelle date pouvait avoir lieu le vote solennel, c'est-à-dire le vote public où chaque député va donner son nom et se prononcer pour ou contre ce projet. Donc, nous avons retenu la date du 3 octobre, qui est une date à titre indicatif parce que le texte avance, et si nous avons terminé d'ici-là, le vote solennel - chacun devra prendre ses responsabilités - aura bien lieu le 3 Octobre. Mais en attendant, je veux vous dire - puisque l'on a beaucoup polémiqué autour des amendements que nous avons déposés- nous n'avions qu'un objectif : c'était d'obtenir un débat sur le fond, sur la stratégie de la France en matière énergétique. La privatisation de Gaz de France n'est quand même pas une petite mesure technique. Et ce débat, nous l'avons obtenu, il a lieu, il continue, il va encore avoir lieu autour de l'article 10 qui est l'article même qui prévoit la privatisation de Gaz de France...
Q- L'article 10 qui est au coeur du sujet, qui parle de la part que l'Etat devrait garder justement dans la nouvelle entité.
R- Voilà et donc le débat n'est pas fini, il va se poursuivre et surtout ce n'est pas un accord politique qui a été passé, c'est simplement un accord qui porte sur l'organisation des débats et sur une date indicative de vote final. Et, je le dis dans l'intérêt de la démocratie pour que les Français comprennent bien ce que nous voulons faire. Ce que nous voulons faire, c'est très clair, c'est que chaque député vote pour ou contre la privatisation de Gaz de France. Et en particulier les députés UMP. Car si on avait utilisé la lenteur des débats pour sortir le 49-3, cela aurait permis notamment aux amis de N. Sarkozy de ne pas se mouiller parce qu'il n'y aurait pas eu vote. Vous savez bien que M. Sarkozy s'est prononcé contre la privatisation de Gaz de France il y a deux ans, et qu'aujourd'hui il a complètement renié sa parole. Quelqu'un qui renie sa parole, eh bien il faut qu'il soit mis devant les Français, devant ses responsabilités. On ne peut pas continuer comme cela. Faire de la politique autrement, ce n'est pas mentir et se renier.
Q- J'entends bien, mais il semble qu'au sein du groupe socialiste, certains ont toussé-je pense notamment à L. Fabius et ses amis - qui trouvent qu'il ne fallait pas aller si vite en besogne, et qu'il ne fallait pas se mettre d'accord avec J.-L. Debré pour finalement conclure aussi vite.
R- Oui, enfin je n'ai pas très bien compris ce type de réactions parce que le débat qui était souhaité par tous avec le dépôt de nos amendements, nous l'avons et nous l'aurons encore, on est loin du compte. Et puis, si le temps le permet, si nous avons examiné tous nos amendements, nous n'en retirons aucun, le vote aura lieu le 3 octobre mais, je le répète encore, dans la clarté. Vous savez, les députés UMP quand ils voteront le 3 octobre, devront rendre compte dans leur circonscription : "pourquoi avez-vous privatisé Gaz de France alors que N. Sarkozy et le président de la République s'étaient, il y a deux ans, engagés contre cette privatisation ?". D'ailleurs je constate que dans chaque circonscription, dans chaque département, les députés UMP rasent les murs, on ne les voit pas défendre ce projet, ils sont mal à l'aise. Maintenant, ils vont être obligés de voter et on ne va pas leur faire ce cadeau du 49 -3. On ne va quand même pas demain porter le chapeau d'un blocage pour que le Gouvernement ait le prétexte de ne pas faire voter les députés. Ils vont voter, ils seront responsables et ils auront l'année prochaine, devant les Français, à l'occasion de l'élection présidentielle, de rendre des comptes.
Q- Et pendant ce temps là, on en sait un peu plus sur le périmètre de la future entité GDF/Suez puisque Gaz de France devra se désengager d'un certain nombre d'avoirs, notamment en Belgique, et que Suez pourrait garder le contrôle de certaines centrales nucléaires en France. Là encore, vous voulez avoir des éclaircissements ?
R- Là vraiment, nous sommes au coeur du débat. C'est pour cela que nous avions déposé autant d'amendements pour que l'on ait cet éclaircissement. D'ailleurs la Commission européenne va se prononcer et elle se prononcera seulement après le vote de l'Assemblée nationale, c'est dire dans quelles conditions on travaille. Et surtout ce n'est pas très transparent parce que si demain l'éventuelle nouvelle entité GDF/Suez doit se séparer de telle ou telle entité, cela sera fait sans que le Parlement ait pu voter. Donc on n'est pas au bout de cette affaire, croyez bien et il y aura de toute façon d'autres temps puisque le Sénat aura lui-même à se prononcer, il y aura des recours que nous déposerons au Conseil constitutionnel. Et puis peut-être que tout cela ne se fera pas et que ce sera au fond les Français qui décideront à l'occasion de l'élection présidentielle de la politique énergétique de la France qui ne peut se faire ni à la corbeille ni sur un coin de table entre le ministre de l'Economie et des Finances et les présidents de deux groupes industriels.
Q- Revenons aux journées parlementaires de Nantes. Vous aurez aujourd'hui même dans votre bonne ville de Nantes, tous les candidats à la candidature. Il y a un an, à peu près à la même époque, juste après les toutes premières déclarations de S. Royal évoquant pourquoi pas sa candidature, cela avait suscité beaucoup de railleries, de petites phrases, pas forcément chaleureuses et sympathiques à 'égard de S. Royal. Le climat s'annonce comment cette année ?
R- J'espère qu'il sera meilleur qu'à Nevers l'année dernière, où beaucoup étaient dans les couloirs - c'était juste la veille du Congrès - en train d'essayer de faire signer des listes de soutien pour telle ou telle motion, ce n'était pas très agréable pour ceux qui venaient pour travailler. Donc là, nous avons organisé le débat de telle sorte que l'on s'intéresse aux problèmes des Français. Et les thèmes que nous allons évoquer, ce sont les thèmes qui sont contenus dans le projet du Parti socialiste. On va parler du pouvoir d'achat, on va parler de l'éducation, on va parler de la couverture professionnelle universelle, c'est-à-dire la garantie pour les salariés tout au long de leur vie, quel que soit l'aléa de leur situation, une stabilité à la fois salariale et une stabilité également pour la formation et leur parcours professionnel et notamment en garantissant leur retraite. On va parler aussi du logement, qui est un problème concret, vécu par les Français. Et quand je parle du pouvoir d'achat, on va non seulement dénoncer la politique du Gouvernement, qui refuse par exemple de remettre en place la TIPP flottante ; les prix du carburant, du fuel et du gaz continuent d'augmenter et il l'encaisse au passage. Donc les Français, vous savez, se font leur opinion petit à petit et l'année prochaine, ils se préparent à voter. Qu'est-ce qu'ils constatent ? Que pour cette actuelle majorité, entre chaque législature au total, ce sont deux milliards d'exonérations fiscales pour 300.000 foyers fiscaux les plus riches. Et pour tous les autres, ce sont des clopinettes et la vie est plus difficile. Cela fera partie du débat.
Q- Le grand absent ce sera L. Jospin. Ce n'est pas que vous ne l'ayez pas invité mais comme il n'est ni député ni sénateur, il n'est pas parlementaire, il n'a pas de raison qu'il soit là. Vous avez quand même indiqué clairement que, de votre point de vue, il fallait qu'il se retire pour laisser une nouvelle génération prendre le relais. Il a réagi à vos propos, il vous a fait savoir quelque chose ?
R- Pas directement mais quand vous dites qu'il se retire, je crois que lui-même avait dit qu'il s'était retiré de la vie politique, il y a près de cinq ans. Aujourd'hui, la question se pose de sa candidature, c'est lui qui pose ce problème. Je crois que 2007 ne sera pas 2002 et je pense que le temps est venu d'aider au passage de relais et L. Jospin peut nous y aider, aider notamment une nouvelle équipe, une nouvelle génération pour prendre à bras le corps les problèmes du pays, pour que 2007 soit un vrai choix et que l'on ne se retrouve pas dans la situation de 2002. Je vais être très clair avec vous, j'ai beaucoup de respect et de loyauté à l'égard de L. Jospin, j'ai été président du groupe lorsqu'il était Premier ministre pendant cinq et ma loyauté a été entière et je respecte L. Jospin. Mais en 1995, même avant beaucoup d'autres, j'avais appelé à sa candidature, sans renier pour autant F. Mitterrand. Cette fois-ci, je soutiendrai une autre candidature, sans renier L. Jospin.
Q- Celle de S. Royal ?
R- Je me prononcerai, ce sera... Je ne veux pas vous dire encore aujourd'hui ce que sera ma décision. Ma décision est prise mais je l'annoncerai lorsque nous connaîtrons l'ensemble des candidatures, c'est-à-dire le 3 octobre et je prendrai toute ma place pour que la gauche, en 2007, puisse gagner, que les Français ne se retrouvent pas dans la situation de 2002 où ils ont été frustrésd'un vrai choix car notre pays a besoin d'une ambition et d'un nouvel élan.
Il est temps de s'y préparer.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 septembre 2006