Entretien de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, avec TV5 le 24 septembre 2006 sur l'aide française au développement et sur la francophonie.

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Média : TV5

Texte intégral

Q - Bonsoir Madame la Ministre, nous parlerons dans quelques instants du Sommet de la Francophonie qui aura lieu la semaine prochaine en Roumanie.
Tout d'abord, vous rentrez de deux pays, le Kenya et l'Erythrée : vous étiez, depuis 1993, la première représentante du gouvernement français à vous rendre en Erythrée depuis l'indépendance. Cela reflète un peu la politique de coopération et d'aide au développement de la France, vous avez signé pour 400 millions d'euros d'aides au Kenya. Cette aide au développement est-elle véritablement significative aujourd'hui ? Faut-il la porter davantage ?
R - Je crois, tout d'abord, qu'elle est réclamée non seulement par les Français mais évidemment par nos partenaires africains, avec le souci de la rendre plus efficace, plus transparente. Vous avez cité le Kenya où je me suis rendue pour conclure cet accord de coopération qui va nous engager sur 5 ans.
Le Kenya est un pays avec lequel nous avons des relations fortes, mais je dirai des relations historiques moins fortes qu'avec l'Afrique francophone. Pourtant, nous souhaitons avoir avec ce pays - qui a une stabilité politique, qui a réussi ces dernières élections dans la démocratie, qui a une croissance importante et qui joue un rôle dans cette Corne de l'Afrique -, cette relation privilégiée qui se traduit par une coopération importante en matière d'environnement, en matière d'infrastructures, d'eau et d'assainissement. Nous nous sommes donc engagés sans doute un peu plus fortement qu'auparavant avec ce pays.
En Erythrée, je dirai qu'il était temps que nous essayions d'avoir un vrai dialogue. Ce pays joue un rôle important dans les conflits régionaux de la Corne de l'Afrique. Il est vrai qu'aucun ministre ne s'était rendu en Erythrée depuis que ce pays est indépendant. Il est important de ne pas isoler les autorités érythréennes et d'avoir ce dialogue permanent avec eux pour tenter de les inclure dans nos efforts diplomatiques dans la région, qu'il s'agisse des problèmes observés en Ethiopie, en Somalie ou au Soudan.
Q - Cette aide est toujours accompagnée d'observations attentives sur la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et on le voit bien, un sondage montre que les Français doutent, pour 41 % d'entre eux, de l'efficacité de l'aide au développement.
R - Permettez-moi de vous dire que notre aide est efficace pour 49 % d'entre eux. Pardonnez-moi, mais je trouve que ce sondage fait l'objet de commentaires qui ne me paraissent pas du tout équilibrés.
83 % des Français considèrent que la France joue un rôle important en matière d'aide publique au développement. 68 % d'entre eux considèrent que c'est en Afrique qu'il faut adresser cette aide et c'est exactement ce que nous faisons. 49 % juge que cette aide est efficace quand 41 % jugent qu'elle ne l'est pas assez.
Ce que nous faisons depuis un an, en mettant en oeuvre une réforme ambitieuse de notre politique de coopération, c'est justement d'avoir ce culte du résultat, de l'évaluation et de la programmation. Nous programmons notre aide sur 5 ans. Nous l'évaluons chaque année et nous la concentrons. 80 % de notre aide est destiné aux trois grandes priorités qui sont définies par chaque pays bénéficiaire et nous essayons de regrouper tous les acteurs de la coopération car il n'y a pas que l'Etat qui fait de l'aide au développement. Il y a également les ONG, les entreprises, les collectivités locales.
Q - Peut-on faire plus, vous avez parlé de 0,7 % du produit intérieur brut, à échéance pour la France, peut-on consacrer encore davantage ?
R - La France joue d'abord un rôle d'entraînement. Depuis 2002, nous avons presque doublé notre effort d'aide publique au développement. Il ne faut pas oublier que sous le gouvernement socialiste, nous étions à 0,3 % du revenu national brut. Nous sommes maintenant à 0,5 % et nous atteindrons 0,7 % en 2012. En gros, nous sommes passés de 5 à 9 milliards d'euros en 2007.
Notre effort s'est nettement accru. Le président de la République, vous le savez, est à l'initiative sur les financements innovants du développement. C'est quand même la France qui porte cette nécessité de mettre au point des financements qui ne soient pas budgétaires mais qui soient additionnels pour, notamment, lutter contre les grandes pandémies en Afrique.
Non seulement nous faisons plus, mais nous essayons de faire mieux en étant plus efficaces et surtout, en tentant d'évaluer ce que nous faisons sans nous disperser. Il ne faut plus faire de saupoudrage comme nous le faisions ces dernières années.
C'est toute cette politique que nous mettons en oeuvre, depuis un an, et je souhaite que ce sondage qui est innovant - puisque nous n'avions jamais interrogé des Français sur l'aide publique au développement -, soit réalisé tous les ans afin de connaître la perception des Français et son évolution. Ce que je veux retenir, c'est qu'ils disent que la France, en dépit de ses problèmes budgétaires, doit apporter son aide aux pays du Sud. Je trouve qu'il est important de savoir que les Français nous soutiennent dans cet effort.
Q - Avant de parler de la francophonie, un mot sur la Côte d'Ivoire, c'est une zone d'inquiétude, les élections peuvent-elles avoir lieu avant la fin du mois d'octobre, telles que l'ONU l'a demandée ?
R - La situation est difficile et préoccupante. Nous n'aurons pas d'élections avant le 31 octobre et il faudra, d'ici là, imaginer une autre forme de transition pour que, réellement, les Ivoiriens puissent choisir, démocratiquement, librement, celui qui doit diriger leur pays. La France n'a que cet objectif : permettre aux Ivoiriens de se prononcer en toute liberté et de façon démocratique pour que ces élections soient incontestables et que la Côte d'Ivoire ait un président légitimement élu.
Q - Quel délai peut-on entrevoir pour imaginer que ces conditions soient enfin réunies pour ce processus démocratique ?
R - D'après le Haut Représentant pour les élections des Nations unies à Abidjan, à partir du moment où il y aura une volonté politique de tous les acteurs ivoiriens et à partir du moment où nous aurons une transition qui fonctionne, le délai technique pour organiser des élections est de l'ordre de 11 mois.
Faut-il encore qu'il y ait un minimum d'accords entre tous pour aller vers ces élections.
Q - Concernant la francophonie Mme Girardin, je le disais, c'est le Sommet de la Francophonie à Bucarest et TV5 qui est partenaire opérateur de cette francophonie et nous sommes très heureux, avec vous de pouvoir dire, par exemple, qu'il y a de plus en plus d'"apprenants le français" dans le monde, plus de 80 millions maintenant, ils sont de plus en plus nombreux, le français progresse donc ?
R - On nous dit que, durant ces dix dernières années, il y a eu 16 millions de nouveaux "apprenants le français". Permettez-moi de donner un "coup de chapeau" à TV5.
Q - C'est gentil, merci beaucoup.
R - En effet, je crois que vous jouez un rôle tout à fait essentiel dans cette promotion du français. C'est un bel outil au service de la Francophonie. Moi, j'ai envie de dire que la Francophonie se porte bien depuis quelques temps. Elle a le vent en poupe et vous savez, en 1970, lorsque l'on a créé cette communauté de la Francophonie, à Niamey, nous étions 21, aujourd'hui nous sommes 63.
Q - Et bientôt, encore plus, on frappe à la porte, il y a la Thaïlande, l'Ukraine, le Ghana, ils veulent tous y entrer.
R - On se bouscule un peu en effet pour entrer dans la Francophonie, ceci montre que la Francophonie est à la fois une idée moderne et attractive parce qu'elle a su évoluer. Au début, nous avons pensé que ce serait une sorte de Commonwealth à la française. Il y avait essentiellement des pays africains li??s par une Histoire commune qui est l'Histoire de la colonisation.
A partir des années 1990, nous avons vu entrer les pays européens dont il faut rappeler qu'ils ont un héritage francophone très fort.
Q - Et c'est d'ailleurs très symbolique que ce sommet ait lieu en Roumanie !
R - Absolument et ce n'est pas un hasard que nous organisions ce Sommet de la Francophonie en Roumanie car nous aurons une majorité d'Etats membres de l'Union européenne qui seront membres de la Francophonie quand la Roumanie et la Bulgarie entreront dans l'Europe. On voit bien l'évolution de ces dernières années. Actuellement, nous avons presque autant d'Etats européens que d'Etats africains dans l'Organisation internationale de la Francophonie, ce qui montre que la Francophonie a su évoluer et, surtout, qu'elle porte ce besoin de diversité culturelle.
C'est bien sûr, toujours la défense du Français, c'est l'axe central, mais c'est bien plus large.
Q - Oui, nous pouvons parler de valeurs, d'échanges.
R - Absolument et les enjeux de Bucarest seront de montrer cette vitalité de la francophonie européenne et c'est important au moment où l'Europe s'élargit. Il faut que le français soit une langue de travail de l'Europe. Il nous faut être très vigilants.
Q - C'est-à-dire, les entrepreneurs sont aussi les acteurs de la francophonie ?
R - Tout à fait, nous tentons de monter des partenariats publics-privés avec les entreprises pour qu'elles comprennent que c'est aussi leur intérêt de promouvoir le français. Au-delà de cet effort que nous devons faire en Europe, il faut effectivement que cette Europe soit aussi à l'image de cette diversité culturelle et qu'elle n'utilise pas uniquement une seule langue de travail, à savoir l'anglais.
Au-delà de cet enjeu européen important, la Francophonie est une force politique et c'est cela qui la rend attractive, je crois.
Q - Une force pour résoudre des conflits, par exemple, une force pour défendre les Droits de l'Homme ?
R - En effet, pour défendre les Droits de l'Homme, pour défendre la démocratie, je crois qu'à Bucarest, lorsque les chefs d'Etat auront des discussions politiques sur tous ces sujets, avec le souci de mettre l'accent sur les pays en sortie de crise. Vous savez, actuellement, prenez par exemple les opérations de maintien de la paix des Nations unies, où sont-elles les plus fortes ? En RDC, en Côte d'Ivoire et à Haïti : trois pays francophones. C'est là que nous avons les contingents de casques bleus les plus importants. Il est clair que si nous voulons être efficaces dans ces opérations de maintien de la paix, il faut envoyer des casques bleus qui utilisent le français.
Il y a cette mission politique et le fait que la Francophonie pèse sur tous les débats internationaux. Regardez ce qui s'est produit à l'UNESCO, la Convention sur la diversité culturelle, c'est cela le combat.
Q - C'est fondamental, c'est la fracture numérique.
R - C'est effectivement les 63 membres de la Francophonie qui ont porté ce combat et qui l'ont gagné. Sur tous les grands débats, à l'ONU par exemple où toute initiative du président Chirac sur la création d'une Organisation des Nations unies pour l'Environnement, les pays de la Francophonie soutiennent cette idée.
Cette force politique est de plus en plus vive et je crois que c'est une évolution intéressante. De plus, je dirai qu'il y a un troisième enjeu, après la Francophonie européenne, c'est la nécessité de renforcer nos missions politiques, c'est le thème même de Bucarest : l'éducation. Il ne faut pas oublier que la Francophonie est aussi un espace de solidarité, ce sont des programmes de coopération et nous voulons mettre l'accent sur l'éducation en utilisant ces nouvelles technologies de l'information. Ce qui montre que nous sommes aussi tournés vers l'avenir. Il faut, en effet, que la fracture numérique soit brisée entre le Nord et le Sud.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2006