Déclaration de M. Alain Bocquet, président du Groupe des députés communistes et républicains de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi sur l'énergie rendant possible la privatisation de GDF et sa fusion avec le groupe Suez, à Paris le 8 septembre 2006.

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Circonstance : Débat à l'assemblée nationale sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie, Paris le 8 septembre 2006

Texte intégral


Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Chers collègues,
Laisserons-nous l'avenir énergétique de notre pays être écrit par quelques patrons de groupes industriels dont la plume est tenue par des fonds d'investissement versatiles et âpres au gain ? Tel est l'enjeu de l'examen de ce projet de loi qui n'est que le fruit de la volonté d'un cercle d'initiés. Les critiques et l'avis des organisations de salariés, l'opinion des élus locaux, des associations de consommateurs ont été ignorées. Aucune consultation digne de ce nom n'a été organisée dans le pays. Les représentants de la Nation que nous sommes sont privés de certaines informations et se voient ainsi refuser l'accès à l'intégralité de l'avis transmis par la Commission de Bruxelles sur la fusion-privatisation GDF-Suez, opération que prépare le texte qui nous est soumis.
La fin de la maîtrise, par l'Etat, des prix de l'énergie
Ces méthodes technocratiques sont inadmissibles, quand les 17 articles que vous voulez faire avaliser, monsieur le Ministre, concernent le quotidien des 28 millions d'usagers d'EDF et des 13,8 millions d'abonnés à GDF. C'est-à-dire la quasi-totalité des foyers de notre pays, toutes ses collectivités locales et ses administrations, ainsi que la plupart des entreprises françaises, actuellement préoccupées par le poids de leur facture énergétique. Avec les mesures que vous proposez, il s'agit bel et bien de la déréglementation totale du service public du gaz et de l'électricité. Ce qui est programmé, c'est la fin de la maîtrise, par l'Etat, des prix de l'énergie, le renoncement au principe de la péréquation permettant une tarif unique sur l'ensemble du territoire, à un coût relativement limité. Vous mettez en avant votre titre premier portant sur le maintien des tarifs régulés et la tarification sociale. Mon collègue Daniel Paul soulignera l'inconsistance et la duplicité de ces dispositions. Nos concitoyens, qui souffrent déjà des hausses répétées de l'énergie, risquent de faire douloureusement les frais de votre entêtement à libéraliser et à privatiser coûte que coûte, sans jamais apporter le moindre début de preuve du bienfait de tels choix pour les ménages et pour la société. Car on attend toujours un bilan étayé sur les conséquences des premières applications des directives européennes d'ouverture à la concurrence et des expériences de privatisation, en France, en Europe ou en Californie. Dans ce dernier Etat, la déréglementation a entraîné des augmentations allant jusqu'à 500 %. En France, les gros industriels qui ont choisi de quitter les tarifs régulés ont eu à supporter une hausse de 30 % par an. Votre texte, qui autorise le démantèlement et la soumission à la bourse de Gaz de France, qui organise une rivalité meurtrière et destructrice avec EDF, qui livre chaque usager à la jungle de la concurrence dans un marché que domineront des oligopoles avides de profits, ce texte signifie l'abandon d'une politique énergétique exercée dans l'intérêt de la Nation. C'est le torpillage d'un mode d'organisation qui, depuis 60 ans, est parvenu à soutenir efficacement le développement économique et social de notre pays. Le général de Gaulle avait une vision juste et toujours actuelle quand il choisit, en 1946, de protéger le secteur de l'énergie de l'affairisme par la création d'EDF et de GDF.
Aujourd'hui, le président Chirac et la majorité UMP bradent l'un des derniers héritages du gaullisme social. En tronçonnant un système intégré de production, de distribution et de fourniture, en particulier dans le gaz, en bradant GDF pour l'opposer frontalement à EDF, le gouvernement met en péril l'indépendance et la sécurité énergétique de la France. C'est pourtant en raison de considérations aussi stratégiques que Monsieur Sarkozy, alors ministre de l'Economie, s'était résolu à inscrire dans la loi, en 2004, une clause maintenant Gaz de France SA dans le secteur public par un seuil minimal de détention par l'Etat de 70 % du capital. Dix huit mois plus tard, comment Monsieur Sarkozy peut-il justifier pareil retournement de veste ? Manifestement, les sirènes du MEDEF l'ont davantage charmé que les arguments des organisations syndicales, qui, unanimes, s'opposent à la privatisation de GDF. Comme de nombreuses personnalités qualifiées qui s'alarment du reflux de la puissance publique, à l'image du président d'honneur de GDF, Francis Gutmann, qui relève, je le cite, qu' " avec le rapprochement avec Suez, on ne parle plus que de 34 %. L'Etat se leurre et nous leurre s'il n'a rien trouvé de mieux que ces pourcentages pour sauvegarder l'essentiel. Ceux-ci ne sont que barrières de papier dés lors que des opérations boursières à venir ou le refus de l'Etat d'assumer ses obligations pour de futurs investissements les feront mettre à bas. ".
Nos concitoyens en font l'amère expérience avec France Telecom : la logique rentière des actionnaires privés est inadaptée pour garantir à notre pays une sécurité d'approvisionnement durable, à des prix abordables pour le plus grand nombre. Depuis l'ouverture de son capital, GDF s'est conformé à cette logique en poussant ses tarifs vers le haut pour alimenter des bénéfices record (1,7 milliards d'euros l'an passé). Résultat : la facture de gaz a augmenté de 30 % en 18 mois et de 70 % depuis l'ouverture à la concurrence en 2000. L'absorption de GDF par Suez, dont le capital est dominé par des fonds spéculatifs, ne fera qu'attiser cette inflation. Or, le gaz n'est pas une marchandise banale, c'est un produit de première nécessité pour des millions de familles, indispensable au fonctionnement de milliers d'entreprises et de collectivités. Sa gestion est incompatible avec des politiques financières à courte vue, surtout dans un contexte de tensions internationales sur l'accès aux hydrocarbures. Le gaz réclame des contrats et des programmes d'investissements à long terme, notamment pour assurer une fourniture continue et une fiabilité optimale des réseaux en protégeant les personnes et l'environnement. Or, les exigences de rentabilité du jeu boursier ne favorisent pas l'établissement de relations commerciales stables et mutuellement avantageuses avec les pays producteurs.
Le renouvellement du parc de production électrique en France comme en Europe (600 Gigawatts de puissance électrique à construire d'ici 2030, soit six fois la taille du parc français actuel), le développement des infrastructures et interconnexions électriques et gazières permettant la fluidification du marché, la solidarité énergétique et les approvisionnements gaziers en Europe, tous ces chantiers imposeront des investissements coordonnés, lourds et de long terme. La maintenance et le renouvellement des conduites de gaz sont des missions impératives qui relèvent de l'aménagement du territoire et de la sécurité publique comme viennent le rappeler dramatiquement les accidents de Mulhouse et Dijon. Le niveau de fiabilité des équipements devra-t-il évoluer en fonction des fluctuations du cours de bourse ? Comment la France compte-t-elle réduire massivement ses émissions de gaz à effets de serre, sauvegarder l'environnement par la diversification des sources d'énergie, si les priorités et les choix sont abandonnés aux critères comptables du marché ? Des critères qui privilégient les transactions opportunistes ("trading" et "marché spot") et tirent vers le bas les dépenses dans l'emploi, la formation et la recherche.
On nous promet un mariage GDF-Suez équitable. Mais Suez pèse trois fois plus lourd que GDF en capitalisation boursière. Suez, sans rien apporter au potentiel gazier de GDF, ferait main basse sur un fleuron industriel. Gaz de France, une des plus importantes compagnies au monde, aux capacités d'autofinancement intactes, représente une structure intégrée de l'amont à l'aval : une dizaine de plates-formes offshore et terrestres de production de gaz, 2 terminaux méthaniers, 4 navires méthaniers, plus de 150.000 kilomètres de canalisation de transport et de distribution de gaz , 13 sites de stockages souterrains totalisant plus de 10 milliards de m3 de gaz en réserve (20 % de la consommation française ), 45 stations de compressions de gaz, sans compter un des plus importants sites de recherche et développement d'Europe. Quelles seraient les répercutions de ce marchandage gigantesque pour les 200.000 salariés concernés ? Dans les filiales de service concurrentes des deux groupes - par exemple Elyo rattachée à Suez et la Cofathec à GDF - on craint 10.000 suppressions d'emploi. Pour autant, la fusion ne protègerait pas Suez d'une OPA ou d'un démantèlement. Une des solutions alternatives pour garantir l'avenir du groupe Suez, ses activités et l'emploi, passe par le renforcement de son capital via des acteurs publics comme la Caisse des dépôts et consignations ou Areva.
Pour GDF, tout plaide en faveur d'une fusion avec EDF
Concernant GDF, et plus largement le secteur de l'énergie, la logique industrielle et sociale, l'intérêt général, tout plaide en faveur d'une fusion avec EDF. De tels rapprochements entre électriciens et gaziers d'un même état membre ont déjà été engagés en Allemagne et en Espagne, sans que la commission de Bruxelles n'oppose de veto. Une étude d'un cabinet conseil, que je tiens à votre disposition monsieur le ministre, démontre la pertinence d'une réunion de EDF-GDF en matière de complémentarité et de densité du réseau de distribution. Nous proposons que les deux entreprises, redevenues à 100 % public, puissent tirer avantages de leurs collaborations historiques, de leurs synergies financières, technologiques et de services pour assurer pleinement leurs missions. Il s'agit de bâtir un pôle public de l'énergie qui, dans le cadre européen, participe à la mise en oeuvre d'un véritable Droit à l'énergie pour tous, en faisant prévaloir les coopérations et l'efficacité sociale sur la concurrence et le profit.
Votre texte ne suscite que rejet dans notre peuple, comme en témoignent les milliers de pétitions contre la privatisation que nous avons recueillies dans nos circonscriptions. Le 12 septembre prochain, une grande journée de protestation se prépare contre votre projet de loi. Confédérations syndicales, associations d'élus locaux, de consommateurs, de citoyens appellent à manifester. Les députés communistes et républicains prennent toute leur place dans cette mobilisation. Nous ne ménagerons pas nos efforts, à force d'arguments et de contre-propositions, pour défendre les intérêts de notre pays et de nos concitoyens. Il est encore temps, Monsieur le ministre, de vous épargner un désaveu aussi cinglant que celui du CPE. Retirez sans plus attendre ce texte !Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 26 septembre 2006