Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le développement local du cinéma, le cinéma à l'ère du numérique et la place du cinéma à la télévision, Lyon le 20 septembre 2006.

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Circonstance : 61ème Congrès de la Fédération nationale des cinémas français à Lyon le 20 septembre 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous retrouver à nouveau cette année pour ce grand rendez-vous organisé par la Fédération nationale des cinémas français, qui nous donne l'occasion de dresser l'état des lieux du cinéma en France et de nous projeter dans l'avenir.
Je suis particulièrement heureux de le faire avec vous à Lyon.
D'abord, parce que Lyon est une grande ville d'art et de culture. Ainsi, aujourd'hui même, je dois me partager entre deux évènements d'importance : c'est pourquoi je devrai vous quitter tout à l'heure pour me rendre à la Biennale de la danse, née à Lyon et qui a pris une ampleur internationale.
Oui, je vous félicite pour le choix de Lyon, qui est aussi un hommage à la ville où les Frères Lumière inventèrent le cinéma, et au très beau travail mené par Thierry Frémaux à l'Institut Lumière, avec son président Bertrand Tavernier.
Ce contexte si favorable a de bonne heure conduit la Région Rhône-Alpes à s'engager résolument aux côtés de l'Etat dans un soutien actif au cinéma. Je pense notamment aux remarquables acquis de Rhône- Alpes Cinéma qui, depuis plus de dix ans, a su faire de Lyon et de sa région un véritable pôle d'activité cinématographique, grâce à la détermination de Roger Planchon et à l'adhésion des élus régionaux à l'idée d'une vraie politique cinématographique régionale. Au moment où cette institution rénove son statut juridique, je tiens à lui rappeler tout mon attachement.
L'encouragement des collectivités territoriales à soutenir le cinéma a été une des priorités du gouvernement ces dernières années. J'ai pour ma part souhaité intensifier le partenariat entre l'Etat et les régions dans ce domaine en renouvelant les conventions Etat-Région et en mettant en oeuvre, le dispositif " 1euros de l'Etat pour 2euros des Régions ".
17 conventions triennales CNC/Etat/Région ont été signées en 2004, 7 conventions biennales en 2005.
Ainsi, à ce jour, 32 collectivités territoriales se sont engagées aux côtés de l'Etat, en faveur du développement du cinéma : 24 des 26 Régions, six départements, une communauté de communes et la ville de Paris. En 2006, le montant total des engagements inscrits dans les 24 conventions s'élève à 67,6 Meuros (soit 10 % de plus qu'en 2005).
Jusqu'à présent, l'essentiel de l'effort des Régions a porté sur leur participation à la production des oeuvres. Le cinéma en salles n'a pas été au coeur de leurs préoccupations. Le temps me paraît venu d'inclure à part entière le secteur de l'exploitation et son développement parmi les enjeux des nouvelles conventions Etat-Région et je m'y emploierai. L'ensemble des conventions actuelles venant à expiration fin 2006, le temps me paraît venu aussi naturellement en concertation et en partenariat avec les Régions, de mieux coordonner leurs actions avec celles de l'Etat, en faveur de la diffusion des films en salles et de l'exploitation.
Car l'aménagement cinématographique de nos Régions fait partie intégrante de l'aménagement culturel de nos territoires.
Je sais que vous avez rencontré les élus régionaux hier. Vous me trouverez toujours à vos côtés pour vous accompagner dans ce dialogue. Y compris dans l'hypothèse où des aménagements législatifs seraient nécessaires - je pense au code des collectivités territoriales, notamment - pour faciliter plus encore la participation des collectivités territoriales au financement des salles de cinéma, à leur rénovation, à leur agrandissement, qui répondent à une demande sociale toujours accrue et à un vrai renouveau du cinéma de proximité. J'examinerai bien sûr avec attention vos propositions dans ce domaine qui me tient à coeur, comme tous les élus locaux.
Comme tous les élus locaux, je sais que les cinémas sont avant tout des lieux de culture. Ce sont des lieux de rencontre, de partage, de vivre ensemble, des lieux d'émotion, de plaisir, des lieux de dialogue, d'échanges, des lieux où les gens se parlent, en croisant leurs propres regards, leurs expériences, avec les récits, les images, les regards, les rires et les cris que vous leur donnez à voir. Oui, nous savons, au conseil municipal de Tours, comme dans ceux de toutes les villes de France, qu'un équipement cinématographique est un équipement culturel à part entière.
A l'heure où chacun peut, de plus en plus, accéder à des films sur des écrans individuels, plus ou moins petits, notamment via les réseaux de communication, on n'ira jamais trop au cinéma en salles, lieu premier et privilégié, d'exploitation des oeuvres cinématographiques. Oui, la salle de cinéma a un bel avenir ! J'aime cette phrase de Truffaut où, pour expliquer le plaisir qu'il ressent à voir d'abord un film en salle, il compare le cinéma et la vidéo, mais la comparaison reste valable pour tous les modes d'accès individuels d'aujourd'hui : " c'est exactement la différence entre un livre qu'on lit et un livre qu'on consulte ... ". L'individualisation croissante de la consommation des oeuvres n'est en rien exclusive du plaisir collectif qu'offrent vos salles. Les salles de concert n'ont pas été vidées par l'élargissement de la diffusion de la musique ! Il en ira de même pour les salles de cinéma, et c'est le sens de mon action, je suis mobilisé sur cet objectif essentiel. C'est un objectif culturel. J'ai une pensée particulière pour les salles d'art et d'essai, dont l'essor contribue tant à la diversité culturelle. J'ai une pensée particulière pour les Studios de Tours, dont j'ai fêté, avec tous les Tourangeaux amateurs et amoureux du cinéma, la réouverture, le 24 mars dernier.
Oui, les films que nous découvrons d'abord dans vos salles obscures, sur vos grands écrans, avant qu'ils circulent sous forme de fichiers numériques sur les réseaux à haut débit, sont avant tout des oeuvres d'art.
2006 est une grande année pour le cinéma. C'est l'année de la ratification de la convention sur la diversité culturelle.
C'est l'année où Bruxelles a validé le système d'aides au cinéma français. C'est l'année où plus d'un Français sur deux est internaute. Il s'agit d'un tournant majeur. Cette évolution concerne d'autant plus le cinéma que les Français, rattrapant leur retard, s'équipent d'emblée en haut débit : près de 90% des internautes à domicile sont connectés en haut débit.
Cette numérisation est un défi majeur, et il faut la vivre comme une chance et non comme une menace. Pour la vivre comme une chance, il faut s'en donner les ambitions et les moyens. L'Etat a un rôle majeur à jouer et je m'emploie à lui faire jouer pleinement ce rôle. Sans réglementations et interventions appropriées de l'Etat, la diversité culturelle ne peut pas exister.
2006 est également l'année de la première loi qui garantit l'avenir du cinéma à l'ère numérique. La vivacité des débats autour de cette la loi sur le droit d'auteur a permis à chacun, à l'opinion publique comme aux professionnels, de prendre la mesure des défis auxquels nous sommes confrontés. Je veille à ce que l'Autorité de régulation des mesures techniques, créée par la loi, soit rapidement mise en place. Sur les sanctions, le projet de décret portant sur les contraventions pour contournement des mesures techniques de protection va être transmis au Conseil d'Etat en vue d'une publication au début du mois d'octobre et l'instruction sur les sanctions applicables aux internautes qui téléchargent illégalement est en cours de rédaction. Je vous consulterai prochainement sur ce sujet important.
Je veux aussi évoquer la place du cinéma à la télévision. Ce n'est pas une question taboue, même si elle peut paraître difficile et paradoxale. En tout cas, je ne peux y rester indifférent. Bien sûr, il ne saurait être question pour les pouvoirs publics d'intervenir dans les choix éditoriaux des sociétés de télévision. Pour autant, l'érosion, depuis quelques années déjà, de la diffusion du cinéma français ou européen sur les chaînes de télévision ne peut laisser personne indifférent, en particulier les pouvoirs publics. Elle ne me laisse pas indifférent, car elle touche à la diversité. Elle ne peut laisser insensible l'ensemble des parties prenantes de la filière cinématographique car, vous le savez mieux que personne, toutes les étapes de l'exploitation et de la diffusion d'un film sont étroitement liées. Je souhaite donc qu'une réflexion s'engage avec tous, ces prochains mois, sur la place du cinéma à la télévision. Je dis bien la place du cinéma à la télévision, son exposition, son éditorialisation nécessaire, le choix de ses horaires et de ses jours, en redisant pour couper cours à toutes les rumeurs malveillantes : touche pas à mon samedi soir ! Cette réflexion devra respecter tous les équilibres et au premier chef l'exploitation en salles. Vous serez au coeur de cette réflexion. Car c'est dans les salles que le film acquiert son identité d'oeuvre cinématographique. Je sais que déjà France Télévisions a engagé des discussions sur ce sujet. Leurs résultats, concertés avec vous, pourront figurer dans le contrat d'objectifs et de moyens du groupe, dont je souhaite l'adoption à la fin de cette année.
Dans le cadre de la fusion Canal+/ TPS, j'ai exercé toute ma vigilance afin que des engagements spécifiques soient pris par le groupe Canal+ en faveur de ce que les spécialistes de la concurrence appellent dans leur jargon "le marché amont" et que je préfère, pour ma part, appeler la création et la production de films. Ces engagements préservent l'indépendance des producteurs, face à une nouvelle entité qui représentera l'essentiel de l'offre de télévision payante, laquelle est aujourd'hui l'un des piliers du financement de la production cinématographique. Et j'ai aussi veillé à ce que les ressources dont bénéficie l'exploitation ne soient pas affectées par cette opération de fusion.
Le groupe Canal+ est prêt à compléter les 59 engagements qu'il a pris auprès des pouvoirs publics, par un ensemble d'engagements complémentaires qui constituerait un avenant à l'accord qu'il a signé en mai 2004 avec les professionnels du cinéma, afin de consolider les bases de cet accord initial, et de l'adapter au nouveau contexte de la fusion, avec de nouvelles garanties pour le cinéma dans son ensemble.
Je veillerai à ce que la négociation en cours sur ces engagements complémentaires aboutisse rapidement et dans un sens favorable à l'industrie cinématographique. Vous le savez, je souhaite qu'une charte soit adoptée : il s'agira d'une sorte de code de bonne conduite destiné à régir les relations entre les producteurs et la nouvelle entité. Ces bonnes pratiques seront essentielles pour garantir la transparence. J'organiserai dans les semaines qui viennent une réunion avec les parties prenantes afin que cette charte puisse prendre effet dans les meilleurs délais.
Enfin, dans le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, j'ai veillé tout particulièrement à ce que la numérisation de la diffusion télévisuelle marque un gain de qualité pour le téléspectateur, dans la perspective de la haute définition. J'ai tenu aussi à réaffirmer le principe de la contribution des chaînes numériques - notamment des nouveaux canaux supplémentaires - au développement de la création cinématographique.
La salle de cinéma est, pour l'heure, demeurée à l'écart de ce mouvement de numérisation, comme protégée par la frontière entre l'analogique et le numérique, désormais presque abolie partout ailleurs dans les modes de diffusion du film. Il est impératif de préparer le passage des salles de cinéma à l'ère numérique, pour qu'il se produise dans les meilleures conditions possibles.
Je tiens à saluer à cet égard le remarquable travail effectué par Daniel Goudineau dans son rapport au titre évocateur " Adieu à la pellicule ? ". Le point d'interrogation a toute son importance, et cependant l'immense mérite du rapport est de mettre en perspective toutes les conséquences possibles du passage à la diffusion numérique pour notre parc de salles. En particulier, tout ce qui pourrait porter atteinte à la diversité du parc, telle que la France a su la développer et l'entretenir. Car cette diversité est la condition même de la diversité de programmation, et donc de la liberté de création. Là encore, c'est de diversité culturelle qu'il s'agit. C'est pourquoi l'interopérabilité - mot barbare - qui est aussi synonyme de liberté et de diversité, l'indépendance des acteurs économiques, et l'examen attentif de toutes les garanties à prévoir pour maintenir et préserver la diversité des salles et des films, doivent retenir dès maintenant toute notre attention.
Je vous encourage à débattre du rapport Goudineau et à nourrir ce débat de vos propres expériences, autour de vos constats et de vos propres analyses.
C'est, enrichi de toutes vos contributions et de vos suggestions, comme de cet excellent rapport, que j'arrêterai ma position et que j'engagerai un programme d'action dans ce domaine. Nous réussirons ces changements, nous saisirons les chances qui sont devant nous, parce que toutes les parties concernées - et au premier chef, les exploitants et les distributeurs - seront consultées et associées à toutes les réflexions et à toutes les décisions.
Je me réjouis que cette réflexion se déroule alors que la fréquentation des salles progresse comme jamais depuis vingt cinq ans. C'est évidemment à vous, à votre travail, que nous devons cette belle embellie, qui nous permet d'espérer à nouveau près de 190 millions d'entrées dans les salles à la fin de cette année. Je tiens à vous en féliciter. Et je le fais avec d'autant plus d'enthousiasme que dans ce contexte de progression des entrées que le CNC a chiffré fin août à plus de 12% d'augmentation par rapport à l'année précédente, le cinéma français se taille une très belle part de marché, avec plus de 42 % des entrées. Mon souhait le plus cher est évidemment que ces tendances se confirment et que toute la riche diversité de la production française et européenne en soit bénéficiaire. Je sais que demain, lors de la journée marathon des distributeurs, vous aurez un aperçu de cette diversité à travers les premières images des films que vous nous offrirez dans vos salles dans les mois à venir. Je serai attentif, en particulier, à ce que certaines des préconisations en ce sens du rapport Leclerc soient rapidement mises en oeuvre, après que nous en aurons, d'un commun accord, approuvé les modalités.
C'est précisément à l'un des grands artisans et créateurs du cinéma français, prolixe et éclectique, fin lettré, et grand joueur, capable de revisiter de façon tout à fait personnelle et originale le marivaudage comme le polar, que vous avez choisi de rendre hommage ce soir. Pascal Thomas instille depuis maintenant plus de trente ans dans ses oeuvres inspirées, sa tendresse, son humour doux-amer, sa poésie, sa chaleur et son charme.
Il est de ces cinéastes peintres de l'arc-en-ciel de l'âme humaine, qui savent croquer aussi bien l'univers de l'adolescence et ses déboires sentimentaux, que les portraits de bien d'autres " caractères " au sens de La Bruyère. Je pense que cette référence lui plairait, tant ses personnages, hauts en couleur, marquent profondément le cinéma français.
C'est aussi un homme engagé qui, à la tête de la Société des réalisateurs français, a su haut et fort défendre les intérêts des créateurs. Et je n'oublie pas qu'il anime avec talent la Quinzaine des réalisateurs, à laquelle j'ai eu le plaisir à Cannes, cette année, de rendre visite pour admirer le beau film d'Emmanuel Mouret, Changement d'adresse.
Je vous demande de transmettre ce message personnel d'amitié et d'admiration à ce cinéaste hors normes, hors modes, et d'excuser mon absence à l'hommage si mérité que vous lui rendez ce soir.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, nous avons devant nous un champ important de réflexion qui s'ouvre sur les mutations profondes que connaissent actuellement toutes les industries culturelles face au développement des technologies numériques.
Cette réflexion sur le numérique et ses conséquences engage rien moins que l'avenir du cinéma que nous aimons, que nous défendons : un cinéma indépendant, varié, divers, message de liberté, ferment de découvertes et d'émotions.
C'est un enjeu fondamental, et c'est notre responsabilité à tous de concevoir les conditions dans lesquelles demain le cinéma s'épanouira. J'attends beaucoup de vos travaux et de notre dialogue sur tous les sujets que j'ai évoqués. J'attends beaucoup de votre participation à notre réflexion commune. Elle est nécessaire et urgente. Vous pouvez compter sur moi pour réguler cette numérisation, afin qu'elle devienne, non plus une menace qui nous inquiète, mais une chance à saisir. Ensemble, nous donnerons ainsi un nouvel élan à la création cinématographique et à l'accès de tous au cinéma et à la culture.
Je vous remercie.Source http://www.culture.gouv.fr, le 21 septembre 2006