Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur "Europe 1" le 20 octobre 2006, sur les programmes économiques des candidats à l'investitutre du PS, sur l'augmentation de la dette publique dans le précédent gouvernement socialiste, sur le vote à l'Assemblée nationale de la mise en oeuvre du bioéthanol E85.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Je reçois T. Breton pour justement sa colère. Avec les débats des trois socialistes, hier à Clermont et à la télévision, apparemment, vous avez des cauchemars et vous ne décolérez pas. Est-ce en raison de leurs propositions ou de l'absence de réactions à ce qu'ils promettent aux Français ?
R- D'abord, je n'ai pas de cauchemars, chacun dit ce qu'il veut, nous sommes en démocratie, et cela c'est bien.
Q- Alors, pourquoi la colère ?
R- La colère, pour deux raisons. La première, c'est que, comme beaucoup de Français, j'ai regardé ce qui s'est passé sur Public Sénat il y a 48 heures. J'attendais ce débat, et je le reconnais, j'ai été atterré ! J'ai atterré, non pas sur la forme, qui est était ce qu'elle était, cela a été commenté, mais sur le fond. Comment pouvons-nous être désormais le seul pays au monde à avoir un programme économique, qui revient 25 ans en arrière ? Les trois candidats - j'ai compris que l'un des trois serait le candidat choisi pour affronter le suffrage universel et être éventuellement le président ou la présidente de la République - ces trois candidats ont remis au goût du jour les 35 heures. Chacun a même dit tout cela c'est très bien, on veut même les généraliser. Mais les 35 heures ont mis la France par terre, je suis obligé de le dire en tant que ministre de l'Economie ! Cela a coûté 100 milliards d'euros dans la dette !
Q- Mais pourquoi êtes-vous surpris, parce que d'abord, vous aviez le projet et le programme socialiste ; il y avait tout dedans ? Et deuxièmement, pourquoi vous en prenez à L. Parisot, pas directement mais au Medef ? Pourquoi au Medef ? Et vous avez dit, en parlant du Medef : "on n'entend plus les entreprises ; elles ne sont pas si bien si bien représentées". Parce que là, c'est une accusation, une ingérence plutôt grave. En quoi elle vous paraît justifiée ?
R- J.-P. Elkabbach, nous avons besoin d'avoir un débat sérieux, nous avons besoin de regarder devant nous. Après cela, les uns et les autres peuvent se positionner, ici ou là. Mais ce que je souhaite pour notre pays, c'est un débat de qualité, c'est un débat où l'on puisse regarder vers l'avenir. Quand on parle, parce que le sujet, pardon de le rappeler, était : "Croissance : l'économie et l'emploi", et que l'on ne parle pratiquement pas des entreprises qui sont des moteurs de la croissance, qui créent l'emploi, et qu'on ne parle pas de la mondialisation, que l'on ne parle pas du monde qui va, que l'on parle pas du vieillissement de la population, qui est un problème majeur, qu'on ne parle pas de la compétitivité, de l'attractivité de notre territoire, que l'on parle plutôt des vieilles lunes, dont on a vu les catastrophes en pour ce concerne le pouvoir d'achat, qui a tant provoqué pour les Français, oui, je ne suis pas content. Mais en fait, cela, les socialistes...
Q- Mais, pourquoi le Medef ?
R- Attendez, vous m'avez interpellé...
Q- Parce que le silence le plus retentissant, pardon de vous le dire, c'est celui de votre majorité...
R- Non, non, non. Oh la majorité...
Q- Elle aurait pu se faire entendre. Mais pourquoi le Medef ? Vous demandez aux chefs d'entreprise de faire le boulot des politiques !
R- Absolument pas ! Certainement pas ! Je n'ai fait que de dire que nous avons besoin de corps sociaux qui se fassent entendre en ce moment, où des propositions sont mises sur la table. Aujourd'hui, quand on parle de l'économie et que les entreprises ne disent pas ce qu'elles ressentent - or elles vont être les premières concernées, si on augmente le Smic, si on abroge la loi des retraites, si on revient aux 35 heures...
Q- On reviendra là-dessus sur le fond, ne mélangeons pas tout. Pourquoi le
Medef ?
R- Et moi, ce que je veux dire, et ce que j'ai dit hier matin, j'ai dit : nous avons besoin, au moment de ce débat, d'avoir des organismes paritaires - nous vivons dans un système "paritariste", qui montre qu'il peut fonctionner, qui fonctionne relativement bien - il faut des organisations syndicales fortes, il faut des organisations patronales fortes, voilà ce que j'ai dit. On a retenu que le second thème. J'ai dit aussi le premier.
Q- Cela veut dire que, aujourd'hui, l'organisation patronale n'est pas forte ?
R- Ce que je souhaite, c'est que les entreprises s'expriment, disent ce qu'elles pensent lorsqu'on leur dit qu'on va leur réintégrer, massivement, unilatéralement, les 35 heures. On a vu ce que cela donne dans la restauration hier. C'est un drame pour l'entreprise. Alors, qu'elles s'expriment, qu'elles le disent. Ce n'est pas au Gouvernement à le dire, c'est aux entreprises à dire si elles sont d'accord ou pas avec ce type de projets qui sont des projets du passé. Moi, je regarde l'avenir.
Q- Est-ce un appel au Medef pour qu'il reste en campagne électorale jusqu'au bout, à côté de vous ?
R- Non, je n'appelle personne, je ne fais que de dire aux uns et aux autres, que nous avons besoin de vous entendre, dans un débat qui sera un débat important en 2007, un rendez-vous très important, et c'est maintenant qu'il faut se faire entendre, ce n'est pas quand les programmes seront terminés, car c'est maintenant qu'il faut que les candidats puissent les élaborer parce qu'il s'agit de l'avenir de notre pays. Et croyez-moi, au XXIème siècle, reprendre les vieilles lunes du XXème, c'est dépassé.
Q- Mais n'est-ce pas parce que vous soupçonnez le Medef de se laisser attendrir, soit par N. Sarkozy, soit par S. Royal ?
R- Moi, ce que je souhaite, ce sont les expressions claires.
Q- Alors, justement sur le fond, à Clermont-Ferrand, deux des trois leaders socialistes - L. Fabius et S. Royal - ont durci leurs attaques et leur programme, leurs orientations de gauche. S. Royal s'en est pris au système bancaire qui, dit-elle, fait du profit sur le dos des pauvres, et elle avait déjà demandé d'étouffer les capitalistes.
R- Etouffer les capitalistes ! C'est vrai que... Qu'est-ce que vous voulez ? Quand on est sur une planète où on a besoin d'avoir des investissements étrangers, car ils créent l'emploi, c'est formidable. Depuis maintenant quatre ans, grâce au travail de J.-P. Raffarin, puis de D. de Villepin, la France est passé du 7ème rang, en termes d'investissements étrangers qui viennent s'investir sur notre territoire, au 4ème rang. C'est bien, on est devenu le premier des pays de la zone euro. Mais avec des phrases comme celles-là, on va reculer. Si on recule, c'est de l'emploi en moins. Le monde est complexe, le monde ce n'est pas uniquement à travers le Poitou-Charentes qu'il faut le voir. Moi-même aussi j'ai été élu dans le Poitou-Charentes, moi-même aussi j'ai exercé des responsabilités de vice-président de la région Poitou-Charentes. Ce n'est pas en étant vice-président, président de la région Poitou-Charentes que j'ai appris à connaître le monde. Et donc, ce que je dis aujourd'hui, c'est qu'il faut regarder au-delà de nos frontières. Il faut regarder la France, certes de l'intérieur mais aussi de l'extérieur. Et je mets en garde, en tant que ministre de l'Economie, les uns et les autres, sur les messages qu'ils pourraient véhiculer qui seront négatifs pour notre pays. Après cela, chacun peut dire ce qu'il veut. Mais je reviens à ce que je disais tout à l'heure, il importe que ceux qui sont concernés puissent s'exprimer maintenant, faute de quoi le pays va rentrer dans une sorte de somnolence, on va réaccepter ce qui est inacceptable.
Q- Ce n'est pas le cas. Le débat est bien lancé, vous y participez. Alors, les 35 heures, L. Fabius veut les généraliser, S. Royal, estime qu'elles ont été un formidable progrès social pour la plupart des salariés, mais elle reconnaît que pour une minorité, elles constituent une régression. Si les 35 heures ont ainsi affaibli et menacé de déclin l'économie française, pourquoi le président de la République, ses gouvernements, ses ministres, vous-même, vous ne les abrogez pas, comme l'a demandé L. Parisot, ce matin ?
R- Pour une raison très simple : c'est la première fois - c'est la première fois effectivement, c'est une grande nouveauté - que j'ai entendu ce matin,effectivement, que le Medef demande d'abroger les 35 heures. Jusqu'à présent, ce n'était jamais le cas. Jamais. Et donc, c'est une grande nouvelle, et moi je me réjouis qu'il y ait enfin des expressions claires et nettes sur ce sujet. Donc au moins il y a une bonne chose, il y a un pas en avant. Ce qu'a souhaité toujours le Gouvernement, c'est de procéder par la concertation, et de faire en sorte que l'on puisse par branche faire avancer les choses, et notamment permettre à ceux qui veulent travailler plus, de travailler plus. Et cela, c'est une bonne chose, parce que la concertation est indispensable dans la vie des entreprises...
Q- Si c'est une catastrophe, souhaitez-vous, soyons concrets, que le candidat soutenu par l'UMP en propose la suppression ?
R- Je souhaite que l'on puisse, comme on l'a fait jusqu'à présent - et on va le revoir encore dans quelques jours, puisque R. Dutreil et G. Larcher vont se préoccuper de ce qui s'est passé hier sur, notamment, la restauration - ce que je souhaite, c'est que l'on puisse le faire, pour avancer le plus vite possible, le plus vite possible, par la concertation, parce qu'au moins on peut le faire tout de suite.
Q- C'est-à-dire ? Après le Conseil d'Etat qui a provoqué un tremblement de terre, en annulant les 39 heures ?
R- En discutant, en essayant de voir comment on peut, par la concertation, re-permettre aux entreprises et aux salariés de travailler comme ils le souhaitent. C'est quand même incroyable que l'on soit le seul pays au monde où l'on parle encore de ce sujet, tel qu'on en parle en France. Il faut de la liberté. Il faut, bien entendu, de la sécurité pour les salariés, c'est indispensable, mais il faut de la liberté pour que les entrepreneurs puissent vraiment créer des richesses avant de penser à redistribuer.
Q- Donc, on ne restera pas dans cette situation incertaine ?
R- Cela, je ne le souhaite vraiment pas.
Q- Vous avez attaqué aussi, billes en tête, D. Strauss-Kahn, qui était à Bercy avant vous. Vous dites qu'entre 1997 et 2002, lui qui passe pour un bon gestionnaire, a augmenté, comme L. Fabius d'ailleurs, la dette de 1.000 milliards de francs. Est-ce juste cela ?
R- Oui, c'est juste. Je dois dire que la dette, c'est invraisemblable ! La dette de la France a monté entre 97 et 2002 de 162 milliards d'euros, c'est-à-dire, 1.000 milliards de francs ! 1.000 milliards de francs, alors que tous les autres pays - je dis, écoutez-moi bien - tous les autres pays d'Europe ont baissé leur dette. Ils ont baissé leur dette, parce qu'entre 97 et 2002, le monde et l'Europe en particulier, ont augmenté leur croissance, ont vu la croissance croître de 3 à 4 %. Tous les pays donc d'Europe en ont profité pour baisser leur endettement, sauf deux : la France et l'Allemagne. L'Allemagne, parce qu'elle a réinvesti en Allemagne de l'Est, parce qu'il fallait vraiment investir dans l'infrastructure, et la France, pour rien.
Q- Mais pourquoi vous en prendre à D. Strauss-Kahn ?
R- Je vais vous dire, je ne m'en prends pas aux personnes, je ne fais de dire que... Vous savez, j'ai porté ce débat de la dette pour vraiment avoir un débat qui concerne tous les Français. Je regrette une seule chose : c'est que ce débat, ce n'est pas moi qui aurais dû le porter mais D. Strauss-Kahn, en 1997, qui aurait dû avoir le courage de le mettre sur la table. Or il ne l'a pas fait. On ne pouvait pas lui reprocher de ne pas savoir : il est professeur d'économie, il le savait. Et je lui pose une question ce matin : pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? C'est en ce moment-là qu'il fallait désendetter la France, pas sept ans plus tard. Et, entre temps, il a endetté, avec L. Fabius, pendant les cinq ans où ils ont tous les deux été ministre des Finances, la France de 1.000 milliards de Francs. C'est Monsieur mille milliards. Eh bien, moi j'estime que quand on est Monsieur mille milliards, on n'a pas de leçon d'économie à donner.
Q- D. Strauss-Kahn va vous répondre lundi, il sera à la même place que vous. Et vous lui lancez un défi. Est-ce que vous êtes prêt, par souci de clarté, à un débat avec lui, par exemple sur Europe et le temps q'il faudra. Etes-vous prêt ?
R- Mais j'en ai déjà eu et je le ferai bien volontiers. Je crois que c'est un sujet tellement important que oui, effectivement, il y a un clivage, il faut en parler, il faut clairement en parler. Il faut arrêter de faire payer demain - c'est la méthode des socialistes - ce que l'on consomme aujourd'hui.
Q- Les trois candidats socialistes ont un point commun : le projet socialiste. Entre eux, quelles différences vous voyez, vous, sur le fond ?
R- Pas beaucoup, à partir du moment où ils prennent la plate forme commune : ils abrogent la loi sur les retraites, ils nous proposent une augmentation du SMIC sans négociations, ils proposent de renationaliser EDF, ils proposent de généraliser les 35 heures...
Q- Mais ils n'ont pas raison de vouloir remettre à plat la réforme des retraites, la réforme Fillon ?
R- Non, ils n'ont certainement pas raison. Il faut aller de l'avant et certainement pas de l'arrière. Croyez-moi, nous avons une démographie, on le sait tous, qui est une démographie vieillissante, c'est une bonne nouvelle, mais ceci a un coût. On est en train, avec J.-F. Copé, de discuter du budget à l'Assemblée nationale. J'étais du reste cette nuit, et nous avons voté, par parenthèse, un certain nombre d'éléments, et notamment le bioéthanol. On a un budget qui est fait de 500 milliards d'euros pour les dépenses de santé, 270 milliards pour l'Etat. Aujourd'hui, les dépenses de santé de la Sécurité sociale sont gigantesques. Il faut en parler.
Q- On va beaucoup arroser pendant la campagne électorale...
R- Non, le budget est un budget très vertueux.
Q- On va promettre des miracles, et vous, vous avez votre majorité...
R- Ce n'est pas vrai, c'est fini. Le budget a été un budget vertueux et précisément non électoraliste.
Q- Est-ce que vous tiendrez, autant que vous pourrez le budget, pour qu'il
ne soit pas électoraliste, jusqu'en 2007 ?
R- La réponse vous a été donnée il y a quinze jours par la présentation du budget. La discussion parlementaire se passe bien, et donc je vous confirme qu'il n'y aura pas de budget électoraliste. Il y a un budget de raison, un budget de responsabilité.
Q- Un mot ou deux : est-ce que la fusion Suez/GDF va être votée vite ? Combien de temps encore ?
R- D'abord, c'est le temps du Sénat, maintenant, mais les choses se déroulent normalement. J'espère que d'ici la semaine prochaine, le Sénat votera ce texte qui est un texte important pour l'avenir des Français.
Q- On termine avec une bonne nouvelle, je pense, puisqu'elle a été votée à l'unanimité, sans polémique : le carburant vert est né cette nuit. Le bioéthanol E85 a été accepté et voté à 1h30.
R- Oui, c'est exact et surtout à l'unanimité. Tous les bancs de l'Assemblée ont donc voté la mise en oeuvre de ce carburant qui aura donc une détaxation complète sur la partie bioéthanol. C'est le E85 : 85 % d'éthanol, 15 % d'essence. C'est donc un carburant qui va être mis en vente dès le début de l'année prochaine. A 80 centimes d'euro par litre, c'est tout à fait compétitif et c'est, je crois, une varie révolution pour les automobilistes français, car, je le rappelle, dans le même moteur, ils pourront mettre soit de l'essence normale, soit du bioéthanol, en fonction des prix. C'est un pas formidable en avant et c'est aussi une grande nouvelle pour l'agriculture française.
Q- On voit que dans certains cas, on peut se mettre d'accord,
droite/gauche, sur des problèmes de fond. Mais là, en même temps, on
voit que le grand débat de la campagne électoral est lancé, vous en avez
donné une preuve supplémentaire. Merci d'être venu.
R- Merci.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 octobre 2006